Dans les steppes de Linone
La situation tournait au vinaigre. Mauvais, c’était vraiment mauvais.
Partis en mission pour s’informer discrètement des agissements d’Esli, Touma, Ligoth et Wakami s’étaient postés trois jours à l’écart de la cité. Leurs agissements avaient été le plus discrets possible. Le groupe s’était régulièrement chargé d’observer les événements se déroulant du côté d’Esli, mais cela faisait quelques années qu’il n’y était plus retourné. Wakami connaissait la plupart des membres de la cité-armée et Ligoth avait également connaissance du lieu. Les camarades étaient donc parfaitement rodés pour cette mission. Et faisaient preuve de vigilance, mais visiblement pas en suffisance.
En examinant Esli, deux éléments avaient retenu leur attention. Premièrement, l’approvisionnement d’Indigo ne correspondait pas à ce qui était attendu d’après leurs renseignement sur le marché noir de Verdeau. Deuxièmement, un jeune Cornide inconscient avait été transporté par des gardes au sein de la cité. Les Elfes de cette race étaient rares à Esli, on en comptait bien une dizaine qui Soignait les gardes, mais il s’agissait toujours d’adultes et non d’enfants. La jeune élite qui y était formée ne comprenait que des Sombres et des Hypnotiques. Les Dominors savaient torturer mentalement et tuer, mais n’y connaissaient rien en guérison.
Zeka, la commandante des armées, avait suivi le jeune Cornide de près. À la simple pensée de cette Hypnotique aux cheveux blancs, des frissons d’inquiétudes parcouraient le dos de Wakami. Elle n’avait aucune compassion et jouissait de son pouvoir. Parmi tous les mauvais souvenirs qui torturaient l’esprit de Wakami, cette Elfe y occupait une place certaine.
D’un commun accord, les trois camarades avaient décidé de rentrer à Mérin, leur espérance de vie diminuant drastiquement en restant trop près d’Esli. Le groupe avait pris soin de traverser les steppes de Linone loin des sentiers battus. Pourtant cela n’avait pas suffi. Au bruit des chevaux lancés au galop qui avait retenti derrière eux, les trois camarades s’étaient figés. Impossible d’échapper à des chevaux, même pour Ligoth qui savait se montrer très rapide. Wakami regretta leur décision de partir à pied pour rester discrets.
— Mes amis, il semblerait que nous n’ayons pas d’autres choix que de combattre : si cette troupe de cavaliers n’appartient pas à Esli, alors je suis un moineau habillé de dentelle, avait commenté Ligoth. Là, courons jusqu’à ce rocher, vous pourrez au moins vous mettre à l’abri pendant que je me bats. Touma, reste bien derrière moi, cachée par ma carrure. Cela te protégera et avec de la chance, nos adversaires ne te repéreront pas.
Et les trois Elfes avaient couru derrière ce rocher. Leurs poursuivants n’avaient mis qu’un instant à les rattraper. Touma et Wakami s’étaient tenus bien à l’abri pendant que leur ami colossal se battait contre les meilleurs combattants de Linone. Le jeune Elfe savait que, comme lui, Touma avait bouillonné de colère de se terrer derrière un rocher tandis que leur ami Sombre affrontait le danger. Wakami s’était senti nauséeux, mais avait dû se concentrer. Trois Sombres et un Hypnotique. Il devait absolument empêcher son homologue de déstabiliser Ligoth et brouiller les sens des autres Sombres. Wakami lança ses attaques sans laisser le temps à son adversaire d’ouvrir les hostilités ni de remarquer la présence de Touma.
Voilà où en était le petit groupe, Wakami pleinement concentré sur sa tâche, sur son combat mental. Il avait rarement eu des adversaires du niveau de l’Hypnotique actuel. Il gémissait sous l’effort, tandis que Ligoth donnait tout son potentiel pour faire face aux trois Sombres formés à Esli. La situation tournait au vinaigre. Mauvais, c’était vraiment mauvais. Wakami entendit un rire éloquent de l’autre côté du rocher.
— C’est toi, Wakami ? Je ne vois que toi pour m’égaler. Allez, montre-toi.
« Non, non, non, non, non ! » pensa l’intéressé. « Pas lui ». Il releva la tête, confirmant ce qu’il craignait. Un Hypnotique aux cheveux rouges avec une marque frontale presque aussi grande que celle de Wakami se tenait derrière l’un des Sombres. Il s’était douté faire face à la brigade centrale d’Esli, sans vouloir y croire. La présence de son seul rival expliquait ses difficultés. « Au moins, lui aussi a l’air d’en baver », pensa-t-il.
— Erok, quel plaisir de se retrouver ! Tu m’as l’air toujours aussi insipide, salua Wakami.
— Les traitres dans ton genre peuvent bien me trouver insipide. Je vois que tu t’es trouvé un Sombre bien dévoué.
— Bien doué tu veux dire ? Il va vous aplatir.
Ils n’eurent pas le temps d’échanger plus, en dehors d’un regard haineux, avant de se relancer pleinement dans la bataille. Erok avait installé de solides barrières mentales autour de lui-même et de ses Sombres, Wakami n’y trouvait aucune faille. De plus, ses assauts mentaux étaient d’une extrême puissance, bien plus qu’il ne s’en serait douté. Cette saleté d’Hypnotique d’Esli avait pris du niveau ou alors il s’était enfilé une dose d’Indigo. De son côté, Ligoth parait et tenait bon, mais il n’infligeait aucun dégât à ses deux adversaires, probablement stimulés par l’Indigo également. Maniant la hache, la faisant tourner à gauche, à droite, son ami Sombre était impressionnant. Malgré sa taille, il esquivait de manière élégante et frappait à une vitesse démentielle. Ses adversaires, plus petits, n’avaient rien à lui envier. Ils attaquaient de manière synchronisée. Ils ne prenaient pas de risque, sachant qu’ils l’auraient sur la durée et l’épuisaient petit à petit, s’évitant des blessures. Et même si Ligoth les achevait, il en resterait encore un à abattre qui protégeait pour l’instant l’Hypnotique de toute tentative de coups de hache. Wakami était en sueur, il tenait bon sans prendre le dessus sur Erok. Touma regardait ses amis d’un air désespéré. Les Cornides n’intervenaient pas dans une telle mêlée, restant en sécurité pour Soigner les blessés. Sauf qu’il n’y aurait probablement pas de blessés, mais des morts. C’était infernal, Wakami n’avait pas rencontré Erok depuis des années et il était le seul à pouvoir le mettre dans une telle difficulté. Le jeune Elfe souffla avec difficulté :
— Touma, ils ne savent pas que tu es là, fuis !
Cette erreur l’étonnait de la part de son rival qui aurait pu la détecter en projetant son esprit en direction de leur rocher. Heureusement, l’attaque directe de Wakami avait dû détourner son attention de la présence potentielle d’une autre Elfe.
La Cornide ne lui répondit rien. Son regard se porta sur la steppe couverte d’herbes hautes et grasses et de buissons qui avaient repris de la masse. C’était l’avantage du printemps verdoyant, au contraire de la traversée en plein été qu’elle avait effectué en compagnie de Kalan et Nessan. Les herbes, les buissons, les chevaux… Touma analysa la situation calmement. C’était vraiment désespéré. Elle s’en alla.
Wakami s’efforça de poursuivre la protection de l’esprit de Ligoth, tout en diminuant la présence des pensées de Touma et en harcelant les défenses d’Erok sans relâche. Dédiant toute son Énergie mentale, il ne tiendrait pas longtemps et cela n’augurait rien de bon pour son ami Sombre et lui-même. Ils pourraient au moins sauver Touma. Il sourit en la sentant s’éloigner, comme à ses instructions. Puis il pesta en réalisant qu’elle ne partait pas à l’opposé de leurs ennemis. Il espérait qu’elle avait la jugeote de voler un cheval et de détaler. Wakami n’eut pas le luxe de se poser plus de questions. Un cri de Ligoth lui apprit que le géant avait été sérieusement touché. Un deuxième cri de sa part lui glaça le sang. Il mit toute son Énergie à contenir les gardes Sombres. Il parvint à les immobiliser in extremis dans leurs gestes, mais cela ne durerait pas longtemps et Ligoth ne semblait pas en état de les achever. Rien. Il ne parvenait à rien face aux trois Sombres et son rival. C’était trop bête. Comment les avaient-ils retrouvés ? Erok avait-il perçu leurs pensées ? Le petit groupe avait-il laissé des traces après leur passage à Esli ? Wakami était mobilisé et oppressé par la rage. Il allait perdre son ami parce qu’il n’avait pas la puissance de faire face à cet incapable d’Erok. Lui, Wakami, qui n’avait justement rien d’autre pour lui que de la puissance. « Arrêtez, tombez, cédez ». Il jeta son mental dans la bataille, freinant les Sombres qui tentaient de porter des coups à son ami. Wakami attaquait de toutes ses forces, son mental étant comme un bélier cognant des portes. S’il relâchait la pression pour se concentrer sur Erok, les Sombres seraient libérés de son poids et achèveraient Ligoth. S’il s’occupait des Sombres, Erok serait sans pitié. C’était perdu. Puis, une sorte de petite bulle mentale explosa. C’était comme de réentendre les sons ou de revoir les couleurs. Une pression se libéra. Wakami eut un moment de surprise. Il ne chercha pas d’explications et jeta ses dernières traces d’Énergie dans le combat. Il mit toute sa rage, toute sa peur et sa colère dans l’attaque mentale qu’il déversa dans la tête des deux Sombres sur le point d’achever Ligoth. Il les entendit tomber à terre. Le garde chargé de protéger Erok était trop loin pour être atteint avec son Énergie restante. Wakami ne comprit pourquoi qu’au moment de relever la tête : Touma était à terre, mais se relevait, une pierre encore à la main. Wakami saisit alors qu’elle avait assommé Erok. Le Sombre chargé de la protection de l’Hypnotique avait compris en un instant ce que cela signifiait : Erok n’était plus en état de les protéger. Il avait alors poussé Touma avant d’emmener Erok loin d’ici sur son cheval en un temps record. Il avait délaissé montures et camarades, mais c’était le meilleur choix. Wakami ne put que reconnaitre la vivacité de son esprit. Si le garde avait douté ne serait-ce qu’un instant de plus, sa conscience et celle d’Erok auraient été réduites à néant. Ce Sombre appartenait bien à l’élite d’Esli. Avait-il reconnu l’esprit de Kajin ? Wakami ne prit pas le temps de penser plus loin. La scène devant ses yeux était cauchemardesque. Le sang de Ligoth formait une marre écarlate dans l’herbe verte. Les deux Sombres de la garde se tordaient à terre. Wakami avait comme liquéfié leur mental, il le savait. Jamais ils ne pourraient à nouveau parler ou réfléchir. Même des soins précautionneux ne pourraient les ramener. En les regardant mieux, il reconnut Fow et Brok, deux gardes d’Esli de sa connaissance. Ils faisaient partie des meilleurs guerriers du royaume. Ces deux-là ne seraient plus que des âmes en peine, prisonnières de leurs enveloppes charnelles. Fébrile, Wakami vomit en réalisant le sort qu’il leur avait réservé. Puis il se releva maladroitement en s’essuyant la bouche. Il tituba jusqu’à Ligoth et s’affala près de son ami. Le géant était mal en point et Touma était déjà affairée à stopper l’hémorragie. Wakami pleurait et se maudissait.
— Tu m’as sauvé Touma, souffla-t-il. Tu aurais pu y rester. Est-ce que… Ligoth est en vie ? demanda-t-il avec difficulté.
— Oui, mais je ne garantis rien. Fait chier ! pesta-t-elle.
C’était la première fois que Wakami l’entendait jurer de la sorte.
— Je ne vais pas pouvoir sauver son bras droit, poursuivit-elle en rageant. Il est purement et simplement sectionné. Mais je vais empêcher l’hémorragie et m’occuper de sa jambe.
Elle s’affaira à la tâche. Cela dura pour Wakami une éternité. Il oscillait entre le conscient et l’inconscient, à bout de force. Exténué, apeuré, dégouté de lui-même… Cette expédition avait terriblement mal tourné.
— Je sais que c’est dur, mais il faudra m’aider à l’installer sur un cheval, lui déclara Touma une fois ses Soins terminés. Ligoth, tu m’entends ?
Le colosse grogna.
— Tu vas devoir te tenir à cheval et nous aider à te faire monter, tu es trop lourd pour nous. Alors, tiens bon, l’encouragea Touma.
Wakami se releva et servit d’appui au colosse. Ou alors il s’en servit comme appui, il ne savait plus trop. Toujours est-il que Ligoth se trouva hissé sur le plus grand des chevaux restants, après maintes tentatives infructueuses de l’y jucher. Les bêtes étaient dociles, entrainées au combat depuis le plus jeune âge et elles étaient restées à proximité tout au long de la bataille. Wakami se tira tant bien que mal sur le dos d’une jument pommelée. Il la remercia de sa patience puis il prit les rênes du hongre bai de Ligoth. Touma, juchée sur une jument alezane, leur commanda de passer devant.
— Je suis la plus alerte des trois, ainsi je verrai si l’un d’entre vous semble basculer, expliqua-t-elle. Ligoth, tu es toujours avec nous ? Bien. Nous allons devoir galoper.
— Attends ! Que faisons-nous de ces deux-là ? demanda Wakami en désignant les Sombres qui se tordaient près du bras de Ligoth abandonné au sol.
— Wakami, regarde-moi, demanda Touma en attendant que les yeux verts de son ami se plantent dans les siens. Tu n’avais pas le choix, nous serions morts sans ton intervention. Ce n’étaient pas des innocents prêts à nous laisser partir, Ligoth serait décapité à l’heure qu’il est. Nous ne sommes pas sortis d’affaire, je refuse de prendre le risque d’être rattrapés car nous avons voulu nous montrer cléments avec deux ennemis. Tu comprends ? Nous allons les laisser là et filer à toute vitesse. Ne te culpabilise pas, c’est ma décision. En route. Nous partons. Maintenant ! cria-t-elle.
Wakami talonna sa monture et fila avec celle de Ligoth en avant. Comment Touma arrivait-elle à prendre des décisions aussi cruelles, mais nécessaires ? Tout en restant une Cornide si admirable. Il concentra toute son attention sur le fait de rester en selle et de résister à son mal de crâne et à sa vision troublée. Touma l’arrêta deux fois pour réveiller Ligoth. Elle l’attacha à sa selle avec des liens car le colosse était terriblement mal en point. Wakami scruta le visage de la Cornide qui lui renvoya un regard dur. Non, elle ne savait pas non plus si leur ami survivrait : voilà quelle était sa réponse muette à la question que Wakami ne pouvait mettre en mots. Les camarades continuèrent leur course folle vers Mérin, les larmes aux yeux, le cœur serré et, pour Wakami, un dégout extrême dans la gorge.
*
Dans la tour d’Esli
Loy se réveilla, une douleur atroce dans la partie supérieure du visage. Pourquoi avait-il si mal ? Que s’était-il passé ? Était-il de retour chez lui ? Peur, douleur, incompréhension. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Avec un gémissement, le petit Cornide porta les mains à ses yeux.
— Tu ne devrais pas toucher, l’informa une voix.
C’était Zeka, il avait vaguement Perçu sa présence, mais ne savait ce qu’elle lui voulait. Il tâtonna tout de même le bandage qui lui couvrait le haut de la tête. Il sentit une absence de résistance au niveau des globes oculaires. Cette sensation étrange lui donna envie de vomir.
— Que m’est-il arrivé ? se lamenta-t-il.
Il n’avait aucun souvenir des événements ayant précédé son coma.
— Tu as absolument voulu voir le monde, tu es parti d’Esli et des membres de l’Alliance t’ont mis la main dessus. Nous t’avons récupéré et tu étais dans cet état. Nous avons fait un détour par Ripel, demandé l’aide des Cornides du sanctuaire avant de te ramener. Tu m’as désobéi, tu es parti et l’Alliance a pris tes yeux, tu sais ce que cela signifie ? demanda-t-elle.
L’absence d’une paire d’yeux signifiait beaucoup de choses pour une personne qu’on avait nommée l’Œil. Que ses globes oculaires tant convoités ne lui appartenaient plus et qu’il risquait de devenir inutile sans ses pouvoirs. Pourtant…
— Ça ne change rien à ma Perception. Je sens toujours ta présence, celles des Sombres derrière la porte, celle du Cornide qui va bientôt sortir de cette tour et celle du nid de souris dans les écuries. Je suis juste trop fatigué pour me projeter plus loin dans ma Vision. Rassurée ? Mes yeux ne servent à rien, ils n’ont aucun pouvoir. Les ennemis se retrouvent juste avec deux boules gluantes inutiles, assura-t-il, à la fois triste et fâché.
— C’est donc ça, marmonna-t-elle. Tant mieux si tu peux toujours compter sur ta Perception. As-tu conscience de la futilité de ton existence sans ces pouvoirs ? Tu es né pour accomplir un grand destin grâce à tes facultés. En te recueillant, je t’ai permis de les mettre à profit, de devenir fort et de faire regretter à tes parents de t’avoir abandonné. Grâce à ce que tu accomplis ici, tu montres que ton existence n’est pas négligeable, elle dépasse le bien d’un seul individu.
— Oui, je le sais. J’ai mal, se plaignit-il.
— Je suis désolée, soupira Zeka avant de poursuivre d’une voix tendre : tu m’as fait tellement peur, quand je t’ai vu arriver dans cet état… Et puis tu as dormi une journée entière ! Je me fâche, mais je suis heureuse que tu sois de retour. J’espère que tu comprends à présent pourquoi je te garde à l’abri dans cette tour. Elle est immense, j’ai tout fait pour que tu puisses quand même te promener à l’abri de ses murs. Je vais te laisser te reposer.
Elle se leva et, avant de quitter la pièce, elle lui murmura :
— Je t’aime, tu sais, tu m’es si précieux.
— Moi aussi je t’aime, répondit-il en soufflant fort, la douleur l’empêchant de parler calmement.
L’Hypnotique ferma la porte et s’en alla. Le petit Cornide se frotta les cornes. Elles étaient encore loin de leur taille adulte, mais les toucher lui amenait un sentiment de réconfort. Loy avait voulu sortir de sa tour et parcourir le monde qu’il ne cessait de visiter par sa Vision. Qu’est-ce que cela faisait de sentir l’air sur sa peau ? D’inspirer l’odeur des plantes ? D’entendre le bruit de ses pas sur l’herbe ? Les chants de tous les oiseaux peuplant la forêt ? Il était parti pour le découvrir et n’en gardait même pas un souvenir, juste une atroce douleur au niveau de ses orbites creuses et de son crâne. À cause de son entêtement, il avait perdu ses yeux. Il souffrait physiquement, mais aussi moralement. Il avait été mutilé. Cette Alliance l’avait blessé dans l’espoir de se servir de sa Perception et de renverser l’ordre du royaume. Heureusement, il n’en gardait aucun souvenir et les séquelles seraient sans conséquence, mais on s’en était pris à lui. Son sentiment de sécurité venait de sombrer. Son rêve de liberté, de fouler les terres de Linone s’était effondré avec. S’il voulait un jour sortir de sa tour, il devrait devenir très puissant et se montrer utile sur le terrain. Ainsi, bien qu’entouré de gardes et dans un cadre de mission, il pourrait vivre au grand air. Il pensa à ses yeux, à l’Alliance et au risque que les membres d’Esli avaient dû prendre pour le récupérer.
— C’est pour ne pas avoir un sale gamin comme toi que tes parents t’ont rejeté, pesta-t-il.
La douleur ne se calmait pas et il passa sa main sur ses orbites. Loy avait eu très peu de cours de Soin, car il passait son temps à parcourir sa Vision. Il avait seulement profité de brèves occasions où Zeka l’autorisait à suivre un Cornide venu Soigner des soldats. Son expérience était maigre, mais il était un si fin connaisseur de l’Énergie et de son déploiement qu’il avait rapidement compris le fonctionnement du Soin. Ainsi, après quelques tentatives, il put apaiser ses souffrances. La douleur moins cuisante lui permit de souffler. La douleur physique, puisque les maux qui rongeaient son cœur ne se soignaient pas avec le pouvoir des Cornides. Cet effort lui couta ses dernières traces d’Énergie. Il se sentit faiblir et sa Perception, déjà amoindrie par la convalescence, devenait de plus en plus trouble. Il employa ses dernières forces pour se rendre utile. Pour montrer qu’il avait sa place ici et qu’il leur était indispensable. Il alla vers la porte et l’entrouvrit pour s’adresser au garde en faction :
— Une ou deux présences inconnues s’éloignent d’ici. En tout cas une Énergie puissante… Un Hypnotique je dirais. Et… un Sombre ? Direction est, je ne peux pas vous en dire plus.
Il n’attendit pas de réponse et retourna à sa couche. Loy espéra avoir dénoncé ses assaillants et que les gardes leur feraient payer leurs actes. Épuisé, il se rendormit quelques instants plus tard. Sa dernière pensée fut qu’il n’avait qu’une seule et unique raison de vivre, c’était à présent une évidence. À l’âge de douze ans, il le savait avec certitude : servir Zeka, Esli, les Dominors et son Roi pour le bien de Linone.
Me revoilà après une petite pause lecture des histoires d'or, contente de voir que j'ai plein de chapitres à lire :)
Quelle mise en bouche ce chapitre ! Combat intense et sans pitié, vécu d'un point de vue original puisque Wakami n'est pas directement dedans, avec cette rencontre d'un rival à sa hauteur, j'adore. Puis, cette scène dans la tour avec ce petitet sa Vision... super triste pour lui. Je suis sûre que c'est un coup du roi l'énucléation... il est bien méchamment manipulé en tout cas (on croirait entendre la sorcière de réponse quand Zeka lui dit qu'elle l'aime car il lui est précieux...).
Au niveau du rythme, j'ai trouvé les deux premiers paragraphes un peu dense, j'ai relu plusieurs fois. Puis à partir de la réplique de Ligoth j'ai été emportée par l'action et j'ai tout lu d'une traite, super fluide. Il m'a fait marrer avec le moineau en dentelle en plus.
Une seule remarque plus sur la forme : "Les bêtes étaient dociles, entrainées au combat depuis le plus jeune âge et elles étaient restées à proximité tout au long de la bataille."
J'aurais plutôt mis cette phrase au tout début du paragraphe.
Je file lire la suite, à très vite !