La tension était palpable. Personne n’osait réagir, mais le compte à rebours avançait. 1 min 47, 1 min 46, 1 min 45…Et personne ne bougeait. En fait, on se regardaient tous dans l’espoir que quelqu’un se désigne et sorte du train. Et tout serait terminé. Mais le truc, c’est que personne ne voulait justement quitter le train. Oh, pas par choix personnel, parce qu’ils avaient tous un rôle important. Tous sauf moi. Je n’eus d’autre choix que de baisser les yeux, honteuse de me pas m’auto-désigner. C’est vrai, j’avais envie de rester dans le train. J’avais envie de rester dans l’aventure. Mais je n’avais pas ma place parmi eux. Il y avait Tobias, qui apparemment était un bon limier et un bon espion ; Brenna, qui était l’atout le plus précieux du groupe. Belle, intelligente, douée en informatique et ayant des connaissances en médecine qui pourraient nous sauver la vie en cas de besoin ; mon frère qui était très athlétique et connaissant les créatures et les recoins de la terre comme personne ; et moi, l’intruse qui n’a rien à faire là. J’avais beau me chercher des qualités, à part le fait que je parle très bien anglais, français, allemand, mandarin et espagnol, je ne servirais à rien pour eux. Il valait mieux que je reste à Londres et que je cherche de mon côté.
Alors, pleine de regrets, je me dirigeai vers la porte du compartiment et sortit du train en toute hâte, presque les larmes aux yeux. C’était fini. Alors que la lumière moins puissante me permettait moins de prendre mes repères, je m’éloignai du train. « Je n’avais rien à faire là de toute façon. C’était une erreur de leur part. » Je vis à nouveau la nuit étoilée recouvrir le ciel. Les derniers passagers entrèrent dans le train. Le contrôleur siffla son départ. Et moi je restai sur le quai, attendant que tout soit fini, en proie à une grande tristesse. Le vent faisait claquer mes cheveux sur mon visage. Mais ce n’est pas grave. Comparé à ma décision, bien que le vent fût fort, ça ne me faisait pas mal.
Je pleurais intérieurement. Les portes se fermèrent en un claquement sec. Le moteur du train s’alluma. Et…il ne partit pas. Perdue, je cherchai dans ma tête une explication. Mais elle apparut devant moi quelques instants plus tard. Tobias apparût derrière moi, ayant sûrement utilisé sa montre vu la lumière qu’elle dégageait.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? commençai-je. Comment as-tu…
- J’ai utilisé la montre en allant vers le passé puis vers le futur, me coupa-t-il. C’est comme ça que tu avais fait pour échapper au JT il y a quelques jours, non ?
- Si, répondis-je, toujours confuse. Mais qu’est-ce que tu fais ici ?!
Son regard divaguait. Ses cheveux étaient à nouveau décoiffés par le vent. Mais il était toujours aussi déterminé. Il hésita longuement avant de répondre, cherchant ses mots. Enfin, il déclara :
- Parce qu’on a besoin de toi.
- Te fous pas de moi, dis-je avec colère
- Je ne me fous pas de toi. Que tu le saches ou non, on a besoin de toi. Tu es indispensable.
- Mais indispensable en quoi ?! En quoi je peux vous être utile, je ne comprends pas ! Je suis une fille ordinaire ! C’est pas parce que je t’ai aidé à te cacher dans une putain de médiathèque que j’ai quelque chose de spécial !
J’en avais presque mal à la tête. J’en voulais. À lui, de me tourmenter l’esprit dans les moments où j’étais le plus confuse. À Zack, d’avoir risqué sa vie pendant…combien d’années sans que je le sache…avec un potentiel risque de mort et de ne plus jamais le revoir, moi qui suis la seule famille qui lui reste ! À moi-même, parce qu’avec tout ce qui se passe, je n’étais même plus sûre de savoir qui je suis et ma place dans ce monde. Je souffrais intérieurement, j’étais en proie à une grande confusion interne. Moi qui attendais trop de réponses depuis longtemps, j’avais déjà mille choses en tête. Et là, on me rajoute que j’ai un rôle essentiel. Un truc que je ne connais même pas. J’avais presque envie d’en rire. Mais ma colère et ma souffrance m’en empêchait. Plus que cela encore, on me traitait comme un objet. On voulait de moi car on avait besoin de moi, mais la minute d’après, lorsque je serai inutile, on me jettera comme un vulgaire déchet. Je leur en voulais à tous. Des larmes coulèrent le long de mes yeux. Je restais sans bouger, sans même remarquer que Brenna et Zack nous avaient rejoints. Je voyais bien la lueur de pitié dans le regard de Brenna, mais l’impassibilité du regard de Zack me mit hors de moi.
- Et toi tu ne fais rien ! m’emportai-je entre la colère, le mépris et la tristesse. Ta sœur vient de se casser, mais tu ne réagis pas. Tu attends que ce soit Tobias qui fasse tout le boulot. Car tu t’en fous, en fait, de ta sœur ! (Des larmes coulèrent le long de mes joues) tu ne t’es pas privé de jouer l’agent des services secrets, sans se douter une seule seconde la morsure de tristesse que tu infligerais à ta sœur si jamais tu étais amené à disparaître ou à être effacé !
Tous tressaillirent à l’entente de ce mot. On « effaçait » quelqu’un lorsqu’il avait commis un acte contre la société (en ce cas au JT), et banni de la société par la suite, avec la mémoire effacée et une nouvelle identité. Sans la moindre trace de notre vie d’avant.
Devant ma fureur, Brenna tenta de détendre l’atmosphère.
- Helena, dit-elle d’une voix apaisante, on s’inquiétait juste pour toi. On ne s’attendait pas à ce que tu quittes le train comme ça. Et puis…on a réfléchi et il vaut mieux que se soit moi qui parte.
Pardon ? Brenna partir alors que c’est clairement à moi de le faire ? Hors de question qu’elle se sacrifie pour rien.
- Brenna ?? Mais, pourquoi ?
- Tu as très bien compris, dit Zack, visiblement irrité des parles que j’avais prononcées un peu plus tôt. Si c’est toi qui pars, tu as de grandes chances de mourir. « Dans un endroit où personne ne pourra venir l’aider ». S’il t’arrive quoi que se soit, tu es morte -sans vouloir te vexer, tu n’as reçu aucun entraînement, donc tu ne sais pas te battre-. Alors que Brenna a des années d’expériences, et elle sait très bien se servir d’un couteau en cas de besoin. Compris ?
Il parlait avec amertume envers moi. Alors que j’avais juste dit la vérité sur ce que je ressentais. Je soufflai, et après avoir enfin remarqué qu’ils avaient arrêté le temps pour leur permettre de descendre du train, me parler, (débattre avant aussi) et remonter en moins de deux minutes. Je regardai Brenna, pleine de regrets. J’étais en train de lui voler sa place. Ça me rongeait de l’intérieur. Mais elle me fit un sourire réconfortant.
Zack et Tobias montaient dans le train. Lorsque je m’avançai pour enjamber le quai, Brenna me retint par le bras.
- Tu n’as pas à t’en faire, me dit-elle, toujours réconfortante. C’est mon choix. Je voulais partir. Je dois faire quelque chose que je devais faire depuis longtemps.
J’esquissai un sourire, puis montai à mon tour dans le train. La porte se referma presque aussitôt et Brenna resta sur le quai. De retour dans le compartiment, je vis Tobias assis sur la banquette, avec un regard anxieux vers le compte à rebours qui venait de reprendre à 1 min 19, et mon frère qui me regardait toujours aussi mal.
Durant tout le trajet, je ne pensai pas à grand-chose. D’abord, j’espérais que Brenna s’en sortirait de son côté, peu importe ce qu’elle envisageait d’entreprendre. D’ailleurs, elle m’avait promis que l’on resterait en contact. Ensuite, je me demandais si « The lord of night » (désolée pour le surnom, j’avais pas d’inspi, et vu que je ne connais pas son vrai nom…) savait que l’on pouvait manipuler le temps. Ma tête tourna à plusieurs reprises, et je croisai le regard de mon frère toujours aussi réprobateur. De mon côté, ça allait mieux, mais j’attendais toujours mes réponses. Au bout du trajet, ne sachant pas trop quoi faire, je me levai, quitta le compartiment et m’adossa à la porte du train, histoire de voir un peu le paysage en France. Il n’était pas plus ensoleillé que le paysage de Londres.
J’entendis des pas derrière moi. Je me retournai et vis Zack descendre le petit escalier. Il se place à côté de moi, gardant toujours ses distances, puis dit au bout d’un moment :
- Je te signale quand même que si je n’avais pas accepté le boulot de père de Brenna et Tobias, tu serais effacée depuis longtemps.
Perplexe, je tournai ma tête vers lui. Il savait très bien ce que j’en pensais…