J’étais sur une colline.
Un vent tiède me caressait le cou et faisait voler doucement mes cheveux bruns. Au loin, une lumière douce, qui éclairait le paysage de reflets magnifiques, et qui apportait une chaleur sur cette surface, illuminait mon visage. Je fermai les yeux, rien qu’un instant, pour conserver cette sensation de chaleur agréable. Je sentais que le souffle du vent agitait l’herbe autour de moi, je l’entendais, mais je ne le voyais pas. En rouvrant les yeux progressivement, je fus d’abord aveuglée par la source de cette lumière : Le soleil. Puis, m’habituant à sa lueur rassurante, mes yeux entrouverts s’ouvrirent complètement. Je pus alors admirer le ciel bleu clair au-dessus de moi, le paysage que je ne pouvais jamais savourer entièrement. Tout cela émanait un sentiment de sureté. Jamais, je ne m’étais sentie aussi paisible. Une bourrasque de vent me fit un peu perdre l’équilibre. Je me rattrapai sur mon pied droit. Elle partait loin derrière moi, faisant voler branches des arbres, trembler l’eau calme du ruisseau au loin, donnait encore plus de vie à ce paysage fantastique.
Je savais que je rêvais. Pourquoi ? Parce que je ne portais pas mes lunettes. Je ne vois rien sans mes lunettes. Mais je voulais faire durer le moment.
Je descendis la colline, sentant sur mes chevilles le frottement de l’herbe douce, et, un peu humide. Au fur et à mesure que je la descendais, des nuages apparaissaient dans le ciel, assombrissant la plaine, et cachant le soleil, qui s’éloignait, de plus en plus vite. Alors je m’élançai en riant, pourchassant ce soleil. Je voulais rester sous sa lumière. Je voulais garder cette sérénité que je ressentais si peu dans ma vie. Je voulais faire durer mon bonheur. Mais le tonnerre gronda. Si puissant qu’il fît trembler la terre. Les nuages se foncèrent et s’épaississement et ainsi, le ciel devint de plus en plus gris. De légères gouttes de pluies tombèrent sur le sol. Et le soleil s’éloignait et disparaissait de plus belle. La pluie s’intensifia. Le torrent d’eau m’empêchait de voir devant moi. De l’eau ruisselait sur mon visage, sur mes cheveux, mes vêtements. L’herbe humide devenait un terrain impraticable. Je redoublai de vitesse. L’herbe s’étendait à perte de vue, mais le soleil, lui, semblait de plus en plus loin. Je n’arrivais pas à le rattraper. Ma joie s’était envolée. Remplacée par le sentiment d’oppression éternel qui me tiraillait de l’intérieur depuis toujours. Je glissai sur l’herbe mouillée et m’écroula par terre. La pluie tombait de plus belle. Je n’arrivais pas à me relever. Je restais étendue là, impuissante, comme toujours. Un éclair chevaucha le ciel. Puis un autre. Le soleil s’éloigna au fur et à mesure que le temps se dégradait. Il faisait à présent la taille d’une bille.
- Non ! criai-je, cherchant à me relever, mais glissant sans cesse.
Il disparut sans même que je n’aie pu faire quoi que ce soit. Le ciel s’assombrissait, la pluie s’arrêtait. Le noir total envahit la plaine. Pourtant, j’avais encore de l’eau qui s’écoulait sur mon visage. Mais c’étaient mes larmes. Je ressentais du désespoir. J’étais désespérée. Les larmes continuaient de couler sur mes joues. Je n’avais pas réussi à le rattraper. Malgré tous les efforts il s’en allait toujours. Me laissant dans ce monde chaotique. Où je n’avais pas ma place. Quand ce cauchemar cessera-t-il de durer ?
*
Mes yeux s’ouvrirent cette fois avec l’éblouissement fort désagréable de ma lampe de chevet que j’avais oubliée de couper. Je détournai vivement la tête, puis me frotta les yeux, gémissant de mécontentement. (Ouvrez les yeux en plein sur une lampe. Vous verrez. Ça fait vraiment mal !). J’étais dans ma chambre, couchée sur mon lit. Mon livre était toujours là, sur ma table de nuit. Mon sac était posé devant mon bureau. Chaque objet était toujours en place, comme si je n’avais pas bougé depuis toujours. Les murs de ma chambre étaient vert émeraude, comme mes yeux. Le sol était marron. Il n’y avait peu de meubles, juste le nécessaire, mais beaucoup de posters et d’ornements étaient accrochés aux murs. Il y avait notamment une tête de cerf représentée avec des formes géométriques en 3D au-dessus de mon bureau. Une tête avec le même style de formes avec des barres métalliques mais en forme de tigre, au-dessus de mon lit. Et évidement des dizaines de posters de films tirés de livres culte jonchaient les murs.
Je me redressai et vit qu’une feuille de papier dépassait de mon livre. Je le pris alors dans mes mains, intriguée. En ouvrant sur la page où je m’étais arrêtée, je lus :
Spoiler : Le dernier ingrédient pour faire revenir Caul est le cœur de la mère des tempêtes, pas la mère des oiseaux. Donc c’est V et pas Miss Peregrine qui est en danger de mort. Bonne lecture. Brenna.
« C’est pas vrai ! » me dis-je, en retirant la feuille de papier et en la déchirant en mille morceaux. Non mais c’est vrai quoi ! Elle venait de me gâcher les deux-cents pages qui me restaient à lire ! Pfff… Je vis alors qu’en retirant la feuille de Brenna, j’avais également enlevé mon marque page. Après avoir écarquillé les yeux pendant plusieurs secondes, réalisant soudain ce que je venais de faire, je balançai mon livre par terre. Ce qui fit un bruit sourd. Et ce qui me fit penser que la chambre de mon frère était juste en dessous, donc, il allait officiellement me tuer. Je l’avais sûrement réveillé. Mais quelques instants plus tard, j’entendis Zack monter les escaliers en bois depuis le rez-de-chaussée, ce qui veut dire qu’il ne dormait pas. Je fronçai les sourcils. Il ne dormait pas ?! Mais d’habitude, il se couche super tard et ne se lève pas avant onze heures les week-ends ! À mon avis, il y avait quelque chose d’important aujourd’hui. Mais vu mon horrible mémoire, ça m’était sûrement sorti de la tête. Je vis 6H09 indiqué sur mon réveil. Il était tôt pour se lever. Mais je ne pouvais pas me rendormir. Je ne pourrai pas. J’étais sûre de refaire ce cauchemar. Il me hantait de plus en plus. Je poussai ma couette, passai mes jambes par-dessus le lit, et attrapai mon livre. Je constatai avec surprise que mon livre était tombé entrouvert pile sur la page à laquelle je m’étais arrêtée. Je lisais lentement, page par page, en les faisant tourner doucement, lorsque la porte s’ouvrit à la volée. Je sursautai, et fit tomber mon livre une deuxième fois, ce qui m’énerva encore plus de perdre ma page une nouvelle fois. Zack entra dans ma chambre, nerveux. Il constata que j’étais réveillée, puis son regard passa sur mon livre, tombé pour la deuxième fois. Je le fixai en clignant des yeux, et sortis maladroitement :
- C’est pas moi, c’est mon livre.
Il se gratta la tête, tantôt amusé, tantôt perdu. C’est bien. Pour une fois les rôles s’échangeaient. Je souris malgré moi. Son regard se détacha du livre, dériva vers sa montre, et enfin vers mon radio réveil. Il vit avec colère que sa montre était en retard, ce qui avait l’air de le préoccuper.
- C’est pas grave pour ta montre, dis-je perplexement. Remets la juste à l’heure normale.
Il me toisa d’un air bizarre. Il haussa les sourcils et me dit :
- Tu n’as quand même pas oublié ?!
- Oublié quoi ? lui demandais-je en ouvrant grand mes yeux.
Et je me rappelai (oui nan mais j’ai vraiment un très très gros problème de mémoire). Le voyage en France. Enfin, pas vraiment « voyage ». Ni même « voyage d’affaires ». Là c’était « voyage pour éviter de se faire tuer par des psychopathes qui roulent partout en camionnettes, avec des snipers, et plus si affinités ». À vrai dire, je ne savais même pas où on allait en France exactement. Vers Paris, je crois. Mais pas exactement sur Paris. C’était dommage. Moi qui avais toujours voulu voir les ruines de la tour Effel…Je me rendis compte que je souriais, et que mon frère l’avait vu. Je crois qu’il me prend pour une tarée…
- Ça va ? me demanda-t-il en prenant une mine encore plus effarée qu’avant.
- Tout va bien, lui répondis-je en lui faisant mon plus beau sourire.
- Il va falloir que tu te bouges. On part pour la gare dans 1h exactement.
- Toujours dans la précision, commentai-je en levant les yeux au ciel.
- Toujours dans l’excès, me répondit-il en m'imitant ironiquement
~*~
-Une heure plus tôt-
Lorsque Brenna ouvrit la porte de la chambre de son frère, la première chose qu’elle vit fut un tas de couvertures. Mais celui-ci bougea et grogna en vue de la lumière. Brenna, fière d’elle et du dérangement qu’elle apportait à son frère, ouvrit en grand la porte pour bien laisser passer la lumière du couloir. Le tas de couvertures tomba à la droite du lit et repoussa brusquement ce qu’on pourrait appeler sa carcasse. Il courut vers sa sœur, mais celle-ci, ayant prévu son coup, était déjà en train de descendre les escaliers à la hâte, tout en riant. « Ma sœur est une grosse sadique » pensa Tobias en se grattant la tête. Il bailla, se dirigea vers l’immense salle de bain et passa de l’eau fraiche sur son visage. Cela le réveilla instantanément. Il s’habilla rapidement, enfilant un sweat gris à capuche et un jean, puis descendit l’escalier. Il rejoint son père et Brenna, à laquelle il fit, au passage, un regard noir. Celle-ci lui tira la langue. Tobias s’assit auprès de sa famille, entama son bol de céréales fraichement posé là, puis appuya sur la télécommande de la télé géante qui s’alluma instantanément. Il piocha dans son bol, après l’avoir examiné longuement. « Elle est sadique. Mais au moins elle a pensé à mon petit-déj’ »
Ce fut le père de Brenna et Tobias qui brisa le silence. Il posa sa tasse de café sur la table, visiblement finie, puis consulta son portable. Après quelques instants, il leva les yeux de son appareil, et se remarqua que ses deux enfants le dévisageaient. Ils avaient leur raison : Ses mains étaient inhabituellement crispées, alors que d’habitude il était toujours incroyablement calme. Brenna posa sa cuillère dans son bol.
- Un problème papa ? demanda-t-elle en allant directement ranger son bol dans la cuisine.
Lorsqu’elle revint s’assoir, Tobias et elle le regardaient avec insistance, en attente d’une réponse. Au début il ne fit rien, ignorant leurs regards fixes dirigés droit vers lui. Mais savoir qu’on est observé tout le temps est très désagréable, alors il replaça son portable dans sa poche.
- Thibault en a fini avec ses analyses, dit-il d’une voix crispée. Alors il espère que vous pourriez aller chercher les résultats dans son laboratoire, dans le centre de Paris.
Cette nouvelle fit l’effet d’un coup de fouet général. Personne, mais alors personne, n’avait envie d’aller dans le quartier malfamé de Paris. Depuis que la cathédrale de Notre-Dame de Paris avait été brûlée en 2019, puis que la Bastille, le Grand-Palais et l’Arc de Triomphe, avaient connu le même sort en 2029, 2039, 2049, et 2059, et qu’enfin la Tour-Eiffel avait sauté en 2129, le centre de Paris n’était plus un endroit sûr, et tous les gangs, tous les terroristes, toute la mafia et j’en passe…s’étaient installés là-bas, dans un conflit continu entre eux. À ce stade, vous vous demandez sûrement pourquoi les grands monuments de Paris avaient sauté. Eh bien, c’était pour la même raison que la nuit restait éternellement à Londres. Les événements étaient mondiaux, et ne touchaient pas que le Royaume-Uni. Seulement les variables étaient différentes. À Londres, il y avait des créatures qui avaient été placées là pour tout détruire. À Paris, il y avait des explosions imprévisibles qui touchaient toute la capitale. Et dans chaque mégapole il y avait un phénomène différent, contrôlé par la même personne, et, le tout, plongé dans la nuit.
Tobias avait toujours pensé que Thibaut était atteint. Il était un chercheur du laboratoire installé secrètement dans les anciennes Galeries Lafayette, laboratoire qui faisait des recherches sur les créatures, ainsi que les évènements actuels. Ils travaillaient indépendamment du JT. Ils avaient envoyé un échantillon de Brume présent sur la créature de la médiathèque abandonnée. Et les résultats étaient prêts. Et il comptait sur leur petit groupe pour venir les chercher.
En clair, il était vraiment atteint.
Brenna alla chercher son téléphone, qui était resté dans sa chambre. Elle envoya rapidement un message à Zack et à Helena, comme quoi ils devraient faire un petit détour dans le centre de Paris avant de pouvoir se mettre en lieu sur dans un département plus reculé. Elle eut comme réponse un « ok » de la part de Zack, et rien de la part d’Helena. « Elle dort sûrement » se dit Brenna. Elle finalisa son sac de voyage et rejoignit Tobias devant la porte de l’ascenseur. Dans une heure environ, ils devaient avoir rejoint Helena et Zack à la gare ferroviaire de Waterloo à Londres, pour prendre un train en direction de Paris.
~*~
La gare ferroviaire était magnifique.
Un dôme de verre semblait recouvrir une boule de lumière. Les quais étaient éclairés, la gare était éclairée, tout était éclairé. Zack et Helena virent Tobias et Brenna sur l’un des quais bondés de monde (c’est que tout le monde voulait quitter Londres…). Ils leur firent signe de les rejoindre. Le train devant eux était imposant : Plus de 3 mètres de haut, une surface lisse, une couleur bleu clair, voir turquoise. Il y avait de grandes fenêtres qui laissaient voir le paysage nocturne durant le trajet. Le petit groupe était émerveillé. Le père de Tobias et Brenna avait dû leur réserver des sièges première classe ! Les portes du train s’ouvrirent, laissant apparaître la silhouette d’un adolescent faisant office de passe muraille.
- Oh non, pas lui ! soupira Zack
Erwan s’avança vers eux, fit un beau sourire voyant la mine dépitée de Zack, puis leur fit signe d’entrer, portant leurs bagages. L’étage du haut aboutissait sur un compartiment privé. Ils s’y installèrent. Erwan disposa leurs bagages dans un coin du compartiment. Une voix sortit du haut-parleur le plus proche :
- Mesdames et messieurs, le train numéro 6843, à destination de Paris Gare du Nord, va voir ses portes se refermer dans quelques instants. Le départ est imminent.
Mais le train ne partit pas. Au contraire, toutes ses lumières s’éteignirent, excepté celle du compartiment des adolescents. En bas, des protestations des passagers du train se faisaient entendre. Lorsque j’essaya d’ouvrir les portes du compartiment, elles étaient verrouillées. Zack nous interpella. Sur une des banquettes était posé un papier plié en quatre. On redoutait tous son contenu, mais c’était forcément ça.
Il n’y a qu’une personne capable de maîtriser la lumière. Que ce soit celle d’un train, ou celle du soleil.
J’ouvris avec angoisse le papier plié. Ses paroles étaient formelles :
« La prochaine victime sera Tobias, si l’un de vous ne quitte pas le train pour aller à Paris, et ne se rend pas à un endroit où personne ne pourra l’aider en cas de problème. »
Nous nous regardâmes tous un instant, sans même remarquer que la porte du compartiment s’était réouverte et qu’un compte à rebours de deux minutes s’était affiché sur l’écran au-dessus de nous.