Dans la réalité des faubourgs, à l’époque actuelle.
Kalan se sentit partir hors du temps sur les terres d’Armekin. Au départ de leur aventure, il s’était senti comme un fétu de paille emporté par le fleuve, ne sachant où il finirait. À présent, il le savait, le fétu de paille avait échoué sur la plus inhospitalière des rives. Le travail demandé était démentiel, fatigant, répétitif, physique, sans fin. Comme si ce n’était pas suffisant, une brigade venait surveiller et évaluer leur travail, faisant pression sur les Sombres. Elle faisait son rapport à Armekin et mettait les différents faubourgs en compétition. Il arrivait parfois, trop rarement, qu’elle leur offre cinq jours de congé en récompense de leurs efforts. Tous les trente jours, les Sombres se réunissaient à l’entrée de leur quartier, attendant qu’un Hypnotique vienne déclarer si leur travail avait été jugé plus performant que celui de leurs voisins. Dans ces instants, le cœur des Sombres battait d’espoir à l’unisson. Mais le faubourg d’Armekin était rarement déclaré vainqueur. Kalan et Nessan devaient donc travailler encore et encore.
Malgré la dureté des tâches, il était préférable de trimer que de retourner dans leur lieu de vie. Les champs étaient monotones, mais les produits de la terre leur offraient parfois de vives couleurs. En revanche, quand les deux frères devaient rentrer dans leurs quartiers, passant entre les bétaillères et les abattoirs afin de regagner leur domicile petit et fade, Kalan se sentait plongé dans un bourbier sans fond. Tout, des habitations lugubres aux êtres y survivant, lui rappelait son quotidien détestable. Travailler, résister, ne pas craquer, encore et encore. Presque deux ans passèrent de la sorte, bien que cela lui en paraisse dix.
À son dégout s’était récemment ajoutée l’apparition d’un chiot au côté du chien de garde enchainé. Bêtes-outils au service de la surveillance d’une porte, porte derrière laquelle se cachait une réserve de fioles d’Indigo. Ce produit tant convoité ne concernait en rien la race canine, pourtant voilà que la relève du mâtin agressif et fatigué pointait le bout de sa truffe. Il était encore jeune et gentil, mais il apprenait à être craintif des Elfes et à transformer la frustration des mauvais traitements en colère. Savoir ce petit animal innocent plongé dans la misère était insupportable. Tout comme de voir les plus jeunes Sombres s’amusant de leur mieux dans les ruelles infectes. Leur avenir était tout tracé et Kalan n’y voyait rien d’enviable, ces enfants finiraient comme leurs parents, esclaves d’Armekin ou de l’un de ses pairs. Pire encore, après des générations à vivre ainsi, cela leur paraissait normal. Injustice nauséeuse.
Les maisons de briques et les ruelles de terre (de boue en cas de pluie) n’amenaient aucune gaité. Les bâtisses avaient été construites pour y déposer des travailleurs et travailleuses le temps de manger et dormir, rien de plus. Le faubourg ne respirait pas la vie et l’organisation communautaire d’un village. Personne n’avait amené de touches personnelles à son habitation, marquant le bonheur de retrouver son foyer. Rien. Des briques formant des bâtisses formant un quartier. Des habitations pour des Sombres servant à produire en excès. Rien de plus. Ni voisins ni coexistence, juste un endroit où manger et dormir pour repartir le lendemain. Se lever, travailler, manger, dormir, encore et encore. Et boire de l’Indigo à outrance. Liquide exaltant offrant une puissance et une endurance hors du commun. Kalan avait appris par Mampo que les riches Hypnotiques en consommaient aussi par esprit festif. L’effet était intense et immédiat, mais lorsqu’il s’estompait, le jeune Sombre se sentait particulièrement faible. Il devait donc en prendre une demi-fiole tous les jours pour assurer son labeur.
Toutes les semaines, un Hypnotique proche d’Armekin en qui il avait toute confiance distribuait les flacons d’Indigo. Il était escorté par une garde rapprochée, défiant quiconque de voler le produit. Il donnait trois fioles d’Indigo à chacun. À tour de rôle, Kalan ou Nessan n’en prenaient que deux par semaine afin d’économiser pour leur dette. Cela signifiait à chaque fois une semaine de travail moins rentable et une grande faiblesse de la part de celui qui se privait d’Indigo. La fameuse brigade chargée de contrôler que chaque Sombre travaille corps et âme finissait immanquablement par remarquer le plus bas régime offert par l’un des frères. Cela leur valait des regards noirs de la part des autres Sombres du faubourg et remontait aux oreilles d’Armekin. Celui-ci retenait une partie de la paie assez importante pour qu’il soit plus difficile de se nourrir cette semaine-là. Il était donc devenu de plus en plus exceptionnel que les frères se passent d’Indigo. Les jumeaux étaient en peine de fournir à Turg les quinze fioles promises. Quinze, cela semblait si peu au premier abord, mais une somme inatteignable pour les travailleurs fatigués et usés qu’ils étaient devenus à moins de dix-huit ans.
Le délégué de Turg qui les avait retrouvés passait tous les deux mois et les deux frères se démenaient pour ne lui offrir ne serait-ce qu’une seule fiole. Ils y arrivaient de plus en plus rarement. Ce vil personnage leur avait bien fait comprendre qu’ils étaient à la limite de faire rompre leur contrat avec Turg dont le commerce était mis à mal. D’après Nessan, les affaires du Sombre de Verdeau tournaient au vinaigre et il lui fallait des coupables à désigner, pour se venger ou pour se dédouaner auprès de ses clients. Malgré leur peine, les jumeaux refusaient de rentrer, ils avaient fait trop d’efforts pour abandonner maintenant et ils avaient toujours l’intention de ramener Lusa du bon côté de la frontière. Ils négociaient donc à chaque fois leur contrat et l’envoyé de Turg acceptait, trop avide des pauvres quantités d’Indigo vendues. Combien de temps encore ce marchandage fonctionnerait-il ? Cette négociation était également entrée dans l’infernal cycle des actes répétés et détestables de la vie des jumeaux. Kalan se souvenait de sa rencontre avec le Sombre, qui ne leur donna jamais son identité. Ils avaient été retrouvés par l’envoyé de Turg quelques mois après leur arrivée. Un Sombre pas net les avait approchés et leur avait donné rendez-vous à l’arrière d’une boucherie. Les jumeaux avaient tout de suite compris de qui il s’agissait. Ils lui avaient donné deux fioles durement économisées. C’était pauvre et le truand avait tiqué, mais il avait accepté la marchandise.
Les jumeaux ne savaient pas comment s’en sortaient les quatre pauvres malheureux qui avaient quitté la Ceinture avant eux. Est-ce que ces Sombres étaient plus économes en fioles ? Où Turg les avait-il envoyés ? Leurs vies s’étaient-elles poursuivies en territoire libre ? S’étaient-elles poursuivies tout simplement ? Plus le temps passait et plus il leur était compliqué d’effectuer les travaux d’Armekin sans Indigo. Plus le temps passait… Kalan ne saurait dire si celui-ci s’écoulait trop vite ou trop lentement ou s’il n’était pas sur la même ligne temporelle que les autres êtres vivants. Les jumeaux avaient gagné en muscles, pourtant, en voyant son frère, Kalan avait l’impression qu’il semblait de moins en moins en bonne santé. Et Kalan était son parfait reflet : un corps devenu outil usé par le labeur. Se lever, travailler, manger, dormir, encore et encore. Et boire de l’Indigo à outrance.
Même l’hiver ne leur accorda aucun répit, envoyés aux serres ou au moulin. Presque deux ans s’écoulèrent ainsi. Se lever, travailler, manger, dormir et boire de l’Indigo.
Presque deux ans, soit sept saisons, soit un nombre incalculable de levers de soleil à croupir dans ce faubourg infâme. Allongé sur sa couche, Kalan ne trouvait pas le sommeil, seule échappatoire à la réalité. Le jeune Sombre aurait aimé pouvoir sortir de chez lui, marcher jusqu’à la maison d’Ahia et partager ses inquiétudes avec elle. Mais il n’était plus à Montet et il ne fit que se mordiller l’intérieur de la joue, ressassant cette vie dont il ne voulait pas.
— Ness ? Tu dors ? chuchota-t-il.
— Tu n’arrêtes pas de te retourner, je sens ta tension comme si c’était ma joue que tu martyrisais et non la tienne, alors non, je ne dors pas, grogna Nessan.
— Désolé…
— Ce n’est pas grave, soupira son frère. Que se passe-t-il ?
— Il se passe que je déteste être ici. J’ai l’impression d’avoir quitté le chemin qu’on aurait dû suivre. Et qu’on s’est coincé dans un marécage.
— Je vois. Au fond, tu ne penses pas que personne ne devrait se sentir à sa place ici ? Pourtant Mampo et Loudina y vivent. On peut y arriver.
Kalan réfléchit à ses paroles. Jamais il n’aurait pu dire d’une personne que sa place était ici, quand bien même leurs deux camarades semblaient le supporter. Il était heureux que les deux Sombres avec qui ils partageaient leur logement puissent trouver une forme de bonheur. Mais savoir que ses camarades croupiraient dans ce bourbier toute leur vie le révoltait, lui. Kalan reprit :
— Je ne sais pas comment ces deux-là font pour garder le moral. Peut-être une force que je n’ai pas ? Je n’en sais rien. Je crois que je refuse d’être heureux ici. Ce serait donner raison à Armekin de nous exploiter. Tu ne ressens pas la même chose ? Tu n’as pas l’air heureux non plus.
— En effet, je ne peux pas dire que je le suis, admit Nessan.
— Et je ne vois pas le bout de notre dette envers Turg, ajouta Kalan. Si on ne parvient pas à lui offrir son Indigo, on sera en danger. Mais je refuse d’abandonner ! Il y a trop d’enjeux pour nous et pour Lusa… Je ne sais pas quoi faire ! J’ai l’impression d’avoir perdu la capacité de réfléchir avec ces journées répétitives et infectes qui me fatiguent. Et tous les banquets organisés au Palais qui s’enchainent ! On ne peut que trimer puis rentrer dormir. Comment veux-tu qu’on trouve la moindre solution à notre situation pourrie ?
— Pour le moment, on n’est pas obligé de trouver une solution.
— Et si le temps nous était compté ? On n’est pas très bons pour donner des fioles, Turg va peut-être s’énerver. Même si je suis dégouté, je refuse d’abandonner.
Seul un soupir de Nessan lui répondit. Les réflexions de Kalan étaient lentes et il lui avait déjà fallu toute sa concentration et des mois de questionnements pour mettre en mots ce qu’il venait d’exprimer. Nessan y avait surement déjà réfléchi, bien que son mental soit lui aussi englué. La vase du faubourg les avait atteints jusqu’à l’esprit.
— J’ai encore plus de peine à accepter d’être terré ici depuis qu’on l’a vu, chuchota Kalan, le cœur lourd. Ça remonte à longtemps maintenant, mais il m’a marqué. Un rappel qui me revient sans arrêt : on est coincés ici-bas, pour des raisons obscures, totalement impuissants.
Nessan ne lui demanda pas de préciser de quoi il parlait. C’était une évidence, car il avait eu la même sensation. De plus, peu d’événements avaient marqué leurs fades journées. Celui-ci s’était déroulé lors de leur premier hiver au faubourg.
Alors qu’ils travaillaient aux serres par une journée froide mais ensoleillée, une ombre avait voilé le ciel. Intrigués, les jumeaux avaient échangé un regard perplexe et étaient sortis de la serre dont les verres avaient perdu de leur transparence. Kalan se souvenait des yeux écarquillés de Nessan, ne comprenant sa stupeur qu’en levant les siens vers le ciel. Le Monolithe. Masse de terre immense flottant dans le ciel. Il était rare que ce monticule passe au-dessus des Elfes de Linone, mais pas au point d’être relégué au statut de mythe. Cela devait arriver environ deux fois dans une vie. Cette masse volante faisant fi de la gravité avait éveillé des sentiments de liberté, de découverte et de rêverie que Kalan n’avait pas éprouvés depuis son arrivée chez Armekin. Un léger bruit accompagnait le déplacement du Monolithe. Il était assez proche pour que chacun se rende compte de sa taille : celle de Réonde et de ses faubourgs. Il semblait impossible pour une telle masse de flotter. Pourtant, l’îlot se moquait d’eux et volait lentement au-dessus de leurs têtes. En revanche, il était trop haut pour voir ce qu’il s’y trouvait à la surface. Nessan pointa du doigt des racines qui s’entrelaçaient à la terre du Monolithe. Il y avait donc des arbres là-haut. Y avait-il des animaux ? Toute une forme de vie ? Des Elfes peut-être ? Kalan aurait aimé grimper à son bord et s’en aller loin d’ici. S’accrocher à une racine et escalader ce terrain fait de rêves et de merveilles. Hélas, le Monolithe n’avait cure des désirs d’un pauvre Sombre de Linone et finit par disparaitre en direction du sud. Les jumeaux s’étaient alors regardés d’un air émerveillé et désespéré avant de retourner à leur routine. Travailler, travailler, ne plus penser, ne plus rêver…
— On doit trouver le moyen de partir d’ici au plus vite, souffla Kalan, de retour à la réalité de leur présent, allongé dans son lit trop dur.
— Et comment ? demanda Nessan d’un ton sarcastique. On a une dette à payer et elle ne se rembourse pas facilement. On n’a économisé que neuf fioles depuis notre arrivée et ça devient de plus en plus difficile de le faire. Tu vois un autre moyen de nous libérer ? Même si on avait l’expérience pour changer de faubourg, je doute que les autres propriétaires soient plus généreux en Indigo.
— On devra peut-être attendre que Touma vienne nous sortir de ce trou, si elle ne nous a pas oubliés.
Kalan déglutit difficilement à cette pensée. Sa rencontre avec la Cornide, le prévenant Ligoth et l’étrange Wakami faisait désormais partie de ses rêves. Il aurait aimé suivre ce drôle de groupe et espérait parfois que Touma n’ait pas eu la patience d’attendre deux ans pour les retrouver et vienne les libérer de leur sort. Mais il doutait fortement que la Cornide ne vienne même jamais. Chassant ces faux espoirs de son esprit, il reprit :
— On finira bien par trouver. Tu es plus réfléchi que moi, peut-être que tu auras une illumination ?
— Mais bien sûr, grogna Nessan. Je peux juste te promettre une chose : qu’importe le temps que ça prendra, un jour, on sortira de ce faubourg puant. Je te le promets, tout ça aura une fin. Bonne nuit, Kal.
— Bonne nuit, Nessan.
Kalan intégra les paroles de son frère. Elles ne promettaient aucun miracle et n’étaient pas complètement réconfortantes, pourtant il s’y accrocha. Oui, un jour, une porte de sortie s’ouvrirait à eux. Même si cela durait encore des années, elle arriverait et les deux frères pourraient fuir loin de cette vie. Cette pensée incertaine suffit à Kalan pour enfin trouver le sommeil.
Le lendemain matin, alors que les jumeaux sortaient de chez eux, un second d’Armekin vint leur ordonner de se rendre au centre de Réonde pour les affaires du propriétaire. Loudina et Mampo laissèrent les frères s’en charger, ayant horreur de se confronter aux Hypnotiques. Visiter la capitale lorsqu’Armekin les envoyait acheter du matériel ou des épices nécessaires à son commerce équivalait pour Nessan et Kalan à des moments de fausse liberté qu’ils ne refusaient jamais. Les jumeaux étaient à la fois séduits, fascinés et dégoutés par les richesses de Réonde. Mais les couleurs et l’agitation qui régnaient au sein même de la cité leur offraient l’illusion d’être en vie. Leurs habits de travail sales détonnaient avec les parures des Elfes de la capitale. Il semblait que chaque Hypnotique s’apprêtait à recevoir le Roi dans sa demeure. Roi que les frères ne virent d’ailleurs jamais. Ils ne purent que regarder le palais de loin avant que le regard hargneux des gardes en faction ne les fasse déguerpir. Durant l’année écoulée, ils n’eurent pas souvent l’occasion de s’y rendre.
Kalan et Nessan arrachèrent donc la liste de courses aux mains du second et filèrent vers la capitale. Pour y entrer, ils devaient passer par le faubourg des fleuristes dont les plantations colorées magnifiaient l’entrée de la cité. Les champs de fleurs s’étendaient jusqu’au pied des murs extérieurs de Réonde. Cela semblait ravir chaque passant. Malgré la beauté de ces étalages de couleurs, Kalan voyait également les Sombres fatigués, occupés à traiter les fleurs, organiser les bouquets, répondre à toutes sortes de demandes. Leur vie n’était pas facile non plus, mais au moins était-elle propre et colorée. Ce faubourg donnait aussi droit à la vue sur le lac d’Onde, magnifique étendue d’eau qui léchait les pieds du palais au nord et les abruptes falaises des monts Mohars au sud. Parfois, des rochers se détachaient des parois rocheuses et créaient de longues ondulations sur la surface du lac. C’était à la vue de ces vagues que les Elfes l’avaient ainsi nommé Onde. Mais quand l’eau était calme et plane, Réonde et les monts escarpés voisins se reflétaient à sa surface, magnifiant la beauté des lieux. La capitale était construite de pierres et de bois de la région, organisée autour du palais et du sanctuaire y attenant. Une fois les murailles franchies, impossible de voir le faubourg d’Armekin ou la prison, seules les cultures pouvaient être aperçues. La cité n’était que couleurs, air pur, vue sur le lac et les montagnes. La capitale, en cachant ses misérables, était splendide. Ses bâtisses étaient finement décorées d’enjolivures, les murailles qui l’entouraient plongeaient dans le lac et la plage qui se trouvait entre les deux remparts était large et souvent remplie d’Hypnotiques profitant des beaux jours et de la vue.
Aux portes de la cité, les jumeaux durent montrer le passe d’Armekin pour que les gardes les laissent entrer. Une fois la muraille franchie, ils étudièrent leur liste de plus près et remarquèrent que leur supérieur avait commandé des habits de qualité pour sa famille. Nessan jura avant d’ajouter :
— Il a passé commande directement auprès du faubourg des couturiers, je n’ai rien à faire au centre. Normalement, rien ne se vend aux faubourgs.
— Ce n’est pas comme si Armekin craignait qu’on découvre la misère des Sombres qui y vivent, plaisanta Kalan. Ça nous a permis de sortir un moment de nos quartiers, tant pis si on perd du temps ! Tu veux que j’y aille ? Tu peux t’occuper de ce qui se trouve ici.
— Non, je vais y aller, assura son frère. Il faut qu’on soit assez efficace pour que les larbins d’Armekin ne remarquent pas notre retard. Rendez-vous chez les couturiers ?
— Oui, je devrais avoir vite fini.
Chacun partit alors de son côté. Kalan déambula dans les rues, à la recherche des échoppes indiquées par Armekin. En sortant de la dernière, il prit le chemin le menant aux faubourgs. Il marchait d’un bon pas pour rejoindre son frère quand il fut dépassé par des gardes Sombres et Hypnotiques courant à toute vitesse. Kalan les vit prendre la même direction que lui et son cœur manqua un battement. Rien ne laissait penser que quiconque puisse connaitre leur origine de Ceinturiotes. Pourtant, en voyant ces soldats se presser en direction de Nessan, la panique gagna Kalan. Et si son frère se retrouvait mêlé à des problèmes ? Les barrières mentales de Wakami préserveraient-elles leur identité ? Il était rare de voir la garde au pas de course. Le jeune Sombre ne prit pas le temps de réfléchir, ses jambes se mettant à courir pratiquement d’elles-mêmes à la rencontre de son jumeau.
Il se dirigea vers le faubourg où des Sombres passaient leur journée à tisser et à coudre. Son cœur s’emballa de plus belle : les gardes prenaient la même direction ! Sa course s’accéléra. Kalan passa à toute vitesse devant des Sombres et des bâtisses sans y prêter attention, n’ayant que Nessan en pensée. Il percuta une personne cachée sous une cape qui ne broncha pas, mais se resserra contre une silhouette encapuchonnée à ses côtés. Le jeune Sombre ne prit même pas la peine de s’excuser et fonça en direction de l’agitation. Alors qu’il arrivait au bout du faubourg, il aperçut enfin son frère. Les gardes ne semblaient pas lui prêter attention. Nessan ne bougeait pas et ses yeux regardaient le vide. Avait-il reçu un choc à la tête ? Kalan se précipita à sa rencontre, jouant des coudes afin de traverser la foule. Il faillit tomber plusieurs fois et maudit sa petite taille de le rendre si léger face aux chocs. Les gardes étaient les pires, circulant en tous sens sans prêter attention aux Sombres du faubourg et se criant des directives rageusement.
— Nessan ! Tu vas bien ? demanda Kalan en lui serrant le bras, arrivant enfin près de son jumeau.
Son frère se secoua et tourna la tête vers lui avant d’opiner.
— Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? s’interrogea Kalan en se collant à Nessan pour le protéger de l’agitation.
— Des Elfes de toutes races se sont mis à crier des choses horribles sur le Roi et le Conseil, expliqua Nessan de manière précipitée, comme si son esprit s’était remis à fonctionner en un coup de tonnerre. On les a écoutés un moment puis l’un d’entre eux s’est pris le crâne et s’est mis à jurer. Il a crié qu’il y avait un Hypnotique dans le public alors que le propriétaire du faubourg et ses acolytes étaient censés être loin.
Nessan secoua la tête avant d’ajouter :
— C’est vrai, l’ambiance était plus détendue quand je suis arrivé, les Sombres qui m’ont livré la commande d’Armekin m’ont expliqué que leurs surveillants avaient été appelés ailleurs. Savoir qu’un Hypnotique était là pendant qu’on regardait des ennemis du Roi parler, ça a fichu la frousse à tout le monde.
Kalan fronça les sourcils, mais opina, comprenant parfaitement l’inquiétude des Sombres des faubourgs.
— Des Elfes de toutes races qui travaillent main dans la main sans être de l’armée, c’est rare, remarqua-t-il. En dehors de Touma, Wakami et Ligoth, je n’en ai jamais vu.
— Ces personnes-ci disaient appartenir à l’Alliance, lui apprit Nessan.
— L’Alliance ? Jamais entendu parler.
— Moi non plus.
— Et qu’est-ce que ces Elfes ont raconté exactement ?
— Je… Je n’ai pas trop compris.
Kalan savait que son frère mentait. Mais ils vivaient à Réonde et Nessan refuserait de lui partager des paroles dangereuses et critiques sur le Roi, risquant de contaminer son esprit alors qu’ils étaient encore loin d’être libérés de leurs dettes et des faubourgs. Kalan n’insista pas, faisant confiance à la prudence de son jumeau. Voyant que Nessan avait récupéré la commande d’Armekin, il l’incita à le suivre en direction de leur propre faubourg. Ils ne reparlèrent jamais de cet incident, mais Kalan devina que les paroles entendues avaient touché son frère. Il était à la fois inquiet et envieux. Pour sa part, rien n’avait bouleversé son cœur morne depuis des mois et des mois. Seul le fait de penser à sa famille, à Ahia ou à sa rencontre avec Touma et ses deux camarades le berçait dans de douces illusions d’une existence pétillante. Mais la plupart du temps, sa vie se résumait à résister, à serrer les dents et à se battre dans une mélasse grise et infecte. Se lever, travailler, manger, dormir, encore et encore. Et boire de l’Indigo à outrance.
Seul regret : j'aurais bien assisté à la première "prise" d'indigo, pour avoir son ressenti plus subjectif sur l'effet de cette substance. Pour le moment, mon interprétation, c'est la potion magique en légèrement moins puissant : effet immédiat, force et endurance sur-elfienne, et quand on retombe sur ses capacités normales on retourne au chaudron. Mais je n'ai pas trop compris si on devait boire toute la fiole en une seule fois et que ça durait plusieurs jours, ou bien si c'était une petite gorgée par ci par là plusieurs fois par jour (j'ai peut-être raté une info).
Un autre truc que j'ai pas trop compris : la manifestation de l'Alliance regroupait les trois races, puis quelqu'un s'écrit qu'il y a un Hypnotique parmi eux ; il y en a forcément dans le groupe des alliés non ? Ce terme désigne ici uniquement ceux à la botte du Roi ?
Les trucs que j'ai adoré : le Monolithe (je veux y aller. Moi.) Le lac d'Onde, j'adore le concept, très beau.
Dernier détail : le texte n'est pas justifié (je crois que tu le justifie toujours d'habitude)
Toujours happée par la lecture, et comme les jumeaux j'espère vite revoir Touma !
Alors ce n'était peut-être pas clair mais l'alliance s'inquiète de la présence d'un Hypnotique parce que qqn veut forcer leur esprit (donc c'est pas l'un des leurs); je vais revoir ce passage :)
Merci pour ton retour :D à bientot !