11. Radio

Ma chère Jade,

Cette lettre risque de patienter un peu avant que tu ne puisses la lire : Hermine m’a dit que Tiphaine et toi passeriez très certainement cette période de l’été chez un de vos amis à la campagne. Je préfère malgré tout écrire à votre adresse habituelle. De toute manière, il n’y a rien d’urgent dans ce que je vais te dire, ce ne sont que des nouvelles sans grande importance.

Hermine et Basile ont ouvert ce matin les cadeaux que tu as pris soin de leur envoyer. Ils avaient tous les deux l’air étrangement maussades au petit-déjeuner, alors dans l’espoir de les dérider un peu, j’ai décidé de ne pas attendre pour leur remettre à chacun leur paquet. Sans surprise, tu as su trouver ce qui leur ferait plaisir : Basile couvait d’un regard ému son énorme livre tout en caressant les reliefs de la couverture.

Quant à mon Hermine, elle a déballé tout le contenu de sa caisse en un temps record, et avec une excitation telle qu’elle en a perdu la parole. Je m’étais bien demandé ce que tu avais placé à l’intérieur de cette boîte, mais aucune de mes hypothèses ne s’est vérifiée. La table du salon s’est retrouvée ensevelie sous les brochures ainsi que des pièces détachées de toutes sortes dont tu connais sûrement la nature exacte mieux que moi. Hermine a finalement réussi à me gazouiller quelques explications à propos de votre projet de devenir des radio-amatrices.

Cela ne me surprend guère d’apprendre que tu compte t’adonner à des expérimentations de techniques de transmission, ni qu’Hermine ait tenu à t’imiter. Cela dit, je ne sais pas si elle aura la patience d’assembler tout ce matériel et de s’échiner ensuite à faire fonctionner son outil de radiotélégraphie. Je lui souhaite, bien sûr. Ce ne serait d’ailleurs pas pour me déplaire que cette occupation lui fasse passer plus de temps à l’intérieur. Ses allergies d’été ont repris, elle ne cesse de se moucher et souffre régulièrement de migraines. Je sais que ce n’est rien de grave, mais cela m’embête toujours de la voir incommodée de la sorte.

Bien sûr, rien de tout ça ne la dissuade d’aller s’allonger dans les prés et se promener en plein soleil. Elle me répète qu’elle a besoin d’être en contact avec la nature pour éveiller son acuité psychique. Si quelqu’un est capable de phénomènes extraordinaires, c’est bien elle. Elle a toujours été sensible à toutes les composantes de notre univers, des étoiles les plus distantes à la fourmi la plus insignifiante. Il est normal qu’en grandissant, elle soit de plus en plus attirée par l’immensité du monde extérieur. Néanmoins je ne parviens pas à m’enlever l’idée qu’elle fuit surtout notre maison depuis que sa mère n’y est plus. Je ne sais que faire pour l’apaiser, pour remplir le vide que Gaëlle a laissé. J’ai peur de la perdre elle aussi, d’une manière ou d’une autre. C’est un soulagement de me dire que ma fille trouve tout de même son bonheur ailleurs, auprès de toi bien sûr (je te remercie encore d’avoir pris soin d’elle pour son premier voyage en France). Elle s’est également beaucoup rapprochée du petit Léon.

C’est avec lui qu’elle s’est rendue au Bal du Solstice ce soir. Ils dansaient encore quand j’ai quitté la fête pour remonter à la maison. Je ne me serai pas permis d’en tirer de conclusions sur leur relation, mais Hermine n’a pas laissé de place au doute : dans un élan de sincérité, elle m’a confié hier qu’ils avaient commencé à se fréquenter. Je n’y ai vu absolument aucun problème, au contraire. Puis elle m’a demandé si elle en avait le droit, sachant qu’elle avait dix-huit ans et lui seulement quinze. Je n’ai pu que bafouiller une réponse qui lui abandonnait maladroitement toute prise de décision. De fait je n’avais pas à lui imposer quoi que ce soit. Le choix leur appartient à tous les deux, suivant leur ressenti respectif sur la question. Il n’empêche que je m’en suis très mal sorti. C’est Hermine qui s’est retrouvée à me rassurer, elle allait y réfléchir, je n’avais pas à m’inquiéter de quoi que ce soit. Gaëlle aurait su trouver les mots pour la guider et la réconforter.

Basile va bien, égal à lui-même. La complicité qu’il avait avec sa cousine semblait s’être étiolée dernièrement, mais ce n’était sûrement qu’un éloignement passager puisque cet après-midi je les ai vu se préparer ensemble pour la soirée du bourg. Hermine se faisait un devoir de lui apprendre à danser car il devait être accompagné au Bal du Solstice par une jeune fille. Elle s’appelle Philomène, tu vois peut-être de qui il s’agit puisque qu’elle est factrice sur l’île depuis quelques années maintenant. Je la trouve très amusante, et même si Basile avait l’air réticent quand elle est venue le chercher, je suis sûr qu’il a dû passer un bon moment en sa compagnie. Je n’ai pas réussi à l’apercevoir pour m’en assurer, ce garçon sait se faire discret quand il veut.

Les enfants ne reviendront pas avant le lever du soleil et je ne vais pas les attendre pour céder au sommeil. Mon âge commence à se faire sentir.  

 J’espère que vous avez pu profiter en beauté de cette nuit d’été festive.

Avec toute mon affection,

Ton vieil ami Jasmin