13. Marasme

Le printemps était bien installé quand l’envoyé de Turg refit son apparition. Il traversait les rues en fin de journée, l’air de rien, et envoya à Kalan et Nessan un regard appuyé. Les jumeaux opinèrent légèrement de la tête. Ils devraient le retrouver à leur rendez-vous habituel. En attendant, ils regagnèrent leur logement. Loudina et Mampo étaient déjà présents, affalés sur les deux seuls fauteuils de fortune de la pièce, dans un coin de la petite cuisine.

— J’peux plus, soupira Loudina. Qui fait la mangeaille c’soir ?

— C’est les garçons, j’ai fait hier, répondit Mampo, soulagé.

Il les regarda rentrer avant de continuer.

— Ça va aller ? Z’avez pas bonne mine, les garçons.

Bien que Kalan et Nessan aient perdu toutes rondeurs de l’enfance et que leur physique se soit asséché en travaillant près de deux ans chez Armekin, Mampo continuait de les appeler les garçons. Kalan, d’habitude revêche quand on le rajeunissait, avait pris gout à cette marque d’affection qui lui faisait miroiter la possibilité d’un meilleur avenir d’adulte.

— Tout va bien, Mampo, assura Nessan. On a la tête prise par nos soucis personnels, mais on va cuisiner.

Afin de s’économiser, les quatre Sombres avaient instauré un système de rotation pour préparer les repas. Nessan et Kalan tenaient à faire cette corvée tous les deux et la faisaient donc plus souvent. Une corvée. Kalan sourit amèrement en pensant que la préparation du repas était devenue pour lui une corvée. C’était ce qu’il disait petit quand il devait ratisser les feuilles devant leur entrée, car il trouvait cela inutile. Préparer de la nourriture, en revanche, lui avait toujours semblé une tâche logique dont il fallait s’acquitter pour se nourrir, rien de plus, rien de moins. Chez Armekin, c’était du temps pour se reposer à investir dans une tâche. Il le faisait toujours avec Nessan, ainsi ils pouvaient bavarder. Ils ne cuisinaient jamais de viande, denrée qui se trouvait rarement dans leur réserve et que ni Kalan ni Nessan ne savaient préparer. Les rares fois où Mampo en ramenait, il s’en occupait lui-même. Les jumeaux en mangeaient également moins volontiers ici qu’à Montet. Dans leur Ceinture, les animaux mangés avaient vécu librement et les plus faibles s’étaient fait avoir par un chasseur peu talentueux qui avait sauté sur la cible de ses chiens. Quand des Sombres parvenaient à tuer la bête, on faisait sécher la viande pour l’hiver. C’était toujours en automne que la chasse avait lieu. Près de Réonde, les animaux avaient une vie encore plus misérable que la leur et étaient tués très jeunes, sans distinction. Manger la chair d’un animal dans la fleur de l’âge, ayant vécu abjectement, en plein été, n’entrait pas dans les habitudes des deux frères. Ce soir-là, ils cuisinèrent des lentilles, pommes de terre et légumes. Un plat avec assez d’aliments à préparer pour que Kalan et Nessan pensent à autre chose qu’à leur rendez-vous nocturne. Quand tout fût prêt, Loudina siffla de surprise.

— Z’êtes donnés d’la peine ! On a l’habitude du bout d’pain et d’la soupe ici, ironisa-t-elle.

— On avait envie de se dépasser un peu cette fois-ci, même si le plat n’a rien de compliqué, sourit Nessan en retour.

— Merchi, bon app’, articula Mampo, la bouche déjà pleine.

Kalan lui sourit. Ils avaient au moins la chance de vivre avec deux Sombres d’une grande gentillesse qui ne semblaient pas autant souffrir qu’eux de la situation. Probablement habitués à cette condition, Loudina et Mampo ne pensaient pas qu’une autre vie soit possible. Kalan était d’autant plus en colère contre Réonde qui parvenait à faire croire à ses congénères que la vie dans les faubourgs était normale. Les parents de Loudina travaillaient déjà pour Armekin, avant leur décès trois ans auparavant. C’était une des raisons pour lesquelles le propriétaire, qui ne connaissait pratiquement aucun de ses subalternes, l’appelait par son nom. Les parents de Mampo, eux, avaient trimé toute leur vie dans la construction, dans un faubourg plus à l’ouest de Réonde. Il s’était retrouvé ici, mais espérait trouver une meilleure place. Tous deux aspiraient à changer un jour de faubourg. Kalan le leur souhaita, en dehors de leur qualité d’Elfe, leurs capacités à travailler aurait pu être récompensées. Loudina était très forte, elle débarrassait les champs des pierres avec une efficacité hors du commun, et Mampo était rapide. Secrètement, Kalan espérait les voir un jour quitter Réonde et s’installer dans la ferme de leur rêve. Loudina et Mampo en parlaient souvent, pour égayer leur imaginaire plutôt que par réelle conviction. Les deux Sombres étaient persuadés de finir leur vie chez un grand propriétaire. Le plus dur pour ces deux-là était d’aller à la capitale. Depuis leur faubourg, on n’apercevait rien du centre de Réonde et l’écart entre les deux modes de vie pouvait se faire oublier. Mais quand Loudina et Mampo s’y rendaient pour le compte d’Armekin, leurs vies leur apparaissaient tout à coup misérables et leur colère éclatait. Là, le calme de Nessan leur était grandement utile. Kalan, lui, approuvait leur sentiment d’injustice. Son frère était plus habile pour les apaiser et lui avait expliqué un jour avoir longuement discuté avec Loudina et Mampo et que ni l’un ni l’autre n’avait envie de changer leurs habitudes ou l’ordre établi. Il lui paraissait donc préférable de les calmer et de leur offrir au moins une sensation d’harmonie, bien qu’il trouve cela factice. Kalan était frustré, mais il devait bien admettre que ses deux camarades n’étaient pas prêts à mobiliser tout le faubourg pour réclamer plus de droits et méritaient au moins la paix de l’âme.

Finissant son assiette, Kalan rejoignit Nessan déjà affairé à la vaisselle. Dès qu’ils eurent terminé, son frère déclara :

— Bien, on va faire un tour avec Kalan. À tout à l’heure.

Et ils sortirent sans attendre de réponse. Ils retrouvèrent rapidement l’envoyé de Turg derrière la boucherie.

— Tu reviens plus vite que prévu, remarqua Kalan en l’approchant. On n’a pas pu économiser de fioles depuis ton dernier voyage.

— Et c’est bien dommage, répondit l’envoyé. Le commerce de Turg va capoter avec vous. Il vous fait une dernière proposition : rentrez payer votre dette ou trouvez six fioles d’Indigo. Vous avez jusqu’à demain.

— Six fioles ? s’exclama Kalan. Mais c’est impossible ! Turg ne devrait pas faire de promesses intenables aux personnes qui lui les achètent.

— Si c’est impossible, alors vous rentrerez avec moi, répondit leur interlocuteur en haussant les épaules.

Kalan s’apprêtait à répliquer quand Nessan le fit taire.

— On t’apportera six fioles ou on rentrera avec toi. On te retrouve à l’aube ici-même.

L’envoyé grogna.

— J’aime mieux ça. Bon, je ne vais pas vous attendre dans ce trou. Rendez-vous demain sans faute. 

Puis il disparut dans la nuit. Quand il fut suffisamment loin, Kalan murmura d’un ton plaintif à son frère :

— Comment on va faire, Ness ? C’est impossible. Après tout, on ne serait peut-être pas plus mal en rentrant chez nous.

— Tu oublies les étranges maladies au bord de… tu sais.

Kalan opina, les deux frères évitaient de prononcer des mots aussi sensibles que la Ligne, la Zone ou la Ceinture sur la place publique. Ils évitaient même d’en parler le plus possible, la crainte d’être surpris comme Ceinturiote leur pesant sur les épaules.

— Je ne peux pas garantir qu’en deux ans, ces malédictions n’aient pas touché durement notre village, poursuivit son frère. On en a déjà parlé, je refuse d’abandonner une situation désespérée pour une pire encore.

— La Terre-Mère nous en préserve, supplia Kalan en pensant à Montet. Mais je ne vois pas quoi faire.

— On va commencer par envoyer une lettre à Jamila. Si on échoue, un Hypnotique pourrait lire nos pensées. On a les défenses de Wakami concernant nos familles, mais l’aubergiste n’est pas protégée. Je ne pense pas qu’on remonte jusque-là dans nos souvenirs, mais j’aime mieux être prudent. Ensuite, on ira se servir de fioles.

— Se servir ?

— Oui, dans la réserve d’Armekin.

— Tu veux dire, dans l’entrepôt surveillé ? s’étonna Kalan.

— Tous les Sombres du faubourg ont déjà dû consommer leurs propres fioles, il n’y a donc plus qu’à l’entrepôt qu’on trouvera de l’Indigo. Il n’est pas si bien surveillé au milieu de la nuit… Tu as une meilleure idée ?

— Non. Je n’aime pas quand les projets risqués viennent de toi.

— Ça nous change un peu. Bon, allons-y, la nuit ne va pas s’éterniser. On rentre écrire notre lettre et on la dépose avant d’aller à l’entrepôt.

— Tu proposes un plan en ayant déjà prévu son échec, remarqua Kalan effaré. Qu’est-ce qui te prend ?

— Il me prend que je n’ai rien de mieux à proposer ! On n’a que des options risquées qui mènent droit à l’impasse, la prison ou la mort, se fâcha Nessan. Si tu as une idée, je suis preneur. Ça fait un moment que j’ai la frousse que ce moment arrive, j’en fais des cauchemars. C’est la meilleure idée qui me soit venue à l’esprit.

À la pâle lueur des lanternes de la boucherie derrière laquelle ils étaient cachés, Kalan planta son regard dans celui de son frère. L’angoisse s’y lisait, ainsi qu’une volonté de se battre jusqu’au bout. Ils ne pouvaient pas abandonner maintenant et Nessan ne lâcherait pas l’affaire.

— Je vais me charger de la lettre pendant que tu iras déjà observer l’entrepôt et réfléchiras à un plan, lui répondit Kalan.

— Bien, chuchota Nessan, relâchant légèrement la pression dans sa mâchoire crispée. Essaie d’écrire une lettre cryptée.

— Ouais, enfin je ne vais pas y passer des heures non plus, grogna Kalan.

Il fila à leur logement où il trouva une vieille feuille et demanda à Mampo s’il pouvait récupérer une des enveloppes qu’il avait reçues. Ce dernier parut surpris.

— On vient d’apprendre qu’il y a eu une maladie dans notre village d’origine, expliqua Kalan, toujours aussi doué pour inventer des balivernes. Peut-être des histoires, mais on aimerait quand même écrire à notre famille.

— Oh, j’vois. C’est rare qu’vous leur écriviez, c’est bien, encouragea Mampo en lui tendant ce qu’il avait demandé. J’t’offre aussi l’timbre, j’vous dois bien ça !

Kalan hocha la tête tout en lui prenant l’enveloppe. Mampo recevait régulièrement du courrier d’une cousine éloignée, bien qu’il ne sache pas lire. Avant la venue des jumeaux, il devait payer un scribe qui lui faisait la lecture et écrivait pour lui ses réponses. Il avait pu économiser ses sous grâce à Kalan et Nessan qui avaient dû faire appel à leurs connaissances enfouies en lecture et en écriture. Depuis, Kalan s’était amélioré dans le domaine et ses lettres étaient de plus en plus soignées. Il prit une des enveloppes de Mampo dédiées aux vols de pigeon. C’était le moyen le plus rapide pour transmettre un message à un proche. Kalan le remercia vivement et fila dans sa chambre écrire un mot.

« Notre ami et votre égal veut faire chanter nos aventures par un barde. Dans tout le royaume, on nous connaitra ! Peut-être ferez-vous partie de son chant ? Affectueusement, K. et N. »

C’était bref, peu inspiré, mais compréhensible. Il se dépêcha de recoller l’enveloppe, d’y mettre un timbre d’un côté et d’y inscrire la destinataire de l’autre. Puis il fila jusqu’au pied de la muraille où Armekin et, plus rarement, ses travailleurs pouvaient déposer leurs lettres. Elles étaient ensuite acheminées par des Elfes ou des pigeons. Kalan n’avait jamais été à l’aise avec ce transport par voie des airs et il espéra que son mot arriverait à bon port. Il déposa la petite lettre et se dépêcha de retrouver Nessan.

Kalan marcha discrètement autour de l’entrepôt et mit un moment pour retrouver son frère, perché sur le toit d’une bâtisse voisine. Kalan escalada la façade jusqu’à le retrouver.

— Tu as trouvé comment passer outre les gardes ? demanda-t-il tout bas.

Son frère lui glissa un regard en coin et pointa l’entrepôt. Kalan y prêta plus attention avant de s’exclamer tout bas :

— C’est une blague ?!

Il n’y avait plus qu’un Sombre devant la porte, seul garde en dehors des deux chiens.

— Les gardes sont épuisés et profitent de dormir en même temps qu’Armekin, quand il ne peut pas surveiller leurs esprits.

— Comment tu sais ça ?

— Quand je suis seul, j’en profite pour être assez discret et laisser trainer mes oreilles partout.

Nessan était définitivement bien plus alerte et utile que lui, Kalan se sentit un peu dépassé.

— Je pense que notre meilleure chance est de sauter sur le toit depuis ici, reprit Nessan. Ensuite, on tombe sur le vieux chien pour l’assommer. Je doute que le chiot s’en prenne à nous, mais il ne doit pas faire de bruit. On doit tirer les clés du garde et on va se servir.

— Tu réalises qu’on a aucune chance ? demanda Kalan encore une fois.

— Mais c’est la seule option qu’on a. Je refuse de renoncer, tout ce qu’on a fait ici ne servirait à rien. On en a beaucoup trop bavé, c’est injuste !

— Bon… Si tu le dis… 

Nessan semblait épuisé et désespéré à l’idée de devoir tout abandonner. À l’idée d’avoir sué sang et eau pour rien. À l’idée de s’être malmené sans que cela soit rendu. À l’idée que leur petite sœur puisse mourir du mal qui se répandait autour de la Ligne. Kalan ne savait que faire, cette opération allait forcément mal finir, mais Turg n’allait pas leur laisser l’occasion de fuir. Pire encore, il dénoncerait leur famille. Tous leurs efforts étant voués à l’échec, autant tenter l’idée du vol.

Nessan sauta sur ses pieds et incita Kalan à faire de même. Il le suivit jusqu’au rebord du toit sur lequel ils étaient perchés. Avec ses doigts, Nessan fit le décompte : 3… 2… 1 ! Ils s’élancèrent de l’autre côté, sur l’entrepôt. Ce n’était pas un exploit pour un Sombre, en revanche le peu de bruit qu’ils firent en atterrissant était un miracle dû en partie à leur petite taille. Ils regardèrent avec prudence en dessous d’eux, appuyés contre le bord du toit. Le garde dormait toujours.

— Bien, assommer le chien, rentrer dans l’entrepôt, voler de l’Indigo… On y va ? demanda Kalan.

— Allons-y ! 

Et Kalan tomba sur le chien qu’il mit hors d’état de nuire, en priant pour ne pas avoir tué la pauvre bête. Nessan atterrit à côté du chiot et lui maintint la gueule fermée, lui bouchant la truffe pour éviter que ses gémissements soient entendus. Malheureusement, le bruit de l’action avait cette fois-ci réveiller le garde Sombre. Il ouvrit de grands yeux étonnés, mais avant qu’il n’ait pu réagir, Kalan lui sauta dans le dos. Il plaqua une main contre sa bouche et serra son cou dans le creux de son coude. Le grand Sombre, étouffé, ruait et se démenait. Kalan serra ses bras et ses jambes de toutes ses forces, désespéré. Nessan lâcha le chiot pour venir en aide à son frère.

— Prends la clé et va chercher ces fichues fioles ! siffla Kalan.

Nessan bondit contre la ceinture du garde et y décrocha le trousseau. Il se débattait avec les nombreuses clés et serrures de l’entrepôt quand le garde, à court d’air, s’affala au sol. Kalan reprit son souffle avec difficulté, peinant à croire qu’il était venu à bout de son adversaire. L’avait-il tué ? Pourvu que non ! L’idée le révulsa et il plaqua ses mains contre le Sombre. Son cœur battait. Il fit la même constatation chez le vieux chien. Quel soulagement ! Déboussolé d’avoir malmené deux êtres vivants en une soirée, Kalan sentit la bile lui monter aux lèvres. Il devait se ressaisir, il ignorait si Armekin avait été alerté par le lien mental qu’il imposait à ses gardes. Il rejoignit Nessan qui venait d’entrer dans l’entrepôt.

— La Terre-Mère, on a de quoi prendre six fioles, commenta Kalan face à l’abondance d’Indigo.

En tournant la tête, il s’aperçut que le chiot s’était réfugié à l’intérieur, tout tremblant. Il s’approcha de la pauvre petite bête et détacha la chaine qui le retenait prisonnier.

— C’est bon, j’ai tout, affirma Nessan. Qu’est-ce que tu fiches ?

— Je libère Popi tant qu’il en est encore temps.

— Popi ? Ne joue pas aux imbéciles, on file !

Il fit un pas vers la sortir mais une voix tonitruante le contredit :

— Je ne crois pas, non. Vous nous preniez pour des débutants ?

Un des gardes leur barrait le passage, son acolyte juste derrière.

— N’approchez pas ou je fais tomber toutes les réserves d’Armekin, menaça Nessan.

— Et après ? On n’a plus qu’à te cueillir.

Kalan relâcha Popi qui partit en gémissant. Les gardes ne lui prêtèrent aucune attention. Il vit le petit chiot filer entre leurs jambes et s’en aller le plus loin possible. Au moins n’avaient-ils pas tout raté, un être de ce foutu faubourg pourrait aspirer à une vie meilleure. Le garde leur sauta dessus. Les deux frères parvinrent à l’esquiver et une rangée de fioles se fracassa alors que leur assaillant se cognait à l’étagère du fond. Le Sombre n’avait visiblement pas l’habitude de s’attaquer à de si petits adversaires. Ils filèrent à l’extérieur, mais furent arrêtés par le deuxième garde qui les mit à terre d’un coup de lance latéral dans l’estomac. Les jumeaux ne furent pas blessés, mais cela leur coupa le souffle.

— Je ne suis pas un amateur, moi, leur cracha-t-il en les maintenant au sol avec sa lance.

Les deux frères se débattaient, mais rien n’y fit, le garde était trop lourd.

— On a un contact direct avec Armekin. Il va venir en compagnie des gardes du Grand Roi, le vol est un crime que Réonde veille à faire payer, les nargua-t-il.

Kalan cessa de se débattre. Il voulut parler, mais le poids du garde l’empêchait déjà de respirer convenablement. Une éternité plus tard ou peut-être une fraction de seconde, Armekin apparut dans leur champ de vision. Il était accompagné de six gardes dont un Hypnotique et d’une prison portative.

— Les jumeaux ! s’exclama le propriétaire. Je ne vous aurais pas pensé si vils. J’ai tout de suite appelé mon ami chargé de la garde de la prison. Il va vous escorter jusqu’à vos nouveaux quartiers. Mais d’abord, il va sonder rapidement vos esprits.

Le cœur de Kalan manqua un battement. « Oh, non pas ça, je vous en prie », supplia-t-il muettement. L’expérience avec Wakami n’avait pas été agréable. Il doutait que le gardien prenne des pincettes avec des voleurs. L’Hypnotique en question s’approcha tandis qu’un des gardes d’Armekin fouillait leurs poches. Il rendit à son chef les huit fioles trouvées dans celles de Nessan. Kalan ne vit pas l’expression d’Armekin, il ne vit que la main de l’Hypnotique s’approcher, obscurcir son champ de vision puis s’appuyer sur toute sa tête. Là, il sentit comme une lame lui percer le front. L’Hypnotique parcourut en vitesse sa dernière année. Il s’arrêta, curieux, sur le troc engagé avec l’agent de Turg. Kalan comprit qu’il était bien moins doué que Wakami. Il ne parvenait pas à entrer totalement dans ses souvenirs, il n’en avait que des images floues et de brèves paroles. L’Hypnotique se retira, laissant un mal de crâne et un gout amer dans la bouche du jeune Sombre. Il passa ensuite à Nessan qui grogna sous son emprise. Après quelques instants, un sourire perfide fendit le visage de l’Hypnotique. Il le pointa du doigt et déclara :

— Le doré a eu des pensées complaisantes au sujet de l’Alliance ! C’est un traitre potentiel ! Ils ont l’air d’être dans des magouilles en tout cas. Je ne suis pas assez puissant, je vais faire venir un Hypnotique d’Esli pour fouiller leur mémoire. Il devra commencer par le doré, il n’y a rien eu de si suspect chez l’argenté.

« Ce n’est pas vrai, Nessan est dans un sacré bourbier ! Pourquoi a-t-il fallu que cette Alliance vienne lui mettre des idées en tête ?! » pesta Kalan dans son for intérieur.

— Je vais de ce pas prendre contact avec Esli, poursuivit joyeusement l’Hypnotique. Dans quelques jours, un confrère devrait se présenter. Emmenez-les.

Les gardes tirèrent Nessan et Kalan pour les enfermer dans la prison portative. Quatre gardes les soulevèrent et se dirigèrent en direction de la prison. Le trajet serait court, le faubourg d’Armekin était le plus proche des geôles. Les deux frères échangèrent un regard meurtri et empli d’angoisse. Le mal de crâne de Kalan pulsait dans ses tempes et il devait en être de même pour Nessan. Ils oscillaient entre le conscient et l’inconscient. Kalan sentit quand ils furent posés à terre puis leur cage s’ouvrit et ils furent trainés à l’extérieur. Deux gardes s’attelèrent à les porter. Totalement impuissant, Kalan se fit transporter jusqu’aux geôles. Il vit vaguement qu’il approchait d’une énorme bâtisse aux murs gris et épais. Il n’y avait que de petites fenêtres striées de barreaux sur le long des façades. Les gardes le montèrent de quelques étages et le jetèrent dans une cellule avant de refermer la porte. Il entendit que le même sort était appliqué à Nessan dans la cellule voisine. Puis tout devint noir et Kalan plongea dans le sommeil… ou l’inconscience.

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