13. Vérité

Par Aylyn

                La salle dans laquelle m’amena Doc me surprit par sa luminosité. Malgré sa situation en sous-sol, de longues ouvertures vitrées sous le plafond amenaient la lumière naturelle dans la pièce. Sur l’un des pans de murs, un tableau vierge. Une large table entourée de chaises confortables composait le mobilier. J’eus un mouvement de recul instinctif en avisant les nombreux visages tournés vers moi. La main de Doc posée dans mon dos interrompit mon geste tout en m’apportant le courage nécessaire pour entrer. Après avoir balbutié un bonjour quasi inaudible, j’entrai la tête baissée, m’affaissant sur la première chaise libre.

Je n’avais plus aucun repère auquel me raccrocher. Rien, le néant. J’avais l’impression de nager à contrecourant, de dériver. Un raclement de chaise me fit sursauter. Encore une fois mon esprit avait lâché prise, me déconnectant de la réalité. Ils allaient me prendre pour une folle et regretter de m’avoir récupéré.

Un déplacement d’air sur ma droite. Nouveau raclement de chaise. Arenht. Il venait de changer de place. Avait-il perçu ma détresse ? Certainement, car sa main vint se poser sur la mienne. Des frissons coururent sur ma peau, suivis d’une douce chaleur. Les battements désordonnés de mon cœur se calmèrent. Je priai pour ne pas avoir viré au rouge écarlate.

 

Declan ne tarda pas à apparaître. Son regard sombre s’adoucit l’espace d’un instant en m’avisant. Je cessai de triturer les bords de mes manches.

— Aujourd’hui n’est pas une réunion ordinaire, commença-t-il. La mission d’hier a été un succès comme vous pouvez le constater.

— Content d’être de retour les gars, s’exclama Sheren en agitant le bras joyeusement. Je vous ai manqué pas vrai ?

Des éclats de rire fusèrent, suivis d’accolades et d’exclamations enjouées.

— Nous avons sauvé une autre personne, reprit le chef. Je vous présente Aylyn.

Je me tassai sous le poids de tous ces regards braqués sur moi, tout en essayant de leur sourire.

— Même qu’elle a pris une balle pour nous, clama Sheren.

À l’entendre, c’était un exploit digne d’être célébré. J’avais agi sous le coup de l’impulsivité, à peine consciente de mon geste, prise dans le feu de l’action. Sans Arenht à mes côtés, je crois que je me serais littéralement liquéfiée sur place. Sa main reposait toujours sur la mienne, point d’ancrage m’empêchant de sombrer. Ne surtout pas laisser la panique m’envahir. Ils m’avaient sauvé, voilà sur quoi je devais me concentrer. Je risquais un coup d’œil vers mon voisin. Son visage gardait un air tourmenté que je ne lui avais jamais vu.

— Tout d’abord, laisse-moi te présenter notre… groupe.

Une infime hésitation renforçant l’atmosphère mystérieuse entourant ce lieu. Peut-être aurais-je des réponses après. J’essayai de retenir les noms qu’il énonçait en y associant le visage. Trenan, un visage aux traits fins, les cheveux noués à l’arrière de sa tête, Antonh, grand brun aux yeux bleus. Yorsha, aux cheveux teints d’un gris bleuté et dont le regard se dissimulait derrière des verres opaques. Peut-être était-il aveugle ? Puis Doc, Sheren, sans oublier Arenht.

— Pour répondre aux questions que vous vous posez sûrement, continua Declan, ils l’ont enlevé, car elle est une des nôtres.

Je le fixai, interloquée. Une des leurs ? J’allais ouvrir la bouche quand il me retourna mon regard.

— Sauf qu’elle l’ignore, termina-t-il sans me lâcher des yeux.

Je secouai la tête, dans l’incompréhension la plus totale.

— Elle ne sait pas qu’elle en est une ? s’exclama Trenan. Mais comment…

— Je peux me transformer devant elle, rien de tel pour comprendre, proposa Sheren.

Je les regardai sans comprendre – ou plutôt sans oser comprendre. Où étais-je tombée ? Peut-être avais-je des séquelles ? Ma tête avait dû heurter le sol. J’hésitai à le faire répéter, oscillant entre la peur de paraître ridicule et celle d’avoir parfaitement entendu. Je ne savais pas lequel des deux était le pire.

Je me recroquevillai sur ma chaise, totalement abasourdie par le déferlement d’informations qui me tombait dessus. J’allais me réveiller, dans ma chambre d’étudiante et me rendre compte que j’avais tout imaginé. Peut-être un délire psychotique ? Je n’étais pas à l’abri de tomber dans la paranoïa, alors ne plus savoir dissocier le rêve du réel, rien d’extraordinaire. Je me pinçai machinalement le bras et grimaçai aussitôt de douleur. Si j’en croyais ce test imparable, j’étais tout ce qu’il y avait de plus réveillée. Je m’abîmai dans la contemplation de la surface de la table pour ne pas céder à la panique. Une inspiration ample puis une expiration lente, contrôlée. La pièce semblait tourner autour de moi. Ma main libre s’accrocha au rebord de la table, tandis que celle reposant sous la main de mon voisin se recroquevillait sur elle-même.

— Vous l’effrayez plus qu’autre chose là.

La voix d’Arenht me sortit de mon malaise, stoppant le vertige dans lequel je me débattais. Je clignai rapidement des yeux. Un air désolé s’afficha sur le visage de Declan.

— Je suis désolé Aylyn. C’est une première pour moi d’annoncer ce genre de choses. Loin de moi l’idée de te choquer. Autant te dire la vérité tout simplement, sans détour.

Il prit une brève inspiration avant de poursuivre. Je frémis en attendant la révélation.

— Nous sommes des loups-garous.

Des loups-garous. Mais bien sûr, rien de plus normal. Je réprimai un fou rire nerveux. Et pourquoi pas des vampires ? Habituellement c’était plus vendeur. Croisant le regard d’Arenht je m’abstins d’exprimer ce commentaire à voix haute. Seul Sheren affichait un air enjoué en totale opposition avec le sérieux de la discussion. Il semblait se douter du chemin que prenaient mes pensées.

— T’aurais préféré les suceurs de sang ? lança-t-il.

Je faillis m’étrangler en avalant ma salive. Peut-être pouvait-il vraiment lire dans mes pensées !

— Sheren ! le rappela à l’ordre Declan.

— Ben quoi, rien qu’à regarder sa tête on devine qu’elle ne gobe pas un mot. Tu sais bien qu’on n’est rien d’autre qu’un mythe pour le commun des mortels. Dans le même panier que les vampires.

— Sauf qu’eux sont vraiment un mythe, souligna Doc en me faisant un clin d’œil.

Parce que les loups-garous c’était plus crédible ?

Declan se passa une main sur le visage. Apparemment ce n’était pas dans ses habitudes de devoir expliquer ce genre de choses à une inconnue.

— Regarde ta blessure, m’enjoignit Doc. L’une des particularités de notre espèce est une régénération des cellules très rapide. Sans parler de guérison instantanée, on gagne pas mal de temps pour récupérer. Je paris que tu n’as pratiquement plus aucune trace de cette balle.

Mes doigts vinrent machinalement se poser sur le pansement sous mon pull. Je me mordillai les lèvres, indécise. Arenht me caressa doucement la main de ses longs doigts. Par ce geste, il me rassurait, me demandait de lui faire confiance, de leur faire confiance. Alors que je savourais ce contact malgré toute cette situation, mes doigts vinrent soulever le tissu puis tirer sur les bords du pansement. Mes yeux s’écarquillèrent en découvrant l’état de ma peau sous la gaze immaculée.

— Il n’y a plus rien, balbutiai-je. Mais comment ? Pourquoi ? Qu’est-ce que…

J’avais officiellement perdu pied. Mon cerveau peinait à assimiler ce que mes autres sens percevaient. Tout un tas de questions jaillissait dans mon esprit, le saturant. Si j’étais vraiment… ce qu’ils disaient que j’étais, pourquoi l'ignorai-je ? Mes parents… En étaient-ils ? Certainement, mais pourquoi ne m’avoir rien dit ?

— Tes parents ont voulu te protéger. Ils nous ont contactés, car ils se savaient menacés.

Je braquai mon attention sur Declan, assimilant ses paroles. Ils étaient au courant. Les larmes me montèrent aux yeux, sans prévenir. Trop, cela faisait trop à absorber. Sans réfléchir, je me levai brusquement pour lui faire face. Personne ne réagit, mais je sentais toute l’attention braquée sur moi.

— Pourquoi ne pas les avoir sauvés alors ? articulai-je d’une voix blanche.

Des toussotements gênés trouèrent le silence pesant. Je demeurai là, les larmes dévalant mes joues à présent et les jambes flageolantes.

— Je regrette profondément ce qui leur est arrivé. Ils nous avaient demandé de veiller sur toi, ce que nous avons fait. Yorsha a eu l’idée d’installer un traceur sur ton téléphone.

Je leur jetai un regard incrédule. Ils m’avaient espionné ! Je pensais aussitôt aux sms envoyés à Cassie dans lesquels je parlais d’Arenht, me creusant la cervelle pour me les rappeler. Avais-je mentionné son nom lorsque je parlais de lui ? Avais-je…

Declan leva les mains en signe d’apaisement, sentant la direction de mes pensées.

— C’était une précaution dans l’unique but de veiller sur toi. À aucun moment nous ne nous en sommes servis pour entrer dans ta vie privée. Nous avons juste utilisé la fonction GPS. Elle a permis à Arenht à te localiser…

Il ne poursuivit pas sa phrase, pas besoin. Cette fameuse nuit n’était pas près de s’effacer de ma mémoire.

— Jusqu’à cette nuit où ils t’ont enlevé. Nous ignorions alors que tes parents n’étaient plus et que tu serais seule chez toi. Le lendemain nous avons remarqué la disparition du signal.

Malgré moi je me tournai lentement vers Arenht, le souvenir de cette nuit se rejouant dans ma tête. Les pièces s’assemblèrent au fur et à mesure. Sa présence n’avait jamais été une coïncidence. Je détournai le regard mortifié. Quelle idiote j’avais été de croire que le destin le mettait sur ma route à chaque fois.  Le juron qui lui échappa me fit relever la tête. L’expression sur son visage me fit un choc. Les lèvres crispées, les muscles tendus, il semblait se retenir. Puis il repoussa sa chaise avant de s’en aller, sans un mot. La porte claqua, me faisant sursauter.

Une main se posa sur mon épaule. Doc. J’essuyai maladroitement mes joues avant de me rasseoir. Les tremblements avaient repris. J’inspirai, puis expirai dans une pitoyable tentative de rependre un semblant de contrôle. Je n’avais qu’une seule envie, disparaître ou bien remonter le temps, au choix. Ils m’avaient sauvé et au lieu de les remercier, je les accusais.

— Je suis désolée, murmurai-je. Excusez-moi, je ne voulais pas…

— C’est nous qui sommes désolés, répondit un des hommes attablés, Antonh. On ne peut imaginer ce que tu dois vivre. Et ne fais pas attention à mon frère. Il est un peu sous pression en ce moment.

Je le dévisageai. Son frère ? Apparemment je n’étais pas au bout des révélations aujourd’hui.

— Et si on faisait un break, suggéra Doc. Un petit tour en cuisine pour faire baisser la pression et si Aylyn le veut, un tour du propriétaire.

— Je veux bien lui servir de guide, s’empressa Sheren en bombant le torse.

Il arriva à m’arracher une ébauche de sourire.

— Tu crois vraiment que l’on va te laisser seul avec elle ? ironisa Antonh. On n’a pas envie qu’elle prenne peur.

Il me fit un clin d’œil. L’atmosphère bonne enfant régnant entre eux m’aidait à surmonter mon malaise, sans totalement effacer la brusque sortie d’Arenht.

 

 

                En revenant dans la pièce me servant de chambre, je remarquai un gros sac de sport posé sur le lit.

— Tes affaires, m’indiqua Doc. Arenht est parti les récupérer ce matin à ton logement étudiant. Ne t’inquiète pas, ta colocataire était déjà partie en cours.

Je me figeai sous le choc. Je les avais complètement oubliés. Cassie, Ethan. Ils devaient s’inquiéter, je n’avais donné aucun signe de vie depuis… ma convocation au poste. Cela faisait plusieurs jours, une éternité pour ma part. Nul doute qu’elle avait saturé ma messagerie et ma boîte vocale. Sauf que mon téléphone n’existait plus, réduit en miettes par ceux m’ayant enlevé, un soulagement en fait. Ils semblaient capables de tout pour me retrouver. Je réprimai un frisson de peur. J’étais en sécurité.

— Cassie… Ma coloc doit être morte d’inquiétude, balbutiai-je. Je n’ai jamais disparu ainsi sans la prévenir avant et…

— Calme-toi, m’enjoignit le jeune homme, un petit sourire jouant sur ses lèvres. On a fait le nécessaire. Yorsha a envoyé un message à ton amie. On a prétexté un problème familial expliquant ton absence indéterminée. On préférait rester dans le vague. Pareil pour la fac.

                Comme je demeurais plantée devant lui, complètement déboussolée, il me frotta doucement le bras.

— Ça fait beaucoup, hein ? Je n’imagine même pas à quel point tu dois être déboussolée. Fais-nous juste confiance. Nous sommes là pour toi. Maintenant, repose-toi.

Il jeta un coup d’œil à sa montre.

— Ça va être l’heure de ma garde, il faut que je file. Les autres sont là si tu as besoin.

— Tu es vraiment médecin alors ?

— Oui, un vrai de vrai, répondit-il, amusé.

Je rougis, gênée par ma question stupide.

— Désolée. J’ignorais que vous travailliez dehors.

— On a presque tous une activité indépendante. Antonh est reporter photo. Trenan est prof d’arts martiaux et Sheren animateur sportif, ils travaillent comme moi à Peterborough. Yorsha et Arenht bossent sur place à temps plein. Tout ce qu’il y a de plus normal tu vois.

Je souris à l’allusion.

— Peterborough ? Pourquoi aussi loin ?

— En tant que loups-garous nous n’avons pas la même échelle des distances. Ce n’est pas aussi loin sous forme animale.

Je hochai la tête. Il allait me falloir un peu de temps pour appréhender leur univers, mon nouvel univers.

 

                Une fois qu’il fut parti, j’inspectai le contenu du sac. Songer qu’Arenht avait pris soin de le préparer me touchait et rendait son geste lors de la réunion encore plus incompréhensible. Mes doigts saisirent l’un des carnets glissés entre les piles de vêtements. À l’intérieur, une photo de moi et de mes parents. Les larmes aux yeux, je la serrai contre moi, me roulant en boule sur le lit.

 

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Cléooo
Posté le 06/08/2024
Hello ! Eh bien ça y est, on a mis le mot sur les maux.
Bon, tu avais laissé de gros indices à tes lecteurs, mais j'ai bien aimé la réaction d'Aylyn aux propos et sa résilience.

Je te fais quelques petites remarques sur ce chapitre ! (des petites choses qui m'ont chiffonnée)

"Jusqu’à cette nuit où ils t’ont enlevé. Nous ignorions alors que tes parents n’étaient plus et que tu serais seule chez toi."
-> Pourtant, Arenht l'a raccompagnée chez elle, ce soir-là, non ? Il n'a pas vu qu'il y avait personne ? Et en voyant sa tentative de sauter dans le lac, ça ne lui a pas mis la puce à l'oreille ? Il ne s'est pas dit que quelque chose n'allait pas ? Elle n'a pas exactement parlé de la mort de mes parents, de ce que je me rappelle, mais elle était quand même dans un sale état.

La raison de l'énervement d'Arenth en suivant m'a parue un peu sortie de nulle part, mais quelque chose m'a sûrement échappé. Malgré le fait que la situation ne soit pas parfaite, il a quand même réussi à mener sa mission à bien, à sauver Aylyn plusieurs fois, et il semble frustrer. Pourquoi ? Était-il supposé sauver ses parents ? Ils avaient l'air de dire que non.

"Yorsha a envoyé un message à ton amie." -> À la bonne heure ! Mais comment ? En se faisant passer pour elle ? Par quel biais ? Pas son téléphone du coup, puisqu'il est détruit et qu'il n'avait que glissé un tracker GPS dedans. Si c'est un message reçu d'un tiers... Alors Cassie n'aurait pas de raison de s'inquiéter ? D'autant que les parents morts d'Aylyn, ça se saura sûrement bientôt puisque la police est au courant ? Auquel cas une "urgence familiale" ce serait un peu gros, non ?

Voilà pour mes remarques du jour ! À bientôt :)
Anis chan
Posté le 29/07/2024
Salut !
Super ce chapitre, comme toujours ! On voit bien que Aylyn est bouleversé après cette vérité, tu décris bien la scène. Je trouve que t'es personnages sont bienveillant et drôle, ça donne une atmosphère moins tendu dans la pièce.
Bonne continuation !
Oph Ashendown
Posté le 27/07/2024
Un chapitre un peu long mais toutefois captivant ! Le développement du personnage est très intéressant et je ne me lasse pas de lire ton roman ! Un grand bravo à toi en espérant que ton aventure continue :)
Aylyn
Posté le 29/07/2024
Merci d'aimer cette histoire 😊. Oui ce chapitre est plus long et je me creuse un peu la tête pour voir si un redécoupage est possible. Et ne t'inquiètes pas, l'aventure continue ☺️ (c'est une trilogie^^).
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