11 Première ronde

Notes de l’auteur : Attention! Violence.

   Une des premières pluies fine et collantes d’automne glaçait les membres d’Edmond alors qu’il marchait en direction du hangar pour rejoindre Rose. La chaleur qui émanait du bâtiment souffla sur son visage quand il ouvrit la porte à battant grinçante, l’enveloppant dans un cocon tiède. Il déposa sa veste trempée sur un des porte-manteaux de l’entrée, avant de se diriger au centre de la pièce, où il trouva Rose et Pierre qui discutaient lourdement. Pierre avait le visage encore plus sombre et grave que d’habitude, ce qui était déjà un record. Lorsqu’ils aperçurent Eddy arriver, la conversation tomba dans le mutisme. L’ancien inspecteur transmit un dossier à la guerrière, dans une chemise jaune foncée, qu’elle rangea précautionneusement dans un des tiroirs du bureau qu’elle ferma à clé. D’un geste lent de la tête, il la salua et croisa Edmond en se dirigeant vers la sortie, à qui il envoya un bonjour qui se voulait chaleureux, mais qui ressemblait plus à un grognement. Rose replaça sa mèche et tendit un large sourire à Edmond quand il fut à sa hauteur, l’air de rien.  

   — Ah ! Justement, on t’attendait. Suis-moi !

   Ils marchèrent jusqu’à la salle d’entrainement, où Laurent attendait ; la blouse blanche sur les épaules, il disposait sur une petit table dressée au milieu de la pièce divers pièces de vêtements. Rose, précédent Edmond, ouvrit les bras triomphalement :

   — Tadaa ! Voilà ton costume !

   Elle se dégagea de son champ de vision, et il jeta un premier et rapide coup d’œil, tout excité, pendant que la jeune femme continuait son explication.

   — Nous avons fait avec les moyens du bord et notre budget, mais je pense qu’il va te plaire. Laurent tu le présentes ?

   Laurent sursauta comme si ils venaient d’arriver dans la pièce, et d’un mouvement précipité, prit le premier morceau du costume dans sa main et le présenta comme le ferait un vendeur à la sauvette.

   — Alors d’abord tu as la veste. Capuche et fermeture éclair ; c’est pour la discrétion.

   Edmond ouvrit de grands yeux ébahis.

   — Je sais, tu te dis que jaune, ce n’est pas ce qu’il y a de plus discret. C’est un tour de passe-passe, car quand tu l’ouvres…

   Le scientifique ouvrit la veste et la retourna, révélant un tissu noir et pelucheux.

   — … le noir te permet de repartir discrètement. C’est une matière synthétique, de même composition que du polaire. Nous pensons que l’électricité statique peut aider à l’utilisation de ton pouvoir. Pour le reste (Laurent prit le pantalon, et le retourna dans tout les sens), c’est exactement la même chose.

   Edmond s’approcha à pas feutrés, comme un chasseur observant sa proie. Il inspecta la veste et le jogging, passa sa main dessus, joua avec la doublure. Un sentiment étrange de fierté le fit sourire, et il appuya la veste contre lui, pour comparer la taille.

   — Ah, j’oubliais ! s’exclama soudain Rose.

   Elle attrapa une boite en carton sur un des meubles en bois, le posa sur la table, et l’ouvrit délicatement.

   — On t’a fait ça aussi.

   Les yeux d’Edmond se mirent à briller ; dans la boite, un masque, de la même forme que celui de Rose, épousant le contour des yeux. D’un jaune canari, il semblait être fait de carbone pur, extrêmement léger et incassable. Ses doigts glissèrent dessus, tremblant d’effervescence. Il le plaça sur son visage, en appréciant le confort. Laurent, qui s’était absenté sans qu’il ne remarque, revint avec dans ses mains un long bâton orangé. Avec du contentement dans la voix, il lui tendit :

   — Et ça, c’est ton arme, créée sur mesure.

   Eddy l’attrapa, la serrant dans sa paume, et la fit tournoyer autour de lui, jaugeant le poids et l’équilibre. Composée de deux sections de tuyaux de cuivre de 70cm chacune, pouvant se séparer par l’intermédiaire d’une tige fileté, l’arme accusait un poids relativement conséquent sans être trop pesant. Son diamètre de trois centimètres la rendait redoutablement contendante.

   — L’extérieur est en cuivre pour la conductivité expliqua Laurent, l’intérieur en galvanisé, pour plus de solidité. Au milieu, tu as un pas de vis qui te permet de séparer le bâton en deux, plus pratique à transporter, et une autre façon de se battre.

   Les doigts d’Edmond glissèrent sur le métal orangé, connectant sa peau au métal par l’intermédiaire des picotements parcourant son échine. Les poils se hérissèrent sur ses bras et il ressentit un frisson. Un claquement sec le ramena dans la pièce.

   — Essaie-la ! lui proposa Rose qui venait de relever un mannequin de paille.

   Edmond fit tournoyer l’arme autour de lui, avant de se stopper et de se concentrer pour sortir une onde : a son grand étonnement, l’onde sortit très vite, et bien que la visée ne fut pas des meilleures, touchant l’épaule du mannequin, elle fut assez puissante pour le propulser à un mètre derrière. Edmond se redressa, détendu, et sa bouche afficha un large sourire.

   — Satisfait ? s’enquit Rose.

   Edmond hocha la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

   — Parfait ! Alors va te changer et retrouve moi à la porte arrière du hangar.

   Dans le dortoir, Edmond enfila son costume, s’admirant quelques secondes devant un grand miroir sur pied. Il aurait été incapable de se reconnaitre. Décochant un nouveau sourire, il attrapa son bâton qu’il sépara en deux, et rejoignit Rose qui l’attendait, vêtue de sa combinaison en Licra noir et de son masque blanc. Ses deux dagues pendues à ses hanches brillaient à la lumière.

   — Ok, tu vas devoir me suivre et bien m’écouter. Une première sortie n’est pas à prendre à la légère. Je vais t’apprendre à arpenter les rues silencieusement, comme une ombre, à observer et à déduire. Ne prends pas de risques insensés, tu as des protections, mais tu ne maîtrise pas encore tout.

   Il hocha scolairement la tête.

   — Ok. Alors suis moi, et en silence.

   Ils sortirent par la porte arrière et glissèrent dans les rues, cachés dans la pénombre des réverbères. Voguant de poubelle en poubelle, passant dans les ruelles les plus noires et inconnus de la plèbe, Eddy découvrit ainsi des chemins insoupçonnés qui parcouraient sa ville, des raccourcis miteux et désert, que Rose semblait connaître sur le bout des doigts. Il en fut même perdu, incapable de dire où ils se situaient. Elle lui demanda soudain de se stopper en levant une main. Des badauds passaient. Accroupis près d’une poubelle, il demanda en chuchotant :

   — Où est ce qu’on va ?

   — Il y a un seul secteur où aucune église n’a encore été vandalisée. Nous allons là bas.

   D’un nouveau geste de la main, elle lui indiqua de poursuivre, toujours en silence, la plupart du temps le dos vouté. Ils passèrent différentes rues sales, quelques barres d’immeubles, des parkings, escaladèrent des barrières pour finalement se retrouver au pied d’une des nombreuses églises en pierre blanche de la ville. Plongée dans le noir, ses alentours, fait de différents carrés de pelouse sur lesquelles paressait parfois un boulot effeuillé par l’automne, leur permirent d’effectuer le tour du bâtiment sans prendre plus de précautions. Rose s’arrêta devant une vielle porte en bois dérobée ; observant son contour, elle montra à Edmond de fines et presque imperceptibles rayures sur le fer noir de la serrure. Elle posa son index sur sa bouche pour implorer le silence, et poussa légèrement sur le montant de la porte, qui s’ouvrit de quelques centimètres. Des murmures parvinrent à leurs oreilles. D’un signe de tête, Rose indiqua la fenêtre la plus proche. Edmond lui fit la courte échelle pour qu’elle puisse voir à travers les vitraux de couleurs. Redescendant avec grâce, elle lui chuchota ses instructions :

   — Ils ne sont que trois. Et ce sont bien eux, j’ai reconnu leur toge pourpre. Je vais rentrer et tacher de voir ce qu’ils fabriquent. Toi tu restes là, tu te caches, tu observes. Ne te mêle à un conflit que si c’est nécessaire. Ne prends pas de risques inutiles.

   Edmond acquiesça tout en réunissant les deux morceaux de son arme. Après un rapide signe de tête, Rose pénétra par la porte comme un chat, dans un silence de mort. Elle passa d’alcôve en alcôve, se cacha derrière les piliers blancs, se glissa entre les bancs. Quand elle fut assez proche de la bande, elle tendit une oreille attentive. Les trois hommes parlaient à voix basse, proche de plusieurs tombeaux, argumentant sur lequel ouvrir. A travers les nuages, les rayons de la lune peinaient à atteindre les vitraux et éclairer les lieux. Après une attente qui sembla interminable, un cumulus se dissipa assez pour laisser passer un jet de lumière blafard, mystifiant par une lumière presque surnaturelle un tombeau en particulier. Un sourire goguenard étira la bouche cassée du chef, ses yeux reflétant la blancheur de la pierre. D’un geste rude, il indiqua à ses sbires d’ouvrir le tombeau, ce qui fut fait en quelques secondes à l’aide d’une barre à mine. Le grand homme plongea dedans, et après quelques secondes, un rire rauque et sonore résonna dans le trou.

   — Alors maître, trépigna un des sous fifres, c’est bon ?

   L’homme ressortit de la tombe avec une impressionnante fluidité, un papier jaunie à la main comportant des écrits brillants.

   — Oui dit-il, ne pouvant cacher une grande satisfaction dans sa voix. Nous approchons du but. Nous savons enfin où il se trouve.

   Il épousseta ses épaules, et recouvrit sa tête de la grande capuche. Pliant soigneusement le vieux parchemin, il le tendit à son homme le plus proche, qui le rangea dans une poche interne. Les trois hommes refermèrent alors ensemble le tombeau, tapant des mains pour enlever le surplus de poussière. Ensuite, l’autre sbire essuya leurs traces minutieusement. Tapie dans l’ombre, Rose attendait. Un rayon lunaire éclaira de nouveau le visage du leader qui souriait toujours de manière macabre. Ils s’apprêtaient à repartir quand elle bondit alors au milieu de l’allée, bloquant leur passage.

   — Encore toi ! grogna le chef. Tu ne peux pas nous laisser tranquille ? Cela ne t’as pas suffit la dernière fois ?

   Rose craqua sa nuque de manière présomptueuse, et le toisa d’une voix pleine d’orgueil :

   — La dernière fois, j’ai été surprise, mais aujourd’hui, je suis prête.

    S’appuyant sur ses puissantes cuisses, les épaules basses, elle tenait fermement dans ses mains ses deux dagues.

   — Approchez.

   Le grand scarifié fit un signe de la main, et l’un des acolytes s’enfuit par la porte latérale. Rose n’en avait cure, ce qu’elle voulait, c’était attraper le chef. Et puis, Eddy allait peut-être s’en débrouiller. Le grand homme aboya un ordre au second sbire, qui attaqua la guerrière en courant. Rose attendit le dernier moment pour s’abaisser et esquiver le coup de poing ; se retournant, elle assainit un violent coup de genoux dans le dos, puis étendit la jambe pour frapper son visage du bout du pied, projetant des giclures de sang sur le sol en marbre. L’homme se releva avec peine, et comprenant son erreur, attendit dans un coin que Rose attaque. Cette dernière ne se fit pas prier, tournoyant avec ses deux lames, tailladant les vêtements et écorchant la peau du sbire ; puis, dans un enchaînement de coup de pieds au niveau du torse et du visage, il retomba violement à plat ventre, incapable de se relever. Rose, satisfaite, se retourna et décocha un sourire carnassier au chef. Lui ne rigolait plus, et son visage patibulaire se tordit dans une expression furieuse lorsqu’il retira sa capuche. Brun, les sourcils droits et épais, il avait une mâchoire carrée et des pommettes saillantes. Une vilaine cicatrice traversait son œil droit, qui était tout de même parfaitement fonctionnel, d’un bleu glaçant.

   — Qu’est ce que tu nous veux à la fin ? demanda-t-il d’une voix basse mais puissante.

   — Savoir qui vous êtes, et ce que vous faites à mes églises.

   Il rigola d’un rire sans joie qui se répercuta dans les arches de l’église.

   — Tu veux savoir qui nous sommes ? Je vais te le dire. Je suis Gérard de Saint–Léger, descendant de la noble famille des Saint-Léger, une des fondatrices de la noble cause ; nous sommes Crépuscule, et ce que nous voulons, c’est redonner son attrait à l’humanité, la sortir de son tourment infâme, de sa bêtise.

   — Et vous allez y arriver en profanant des tombes ? le toisa Rose.

   Les lèvres de Gérard tressaillirent de fureur.

   — Inutile que je t’explique, tu ne comprendrais pas. De toute façon, je vais en finir avec toi.

   — J’ai hâte de voir ça, rigola Rose en lançant un sourire forcé, la faisant ressembler à une petite fille insupportable.

   L’homme souleva la barre-à-mine sur son épaule, prêt à se battre avec. Le sourire de Rose s’effaça. Elle avait oublié ce détail. Quelques secondes de regard suspendirent le temps. Gérard ne prévint pas et lança un puissant coup horizontal dans sa direction ; Rose s’abaissa au dernier instant, et le lourd morceau de fer s’écrasa contre un des pilonnes, emportant un panache de pierre calcaire qui s’écrasa au sol en formant un nuage de poussière. Le chef enchaina des coups avec une force et une vitesse redoutable, et Rose esquivait comme elle le pouvait, avec souplesse et vivacité ; entre deux coups, elle tailladait avec ses dagues qui ne faisaient qu’effleurer la toge en velours. Plusieurs autres attaques se perdirent contre les piliers où les bancs environnants, ce qui macula de poudre blanche le sol. Rose esquivait sans broncher, cherchant le bon moment pour attaquer avec efficacité ; la carrure de l’homme était telle que de petits coups ne lui faisaient rien, il fallait pouvoir les placer. Rose se concentra, visant un point sous les côtes qui immobiliserait son adversaire ; elle profita d’un nouveau coup horizontal pour tenter de se mettre en position, mais le sol devenu glissant la fit déraper, et au lieu d’esquiver le coup, elle n’eût que le temps de se protéger avec son bras gauche ; un craquement terrible accompagna sa projection contre le poteau derrière elle. Gérard baissa son arme, satisfait, un sourire de victoire aux lèvres. De douleur, Rose s’agenouilla, le bras gauche formant un angle contraire sur son torse enfoncé ; par connaissance de la douleur, elle sut que deux cotes lui perforaient le poumon.

   — S’en est finit pour toi, s’exclama Gérard avec une satisfaction qu’il n’arrivait pas à cacher dans la voix. Je t’ai battu, le raton.

   Il jeta la barre-à-mine derrière lui. Rose, sans le regarder, cracha un glaviot de sang sur le sol poussiéreux, respirant dans un sifflement horrible.

  — Che… chui… oune… ratel…

  — Je ne comprends pas ce que tu dis, le raton.

   Rose cracha un nouveau glaviot de sang. Le sifflement s’apaisa avant de disparaître, et son bras cassé reprit peu à peu un aspect normal. L’enfoncement sous son sein gauche disparu. Le grand homme se crispa, ses yeux s’agrandirent dans une expression impressionnée et craintive.

   — Je suis une ratel, répéta Rose qui se releva comme si de rien était.

   — Je… je vois que j’aurais un adversaire à ma taille, déglutit Gérard.

   Les yeux de Rose flamboyèrent.

   — Ça je ne te le fais pas dire.

   Il recula d’un pas, mais c’était trop tard. Comme une furie, elle lui bondit dessus, tournoyant avec ses lames, plaçant coup de poing, de pied, aux cotes, aisselles, ventre, clavicule, tête, à un rythme effréné. Des morceaux de toges commencèrent à peupler les dalles, du sang giclait par moment. Quelques secondes, et Gérard tomba lourdement à terre, empêtré dans ses habits troués et pendant, sa capuche ne tenant qu’à quelques fils. Il haletait, et pour la première fois, un soupçon de crainte se lisait dans ses yeux. Rose approcha une lame de son visage, et le mit en jouc, son visage déformé dans une expression féroce.

   — Maintenant, je veux savoir ce que vous faites, et sur le champ !

   Gérard regarda la pointe de la lame noire, louchant dessus, puis plongea ses yeux dans les noisettes de Rose.

   — Je t’ai dis que tu ne comprendrais pas. Et de toute façon, c’est trop tard, nous sommes trop proche du but. J’ai hâte de te retrouver à notre prochain combat, quand la bête sera de retour. Tu te soumettras.

   — Il n’y aura PAS de prochain combat, martela Rose en séparant bien chaque mot, tout en approchant la lame de son visage.

   Un sourire dévisagea Gérard.

   — Ce que tu crois.

   Sa main droite se serra sur le sol, et il lança une poignée de poussière dans les yeux de Rose, qui fut aveuglée quelques instants ; il en profita pour la pousser et s’échappa en courant, récupérant son sbire au passage. Rose cligna des yeux pour retrouver l’usage de la vue et cria de rage.

   Idiote !

   Quelques minutes avant, Edmond, tapit derrière un arbre, observait les alentours quand il entendit le grincement caractéristique de la porte. Un homme sortit de l’église, la toge recouvrant sa tête, et courra vers lui sans le remarquer. Edmond ne réfléchit pas une seconde, sortant de sa cachette et mettant son arme en opposition

   — Arrêtes toi !

   L’homme se stoppa en glissant, et le regarda, sans qu’Edmond ne puisse apercevoir son visage dans la pénombre. Après l’avoir jaugé, il l’attaqua. Il était d’une rapidité folle et Eddy ne put esquiver que quelques coups avant que l’homme n’écrase le champ de sa main sur les tendons de son cou, infligeant une douleur fulgurante qui le fit fléchir sur un genou. En fâcheuse posture, il réussit par reflexe à arrêter le coup suivant avec son bâton, ce qui lui laissa une fenêtre pour riposter. Son adversaire encaissa avant de reculer en faisant des pirouettes. La riposte n’avait pas dû lui faire grand-chose car déjà, il réattaqua ; Edmond, changea de stratégie et envoya des ondes en direction de ses pieds ; incrédule, son adversaire perdit l’équilibre mais de part son agilité, passa sous le tuyau de cuivre ; sa capuche glissa, révélant son visage à Edmond. Un « BANG » interrompit leur combat : la porte s’ouvrit à la volée et les deux autres hommes s’échappèrent en courant dans l’autre direction ; le troisième profita de la distraction pour filer entre les mains d’Edmond, qui ne comprit que trop tard son erreur. Rose sortit à son tour du bâtiment et poursuivi la troupe, rejoignant Edmond qui faisait de même. Les membres de la secte couraient vite et savaient où ils allaient, les rendant difficilement rattrapable. Rose vit Edmond s’arrêter rapidement, mais continua coûte que coûte. Elle gagnait du terrain quand une BMW noire apparue de nulle part, vrombissant dans la rue, et s’arrêta devant les membres, qui grimpèrent dedans. La voiture dépourvue de plaques repartie dans l’ombre, laissant Rose pantoise, coupé en deux par son effort brutal. De nouveau, elle ragea envers elle-même. Faisant demi-tour, elle rejoignit dépitée un Edmond qui l’attendait à deux rues de l’église.

   — Tu ne les as pas eus ?

   — Non, ils se sont barrés en voiture, grommela-t-elle.

   Elle frappa une poubelle qui ne lui avait rien fait, et s’adossa dessus, soupirant bruyamment. Edmond remarqua l’ouverture béante de sa combi au niveau des cotes et du bras, ainsi que les taches de sang.

   — Ça va tu n’as rien ? s’inquiéta-t-il.

   — Non, ne t’inquiète pas pour moi, répondit-elle en observant sa peau nue et intacte. C’est plutôt mon amour propre qui en a pris un coup. Je me suis fait avoir comme une bleue sur le coup de la poussière dans les yeux.

   Edmond baissa la tête en signe de soutient.

   — Et toi, tu n’as rien ?

   Il montra son cou tuméfié.

   — J’ai pris un vilain coup mais dans l’ensemble, ça va.

   Rose imita son précédent signe de tête. Marmonnant dans sa barbe, elle ne se remettait pas de son échec.

   — Bordel ! J’étais à deux doigts ! Il était par terre, à ma merci ! Qu’est ce qu’on a obtenu ? Le nom de la secte, et c’est tout ! Je ne sais même pas ce qu’il y avait sur leur parchemin.

   Elle baissa la tête, boudant contre elle-même. Edmond fouilla dans sa poche, et lui mit sous le nez le bout de papier jauni.

   — Ce morceau de parchemin ?

   Il esquissa un sourire malicieux. Rose lui arracha presque des mains, les yeux ébahis.

   — Où est ce que tu l’as trouvé ?

   — C’est tombé de la poche d’un d’entre eux quand ils courraient. Je me suis arrêté pour le ramasser.

   Un sentiment étrange de fierté envahi le cœur d’Edmond quand un sourire béat s’esquissa sur le visage de la guerrière. Le parchemin était tout froissé, proche de partir en lambeau, mais toujours (par miracle) en un seul morceau. Elle l’observa de long en large, l’aplanissant. A sa grande surprise, le parchemin était vierge.

   — Il… il n’y a rien d’écrit.

   — Tu es sûre ? s’inquiéta Edmond. Il m’a semblé voir quelque chose moi tout à l’heure.

   Elle lui tendit pour qu’il vérifie, mais en effet, le parchemin semblait totalement vierge.

   — C’est… c’est impossible.

   Son cerveau lui jouerai-t-il des tours ? Rose, perplexe, continuait de retourner l’antiquité dans tout les sens. La pénombre s’éclaira quelques peu quand un rayon de lune traversa un nuage, et fit briller soudain le papier.

   — Rose ! Regarde ! s’écria Edmond. Sous le rayon de la lune !

   Les yeux marron de la guerrière se plissèrent. De petites illuminations parcouraient le papier, comme si la lumière blafarde révélait une encre invisible. Cependant, même quand la lune était totalement découverte, l’effet était trop faible pour déchiffrer quoi que ce soit, les écriteaux étant à peine perceptibles.

   — Il doit y avoir une clé, quelque chose.

   Elle se mit à marcher comme un lion en cage, réfléchissant à pleine méninge. Edmond réfléchissait lui aussi, mais sans bouger. Ce fut de lui qui parla en premier.

   — Cette secte, elle n’attaque que les soirs de pleine lune ?

   — Oui.

   — Jamais d’attaque les autres jours ?

   — Non.

   Edmond marcha quelques pas afin d’éluder le fruit de sa pensée.

   — Il doit y avoir un lien. Je veux dire, s’il suffit que de la pleine lune, ils pourraient récupérer le papier avant et le lire plus tard. Cela les rendrait beaucoup moins prévisible. Mais là, ils attaquent le soir même.

   — Oui, ça à du sens ce que tu dis, approuva Rose.

   Elle y réfléchit quelques instants, avant que n’intervienne un déclic.

   — L’endroit est important !

   — Quoi ?

   — Là où ils ont trouvé le parchemin ! Suis-moi !

   Ils retournèrent vers l’église, à l’intérieur, où Edmond déglutit sur les traces de sang à terre. Rose observa l’emplacement du tombeau, se rappela de la lumière quasi-surnaturelle qui traversait les vitraux. Les vitraux… Elle s’en rapprocha, admira cette fenêtre datant du 16ème siècle dont on n’avait jamais réussi à reproduire les verres teints, qui brillaient par leur architecture et leur composition. Et si… ? Elle se plaça sur le tombeau, attendit qu’un nouveau rayon pâle traverse les carreaux de couleurs. Alors, le papier jauni brilla plus intensément, et les symboles à peine perceptibles tout à l’heure devinrent complètement visible, brillant d’un blanc pur.

   — Qu’est ce qui est écrit ? demanda Edmond brûlant de curiosité.

   — C’est du latin, indiqua Rose, mais certains mots sont illisibles… « Temple… solaire… détruit… corps… se trouve sous l’Eglise Saint Etienne le vieux. »

   Cette ruine ? Un temple ?

   — Qu’est ce que ça veut dire ?

   Rose baissa les bras et regarda au fond de l’église. Ses sourcils se froncèrent au dessus de son masque.

   — Cela veut dire qu’à la prochaine pleine lune, nous les attendrons là-bas.

   Elle rangea le petit bout de parchemin dans sa poche, regarda une dernière fois les vitraux, se promettant qu’elle les étudierait plus amplement plus tard.

   — Il va falloir que l’on note tout ce qu’on vient de voir.

   Elle retira son masque pour plus de confort.

   — Viens, on va dans un endroit plus tranquille.

   Tous deux se dirigèrent, toujours à pied, vers le bar Chez Perroni. S’installant à la même table que la dernière fois, le patron leur apporta, sans qu’ils n’aient à commander, deux bières fraiches. Rose ouvrit sa combinaison pour y dénicher un petit bloc note, révélant une brassière saumon qui n’allait pas du tout avec l’ensemble et qui fit rougir malgré lui Edmond.

   — Bon, on en sait désormais comment ils se font appeler. Crépuscule.

   Rose entoura le nom plusieurs fois, plissant les yeux, essayant de se remémorer si elle avait déjà entendu ce nom quelque part.

   — Et il recherche le corps de quelqu’un, poursuivit Edmond. Pourquoi ?

   — Oui c’est vraiment bizarre.

   Rose mit une petite note sur son carnet.

   — Il y a quelque chose de particulier à l’église Saint-Etienne ?

   Rose fit non de la tête, penchée sur son bloc-notes.

   — C’est une église en ruine. J’y suis allée au mois de juin, elle n’a rien de particulier. Il y a quelques tombeaux, mais de ce que j’en sais, ce ne sont que les dernières demeures de prêtre. Mais ça vaudrait le coup de vérifier tout de même.

   Rose but une gorgée de sa bière, et reposa le verre en soupirant.

   — En tout cas, leur chef n’est pas une crème. Il m’a donné du fil à retordre. Elle observa l’endroit de l’impact sur sa peau. Et toi, tu n’as pas trop mal ?

   — Non, répondit Edmond en se massant la nuque, et ce même si la douleur était cuisante.

   — Tu n’as pas eu peur ?

   Il s’adossa sur la banquette, réfléchissant un moment à ses sensations.

   — Non… au contraire, je me suis senti grisé.

   Rose se redressa à son tour, l’observant avec perplexité. Une nouvelle gorgée de bière lui fit une moustache de mousse qu’elle eut un peu de mal à enlever avec sa langue. Cherchant ses mots, elle finit par soupirer :

   — Eddy, ce que je te demande n’est pas sans danger. Tu en as conscience ?

   — Oui, j’en suis conscient répondit-il calmement, je perçois la portée de ce que l’on fait et de ses dangers, je t’assure. Et je… Je ne sais pas comment le dire, mais j’ai confiance en toi.

   Ces dernières paroles rassurèrent Rose, qui décocha un sourire fier. Elle se repencha sur son carnet et lui demanda :

   — Tu as vu la tête du type ?

   — Oui, il était blond, les cheveux courts ; les yeux bleus, il portait un bouc et il était mince. Sacrément agile aussi.

   Le stylo gratta le papier, alors qu’un silence gênant s’installa. En relevant les yeux, la guerrière aperçut Edmond caresser la buée de son verre pensivement.

   — Tu as quelque chose à me dire ?

   Il tortilla son derrière sur le cuir, et d’un air gêné, demanda :

   — Rose, tu as déjà tué quelqu’un ?

   Elle reposa son verre doucement, s’accouda sur la table en repoussant le carnet au bout, et demanda d’une voix douce.

   — A ton avis Eddy ?

   La réponse était oui. Ça ne pouvait pas être autre chose. Il ne sut quoi en penser.

   — Mais c’était toujours parce que c’était nécessaire, lui affirma Rose d’une voix calme, et pas par plaisir. Parfois, tu tombes sur des personnes dont tu dois absolument contrer les plans, peu importe le moyen, sinon tu risques d’avoir sur la conscience la mort de milliers d’autres. Et tant que je l’ai pu, je l’ai évité. Mais j’ai connu des guerres Eddy.

   Il n’eut toujours pas de réaction. A proprement parler, il ne savait pas si il ne ressentait rien, ou si cela lui glaçait les os. Il s’attendait à cette réponse. Cela piquait simplement sa curiosité.

   — Quel a été le plus grand ennemi que tu as combattu ? demanda-t-il. Le plus terrible.

   Rose but encore une gorgée, réfléchissant en regardant le plafond et en croisant les doigts, et répondit :

   — Un fou furieux du nom de Pizzle the Twizzle. Il voulait faire sauter la planète.

   — Tu te moques de moi, ça c’est les deux minutes du peuple !

   Elle rigola à pleine dent, puis reprit plus sérieusement :

   — Concrètement Eddy, je ne sais pas. J’en ai combattu pas mal tu sais. Mais ce sont en général surtout des génies du mal, des esprits intensément malins, qui cherchent à tout prix le pouvoir. Il y a rarement de surhomme ou d’énorme menace physique venant d’un seul être. C’est souvent un cerveau, et des milliers d’adeptes. Ceux-là sont les plus dangereux. C’est pour cela que je me méfie de ce « Crépuscule ». Je ne sais pas si leur histoire de bête est réelle, si c’est une arme, si c’est autre chose. Je compte bien les arrêter avant qu’ils ne soient néfastes pour la population. Lorsqu’ils iront déterrer ce corps à la prochaine pleine lune, nous y serons, et nous les arrêterons.

   — Comment tu peux être sûre qu’ils attaqueront à ce moment là ? demanda-t-il. Déterrer un corps, tu peux le faire n’importe quand. S’ils sont un poil malin, ils créent l’effet de surprise, et le font à un moment où nous ne n’y attendons pas.

   Elle caressa à son tour la buée de son verre, faisant des dessins avec son doigt.

   — Evidemment, je vais mettre en surveillance l’église, au cas où. Mais, ce qu’il y a de bien avec les fanatiques, reprit-elle, c’est qu’ils sont très carrés. Ils seront bornés à faire ceux que leur dogme leur dit. Peu importe si celui-ci a 1000 ans de retard ou même nécessite de sacrifier une partie de soi. C’est à la fois extrêmement admiratif dans la dévotion, et extrêmement stupide. Alors je t’assure qu’ils ne feront rien avant la prochaine pleine lune. J’en ai combattu des tas de sectes, de vraies et fausses religions. C’est toujours la même chose.

   Il la regarda admirativement. Elle dégageait une assurance et une aura infrangible.

   — Et tu combattais les sectes seules ? demanda-t-il avec de grands yeux. Il n’y a jamais eu d’équipe, un groupement national ?

   — Oh j’ai eu bien souvent des partenaires, lui répondit-elle, et il y a même eu diverses organisations gouvernementales. Mais depuis les accords de Nagasaki, nous n’avons plus aucun lien avec les gouvernements, et les équipes composés de gens comme les nôtres s’estompent petit à petit. C’est pour cela qu’on n’entend jamais parler de gens comme nous. Au mieux, nous sommes devenus des légendes urbaines.

   Il s’arrêta un instant. Il ne comprenait pas tout. Il lui manquait des éléments, et un en particulier.

   — Qu’est ce que c’est réellement les accords de Nagasaki ? finit-il par demander.

   — Ils sont notre protection, notre barrière pour éviter que le monde ne dégénère. Ils ont été signés après la deuxième bombe atomique.

   — Et comment est-ce arrivé ? demanda-t-il curieux.

   Rose soupira.

   — Désolé Eddy, dit-elle de sa voix douce, mais c’est une très longue histoire et il se fait tard. Nous ferions mieux de rentrer. On se revoit au prochain entrainement.

   Elle le laissa là, des questions plein la tête.

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