11. Traquenard

Par Shaoran

Une volée de jours supplémentaires s’écoula dans la froideur automnale. 

Novembre vivait ses derniers instants ; je vivais mes premières semaines de travail. 

Il me restait encore beaucoup de choses à apprendre, mais pour l’instant je me débrouillais plutôt bien. En même temps, déballer des cartons et en empiler soigneusement le contenu sur une étagère sous la supervision de Simone, était certainement à la portée du premier venu. Cependant, après cette longue traversée du désert qu’est le chômage, c’était un vrai plaisir. 

Chaque jour, mes gestes devenaient plus machinaux et mes réponses aux clients plus assurées. Je rentrais le soir, vermoulue de fatigue mais avec la satisfaction du travail accompli.

Enfin j’avais un cap dans la vie. Un objectif. 

Une nouvelle routine s’installa entre Jérôme et moi, dictée par nos rythmes professionnels respectifs. Petit déjeuner, boulot, retour maison, travaux domestiques, dîner ensemble, soirée, dodo. La vie rangée de monsieur et madame tout le monde. Calme. Rassurante. Sans surprise. 

Alors que je terminais le ménage quotidien, mon regard dériva sur le paquet posé sur le comptoir de la cuisine. Je caressai distraitement son papier multicolore. Je l’avais préparé la veille pour Jérôme. 

Un cadeau en remerciement pour ce travail à la librairie. C’était la moindre des choses après tout ce qu’il avait fait pour moi. Et pourtant, je n’osais pas le lui offrir. 

Mon geste me semblait tellement dérisoire.

Encore un exemple des séquelles que m’avait laissée l’éducation parentale. Tant de paquets dédaignés qui s’entassaient dans la cave de la maison familiale. Et en guise de remerciements, leurs yeux exprimaient au mieux de l’indifférence, au pire de la déception.

Jérôme n’est pas comme eux.

Oui, il lui arrivait d’être odieux. Oui, il pouvait se montrer agressif. Mais il m’avait choisie. Moi et personne d’autre. Il m’avait ouvert sa porte. Puis une part de son cœur. Et sous les strates de colère, se cachait un homme maladroit mais prévenant. Un homme qui me ressemblait bien plus que je ne l’aurais imaginé. Un homme envers lequel j’avais moi aussi été maladroite.

Je détaillai le profil anguleux de mon colocataire, absorbé par son manuel d’études, tandis que j’époussetais inlassablement la même portion de meuble. 

J’aurais bien mérité qu’il rejette mon présent.

Je savais qu’il ne le ferait pas. Malgré tout, au fond de moi, une petite voix doutait. Parce que, derrière le blindage dont je l’entourais, mon cœur d’enfant souffrait toujours. Comme celui de Jérôme.

Pourtant, à travers son handicap, il créait une faille dans ma carapace.

Jour après jour, il se rapprochait. Il m’écoutait, me sentait, m’effleurait discrètement pour capter mes pensées. Deviner mes gestes. Percevoir ma présence. Il empiétait sur mon espace vital et peu à peu je changeais.

Pour lui, tout comptait différemment. 

La moindre odeur, le moindre mouvement, le moindre bruit. Le repousser, c’était le priver de ces perceptions essentielles et je ne pouvais pas lui imposer ça.

Mensonges ! 

C’était vrai. Au début. Mais aujourd’hui, ce contact subtil me rassurait. 

Enfin, je me sentais regardée

Le comble des paradoxes !

La seule personne qui me voyait réellement était un aveugle. 

Je souris. 

Oui, c’était paradoxal, mais cette idée me plaisait. Elle me ressemblait. 

Alors, j’allais prendre mon courage à deux mains et lui offrir mon cadeau pour le remercier de toutes ces choses qu’il m’apportait sans en avoir conscience. 

Je déposai mon chiffon dans la cuisine et inspirai à fond. 

Tout le monde aime les cadeaux. Ce n’est pas parce que d’autres t’ont rejetés qu’il faut douter de lui. Il appréciera le geste. 

Je m’éclaircis la gorge et je me lançai : 

— Je ne t’ai jamais remercié correctement pour ton aide. Ce boulot… tout ça. Alors voilà… tiens. 

Je lui tendis mon paquet. Il l’accepta et le posa devant lui. 

— Je ne l’ai pas fait pour ça.

— Je sais, mais j’en avais envie. C’est symbolique. À mes yeux du moins.

— Pourtant, on est d’accord que tu n’as pas spécialement apprécié mon initiative.

Je ricanai nerveusement. 

— Ce n’est que l’un de mes nombreux paradoxes. 

— Nombreux ?

— Un jour, tu comprendras que la liste est longue.

En apparence, c’était une plaisanterie. En réalité, ce n’était pas loin de la vérité. Je savais que ma réaction avait été puérile, mais c’est ainsi que je l’avais ressenti. Et si je n’en étais pas fière, par respect, je lui devais au moins d’être sincère.

— Et puis, très concrètement, il y a un point sur lequel on se ressemble beaucoup, le changement, ce n’est pas trop mon fort. J’intellectualise beaucoup les choses, et tu m’as prise au dépourvu. 

Je me renfrognai. 

— J’ai apprécié ton geste, mais j’ai passé presque deux ans à chercher du travail. Je ne compte plus les lettres refusées, les démarches stériles, les échecs… et toi, il t’a suffi d’une simple demande pour que je sorte de cette spirale infernale. Alors, aussi génial que ça soit, j’ai eu du mal à le digérer.

Il rigola. 

— Tu t’es sentie rabaissée comme si je t’avais renvoyé l’image d’une fille qui ne pouvait pas se débrouiller seule.

— Je… eh ben… 

— Non. Ne dis rien. J’ai compris.

Il soupira. Blasé. 

— Je passe mon temps à me battre contre la condescendance des gens et j’ai fait exactement la même chose.

— Tu ne pensais pas à mal.

— Justement ! Les gens ne pensent jamais à mal. Ils imaginent juste aider, mais…

Je baissai les yeux, légèrement gênée.

— L’enfer est pavé de bonnes intentions.

— Ouais. Sauf que leurs intentions sont rarement aussi pures qu’ils le prétendent. La plupart ne m’aident que pour se donner bonne conscience sans réaliser que je préférerais me débrouiller seul.

Il tritura nerveusement le ruban qui entourait mon cadeau, sans se décider à l’ouvrir. 

Cette vulnérabilité qu’il me montrait parfois m’attirait tellement. Rien à voir avec une mièvrerie dégoulinante de faux romantisme, c’était juste une réaction spontanée. Presque inconsciente. Dans ces moments-là, mes barrières cédaient. Mon empathie me submergeait et égoïstement j’imaginais qu’en le réconfortant, c’était moi-même que je réconfortai.

Et j’en avais tellement besoin. Pour tout un tas de raisons.

Je m’assis à côté de lui et chose impensable pour moi il y a quelques semaines, je posai ma tête contre son épaule. 

— Malheureusement, continua-t-il, se renfrognant encore, la réalité est bien plus cruelle, parce qu’objectivement ce sont bel et bien des choses que je ne peux plus faire. Mais, quand on se sent rabaissé par la bienveillance des autres, c’est toujours difficile d’étouffer son orgueil pour accepter ses failles. Et c’est plus arrogant encore de s’en croire capable.

Je frissonnai. L’intonation de sa voix me donnaient la chair de poule. Grave. Masculine. Chargée d’une rare authenticité. 

Avec Jérôme, tout devenait si facile. Il avait cette capacité à verbaliser ce que je ressentais sans parvenir à le dire. Il me comprenait vraiment. Mieux, il partageait ma perception du monde.

— Si tu rencontres un homme affamé, ne lui donne pas de poisson, apprend-lui à pêcher, récitai-je.

— Exactement.

Je souris. 

— Ça semble tellement évident quand on prend un peu de recul, mais sur l’instant, je suppose qu’on essaie tous de faire au mieux avec les cartes qu’on a en main. Et tu sais, question sollicitude mal placée, je pense que j’en compte déjà plus que ma part depuis qu’on se connaît. 

— Personne n’est parfait.

— Heureusement ! Parce que sinon t’imagines qu’est-ce qu’on s’ennuierait ! Il n’y aurait plus de mystères, plus de découvertes, plus d’originalité.

Un rire franc secoua ses épaules.

Je me redressai, soudain gênée par toutes ces émotions qui flottaient entre nous. 

— Je vais vraiment finir par croire que tu es aussi paradoxale que tu le prétends.

Je rougis jusqu’à la racine des cheveux. Jusqu’à présent, ce genre de rappel à mon invisible différence me déprimait, mais venant de Jérôme… 

— Je... vais prendre ça comme un compliment. 

— Ça l’est.

Franchement garçon, t’es encore pire que ton oncle quand il s’agit de me mettre dans tous mes états. 

Il se racla la gorge, visiblement aussi embarrassé que moi. 

— Et si on jetait un œil à ce cadeau mystérieux.

Mystérieux ? Oui c’est un peu le principe. 

Avant que je le lui fasse remarquer avec mon cynisme habituel, il ouvrit enfin son paquet. Précautionneusement, il tâta l’étoffe qu’il contenait et une curieuse expression passa sur ses traits. Une émotion que je n’y avais encore jamais vue et que je n’arrivais pas à décrypter. 

Son regard s’éclaira quand il comprit l’utilité de mon présent. 

— Un bandeau tout neuf.

— Je me suis dit que ça serait toujours utile. Normalement pour la taille, ça devrait être bon, mais il vaudrait mieux que tu essaies quand même.

Joignant le geste à la parole, il s’exécuta. 

Au bout d’un moment, je réalisai que ses mains tremblaient, lui rendant l’opération compliquée. Alors pour l’aider, ou peut-être simplement pour lui cacher ma propre nervosité, je lui pris l’étoffe des mains avec délicatesse et la nouais maladroitement. Je m’attendais à ce qu’il proteste, mais il se laissa faire. 

— Il est assez occultant ? lui demandai-je. 

— Oui.

— Le tissu ne gratte pas ou… 

— Non, c’est bon. Je te remercie.

— De rien. Ça me fait plaisir.

— Où tu l’as acheté ? Parce que c’est assez difficile à trouver. 

— Ben en fait… je l’ai cousu moi-même. 

— Vraiment ? Avec la broderie et tout ?

— Oui.

— Je ne pensais pas que tu savais en faire.

— Disons que j’ai appris pour l’occasion.

Un froncement de perplexité dessina un pli au coin de sa bouche. Je rigolai. 

— On a qu’à dire que c’était encore une de mes lubies du moment. Et puis, internet regorge de tutos en tous genres. J’ai aussi feuilleté quelques livres et j’ai eu un petit coup de main inattendu.

— Ah ?

— Simone est dans le coup, confessai-je de ma voix de conspiratrice.

— La vendeuse d’Olivia ?

— Celle-là même. Je lui ai demandé si on avait des ouvrages sur la broderie, et visiblement c’est sa passion. Elle a appris avec sa grand-mère. Je ne te cache pas que je me suis un peu débattue avec mes fils au début. J’ai fait plusieurs essais avant de parvenir à un résultat correct. J’avais acheté assez de tissu au cas où je me planterais. J’ai été dans le magasin derrière la librairie. Je l’ai choisi le plus doux possible, mais entre le toucher que tu peux avoir avec les mains et quelque chose que tu portes sur les yeux en permanence, ce n’est peut-être pas la même chose.

— C’est vrai.

— Et pour être certaine que le tissu soit assez occultant, je t’en avais emprunté un pour le montrer à la vendeuse. Et puis, il fallait un truc qui tienne pas trop chaud non plus, parce que je me souviens que quand t’étais malade, tu disais que ça te faisait transpirer et…

Il me prit par la main. L’effet fut immédiat. Je me tus et je détournai le regard. 

— Sasha. C’est parfait. 

— Vraiment ?

— Oui. Pourquoi ? Tu en doutais ?

— Un peu, j’avoue.

— Il ne faut pas. Bon, je demanderai l’avis du public pour le rendu de la décoration, mais c’est une très bonne idée. 

— Tant mieux.

Je fis mine de prendre son enthousiasme avec détachement. Mais intérieurement je bouillonnais de satisfaction, de fierté, de reconnaissance. 

À travers toutes ces petites victoires insignifiantes du quotidien, j’avais enfin l’impression d’avancer. De prendre ma vie en main. D’apprendre à voler de mes propres ailes. Même si cela impliquait de perdre le contact rassurant du sol. Et contre toutes attentes, ce n’était pas aussi effrayant que je l’avais imaginé.

 

♪ - ♪ - ♪

 

L'après-midi suivant touchait déjà à son terme quand je levais le nez de mon classement. Simone ne plaisantait pas quand elle affirmait que la période des fêtes commençait dès le mois de novembre à la librairie.

Les journées filaient à toute vitesse. L'hiver, par touches discrètes, approchait, givrant les arbres décharnés. Les journées raccourcissaient ; les clients affluaient. 

Je m’apprêtais à fermer les portes pour un week-end bien mérité, quand une dame se glissa dans l’entrée. Je cherchai du secours dans le regard de Simone, ignorant quelle était la politique de la maison concernant les clients de dernière minute. 

Cette dernière, amusée par ma maladresse, acquiesça discrètement. 

— Comment puis-je vous aider ? demandai-je donc à la dame.

— Je souhaiterais acheter un livre. Ça s’appelle « l’adulte surdoué, apprendre à faire simple quand on est compliqué » de Monique de Kermadec.

— Un instant, je regarde.

Joignant le geste à la parole, je pianotai sur l’écran.

— Ah, désolée, il est en rupture fournisseur pour l’instant. Mais je peux le mettre en commande et vous prévenir dès que nous le recevrons. 

— Avec plaisir.

Simone reconduisit la cliente et verrouilla derrière elle. 

— Commandes-en tout de suite plusieurs, me conseilla-t-elle. En général, les ouvrages de développement personnel partent assez vite en fin d’année, surtout s’il a été en rupture pour réédition. 

— Je doute que ce soit simplement du développement personnel.

— Je sais. Mais la plupart des gens font la confusion.

J’acquiesçai poliment. Après tout, c’était Simone l’experte. Elle connaissait certainement mieux que moi les habitudes de sa clientèle.

Tandis qu’elle comptait une dernière fois sa caisse et que je rangeais la vitrine, elle me demanda malicieusement : 

— Alors ton colocataire ? Il a aimé son cadeau ?

— Oui ! Il était super content. Ça fait trois jours qu’il le porte.

Personnellement, je voyais toujours chacune des petites imperfections de ma création, mais ça me touchait qu’il l’ait adoptée si facilement. Cela prouvait qu’il l’appréciait vraiment. Pas juste pour me faire plaisir.  

— Il m’a même dit de… 

La sonnerie de mon téléphone me coupa dans mon élan. 

Henry !

— Excuse-moi un instant. Il faut que je décroche.

Simone approuva d’un hochement de tête tandis que la voix cordiale de l’oncle de Jérôme me saluait. Depuis notre petite explication, les tensions entre nous avaient disparues, même si je restais optimistement méfiante à son égard.

— Bonsoir Henry. Qu’y at-il ? lui demandai-je.

— J’ai un contretemps. Pourriez-vous passer chercher Jérôme ?

— Euh oui, bien sûr. J’ai quasiment terminé. Mais ce n’est rien de grave j’espère ?

— Non rassurez-vous. Juste une visite qui s’est intercalée dans mon emploi du temps.

Je soupirai. 

De soulagement bien sûr. 

Henry n’était pas homme à s’inventer un rendez-vous professionnel pour le plaisir de mettre son neveu dans l’embarras, encore moins pour nous dissimuler une sortie en galante compagnie.

Enfin, je crois…

— Où dois-je le récupérer et à quelle heure ? 

— Si vous pouviez être au Conservatoire pour 19h30 ce serait parfait. 

— Aie ! 19h30… ça risque d’être compliqué. Je dois aider Simone à fermer la librairie.

L’intéressée fit des grands signes de la main pour attirer mon attention.

— Ne t’en fais pas pour ça. File vite, je me débrouille.

— Tu es sûre ? 

— Oui. 

J’esquissai un merci du bout des lèvres avant de confirmer à Henry :

— Finalement, c’est bon. Rappelez-moi juste où se trouve le Conservatoire.

— À côté de l’hôtel de ville. 

— J’y vais de ce pas. En général, vous le récupérez sur le parking ou devant l’entrée du bâtiment ? 

— Ni l’un ni l’autre. Je vais le chercher directement dans l’auditorium. La gardienne vous renseignera. 

— Très bien. Par contre, vous êtes certain que ça ne lui posera pas de problème ?

— À qui ? La gardienne ? 

— Non, à Jérôme. Il ne m’a jamais donné l’impression d’avoir honte d’être prof de musique, pour autant, il est toujours tendu quand on évoque le sujet. Du coup, je me vois mal débarquer comme ça et le mettre au pied du mur. 

— Quand il vous a envoyé rencontrer Olivia, ne vous a-t-il pas lui aussi mise au pied du mur ? 

— Certes.

Mais c’est pas une raison pour lui rendre la monnaie de sa pièce

Enfin pas comme ça. Ce genre de coups fourrés, c’était sa spécialité. Pas la mienne. 

Le père Langler et ses pièges sournois

Jérôme avait raison, c’était agaçant. 

D’un autre côté, si je refusais, comment mon aveugle de colocataire rentrerait-il ? 

Je le savais capable de se débrouiller par ses propres moyens, mais je me voyais mal lui imposer ça juste pour embêter son oncle. 

Et puis, j’avais déjà empiété sur tellement d’autres aspects de sa vie.

On est plus à ça près. 

— Je me mets en route.

— Je vous remercie.

— Pas de quoi.

— Bonne soirée. Et, n’oubliez-pas, je passerai le chercher demain vers midi.

Ah oui, le traditionnel rendez-vous parental mensuel. 

— Parfait. À demain dans ce cas.

Je raccrochai et je filai, non sans remercier encore mille fois Simone au passage. 

Dans la voiture, je repensais à Henry et cette rencontre parentale imposée que son neveu détestait tant. Il en revenait toujours tendu et morose. Ces soir-là, impossible de lui tirer le moindre mot. 

Pour éviter les problèmes, je le laissais tranquille. La dernière fois, il avait même cru que je lui faisais la gueule.

Pour ma part, j’étais bien contente d’être libérée de ce fardeau parental. Même s’il fallait se rendre à l’évidence, je ne pourrais pas les éviter éternellement. Et puis, maintenant que j’avais un travail, un appartement et mon indépendance, ça me paraissait de plus en plus stupide de craindre leur jugement.

Alors pourquoi tu ne les as toujours pas appelés ? 

Une fois encore, je dédaignai cette pensée pour m’intéresser au moment présent.

Je m’arrêtai au feu rouge. Face à moi, le bâtiment du Conservatoire affichait fièrement son architecture antique fidèlement rénovée. Par réflexe, je jetai un coup d’œil à l’horloge de ma voiture. 

Pile dans les temps. 

Un soupir de satisfaction m’échappa. 

Je me garai sur le parking toujours bondé malgré l’heure tardive. Sur le trottoir d’en-face un groupe d’étudiants se pressait dans un bar. Je remontai le col de ma veste pour atténuer le froid mordant du début de soirée et je me faufilai entre les flaques gelées jusqu’à l’entrée. Immédiatement la réceptionniste leva le nez de son registre et me jaugea de haut en bas. 

— Nous allons fermer dans quelques minutes. Si vous venez pour la représentation de ce soir, la salle se situe sur le côté ouest du bâtiment. Accès D. Cette entrée est réservée aux personnels et aux étudiants du Conservatoire. Vous devez tourner à l’angle de la rue et vous pouvez utiliser le parking de la mairie pour vous garer. Il est totalement gratuit en soirée.

— Je vous remercie pour toutes ces informations mais je ne suis pas venue pour le concert. Je cherche Jérôme Reeves.

Elle me dévisagea de toutes ses lunettes à double foyer, les lèvres pincées dans une mimique qui exprimait clairement sa perplexité. 

— Son oncle m’a demandé de passer le récupérer.

J’essayais de paraître la plus avenante possible, mais soyons honnête, ça ressemblait à un échec critique. 

— Son oncle ? 

— Oui, Henry Langler. L’homme qui le dépose ici tous les jours et qui le ramène le soir. 

— Oh ! Monsieur Henry ! 

— Celui-là même. 

Ses joues rosirent de plaisir. 

— Depuis quand c’est son oncle ?

— Eh bien, depuis toujours je dirais. C’est souvent comme ça dans une famille.

Son regard assassin me figea sur place. 

C’est qu’elle ferait peur aux petits enfants Marie-Thérèse. 

Oui, Marie-Thérèse, c’était le nom inscrit en lettres noires sur son badge tout rayé. 

Ses lèvres s’étirent dans un large sourire aux dents rongées par le temps et blanchies par le bicarbonate. 

— Rho, vous savez ce monsieur Henry, quel homme charmant ! Toujours tellement courtois, aimable et souriant. 

Une éternité s’écoula avant qu’elle daigne sortir de son box, décidant arbitrairement de m’accompagner plutôt que de me laisser errer seule au gré des longs couloirs. Pour une fois, ça m’arrangeait. Entre mon sens de l’orientation déplorable et la profusion d’escaliers, j’aurais tôt fait de m’y perdre.

Les allées se succédaient, longues enfilades de majestueuses travées de pierres brutes et de bois verni. Toutes en hauteur. Toutes en raffinement. Vibrant de l’âme des vieilles pierres. Partout, il régnait un calme empreint de recueillement.

Un calme que Marie-Thérèse rompait de sa voix égrillarde. 

M’entraînant toujours plus profondément dans les entrailles du Conservatoire, elle meublait le silence de sa conversation insipide. Cette vieille pie était un véritable archétype sur pattes. Ridée. Rondelette. Curieuse. Le genre de personnage à n’exister qu’à travers les commérages qu’elle répandait sans vergogne aux quatre vents.

J’écoutais vaguement ses ragots, jusqu’à ce qu’au milieu de cette diarrhée verbale, j’entende le nom de mon colocataire. 

Immédiatement, je recentrai mon attention sur elle. 

— … s’entendent si bien. Mais quand même pauvre monsieur Reeves. Il est tellement courageux. La vie ne doit pas être facile tous les jours pour lui. Et il est tellement gentil en plus. Il supporte tous ses malheurs avec le sourire et toujours aussi beaucoup d’humour. C’est tellement admirable. Et puis, il est si doué vous savez, mais il ne prend jamais la grosse tête. Si seulement certains pouvaient en prendre de la graine.

J’étouffai un ricanement. 

— Vous êtes sûre qu’on parle bien de la même personne ?

Elle s’arrêta et me coula un regard de biais propre à fusiller une tique sur le dos d’un chien. J’en frissonnai. 

— Monsieur Reeves il est toujours comme monsieur Henry. Très poli. Serviable. Gentil et souriant alors qu’il aurait toutes les raisons de pas l’être. Et c’est vraiment moche de sous-entendre le contraire m’zelle.

Elle tourna vivement les talons et reprit son chemin tout en ajoutant : 

— On ne se moque pas des handicapés. Vous devriez avoir honte.

Eh ben voyons ! Je donnerais cher pour voir la tête de l’handicapé s’il t’entendait.

Je comprenais mieux ce qui horripilait Jérôme dans les manières faussement édulcorées de ces gens qu’il côtoyait en permanence.

Malgré tout, j’étais énervée. 

Alors comme ça, monsieur Jérôme est un modèle de tact, de courtoisie, et de sociabilité en public, mais face à moi, il ne s’embarrasse pas des détails !

J’avais mis des mois à apprivoiser l’ours pour obtenir ce qu’il distribuait naturellement ici.

J’essayai de me convaincre que cette hypocrisie n’était qu’un masque qu’il leur destinait. Une farce qu’il leur jouait. Mais quelque chose en moi refusait d’y croire. Ce quelque chose qui se sentait vexé. Rejeté.

Et s’il portait aussi un masque face à moi ? Comme Henry. Comme… 

— C’est là, grogna la concierge coupant court à mes pensées. 

Elle m’indiqua le fond du couloir et tourna les talons me gratifiant d’un regard sévère. Elle n’avait pas apprécié que je critique son chouchou handicapé. Et deux fois en prime. 

J’étouffai de justesse un rire qui m’aurait certainement attiré ses foudres et je me dirigeai vers la salle du fond. 

Sur la porte de bois verni, une plaque d’étain gravée du nom d’un musicien célèbre en son temps. Un certain Beethoven. 

Quelle délicatesse ! Attribuer à un pianiste aveugle la salle dédiée à un musicien sourd. 

Ça sonnait comme une mauvaise blague. 

Ou peut-être n’était-ce qu’un hasard. Après tout, c’était pile le genre de détails incongrus qui n’interpelaient que moi. On me le reprochait souvent d’ailleurs. Parait-il que le monde n’a pas besoin qu’absolument tout ait du sens.

Moi si.

Je soupirai en entrant le plus discrètement possible.

Le décor me coupa le souffle. 

Ce n’était pas n’importe quelle salle. Il s’agissait d’un véritable auditorium tout en arabesques dorées et en velours côtelé. Plongé dans l’intimité de la pénombre, mais animé par le souffle d’une musique incroyable. 

Celle de Jérôme. Seul derrière son piano. Perdu en pleine lumière sur cette immense estrade au parquet lustré. Il jouait avec tout son corps. Avec tout son cœur et peut-être même toute son âme. 

C’était la première fois que j’entendais sa musique. Et elle m’ôta tous les mots de la bouche. Il se prétendait prof de piano. Moi, j’entendais un virtuose.

Si ses premières notes m’arrachèrent un sourire niais, la suite de son morceau me coula des frissons dans tout le corps. Sa mélodie simple et douce caressait chaque objet de la pièce. Elle traversait chaque fibre de mon être, résonnante de tendresse et vibrante de chaleur. Ces notes modelées par les gestes précis et posés de Jérôme étaient si émouvantes. 

Si intenses. 

Je descendis timidement vers l’estrade. Le tempo de son morceau accéléra. À chaque rangée de sièges molletonnés que je dépassais, son profil masculin m’apparaissait avec plus de clarté. 

Ses épaules qui se soulevaient au rythme de la musique. Ses doigts qui virevoltaient au-dessus du clavier. Son buste qui accompagnait chacun de ses gestes. 

Face à son piano, son handicap n’existait plus. Fini les complexes. Envolées la peur et la colère. Tout était si fluide et si beau. Si naturel. Toutes ces émotions qui l’encombraient au quotidien s’exprimaient tout à coup avec un naturel et une spontanéité magnifique. 

Mon cœur battait à tout rompre. 

Submergé par cette vision de lui. 

Fasciné. 

Voilà d’où venait cette présence qu’il dégageait en permanence. Ce charisme que je ne m’expliquais pas. 

Il y a plusieurs mois, j'avais rencontré le colocataire aveugle et grognon derrière l’annonce improbable. 

Il y a quelques semaines, j’avais découvert l’homme meurtri et vulnérable derrière le bandeau.

Aujourd’hui dans cet auditorium, j’apercevais l’artiste talentueux et sensible derrière le complexe d’une profession souvent sous-estimée. 

Oui, l’homme qui se tenait là, était bien différent de celui avec lequel j’habitais. 

Une larme roula soudain sur mes joues, s’égarant à la commissure de mes lèvres plissées dans un sourire attendri.  

Tandis que j’abandonnai manteau et écharpe sur un siège au bas de l’estrade, la musique s’arrêta. Je me figeai comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. 

Mais il ne m’avait pas remarquée. 

Il triait ces mêmes feuilles blanches avec lesquelles il se débattait tous les soirs. Avec des gestes posés, il les replaça soigneusement sur le pupitre du piano. Il s’apprêtait à reprendre son jeu quand un craquement de paquet me trahit. Ses doigts s’immobilisèrent à quelques centimètres du clavier. 

Il resta ainsi quelques instants avant de lancer : 

— Depuis combien de temps es-tu là ? 

Je n’osais pas répondre, de peur de briser la magie de l’instant. Il se tourna vers moi pour bien me faire comprendre qu’il savait que j’étais là. Certes, il ne me voyait pas pourtant, comme souvent, je sentais son regard brûlant d’intérêt derrière son bandeau. 

— Ce que je ne m’explique pas… c’est ce que tu fabriques ici.

Il m’avait vraiment reconnue ! 

Ici ! Dans le dernier endroit où j’aurais dû me trouver ? À l’improviste ? 

— Je… c’est… mais comment tu…

— Ton parfum, grogna-t-il sèchement. Maintenant tu m’expliques ou il faut que je devine tout seul ? 

— Henry a eu un empêchement, donc il m’a demandé de venir te chercher.

— Un empêchement ? C’est grave ?

— Non. Un rendez-vous de dernière minute visiblement.

Jérôme grimaça. 

— Ça ressemble plus à un de ces pièges.

— C’est vrai, mais qu’est-ce que tu voulais que je lui dise ? J’allais pas te laisser rentrer à pied alors qu’il gèle dehors.

— J’aurais pu prendre le bus.

— T’as pas fini de râler un peu.

— Je râle si je veux. T’es déjà pas censée être là, alors si ça t’ennuie…

Je levai les yeux au ciel.

— Et puis, c’est quoi ces manières d’arriver en douce dans mon dos ? T’aurais au moins pu t’annoncer !

— Tu sais quoi ? T’as raison, ça te rafraichira les idées de rentrer à pince dans le froid hivernal.

Mettant la menace à exécution, je me dirigeai vers l’escalier. Il bondit comme un diable hors de sa boite et m’attrapa par le poignet. Je m’arrêtai, à nouveau prise au piège de cette incroyable dextérité. Même après plusieurs mois de cohabitation, ça m’épatait toujours.

— Excuse-moi, maugréa-t-il. C’est juste que l’absence d’Henry, ça… il m’agace avec ces traquenards à la con.

— Moi aussi. Mais, j’y suis pour rien. Il m’a piégée au même titre que toi. Et pis qu’est-ce qu’elle dirait Marie-Thérèse si elle t’entendait causer comme ça hein ?

— La réceptionniste ? Qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ?

— Elle ne tarissait pas d’éloges à ton sujet. Le pauvre petit monsieur Reeves pour lequel la vie doit être si compliquée.

— Elle a vraiment dit ça ?

— Ouais et elle m’a assassinée du regard quand j’ai osé sous-entendre le contraire. 

— Charmant. Et tu t’es laissée faire ?

— Figure-toi que j’étais surtout étonnée par toutes ces élucubrations dithyrambiques à ton sujet. Et monsieur Reeves, il est toujours si gentil. Si serviable. Si souriant. Et si, et si et si… je t’épargne le reste de la liste.

Il détourna le regard, tandis que de mon côté, j’enfonçai le clou. 

— T’admettras quand même que pour un mec qui dépense beaucoup d’énergie à ronchonner contre tout et n’importe quoi, à commencer par la sollicitude des autres, ça fait beaucoup d’hypocrisie. Alors naturellement, je me demande pourquoi un tel décalage dans ton comportement ? Qu’ai-je de plus pour mériter ton hostilité, ou ta sincérité, je ne sais plus trop au final ?

En guise de réponse, il se réinstalla silencieusement devant son piano. 

N’y avait-il rien de plus à ajouter à ses yeux ? 

J’hésitai. Je commençai à le connaître. Cet air renfrogné valait tous les aveux du monde. Il avait honte. 

Pris d’un soudain intérêt pour ses partitions, il s’employa à les ranger comme si je n’étais pas là. D’un geste sec, je l’empêchai de continuer. Il se tourna rageusement vers moi, prêt à me reprocher mon attitude, mais je lui coupai l’herbe sous le pied.

— Je croyais que tu ne lisais pas le braille. 

— Tu sais très bien que si, alors arrête avec ça et rends-moi mes feuilles !

— Alors pourquoi tu m’as menti la première fois que je t’ai posé la question ? 

— Je n’ai jamais menti. Quand on en a parlé, je suis resté évasif et c’est toi qui as interprété mes propos de travers. 

— Tu joues sur les mots. 

— Et toi, tu ne réfléchis pas plus loin que le bout de ton nez. Bien sûr que j’ai dû apprendre. Sinon comment j’aurais pu passer mes examens ? De toute façon, pour continuer à faire du piano, je n’avais pas le choix. 

Je m’installai sur la banquette à quelques centimètres à peine de lui. Malgré son énervement, il ne fit pas un geste pour m’en empêcher et accepta sans rechigner ses feuilles, que je lui rendais. Il ne les rangea pas pour autant, se contentant d’attendre immobile comme s’il espérait que j’ajouterais quelque chose. Pour ne pas le décevoir, je me fendis d’un simple constat : 

— Tu aurais pu simplement arrêter et trouver une voie plus facile. 

Ses mâchoires se crispèrent. 

— Si j’avais abandonné la musique, je ne m’en serais jamais remis. Après mon accident, j’ai tout repris depuis le début. J’ai réappris à jouer. Au départ, je pensais que ne plus voir mes mains me poserait problème, mais j’ai très vite compris que c’était loin d’être mon principal obstacle. 

— Ah bon, pourquoi ? 

— Parce que pour un pianiste son clavier, c’est comme celui d’un ordinateur pour une secrétaire, à force de l’utiliser, tes doigts trouvent naturellement les touches sans même avoir à les regarder. Mais le braille musical… c’est très différent du braille normal et ça fonctionne encore différemment, malheureusement pour le comprendre, encore faut-il maitriser le braille classique. Pour jouer, il ne suffit pas de s’installer devant son instrument et voilà, ça demande de la préparation en amont et plus de mémoire encore, surtout pour… pour moi. 

— Ça n’a pas dû être facile tous les jours. 

— Est-ce que j’avais le choix ? 

— On a toujours le choix, et je te trouve très courageux, même si tu as parfois le don de m’exaspérer. 

Sa crispation monta encore d’un cran. 

— Alors dis-moi monsieur Reeves, insistai-je, me rapprochant encore un peu de lui, le vrai Jérôme c’est qui ? Le gentil aveugle qui impressionne ses collègues ou l’ours chafouin qui se planque derrière ses partitions indéchiffrables ? 

Je n’aurais pas cru possible de voir ses muscles se contracter davantage. Il était tellement tendu que je m’attendais à tout instant à ce qu’il explose de colère. Pourtant, il se contenta de me faire face en silence. 

Un soupir énervé m’échappa. J’allais me lever quand une fois de plus, il anticipa ma réaction. 

— Je… tu ne peux pas comprendre, éluda-t-il, s’imaginant peut-être que cela suffirait pour me convaincre d’abandonner la partie. 

— Essaie toujours et on verra bien. 

Il hésita, puis se renfrogna. 

— Je vais chercher mes affaires et j’arrive. 

J’ouvris la bouche pour répliquer et finalement j’abdiquai. 

Ce petit air d’aveugle battu, le visage légèrement tourné sur le côté comme s’il regardait ailleurs. Comme s’il fuyait. C’était ma faiblesse. Quand il tirait cette tronche, c’était comme si le poids de son monde menaçait de l’engloutir et je n’avais plus le courage de lui tenir tête. 

Je le regardai s’éloigner, blasée et totalement déconcertée. 

Je sursautai quand on rigola dans mon dos. Je me retournai, découvrant un gars rondouillard à peine sorti de l'adolescence et dont les traits ravinés par l’acné me dévisageaient sans dissimuler leur hilarité. Il avala la distance qui nous séparait en deux grandes enjambées tractant derrière lui un étui à violon quasiment aussi grand que lui. 

— Ne t’inquiète pas, me lança-t-il joyeusement. Ce mec est un peu revêche, mais il ne le montre qu’à ceux qu’il apprécie vraiment. 

— Pardon ?

— J’ai entendu une partie de votre conversation. Par inadvertance évidemment, crut-il opportun d'ajouter. 

— Oh, soufflai-je sans savoir si son aveu m'embarrassait ou non.

À dire vrai, j'étais restée bloquée sur sa première phrase.

— Revêche ? 

Il éclata de rire franchement.

— Oui, ça veut dire qu'il est un peu rude de prime abord mais au fond il est pas méchant. 

— Merci. Je sais ce que veut dire revêche, mais c’est la façon dont vous dites ça qui me surprend. Ce n'est pas conventionnel.

— Ah mais mademoiselle je suis loin d'être quelqu'un de conventionnel. Je m'appelle Cédric et je suppose que tu es Sasha. 

— Oh, alors c’est toi Cédric, répliquai-je, le tutoyant à mon tour. 

Mes joues rosirent sous l’effet de l’embarras. Un embarras qui amusa beaucoup ce fameux Cédric.

— J’ai… beaucoup entendu parler de toi, bafouillai-je pitoyablement. 

— Oui, moi aussi.

— Je… merci pour le boulot… je veux dire… ta belle-mère… enfin… 

Je marquai une pause. Mon cerveau venait à peine de comprendre ses paroles. 

— Attends… Tu veux dire qu’il t’a déjà parlé de moi ?

— Dans l’ordre, y a pas de quoi. Pour le boulot. Tout le monde y trouve son compte donc c’est cool. Et oui, Jérôme parle souvent de toi. Même s’il semble que tu aies une rare capacité à l’énerver, je sais que ça ne le dérange pas tant qu’il le prétend. 

Je le dévisageai longuement, oublieuse de toute forme de politesse. 

— On dirait que tu le connais bien. 

— On travaille ensemble depuis un moment déjà, alors forcément ça crée des liens. 

— J’imagine. Et ça fait combien de temps que tu as commencé la musique ?

— Oh bah, je suis tombée dedans quand j’étais tout petit et voilà quoi, j’ai suivi la voie royale. 

— Celle qui permet de devenir une star ?

— Plutôt un virtuose des temps modernes, mais je suis trop fainéant pour ça. 

— Fainéant ? 

— Ouais. Les gens ne se représentent pas bien le niveau d’implication que cela exige d’être virtuose. Ta vie ne t’appartient plus à toi mais à la musique et la musique seulement. Tu n’as plus le temps de sortir, de t’amuser, d’en profiter. Au final, la musique est aussi, voire plus, exigeante que le sport de haut niveau.

— Eh bien, je n’aurais jamais pensé que c’était à ce point. 

— Si. Voilà pourquoi les enfants commencent dès leur plus jeune âge. Exactement comme les sportifs de haut niveau. Le but est pour eux d’atteindre l’excellence le plus tôt possible, pour rester au sommet le plus longtemps possible. Mais encore une fois, cela demande des sacrifices. J’adore la musique, seulement j’ai choisi de rester raisonnable. Je préfère la modeler à mon image plutôt que de me modeler à la sienne. 

— C’est une belle ambition. 

— Merci. C’est surtout le juste milieu entre ce que je suis et ce que je désire. J’aurais pu atteindre le sommet et quoi qu’il en dise, Jérôme aussi, seulement c’est bien beau de tout sacrifier pour arriver en haut, mais une fois que tu y es, il y a inévitablement un jour où tu en tombes. Et ce jour-là, qui deviens-tu si la seule chose qui te définit, c’est la musique ?

Je hochai pensivement la tête. Malgré sa jeunesse apparente, la maturité et la lucidité du constat de Cédric m’impressionnait. 

— On y va, grogna Jérôme dans mon dos. 

J’acquiesçai silencieusement, tout en réajustant mon écharpe pour mieux lui cacher qu’il m’avait surprise.

— Si tu te contentes de secouer la tête, se moqua gentiment Cédric, il risque pas de te comprendre. 

— C’est vrai. 

— Je vous accompagne, décida Cédric. 

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Ozskcar
Posté le 17/03/2022
Hello !

Je commence par te présenter mes excuses... J'ai tellement adoré ton histoire que j'ai tout lu d'une traite et, lisant sur mon téléphone, je n'ai pas pris le temps de te faire de retours... Je vais remédier à ça pour les chapitres suivant. (Je les attends avec impatience, d'ailleurs !)

Sinon... Je suis absolument fan de tous tes personnages ; Sacha et sa relation à ses parents, Henry - malgré le soudain retournement de situation - le coton-tige, évidemment. Cédric a également l'air d'un personnage très sympathique. J'ai hâte d'en découvrir davantage à ce sujet. Tout est toujours si bien amené, avec simplicité et pourtant beaucoup de douceur et de subtilité. Je pense par exemple à la manière dont les parents de Sacha ont eut une influence par leur éducation - on sent que ce n'est pas fait à mal, et on sent pourtant à quel point c'était toxique. Je trouve ça vraiment émouvant, et la manière dont Sacha essaie de se reconstruire après ça... Elle est drôlement forte !
Évidemment, j'ai aussi beaucoup apprécié les moments d'engueulades puis de rapprochement entre Sacha et Eugène. (j'espère que je ne me trompe pas dans les prénoms ? J'ai toujours du mal à les retenir). Leurs échanges me font soit rire soit fondre (j'avoue... Pourtant, d'habitude les romances c'est pas mon truc... Tu as accompli un sacré exploit !). Je pense que ça tient au fait qu'on sent vraiment les douleurs et la manière qu'ils ont, chacun à leur façon, des les traverser, de les comprendre, et de s'en libérer.
Après... J'aime ces petits moment passés au conservatoire, dans ce chapitre. Y ayant passé pas mal d'années - dans un conservatoire, je veux dire -, y retourner, par le biais de la fiction, ça ravive toujours un petit côté nostalgie, chez moi.

Donc voilà. C'est mon petit coup de cœur, cette histoire.

A bientôt, j'espère !
Shaoran
Posté le 24/04/2022
Coucou Ozskcar,

Mwhooo mais ne t'excuses pas. Si tu as tout lu d'une traite, on peut considérer que j'ai fait ma part du boulot en rendant l'histoire intéressante.
Pour le reste, contente que les personnages te plaisent. J'ai essayé au maximum de les rendre crédibles et pour ça, bah, ils doivent avoir des zones d'ombres. C'est ce qui les rend intéressants et attachants aussi.
Je sais pas si on peut dire que Sasha est forte à proprement parler, mais on a tous dans notre quotidien tout un tas de galères qui nous modèlent. Et j'avais envie de montrer un personnage qui ne lâche rien, qui se pose pas en victime ou en souffre-douleur mais qui apprend à grandir en conscience. Qui cherche sa place, même si elle est auprès de quelqu'un "d'improbable".
Eugène ! Pauvre de lui XD, Je crois que tu parles de Jérôme XD et pour tout dire, je me suis vraiment beaucoup amusée à écrire leurs dialogues et leurs petites échauffourées. Même si en toute franchise, les romances, c'est pas mon truc non plus. Mais je crois que j'avais un truc à exprimer au travers de cette histoire, alors je l'ai laissée s'écrire comme elle voulait et elle voulait être une romance, mais pas mièvre idyllique et cul cul la praline, alors... j'espère que le contrat sera rempli jusqu'au bout.
Enfin, je suis contente que mon conservatoire te sois nostalgique parce que... comment dire, j'ai jamais mis les pieds dans un conservatoire, du coup, j'y ai été à l'instinct total XD.

En tous cas, merci tout plein d'être passé, et d'avoir pris le temps de commenter, même si c'était après avoir tout lu d'une traite XD.
J'espère vraiment que la suite t'intéressera toujours autant.

A tout bientôt.
Vous lisez