Au palais de Réonde
La Princesse Epoline se présenta au Conseil sous ses voiles, comme le voulait la tradition. Elle plaça deux doigts ouverts contre son front, une salutation qu’elle qualifiait de noble et soumise, signifiant qu’aucune pensée n’était à cacher. Elle devait faire office de décoration et montrer que son père avait une héritière bien vivante et investie dans la vie de son royaume. Mais pas trop investie non plus, elle n’était que la gamine du Roi, rien de plus. Elle ne devait rester qu’une fois par année durant le Conseil d’automne, mais aujourd’hui elle pouvait se contenter des salutations. Elle était bien contente de ne subir qu’une réunion par an tant il s’y échangeait un vrai ramassis d’âneries ! Epoline l’avait compris très tôt : les Conseillers étaient tous des êtres fourbes qui ne pensaient qu’à eux. Aussi puissants soient-ils, elle avait perçu trop de leurs désirs de domination pour les estimer. Ils lui donnaient envie de vomir. Surtout Toron, cet Hypnotique avare au centre du commerce d’Indigo et de l’armée qui la regardait comme une pièce de collection. Elle savait qu’il désirait par-dessus tout savoir ce que cachait le voile de son front. Était-elle aussi puissante que son père le laissait sous-entendre ? Le Roi en parlait comme d’un objet de valeur qui lui appartenait. Toron faisait partie des Dominors, les Elfes les plus influents d’Esli, il devait donc se montrer soucieux qu’une belle pièce ne leur échappe. « Et bien non, sale dégoutant avide, je n’appartiens qu’à moi seule, qu’importe ce qu’en pense mon stupide père que vous menez par le bout du nez. Je m’appartiens à moi, peut-être à mon peuple, mais pas à vous. » Elle finit sa courbette puis se retira, sa Gardienne sur les talons.
— Veillez bien sur notre précieuse Princesse, troisième Gardienne, déclara Toron d’une voix laissant paraitre sa convoitise.
Epoline ne prit pas le temps de se retourner. Son père tolérait ce genre de comportement, preuve qu’il ne méritait pas d’être Roi. Elle marcha d’une traite jusqu’à sa chambre. Elle attendit que sa Gardienne ferme la porte pour enlever son voile et révéler une énorme masse de cheveux bleu sombre et un front entièrement bleu clair. C’était un véritable défi de cacher sa marque dans son entièreté. Elle s’affala sur le lit et étouffa un cri de rage dans ses coussins.
— Quelle bande de sales types ! Si je pouvais détruire leur mental, je m’en ferais une joie ! pesta-t-elle.
Sa Gardienne rit et s’assit à côté d’elle.
— On a beau être puissantes, je doute qu’on vienne à bout de tout le Conseil à deux. Sans compter la garde et les soldats d’Esli qui rappliqueraient dans les jours à venir.
— Je sais Nekoline, mais ça m’enrage.
Nekoline était une magnifique Sombre de trois ans son ainée. Elle était grande et gracile. En la voyant se mouvoir, Epoline l’aurait comparée à une chatte. Ses cheveux cuivrés étaient nattés en deux tresses plaquées. Les Gardiens comme elle étaient choisis pour leur potentiel de puissance parmi toute la population Sombre et étaient élevés à Esli. Leur éducation était stricte, puis on leur faisait subir une sorte de rituel dont Nekoline ne gardait aucun souvenir. Les meilleurs devenaient alors Gardiens ou Gardiennes à l’âge de dix ans, soit quand le membre de la famille royale qui serait leur protégé arrivait à ses sept ans. C’était ainsi qu’Epoline avait conclu que sa Gardienne devait avoir environ quinze ans, puisqu’elle-même en avait douze. Nekoline, comme tous les Gardiens, ignorait de nombreux éléments personnels comme son âge ou son nom. Seul un chiffre leur était donné en signe d’appellation. Epoline avait été choquée de l’apprendre et elle avait d’emblée baptisé secrètement sa Gardienne. Autour de Réonde, aucun Elfe ne s’appelait avec un prénom finissant par one ou line : cela était réservé à la famille royale. Son père, le Roi, se nommait Panamone et la défunte reine s’était rebaptisée Luline à son mariage. Epoline avait donc offert le prénom de Nekoline à sa Gardienne, la considérant comme son égale. Cette Sombre chez qui l’on avait pris soin de tuer toutes émotions fut émue et accepta ce nom qu’Epoline ne pouvait prononcer que dans l’intimité, loin des oreilles indiscrètes. Nekoline avait découvert quelques facultés sentimentales depuis, comme si le fait d’avoir une identité le lui permettait. Elle restait très froide aux yeux d’Epoline, bien qu’elle l’adorât.
— Tu comptes toujours le faire ? demanda la jeune Sombre sans préciser de quoi elle parlait.
— Et toi ? Toujours décidée à me suivre ?
— Je te suivrai partout, Princesse.
Elle l’appelait Princesse quand les choses prenaient une tournure qui lui déplaisait. Elle savait qu’Epoline détestait se faire appeler ainsi.
— Que penses-tu de ce plan, plus sérieusement ? chuchota la petite Hypnotique. Le trouves-tu sensé ?
— Je n’ai appris qu’à te protéger, rien d’autre n’a de sens. Ta sécurité est plus facile à assurer au palais, pour moi cette idée d’évasion est juste une surcharge considérable de travail, répondit la Gardienne.
Epoline savait que la surcharge de travail n’était pas le vrai nœud du problème. Nekoline tenait à sa protection comme Epoline tenait à la protection du peuple de Linone. La Princesse était prête à courir le risque de trahir la couronne en s’enfuyant du palais pour cela. La Gardienne pouvait le comprendre, mais sa priorité restait la même : défendre sa protégée coûte que coûte.
— Pourquoi ne pas me dénoncer et m’enfermer au palais dans ce cas ? s’enquit Epoline.
— Pour plusieurs raisons, réfléchit la Sombre. Tu parais certaine que le Conseil et ton père ne font rien de bon pour votre peuple. Et tu es aussi sûre que le temps presse et ne pourra pas attendre ton couronnement pour voir des changements.
— Je suis surtout sûre que ça ne changera rien, les membres pourris du Conseil ont trop de poids, interrompit-elle. Même Reine, je ne pourrais pas arrêter ce qu’ils ont mis en marche.
— Oui, c’est à peu près ce que j’avais compris. Alors même si je t’enferme, tu serais prête à tout pour t’enfuir et sans moi, cette fois-ci. Je pense que tu en serais capable, c’est donc une mauvaise idée. Je préfère encore t’accompagner dans tes bêtises.
— Je vois. J’espérais que tu étais plus motivée par mon plan.
— Je n’ai pas besoin de motivation pour avancer. Mon Énergie et ma Force suffisent.
C’étaient les paroles les plus tristes qu’Epoline ait entendues ce soir, mais elle savait que Nekoline avait vécu une enfance rude où toutes envies et émotions étaient anéanties. Elle espérait que cela pourrait changer dans un milieu plus sain que celui de la royauté et de la noblesse de Réonde.
— Très bien, dans ce cas, j’aurai besoin de ta Force pour m’accompagner et peut-être assommer quelques gardes au passage, l’encouragea Epoline. Je ferai tout pour éviter de les blesser. Comme personne ne connait l’étendue de mes pouvoirs, nous avons une chance de ne pas être remarquées. Notre dernière escapade dans les faubourgs est passée inaperçue.
Nekoline tiqua sans relever, elle n’était pas enthousiasmée par les fugues de sa protégée mais elle ne voulait pas revenir encore une fois sur le sujet.
— Pour les gardes de l’écurie, il faudra les assommer, reprit Epoline qui ne voulait pas non plus discuter de ses sorties défendues. L’absence de nos chevaux ne restera pas inaperçue. Et puis, personne ne risque de voir leurs corps allongés sur le sol.
Bien qu’Epoline ait répété ce plan un grand nombre de fois afin de se rassurer elle-même, Nekoline opina. Elles avaient déjà revu chaque étape dans leurs moindres détails, selon les rondes et les tours de garde. Elles étaient parées. Elles partiraient dans quelques jours, quand le Roi serait en route pour Esli avec son Gardien, seul Sombre que Nekoline craignait et dont le mental échappait aux dons d’Epoline.
— Vivement la liberté, soupira la petite Hypnotique.
— Vivement qu’on trouve cette Alliance et que tu retrouves la faculté de prendre des décisions sensées, répondit la jeune Sombre
La Princesse sourit dans son oreiller. Elle doutait que ce dernier point arrive un jour, mais elle ne voulait pas briser les espoirs de sa Gardienne.
*
Retour à Montet
Ahia rentra en silence dans la maison de Géolde et Déline. Elle ne tenait pas à se présenter vêtue, ou plutôt dévêtue, de la sorte à ses parents qui se poseraient trop de questions, légitimement. Elle était partie environ deux ans et peinait à croire qu’elle était de retour à Montet. Elle avait visité le Sud, de nombreux recoins de Linone, et avait même scruté la Zone. Ahia avait également retrouvé sa famille de loups. Ses petits frères et sœurs de l’époque étaient à présent des parents de meutes. Les animaux l’avaient bien accueillie, mais sa place n’était plus en leur compagnie. Elle avait été émue de retrouver ceux qui l’avaient recueillie quand elle était une petite orpheline. Cela lui avait fait chaud au cœur de les revoir. À présent, elle était de retour dans ce petit village où elle était restée une bonne partie de sa vie. Tout était calme, elle aurait pu croire que rien n’avait changé, mise à part la présence d’un ou deux auras de nouveau-nés et l’absence cruelle de celles de ses amis, Kalan et Nessan.
Elle se réjouissait de retrouver ses parents d’adoption, bien qu’elle soit revenue pour leur apporter de mauvaises nouvelles. Elle devait convaincre les Sombres de Montet d’aller s’installer plus loin dans les Cerlanfes où elle savait que des coins de natures tranquilles et inoccupés les attendaient. Des parcelles bien assez éloignées de la Zone, mais accessibles à pied en une ou deux semaines de marche. Ce serait rude pour les personnes âgées et les enfants en bas âge. Non, ce serait rude pour tout le monde, les Elfes d’ici n’étaient pas habitués à migrer. Mais c’était nécessaire, la survie de sa famille et de celle de Kalan en dépendait. Elle se sentait légèrement égoïste vis-à-vis des animaux qui vivaient paisiblement loin des Elfes et qui verraient débarquer un village entier sur leur territoire, mais elle ne laisserait pas des êtres chers se faire engloutir par la Zone. Une Zone où tout était mort. Pire encore, la Ligne s’élargissait sur la Ceinture là où la maladie avait anéanti toute trace de vie. Ahia avait pu constater de ses propres yeux la végétation flétrie et les corps en décomposition qui jonchaient les terres voisines. La seule chose qui semblait vivante était le flot d’Indigo mis à nu. Liquide bleu pétillant sur fond grisâtre de nature morte et putride. Elle frissonna à ce souvenir. Le spectacle l’avait terrifiée et la hantait encore aujourd’hui. Elle avait espionné des gardes et comprit qu’un commerce de ce produit faisait les affaires de puissants personnages de Linone. Que cela cause la mort d’êtres vivants ne semblait pas les émouvoir. Il était impératif de tirer Géolde et Déline de cet avenir. Elle enfila les habits restés dans son coffre qu’elle dut préalablement secouer tant ils étaient emplis de poussière. Elle avait abandonné ses vêtements de voyage au coin d’un arbre dès son départ. Malheureusement, elle n’avait pas de souliers de rechange et dut rester pieds nus. Ahia descendit ainsi le long de sa fenêtre, sans bruit. Là, elle tambourina à la porte d’entrée comme si elle venait d’arriver puis pénétra dans l’entrée qui servait habituellement d’épicerie :
— Je suis de retour !
Ahia entendit sa mère adoptive s’écrier, puis des pas précipités. Enfin ses deux parents déboulèrent et la serrèrent dans leurs bras.
— Tu m’as tellement manqué, s’écria Géolde. Je suis heureux de te voir. Tu as bien mangé ? Les gens ont été gentils avec toi ? Tu as passé de bonnes nuits ? Où… Où sont tes chaussures ?
Ahia rit sous les questions de son père adoptif chaleureux et protecteur avant de répondre :
— Elles se sont cassées peu avant mon arrivée à Montet. J’étais mieux pieds nus qu’avec elles, je les ai donc laissées sur le bord du chemin. Je peux m’installer plus confortablement pour la suite du récit ?
— Mais bien sûr ma chérie, assura Déline. Géolde, l’interrogatoire, ce sera après une infusion de menthe, laisse-la arriver.
Ahia ne put s’empêcher de rire en voyant la mine défaite de son père adoptif. Elle était contente de les retrouver. Attablés, elle n’eut pas le luxe d’attendre qu’une infusion de menthe puisse arriver avant que Géolde ne recommence son interrogatoire. Elle leur raconta avoir parcouru les Cerlanfes où elle n’avait rencontré aucun Elfe, mais des lieux magnifiques et emplis de richesses. Elle leur tut évidemment la majorité de son aventure, en revanche, elle leur confia, la mine assombrie :
— J’ai également fait le tour de la Zone. C’est terrible, les maladies au bord de la Ligne s’empirent dans le nord. Plus aucune de leur plantation ne pousse. Un village a vu la moitié de sa population mourir, c’était un véritable carnage. Les survivants errent à présent dans les villages voisins, ne vivant de presque rien. Je vous raconte ces terribles histoires pour une bonne raison : il est possible que cela arrive à Montet. Je ne vous demande aucune réponse, mais sachez que je vous encourage à quitter le village et à regagner les Cerlanfes, loin de la Zone.
Son père adoptif s’étouffa avec la menthe tandis que sa mère resta figée, la théière levée. Géolde et Déline la dévisagèrent avec de grands yeux. Ahia n’y était jamais allée par quatre chemins et elle craignait s’y être mal prise. Elle sentit leur incompréhension, leur peur et leur stupéfaction gagner leurs membres, s’installer dans leur ventre. Elle se dépêcha d’expliquer :
— Je suis désolée de vous effrayer avec ça. Je comprends qu’on ne quitte pas Montet du jour au lendemain. Rien ne presse d’ailleurs, vous pouvez même prendre des mois à vous décider, c’est égal. Sachez que les terres des Cerlanfes sont splendides, vous y seriez bien.
— Abandonner nos terres ? demanda Déline. Tu n’y penses pas, c’est hors de question. La maladie est en train de stagner et des Elfes envoyés par le Roi examinent nos sols pour trouver un remède.
— Cette maladie n’avance pas de manière régulière, mais je suis sûre qu’elle avance, assura Ahia. Elle pourrait très bien s’étendre d’un coup ! Il n’y a pas de solution, tout est mort et on ne ressuscite ni les victimes ni la végétation par miracle ! Le Roi se fiche de leur sort.
— Je n’en crois pas un mot, se braqua Déline.
Géolde opina.
— Géolde, toi non plus ? demanda Ahia, dépitée.
Elle avait beau sentir leur obstination et leur déni, elle espérait qu’une porte resterait ouverte.
— Je pense qu’il arrive effectivement des malheurs, mais pour le moment, tout se passe bien pour nous, assura son père adoptif. J’ai aussi eu peur, mais j’ai parlé aux gardes de Verdeau qui m’ont assuré que le Grand Roi avait mis ses meilleurs érudits sur le coup. Ça ne l’arrange pas non plus, des villages qui tombent.
— Mais les gardes auraient pu te mentir ! Peut-être que la Ceinture n’est pas assez importante pour le Roi, expliqua la jeune Sombre.
— Ça suffit, Ahia. Arrête avec ces histoires, c’est faux, je te dis, s’emporta Déline. Ne gâchons pas ces retrouvailles.
Ahia soupira. C’était un peu tard pour ne pas les gâcher, mais elle fit semblant de retrouver le sourire et de partager de bons souvenirs avec ses parents d’adoption. Dès que Géolde et Déline furent rassasiés de sa présence, elle fila. Ce qu’elle avait réalisé durant son voyage l’avait marquée de bien des façons. Un sentiment de solitude extrême, présent depuis toujours, avait fini par s’ancrer au fond de ses tripes. L’impression de porter le destin du monde lui pesait sur les épaules. Ses pensées étaient troublées par la détresse et tout son corps semblait vouloir s’isoler et fuir loin du malheur guettant la Ceinture. Pourtant, instinctivement, il ne la dirigea pas loin du village, mais devant chez Kalan. Elle réalisa que sa marche furieuse l’avait menée à cet endroit quelques pas avant de franchir leur jardin.
« N’importe quoi, il n’est pas là de toute façon », pesta-t-elle avant de faire demi-tour.
— Ahia ? C’est toi ? demanda une petite voix derrière son dos.
La jeune Elfe se retourna, malgré son désir de partir s’isoler.
— Salut Lusa ! déclara-t-elle d’un ton faussement joyeux. Tu as tellement grandi, c’est merveilleux ! Tu me dépasses largement, même si ce n’est pas compliqué. Quel âge tu as ?
— J’ai eu quatorze ans cet hiver, lui répondit Lusa. Je ne savais pas que tu étais de retour. Si tu cherches mes frères, ils ne sont encore jamais revenus de leur apprentissage. On a juste reçu des nouvelles de leur patron, il dit qu’ils vont bien.
— Oh ! Ça ne fait rien, je m’en doutais… Je suis venue un peu par réflexe, je ne voulais pas te déranger.
— Tu ne me gênes pas, assura Lusa. Tu as l’air tendue, tout va bien ?
— Je… Non, pas vraiment, admit-elle.
— Tu veux m’en parler ? Je peux jouer le rôle de Kalan si tu veux, mais sans le bouillonnement émotionnel, plaisanta-t-elle.
— Que des avantages alors ! s’exclama Ahia avec un clin d’œil. Honnêtement, c’est une dispute avec mes parents, c’est tout.
— Tu es de retour depuis quoi ? Quelques heures ? Et tu arrives déjà à te crêper le chignon avec tes parents ? Tu es encore plus forte que Kalan et ma mère, dit-elle avec un sourire hilare.
Elle tentait de dédramatiser la situation et Ahia l’en remercia intérieurement. Lusa lui fit signe de venir s’assoir sur un banc extérieur, situé entre toutes ses fabrications pour animaux sauvages. Ahia accepta l’invitation et la rejoignit.
— Pourquoi vous vous êtes disputés ? demanda la sœur de Kalan.
— Je vais être franche et comme ça tu me prendras aussi pour une folle. Durant mon voyage, j’ai vu des gens mourir à cause du mal qui ronge nos récoltes. C’était horrible. J’en ai encore des frissons et j’en fais des cauchemars. Et je suis sûre et certaine que la Zone y est déjà passée. C’est pour ça que ça ne touche que les villages proches de la Ligne. Vu où est Montet, mes parents m’en ont voulu pour cette mauvaise nouvelle. Je les ai implorés d’envisager de quitter Montet pour les terres inhabitées des Cerlanfes. Ce serait un trajet rude et relativement long pour éviter la Zone avec certitude. Mais c’est ce qui me semble le plus sûr. Voilà, mes parents m’ont dit que je racontais n’importe quoi et qu’il fallait que je me taise. Je suis un peu bouleversée, j’ai peur pour eux, pour vous et je ne sais pas comment faire.
Un silence pesant suivit ses mots. Ahia sentit que Lusa était abasourdie, mais ne réagissait pas comme ses parents. Elle craignait tout de même sa réponse. La jeune Sombre finit par retrouver l’usage de la parole après quelques instants.
— Ah… C’est en effet effrayant, je comprends que tes parents aient dit de te taire.
— Tu vois, je ne sais vraiment pas m’y prendre.
— En même temps, c’est une sale nouvelle. Je ne sais pas si tu pouvais bien t’y prendre. J’ai de la peine à y croire.
— Pourtant je t’assure que le risque est grand ! Et c’est la mort qui nous attend si on ne le prend pas en considération.
— Il faut peser le pour et le contre, réfléchit Lusa en fronçant les sourcils et en posant son menton sur son poing. Prendre le risque de partir ou prendre le risque de rester. Si cette sale maladie s’empire, on devrait partir avant qu’il ne soit trop tard. Mais si elle ne nous bouge pas, on aurait dû rester. C’est difficile de choisir.
— C’est merveilleux, je ne pensais pas que tu savais réfléchir si posément face à un aussi gros dilemme, s’étonna Ahia, ce qui fit rire Lusa.
— Je ne réalise pas encore ce que tu viens de dire, peut-être que ce soir je hurlerai dans mon lit, qui sait ?
— Oh, Lusa, je suis si contente que tu m’écoutes ! Ne hurle pas dans ton lit, on trouvera une solution, lui sourit Ahia, dont le cœur venait de gonfler à l’idée d’avoir une alliée. Même si tu ne réalises pas l’ampleur de ce que je dis ou que tu décides de ne pas y croire, tu m’offres un espoir. C’est déjà un premier pas. Et puis le temps ne presse pas, on pourra à nouveau en…
Ahia s’interrompit net. Une douleur immense lui enserra la poitrine. Le souffle coupé, elle s’affala au sol. Elle entendit vaguement Lusa se jeter à ses côtés et crier son nom. Un sifflement strident chassa toutes les pensées de son esprit. Douleur. Solitude. Désespoir. Doute. Folie. Puis plus rien. Ahia aspira de l’air comme si elle tentait de l’avaler. Lusa l’aida à redresser la tête et tenta de la rassurer, bien qu’elle paniquât autant qu’Ahia. Cette dernière reprit peu à peu ses esprits.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ? s’inquiéta Lusa.
Ahia prit un moment pour répondre, clignant frénétiquement des paupières et cherchant à accepter ce qu’elle venait de ressentir.
— Non, ça ne va pas, souffla-t-elle.
Elle se tint face à Lusa et lui agrippa un bras, la regardant d’un air suppliant.
— Mais ce n’est pas moi qui souffre, poursuivit-elle. Finalement, je n’aurai pas le temps de te convaincre. Je n’aurai pas le temps de convaincre mes parents. Je dois vous faire confiance. Vous devez fuir. Parles-en à ta grand-mère, elle a les capacités de comprendre ce qui se passe et sait de quoi je suis capable. Dis-lui qu’il faut fuir, absolument. Je t’en supplie, fais-en sorte que Géolde et Déline te suivent.
Ahia se leva, sans laisser le temps à Lusa de répondre. Des larmes perlèrent à ses yeux. Elle était à peine revenue qu’elle devait repartir. Ses parents d’adoption seraient surement dévastés. Ahia aurait voulu tout leur expliquer et les prendre une dernière fois dans ses bras, mais elle n’en avait pas le temps. Pauvre Géolde qui lui avait offert tant d’amour dès leur première rencontre, l’avait mise en sécurité malgré sa différence. Et Déline qui l’avait choyée… C’était injuste de leur faire ça, mais elle n’avait pas le choix.
— Mais où tu vas, Ahia ? s’inquiéta Lusa en la voyant partir dans cet état.
— Prends soin de notre village et excuse-moi auprès de mes parents, je n’ai pas le temps de leur faire mes au revoir. Rappelle-leur que je les aime. Moi, je vais prendre soin de tes frères.
— Comment ça ? demanda la jeune Sombre bouche bée.
Ahia ne lui répondit pas et se mit à courir.
— Raconte tout à ta grand-mère, elle t’aidera ! lui cria-t-elle.
Elle fila chez elle et dénicha quelques pièces gardées en économie dans une armoire. Elle en remplit un tout petit sac qu’elle noua à son cou. Puis elle ouvrit grand la fenêtre et s’en alla à tire d’ailes. Tant pis pour le destin du monde et son sentiment d’impuissance, le temps était compté. Cette souffrance n’était pas la sienne, mais son cœur en saignait. Ahia devait absolument lui venir en aide. Son âme sœur était en train de sombrer.
Trop bien de revoir Ahia et Lusa. On a quelques révélations intéressantes aussi. Ce serait donc l'exploitation de l'Indigo qui entraînerait toute cette destruction....
J'ai pas trop de remarque sur ce chapitre, tout était fluide et prenant.
Ah si un truc qui m'a questionné : Lusa parle beaucoup de Kalan mais pas de Nessan, à voir si ce petit déséquilibre est volontaire.
A très vite !
Oui c’est un petit aperçu de la complexité des intrigues inconnues aux yeux des jumeaux (pour donner envie de lire le tome 2 comme on approche la fin du 1 hehe j’espère que ça fonctionne)
Lusa parlait plus de Kalan car il était plus proche d’Ahia, un peu des inséparables, mais je regarderai si ça fait trop bizarre comme équilibre, surtout si on a pas vécu toute leur enfance en imaginaire comme moi xD
Merci encore et à bientôt! :D