12 Les premières fois et les fois d'après

Notes de l’auteur : ! Attention !
à l'avis du lecteur.
Ce chapitre contient des scènes de sexualité à ne pas mettre entre toutes les (jeunes) mains.
Il contient aussi des références à l'alcool. Ne faites pas l'amalgame des deux, soyez conscient de ce que vous faites, et respectez vous et vos partenaires. Bisous
Ps: ce chapître est un peu particulier pour moi, j'y ai voulu y apposer des thèmes qui me sont chers et qui n'apparaissent que trop rarement dans des livres "standards/tout publique (18ans et plus)": homosexualité, SIDA et vivre avec, angoisse... etc...
Concernant l'angoisse, il s'agit de quelque chose que j'ai vraiment vécu (les crises d'angoisses elle-même ndlr), et j'ai voulu retranscrire du mieux que j'ai pu cette sensation.
Voilà, un chapitre à part, peut-être pas des plus importants (malgré des révélations), mais qui me tient à coeur. (Ah et forcément, il est expérimental, car il a comme principe de base "tiens, et si je décrivais un scène de sesque, a quoi elle ressemblerait?")

Les marches des escaliers menant à son appartement pesaient lourdement dans les cuisses de Rose ; aujourd’hui était son dernier jour de travail avant des vacances bien méritées : son esprit était épuisé. Poussant péniblement la porte du logement, elle jeta ses clés sur la petite table à l’entrée sous le porte-manteau, ôta sa veste, puis se dirigea vers le canapé, où elle atterrit tel un phoque sur sa banquise. Se redressant lentement et sans grâce, elle déboutonna les premiers boutons de sa chemise pour enlever cette impression d’étouffement et libérer sa cage thoracique ; ses cheveux furent à leur tour libérés de leur queue de cheval éternelle. Pour terminer, elle déboutonna son jean et l’entrouvrit.

   Des vacances, enfin !

   Les dernières sorties nocturnes et les surveillances à l’église n’étaient pas ce qui l’épuisait, au contraire.  C’était plutôt donner des cours et corriger des copies qui finissaient par la rendre chèvre. Elle se pinça le haut du nez pour remettre ses idées en place, oublier l’université et réfléchir au meilleur moyen de coincer Crépuscule. Monter un plan parfait était sa seule véritable préoccupation des vacances.

   Non, pas la seule.

   Ses yeux en amandes venaient de s’égarer sur son sac ouvert, posé négligemment contre le fauteuil et duquel dépassait le dossier jaune que lui avait remis Pierre. Elle y vit comme un appel, et après un tapotement nerveux des doigts contre l’accoudoir, elle s’en empara et commença à le feuilleter de nouveau, lisant l’entête des chapitres.

   Centres secrets…

   Reprise des expérimentations…

   Sources de pouvoirs…

   Les gouvernements impliqués…

   Rose rejeta le dossier sur le canapé, refusant d’y croire. Trop gros. S’aurait été su avant.  Et il n’y avait pas d’auteur, rien. Elle regarda du coin de l’œil la chemise jaune, comme si celle-ci la défiait.

   Et si c’était vrai ?

   La pluie de météore qui lui avait apporté Edmond prendrait alors un tout autre sens. Pierre avait toujours eu des sources fiables. Le pire pouvait donc arriver. S’affalant au fond du canapé, Rose s’avoua à elle-même qu’elle avait besoin de conseil. Sophie elle, dans la chambre, avait d’autres préoccupations : comment faire rentrer tous ces vêtements dans la valise ? Et comment supporter sa mère qui avait du mal avec son homosexualité ? Comme pour y trouver une réponse, elle revida la valise et recommença par ses sous-vêtements.

   — Tu as préparé tes affaires ? demanda-t-elle à Rose à travers la porte entrouverte.

   Dans ses pensées, cette dernière marmonna des paroles inaudibles.

   — Chaton ? insista Sophie.

   — Hein ? Euh non-non, pas encore. Désolée, je réfléchissais.

   — A quoi ?

   La jolie rousse se battait avec un pantalon récalcitrant.

   — A l’U.E.S.H. Avec les événements récents, je me demande si on ne devrait pas faire une réunion, savoir ce qui se passe dans le reste du monde. Surtout après avoir feuilleté le dossier que Pierre m’a ramené.

   — Votre équipe ? s’étonna Sophie. Je croyais qu’elle avait disparu depuis vingt ans ?

   — C’est bien ça répondit Rose, les yeux fixés sur la télévision éteinte. Enfin non, elle est en sommeil. Nous avions bien pensé à faire une nouvelle réunion avec l’Enclume, mais finalement cela n’a jamais été nécessaire.

   — Et tu penses que maintenant ça l’est ? demanda Sophie qui retira de nouveau une robe.

   Rose se leva pour se servir un verre d’eau, en but une gorgée, puis se rallongea sur le canapé :

   — J’ai toujours ce mauvais pressentiment. Et au moins, ça permettra à Edmond de mieux connaitre notre travail. Ce qu’on a fait, notre histoire. Il pourrait en avoir besoin.

   — Tu ne le mets pas trop en danger au moins ?

   Sophie appuya fortement sur la valise pour tenter de la fermer.

   — Non ne t’inquiète pas, répondit Rose, je le protège. Et je dois avouer que j’aimerai revoir Hilda et Luigi.

   — Hilda et Luigi ? Ils ne sont pas morts ?

   Rose eut un frisson désagréable.

   — Grand dieu non ! Mais cela fait longtemps que je n’ai pas eu de nouvelle. Et j’aimerai avoir leur conseil.

   La voix de Rose graillait de préoccupation, et Sophie le remarqua.

   — Il est si terrible que ça ton dossier pour que cela te chagrine à ce point ?

   Rose continuait de fixer l’écran noir, le verre suspendu aux lèvres.

   — Il pourrait déclencher une guerre, lâcha-t-elle en toute simplicité.

   Sophie ne put s’empêcher de pouffer de rire.

   — Une guerre ? Et puis quoi encore ?

   La guerrière n’aima pas ce ton amusé. Sophie ne comprenait pas. Elle ne savait pas ce que c’était, elle ne l’avait jamais subit. Sans s’en rendre vraiment compte, sa voix devint sèche, d’une détermination quasi militaire.

   — Je sais ce que je dis, et même si ce n’est que par mesure de précaution, j’ai bien l’intention d’agir. Mon cœur.

   La voix de Rose tonique, fière, pleine d’autorité et de pouvoir, fit frémir Sophie. Elle avait quelque chose de sécurisant, et cela lui rappela leurs premiers rendez-vous. Elle regarda le mur en face d’elle, et repensa à leur rencontre. Ses entrailles se rétractèrent, et elle sentit son cœur cogner contre sa poitrine. Dans le silence qui s’ensuit, ses yeux firent le tour de la pièce, se déposant sur la petite commode grise qui renfermait des jouets et de jolies choses. L’autorité de Rose avait toujours eu cet effet sur elle. Et son petit air maternel qu’elle avait en protégeant Edmond… Les poils sur ses bras se hérissèrent.

   Rose réfléchissait toujours dans le canapé quand elle entendit le son caractéristique du verrou de la valise qui se ferme, lui rappelant qu’elle devait faire la sienne. Se levant avec un peu plus de légèreté, elle mit son verre d’eau dans l’évier, et se dirigea dans la chambre ; arrivée dans l’encadrure, son sang se figea : Sophie, debout, les jambes nues, habillée d’un kimono blanc à fleur roses, l’attendait, ses sublimes cheveux roux mis d’une manière faussement négligée d’un côté de la tête. Elle était plus belle qu’un tableau de Monet. Ebahie par ce spectacle, la bouche de Rose s’ouvrit sans qu’aucun son n’en sorte.

   — Tu te rappelles de nos premiers rendez-vous ? demanda Sophie d’une voix douce.

   Rose était toujours stoïque. Sophie se déplaça vers elle avec la grâce d’une danseuse. Cela provoqua quelques premières réactions effervescentes dans les intestins de Rose. Sophie continua :

   — Moi, je n’avais plus confiance en personne, continua-t-elle de sa voix suave, j’étais brisée par ma rupture et par la perte de mon père. Et toi tu es apparue, rassurante, si forte. Si j’avais su que tu pouvais avoir tant d’effet sur moi à l’époque ! Tu étais plus forte que tous les garçons que j’avais fréquentés avant.

   Elle se rapprocha très près de Rose, son souffle, comme une légère brise, caressa son visage. Elle l'embrassa dans le cou, maintenant la nuque de Rose avec sa main. Puis de cette même main, elle fit glisser son index du cou vers son buste, passant entre ses deux seins, puis sur son ventre, puis un peu plus bas, où elle exerça une légère pression, qui émoustilla Rose plus que de raison. Sophie lui donna un baisé sur la joue, recula et se rapprocha du lit ; elle enleva alors son kimono en tirant sur la ceinture fermée en nœud de lacet, laissant apparaître un ensemble de sous-vêtements gris très suggestif tout en dentelle et transparence, avant de se glisser sur le lit.

   Rose reprit ses esprits, et, le cœur battant la chamade, la rejoignit sur le lit. Elles s’embrassèrent, et Sophie commença à l’effeuiller, mais Rose, plus pressée, se déshabilla seule, enlevant tout le haut d’un coup. De nouveau leurs lèvres se touchèrent, les choses dégénérant quelque peu ; Rose envoya un « Tu ne bouges pas », sauta du lit, enleva les derniers boutons de son jean qu’elle envoya à l’autre bout de la pièce, puis enleva son shorty. Elle n’était pas pour autant nue, car une paire de bas noirs lui remontaient jusqu’aux genoux. Commençant à rejoindre Sophie, la jolie rousse utilisa à son tour son autorité et lui fit non avec son index.

   — Non, répéta Sophie d’une voix toujours douce mais plus stricte. Tu ne remontes pas ici avec ça.

   Elle désigna les bas avec son doigt. Rose fit la moue, ne voulant pas les enlever. Elle ne le voulait jamais d’ailleurs. Il était même plutôt rare qu’elles fassent l’amour sans que Rose ne porte ses bas. Mais cette fois-ci, Sophie insista.

   — Je les ai déjà vus, continua Sophie. Alors enlève ces maudits bas.

   Rose rechigna, mais s’exécuta, très doucement, comme si il s’agissait d’une torture inévitable qu’elle voulait repousser le plus tard possible. S’en était d’ailleurs une pour elle. Elle les roula délicatement, laissant apparaître dessous, petit à petit, une peau craquelée, rose vive, vestige d’une brûlure inimaginable. Et plus on descendait, et plus la peau était marquée, noircie, présentant à la fin des pieds qui ressemblaient plus à un amas de chaire gangréneuse et sombre qu’à de véritables arpions. Néanmoins, ils avaient conservé leur forme, et une fonctionnalité parfaite. Rose les regarda, comme tous les soirs après la douche, et tous les matins en s’habillant, avant de grogner :

   — Ce n’est vraiment pas joli…

   Sophie, qui s’était approchée du bord du lit, la rassura :

   — Ce ne sont que des cicatrices. Et elles font parties de toi. Et je t’aime. Comme tu es.

   Sophie commença à embrasser le haut de ses genoux, là où les cicatrices s’achevaient, délicatement, donnant l’impression à Rose que des milliers de cocons se transformaient en papillons dans son estomac, tordant métaphoriquement son entrecuisse au fur et à mesure que Sophie montait. La douce et fraîche bouche de Sophie remonta subtilement le long de sa jambe, arrivant petit à petit vers son triangle intime, qu’elle effleura doucement. Rose se laissa faire, mettant délicatement ses mains dans les cheveux couleur feu de celle qu’elle aimait, ne réfléchissant plus, oubliant l’attrait repoussant de ses jambes, oubliant Crépuscule et l’U.E.S.H, oubliant tout. Puis elle releva la tête de sa belle, l’embrassa avec tout l’amour qu’il est possible de donner, et la poussa sur le lit.

 

   A une cinquantaine de kilomètres de là, tout en s’enfonçant dans une campagne touffue, une angoisse lancinante prenait aux tripes Lucie. Elle s’y était pourtant préparée ; elle avait même traversé beaucoup d’épreuves ces derniers jours, et bien qu’Edmond ait prit sa séropositivité à bras le corps, de nouveaux grains de sables apportaient des grincements aux rouages de ses méninges ; tout d’abord, la question de la sexualité. Elle sentait la tension de son homme, et bien qu’il ne demande rien, cela agissait comme une pression dans ses entrailles. Elle avait peur de le faire. Peur que des pensées horribles court-circuitent ses envies. Peur de ne plus y arriver du tout. Et sa maladie… si elle le contaminait ? Cela la hanterait toute sa vie… Ensemble, ils avaient fait quelques tentatives, non concluantes car rapidement stoppées par des crises d’angoisses, et ils en étaient restés là. L’histoire s’était donc un peu tu. Pour en amener une autre, tout aussi effrayante, si ce n’est pire. Edmond était revenu, un soir, et lui avait proposé de passer les vacances chez lui, à la campagne, ce qui voulait dire qu’elle allait rencontrer ses parents.

   Rencontrer. Ses. PARENTS.

   Dans la voiture, au fur et à mesure qu’ils approchaient de la maison natale, les intestins de Lucie se liquéfiaient ; sa bouche devint sèche, elle avait chaud aux oreilles, sa tête bourdonnait. L’anxiété reprenait le dessus, et elle s’observait constamment dans le miroir de courtoisie de la vieille 205 pour vérifier qu’elle était présentable. Bien habillée, en tailleur et pantalon, coiffée comme il faut, parfumée, elle subissait les quolibets de son copain qui essayait de lui faire comprendre que ses parents n’allaient pas la manger, qu’ils n’étaient pas comme ça. Mais elle ne voulait pas donner une mauvaise image.

   Le froid mordant de cette grise soirée d’automne amplifiait les tremblements de Lucie, debout dans la véranda, plantée devant la porte d’entrée, une buée épaisse sortant de sa bouche.  

   — Ça va aller ? demanda Edmond

   — Oui-oui. Il le faut, répondit-elle d’une voix frémissante.

   Edmond poussa la porte. Ils entrèrent dans la maison qui sentait bon la lavande et une subtile odeur de poulet qui cuisait, et qui donnait drôlement faim. Attendant dans l’entrée, Lucie observait les alentours. Sur une petite table en bois, trônait un combiné téléphonique, ainsi que quelques photos de famille dans lesquelles Lucie identifia la sœur d’Edmond, Charlotte. Il y avait aussi une vieille horloge pendulaire, héritage de famille, qui émettait un doux cliquetis. Les parents d’Edmond arrivèrent, un sourire chaleureux planté sur leurs lèvres.

   — Bonjour Lucie, dit Mme Germain en tendant une main fine, ravie de faire ta connaissance.

   — Bon… bonjour Mme Germain, s’étrangla Lucie.

   — Tu peux m’appeler Michelle !

   La mère d’Edmond avait les mêmes cheveux et yeux que lui ; grande et mince, elle avait aussi le même air sympathique. Lucie lui fit la bise puis se fut au tour de Mr Germain. Le père d’Edmond, Patrick, était plus grand, brun, avec un visage plus sérieux, sans toutefois paraître hautain. Il partageait quand à lui le même nez et la même mâchoire qu’Edmond.

   — Choux n’est pas là ? demanda ce dernier.

   Alors que ses parents se dirigeaient vers le salon, on entendit quelqu’un descendre à toute vitesse les escaliers. Charlotte arriva en courant dans le couloir et sauta avec vigueur dans les bras de son grand frère.

   — Moi aussi je suis content de te voir Choux ! étouffa ce dernier.

   Elle le relâcha et se mit en face de Lucie, pour se présenter.

   — Charlotte, je te présente Lucie, indiqua Edmond ; Lucie, ma petite sœur Charlotte.

   — Il m’a beaucoup parlé de toi, ajouta Lucie.

   Elles se firent la bise, et Charlotte lui fit un grand sourire. Lucie se trouva quelques points de ressemblances avec sa belle sœur. Elles avaient la même taille, et leurs visages semblaient taillés dans le même moule ; les cheveux de Charlotte étaient toutefois bien plus sombres, et ses yeux marron, comme ceux d’Edmond.

   — On va dans la salle ? demanda Mme Germain qui passa sa tête à travers la porte en montrant ses dents blanches.

   Les trois acquiescèrent et s’installèrent autour de la table basse, trempant leurs mains dans des bols remplis de biscuits apéritifs. Lucie fut bombardée de questions sans pour autant se sentir gênée : sa nouvelle belle famille était assez simple, joyeuse, et leurs attitudes baignaient la pièce d’une atmosphère enchanteresse. Ils passèrent rapidement à table, et bien que le repas proposait des mets classiques, (à savoir, du poulet, des haricots et d’autres légumes), Lucie trouva que Mme Germain cuisinait drôlement bien, se remplissant la panse comme rarement elle l’avait fait. Après une tarte tatin qualifiée de somptueuse, la famille les laissa seul, son père et sa mère étant invités à boire le café chez un voisin, et Charlotte passant la nuit chez son amie d’enfance (une certaine Clara).

   Sous les craquements de l’escalier en bois, le couple monta à l’étage, se dirigeant vers la gauche, où se trouvait la chambre d’Edmond. La pièce, pas très grande, portait encore les traces de son adolescence, avec des posters de voitures, de groupes de musiques sur un papier peint défraichi ; de vieilles consoles poussiéreuses étaient posées sur les commodes, et une télévision à tube cathodique gisait sur un meuble dans un coin de la chambre, semblant manger un quart de l’espace de part son énormité. Cela ne payait pas de mine, mais Lucie s’y sentit directement à son aise ; il se dégageait une certaine chaleur de cette chambre, avec une odeur vieillotte et particulière, sans être désagréable. Elle posa ses affaires sur le lit, et tata la couche en y apposant ses fesses ; elle était molle et s’enfonçait confortablement.

   — Je te fais le tour du propriétaire ? demanda Edmond en souriant.

   Lucie hocha la tête et le suivit. Derrière lui, elle observait tout, le moindre bibelot, la moindre image. L’anxiété qui la poursuivait le long de la route avait disparu, et une seule idée voguait à présent dans sa tête : passer du temps avec lui. S’assaillant sur le lit, ils se regardèrent, avec encore un peu de timidité dans les yeux, et s’embrassèrent gentiment. Le cœur léger, Lucie se laissait emporter avec une certaine passion. Des caresses coulèrent le long de son dos et de ses hanches, la faisant s’allonger sur la couette épaisse. Un plaisir coupable hérissa les poils de ses bras, la chaleur commençait à se diffuser dans son corps. Ce fut son homme qui s’arrêta avant que cela n’aille plus loin. C’est à cet instant qu’elle se rendit compte que ses angoisses se taisaient. Ils se regardèrent, toujours avec cette timidité prude.

   — On va dans la salle de bain ? demanda-t-il.

   — Oui, répondit Lucie dans un murmure. Son cœur, ses entrailles, tournaient en elle comme un tambour de machine à laver. La remarque qu’elle s’était faite sur ses angoisses revint à elle avec la rapidité d’un élastique ; son échine se glaça.

   Non. Tu ne dois pas angoisser. Pas comme les derniers jours.

   Edmond avait été d’une douceur sans égale ; chaque fois, il lui disait que cela prendrait le temps qu’il faudra. Mais Lucie aussi avait ses envies, et elle en avait marre de jouer le chaud et le froid. Ce soir, au fond d’elle-même, naissait une sorte d’assurance ; elle se sentait plus forte, capable de passer outre l’anxiété. Peut-être était-ce la sérénité qui se dégageait de cette maison ; peut-être qu’elle s’était aguerrie ; peut-être était-ce les quelques verres de vins qui la grisaient et lui donnaient du courage. C’était surement un mélange des trois, mais convaincue, elle se leva d’un bond, et sereine pour la suite, suivit Edmond avec fougue et les poings serrés vers la salle de bain.

   La salle d’eau était petite ; d’un ensemble de verts un peu démodés (comprenant les carreaux, le lavabo et le socle de douche), elle accusait son âge : carrelage fissuré, joints tachés, et robinets ternis. Elle avait cependant elle aussi un charme, et Lucie s’y déshabilla sans gêne. Vêtue alors d’un slip et d’un t-shirt, alors qu’elle se rafraichissait, elle sentit Edmond qui enveloppa son ventre particulièrement arrondi par le repas copieux, et l’enlacer tendrement, relevant de nouveau les poils sur les bras de la jeune femme, qui inspira fortement.

   Respire. Tu es bien là.

   Il déposa un baisé dans son cou, mettant hors ligne le cerveau de Lucie. Ils s’embrassèrent de nouveau, et se dirigèrent inconsciemment en direction du lit, où les câlins doux continuèrent.

   Tout va bien. Tu es prête.

   Au dessous d’elle, Edmond ne savait pas s’il devait continuer ou pas. Elle lui prit les mains, et les posa sur ses hanches, lui lançant un sourire d’invitation. Les caresses d’Edmond se firent alors plus précises, pour la première fois. Lucie se mordit les lèvres, le feeling passait, sans incidents, et il ne fallait pas que ça s’arrête. Alors que ses premières plaintes inconscientes sortaient de sa bouche, elle demanda dans un murmure :

   — Est-ce qu’on peut mettre de la musique ? S’il te plait ? Pour… pour ne pas que je panique.

   Edmond hocha la tête, et mit rapidement, grâce à son smartphone, la chanson de leur premier baisé : Everybody Hurts.

   Putain le con. Il sait y faire.

   Toujours sous l’adresse de sa main délicate, les soupirs de Lucie se firent plus prompts, et elle commença à embrasser goulument son amoureux au rythme de la musique. Un gémissement plus fort qu’un autre, et elle sut que c’était le moment. Un dernier rempart restait à franchir.

   C’est ton soir. Ça va le faire. Tu vas le faire.

   Elle attrapa le petit emballage en aluminium sur la table de nuit, les doigts crispés sur l’ouverture.

   — Eddy, tu es sûr que tu ne crains rien hein ? demanda-t-elle un peu perdue.

   — Non ma belle, répondit-il d’une voix douce.

   — Et s’il craque ?

   — Si tu as peur de cela, et si ça peut t’apaiser, tu n’as qu’à le mettre toi même, dit-il d’un ton très rassurant.

   L’idée était drôlement bonne. Alors elle fit oui de la tête ; elle ouvrit l’emballage, et plaça le préservatif avec prudence. Il semblait intact. Elle lui demanda une dernière chose petite chose :

   — Cela te dérange si… Je mène la danse ?

   Pour toute réponse, il lui administra un grand sourire. Elle vint au dessus, et s’exécuta ; ils ne firent alors plus qu’un.

   Tu as… réussi… oh.

   Transportée par l’ivresse de l’amour, Lucie venait de vaincre le plus grand ennemi qu’elle avait connu.

  

   Dans les jours suivants, Edmond et Lucie avait prévu de retourner à l’endroit où il avait acquis ses pouvoirs. Le vent d’automne sentait bon l’humus et le feu de bois ce matin là ; l’air était frais, mais était revigorant quand il pénétrait dans les poumons. Lucie était heureuse, joyeuse, elle se sentait bien ici, loin de son passé et très loin de ses soucis. Elle appréhendait même le fait de retourner en ville.

   Ils avaient enfilé des bottes ce matin là, et de vieux vêtements chauds qui servaient à bricoler dehors, ce qui leur donnait une drôle de dégaine. Une vieille écharpe en laine verte entourait le cou de Lucie, empêchant un potentiel futur mal de gorge, mettant en valeurs des cheveux ayant retrouvé une belle blondeur. Son teint aussi était plus rose, plus vivant. Elle oubliait un peu sa maladie, où du moins, elle commençait à se dire qu’elle pouvait mener une vie presque normale malgré elle. Ils avaient longuement discuté de cela avec Edmond ces derniers jours, et à la rentrée, ils allaient prendre rendez-vous à l’hôpital pour qu’elle puisse suivre une trithérapie.    

   Là, ils marchaient dans le chemin, recouvert de boue à cause de la pluie et des tracteurs passant par là, maculant d’argile le goudron de la route. Les couleurs aussi rendaient ce paysage pittoresque et enchanteur, avec des dégradés de jaune, de rouge, d’orange, de marron ; le soleil scintillant à travers les feuilles, se reflétant dans les gouttes d’eau de la rosée du matin, réchauffant le corps malgré l’air froid, faisant oublier les derniers jours pluvieux.

   Edmond lui prit la main, et ils marchèrent ainsi pendant une quinzaine de minutes, jusqu’à atteindre le champ où était tombée la pierre. Quand ils arrivèrent au cratère, il semblait moins précis du fait de l’abrasion constante de la pluie, érodant ses bords et les lissant ; au milieu du cratère, il n’y avait plus rien, Charlotte ayant récupéré le météore. Mais Edmond ne savait pas où elle l'avait mis, et devait attendre qu’elle rentre.

   — Ce n’est pas dangereux que Charlotte garde la météorite chez elle ? demanda Lucie.

   Elle s’agenouilla, toucha et remua la terre de la surface. Celle-ci était terriblement compacte, tassée, comme écrasée par un objet pesant une dizaine de tonnes. Edmond s’agenouilla à ses côtés, l’imitant.

   — Non, répondit-il. Enfin, d’après Rose, quand une personne récupère le pouvoir contenu dedans, elle est désactivée. Cela ne marche qu’une fois.

   — Et elle n’émet pas une sorte de rayonnement ? demanda-elle.

   — Rien qui puisse nuire à la santé, dit-il, écrasant un peu de terre dans sa main.

   Ils observèrent le cratère tous les deux, jouant avec la glaise, sentant, palpant. Lucie s’assit dans l’herbe et Edmond l’imita. Elle posa sa tête sur son épaule et lui demanda :

   — Comment ça s’est passé ? Quand tu as obtenu tes pouvoirs ?

   — J’ai eu un trou noir, répondit-il en regardant l’horizon. J’avais quelques sensations de picotements les jours suivant, comme un état grippal. Et puis, mes pouvoirs se sont révélés par des hasards. Quand je les déclenche, je ressens de nouveau les picotements.

   — Il doit y avoir d’autres météorites, non ? demanda-t-elle. Si elles tombent sur de mauvaises personnes ?

   — Rose m’a dit que c’était son travail, à elle, Pierre et Laurent de s’en occuper, du moins pour la région. Mais je n’en sais pas plus. Elle m’a aussi dit qu’on était très peu, la plupart des météorites se désactivant toutes seules.

   — Et tu peux transmettre ton pouvoir ? Imaginons (elle ouvrit grand les bras), je dis bien imaginons, que l’on ait un enfant ?

   Edmond regarda le ciel.

   — Rose m’a assuré que non, ce n’est pas transmissible.

   — C’est rassurant, dit-elle en lui reprenant la main.

   Ils restèrent là pendant quelques instants, tous les deux, à contempler l’horizon vert du champ, écouter le bruissement des feuilles, sentir l’odeur d’automne. Puis ils partirent se promener dans les allées du village, visitant l’église, la place de la mairie, les chemins de terres et jouant dans les feuilles mortes. Quand ils revinrent à la maison, Charlotte était rentrée. Edmond lui demanda où était le météore. Ils accompagnèrent Charlotte jusqu’à sa chambre, dans laquelle un bazar dantesque avait prit place. Sur une de ses étagères, il y avait, dans un tissu de soie, la pierre, qui semblait être plus petite que dans les souvenirs d’Edmond ; de la taille d’un ballon de handball, elle était parfaitement lisse, totalement chromé maintenant qu’elle était nettoyée. Lucie l’a toucha ; elle était douce, et semblait être sujette à l’électricité statique. Elle était belle.

   Ils passèrent les derniers jours de vacances à se reposer ; Lucie allait souvent observer la météorite, discutant avec Charlotte. Le dernier jour, Edmond reçu un message de Rose, concernant leur travail secret :

   Le plan est terminé. Tu te sens prêt à effectuer une mission dangereuse ?

   Edmond ne réfléchit même pas à la réponse. « Je suis prêt », répondit-il.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez