Silence total. La sirène vient de finir son chant d’alerte, laissant un écho lointain se propager dans la forêt. Sous cette surface de feuilles et de branches, la colonne de fumée s’est déplacée, et même rapprochée.
Deux camion apparaissent au bout de la route, l’un d’eux dégage cette épaisse brume noire. Qui sont-ils ?
Rapidement je me présente à l’entrée, où plusieurs gardes signalent aux arrivants de s’arrêter. Les moteurs maintenant muets, une personne descend du côté passager du véhicule de tête. Arborant un style vestimentaire assez peu conventionnel ici, inadapté au terrain et à la météo. Sûrement responsable de ce petit convoi.
Mes subordonnés gardent les armes levées vers l’équipe en face tandis que leur leader se rapproche. Un sourire mesquin tire son visage caché derrière de grosses lunettes noires.
« Bonjour à vous ! Je suis Æden. Pourrais-je voir votre gouverneur Jacob Waerns ?
— Il est occupé actuellement. Peut-être pouvons nous convenir d’un rendez-vous ?
— NON ! »
À ce cri, les Gacurions se tiennent sur le qui-vive. Prêts à tirer sur Æden, si la distance entre nous se réduit. Son calme vite retrouvé, sa demande peut reprendre.
« À vrai dire monsieur Sérafino Trévisani, je n’ai pas le temps d’attendre. Cette nuit j’ai reçu une alerte, quelque chose que j’ai laissée au stand de tir sous la surveillance de Pavel Hakl, a disparu. Puis en voulant en savoir plus, il était logique que nous nous y rendons. Puis ! Savez-vous ce que nous avons trouvé ? »
Direction le coffre de son fourgon, où sa main y attrape un sac. Un sac noir plutôt sphérique, que Æden fait rouler jusqu’à mes pieds.
« Ça ! »
Mes genoux fléchissent, mes phalanges tiennent l’ouverture. Au toucher je devine déjà le contenu.
Dans un silence assourdissant, le fil coulissant s’élargit, laisse apparaître une touffe de cheveux noirs. Ensuite un front, un nez. Melvin.
Il devait protéger Zééva. Et voilà que sa tête repose dans un sac de rangement. Puis je me souviens qu’il n’était pas seul. Alors que je relève ma tête vers le toit des véhicules, d’où se dégage la fumée noire, une odeur de chaire calcinée, reconnaissable et inoubliable, agresse mes narines.
« Il y avait aussi cette jeune femme qui lisait, j’ai décidé de la laisser vivre ! »
Debout. Je me relève face à ce groupe hostile. Mon bras se lève également, amorçant le signal de mise à feu de l’escouade.
« À ta place, j’éviterai Sérafino. »
Quelques secondes de réflexion. Sûrement du bluff. Le risque ne vaut clairement pas le coup de laisser ma volonté de venger Melvin surpasser les événements. Je m’en occuperai plus tard.
« Ne tirez pas ! » ordonné-je à mon équipe en reprenant ce qui reste de mon associé pour le mettre à l’écart. « Qu’est-ce que tu veux exactement Æden ?
— Mérédith. » Lâche-t-il simplement.
L’arme secrète de Jacob et de Pavel, qui se font un plaisir de marchander aux plus offrants.
« Je ne vois pas de quoi tu parle.
— Sérafino. Tu avais été condamné à vivre une durée indéterminée dans une de nos cellules, cependant tu t’es enfui. Coïncidence, quelques mois après ta fuite, un camion transportant la cellule de Mérédith manque de se faire voler. Une intervention musclée empêche les voleurs de s’enfuir avec le présent, mais ceci au prix de sacrifices innocents. Puis, cette nuit. Douze ans après. Pavel, qui avait empêché ce vol, se retrouve attaqué, et la cellule qu’il devait garder disparaît.
— Sacrée coïncidence !
— Nous avons des cellules à foison ! Depuis le commencent du retour à la normale, on a moins de criminels à enfermer…
Une griffe me saisie par la gorge, et se sert. Æden tient une sorte de pistolet plutôt long. Mon souffle se coupe alors que son sourire se fait plus brillant que jamais.
Autour, mes gars hésitent à faire feu. Mes genoux touchent le sol.
« Tu as jusqu’à demain à l’aube pour me ramener Mérédith ici. Sinon, ce collier, en plus de te tuer, va tout simplement ramener ton esprit en cellule ! Et tu recommencera à nous servir. »
Mes phalanges tentent de se glisser entre ma peau et ce truc. Impossible. Aucun son ne sort de mes poumons , et ma vision se trouble.
« Allez. Reprends ton souffle. »
L’emprise se relâche. Mon torse se soulève, gonflé d’air.
« Demain Sérafino. »
Voilà que ce petit monde repart. Me laissant seul avec une consigne. J’espère que Zééva de son côté va bien, elle savait pour cette affaire. Il faut la contacter en urgence.
Je me relève et cours en zigzag, sur plusieurs mètres, vers le poste de sécurité. Au troisième étage, Makayla m’aidera.
« Fermez la ville ! » tenté-je de crier lorsqu’elle apparaît dans mon champs de vision. « Il faut secourir Zééva !
— C’est déjà programmé. Par contre, on a un autre problème. »
Ses yeux désignent les écrans de caméras, Jacob tourne comme un lion dans une cage avec un tomahawk en main. D’une posture agressive, il n’hésite pas à fracasser tout ce qu’il peut. Pour le moment, juste des objets L’équipe en intervention nous demande la consignes à suivre.
« Ramenez-le ici ! » hurle Makayla en collant presque son visage sur la surface led. « Collez lui des tranquillisants si nécessaire !
— Vous êtes sûre ?
— Oui !
— Bien.
Le son se coupe, reste que l’image. Une fléchette s’envole vers Waerns, qui titube, avant de s’écrouler.
« Prenez son tomahawk, et gardez le enfermé dans une boîte sous verrou. » ajouté-je en poussant légèrement ma coéquipière.
Celle-ci me jette un regard noir. Je ne le vois pas directement, je le sens lourdement peser sur mon dos.
« Tu l’as utilisé. C’est ça ? »
Ma tête acquiesce doucement, mes yeux se perdent sur le sol. Que dire de plus ? Ou que faire de plus ?
Le collier m’arrachera à cette vie si difficilement acceptée. Sauf si je livre Mérédith, ce que je ne ferai pas. Donc je retournerai dans cet enfer.
« Je vais prendre un café. »
Inutile d’espérer l’enlever, les nouveaux modèles bien plus perfectionnés se déclenche en moins de temps qu’un clignement d’œil. Alors autant profiter des heures qui me reste, avant de souffrir pour l’éternité.
« Comment tu as pu louper Pavel avec ça ?! » s’exclame Makayla en me suivant jusqu’à la machine, à seulement trois mètres des écrans. « Pourquoi tu n’as pas fini le travail ?!
— Il était mort. J’ignorais que son cœur allait repartir.
— T’as merdé Sérafino ! T’as tué toute l’équipe censée protégée Zééva ! Et Melvin aussi. Je suis sûre qu’il est reparti en cellule. Je te préviens : je n’y retourne pas. »
Qui voudrait retourner là-dedans ? Perdre son corps, son identité. Cesser d’être tout ce qu’on a été, puis devenir une suite de code dans un monde entièrement artificiel. Personne ne veut de ça.
Finalement Makayla s’efface dans le couloir, sous les regards perdus des autres personnels de la salle.
Personne ne brisera ce silence.
La sonnerie de mon téléphone retentit, encore. Ça ne finira jamais.
« Sérafino. J’écoute.
— C’est Sa’d. J’ai pu avoir accès aux données de L’investigatrice de Jacob. La gamine aux cheveux bleus. Je te ramène tout ça. Elle a eu une certaine résistance.
— Très bien. Jacob aussi arrive. Il faudrait quelqu’un pour ramener Zééva.
— Je suis dessus.
En espérant évidemment qu’elle respire toujours le même air que nous. Sa complicité dans l’attaque de Pavel, et du sauvetage de Mérédith la rend clairement coupable. Cependant ses parents, restés longtemps dans une de ces prisons, devraient être fiers d’elle.
Que faire maintenant ? J’ai jusqu’à l’aube pour profiter.