12. Entrainements

Après sa visite matinale auprès de Nessan, Kalan rejoignit le groupe de Holl avec une légère appréhension à la suite de l’altercation du jour précédent. Il fut rassuré en arrivant de voir que Wakami et le Maître étaient en avance et discutaient entre eux.

— Vous voudriez que je vous laisse seuls le temps que les autres arrivent ? s’enquit Kalan.

— Tu peux rester, mon garçon, nous discutions de banalités, assura Holl.

Wakami lui sourit timidement et resta silencieux. Il était rare de voir le Coloris aussi réservé.

— Tout va bien ? s’inquiéta Kalan.

— Oui, pourquoi ça n’irait pas ? se défendit Wakami.

— Quand tout va bien, soit tu m’ignores, soit tu m’envoies un sourire narquois, mais jamais tu ne montres cet air de chien battu.

— Laisse mon air tranquille !

— C’est parce que j’ai un don pour t’amadouer ? le taquina Kalan.

— Tu m’irrites ! Je ne t’ai rien demandé !

— Ah voilà ! Ce regard assassin me rassure.

— Tu es vraiment…

— Une tête brûlée ?

— J’allais dire une enflure excentrique.

— Ah je vois ! Je rejoins donc la collection des enflures ! Alors toi tu es l’hautaine, moi l’excentrique, il nous manque encore quelques personnalités atypiques pour ressembler à des personnages de conte enfantin.

— On s’en rapproche, oui, sourit Wakami qui se laissa gagner par l’humour piquant de Kalan.

Ahia et Epoline entrèrent à cet instant, Kalan les accueillit chaleureusement :

— Hé ! Vous ne voudriez pas être des enflures avec nous ? Epoline tu pourrais être une enflure têtue et Ahia une enflure…

— Excentrique ? proposa-t-elle.

— Désolée ma grande, mais ce titre m’a déjà été attribué. Une enflure mystérieuse ? Ou mieux : déconcertante ?

— Je prends ! 

— Je ne sais pas si vous êtes des enflures, mais vous avez un humour particulier, s’esclaffa Epoline.

Wakami éclata de rire :

— Je craignais d’être le seul déboussolé ! Il faut croire qu’il y a quelque chose dans l’air de la Ceinture qui les rend étranges. 

Ahia et Kalan se regardèrent, partageant un sourire hilare. Le jeune Sombre avait réussi à retourner l’humeur morose de Wakami pour les faire rire, même s’il devait pour cela paraitre un peu fou. Ou plutôt, paraissait-il excentrique, ce qui lui convenait. Du coin de l’œil, il vit que Holl lui souriait, comme s’il lui était reconnaissant d’avoir désamorcé une ambiance pesante. La séance se déroula mieux que la veille et quand elle prit fin, Kalan s’approcha de Holl afin de lui demander :

— Où est-ce que je peux trouver Orielle, si ce n’est pas indiscret ?

— Je la sens juste au-dessus de nous, dans une salle de lecture, indiqua le Visionniste.

— Pourquoi veux-tu voir Orielle ? demanda Epoline.

— Je veux apprendre à renforcer mes barrières mentales, expliqua Kalan. J’ai l’intention de gagner un combat à la loyale contre Wakami.

Tout le monde pouffa, excepté Maître Holl, trop sage pour se moquer. Wakami le toisa avec un sourire assuré aux lèvres.

— Il est dans dix ans ce combat ? ironisa Epoline. Je ne connais pas de Coloris plus puissant que lui, même avec mon pouvoir je serais incapable de le battre à la loyale pour l’instant.

— Dans un mois, répondit Kalan sans se démonter. Même si je n’ai aucune chance, c’est égal !

— Tu te fiches de perdre ? s’étonna la Princesse.

— Complètement ! Ma vie n’est pas en jeu. Et puis si je perds, alors Wakami gagne et il sera heureux. À l’inverse, je n’ose pas imaginer son humeur. 

Ce dernier grogna, touché que Kalan prédise son côté mauvais perdant si facilement.

— Mais alors, pourquoi ce défi ? s’étonna Epoline.

— Sans ce défi, je n’aurais jamais pensé demander de l’aide à Orielle. Elle m’a dit être spécialisée dans la protection des esprits, j’espère qu’elle aura du temps à me consacrer. Et je vais pouvoir connaitre mes capacités face à votre don que je pensais imparable !

— Tu es quelqu'un de vraiment particulier, Kalan, conclut la jeune Coloris. Je vais réfléchir à cette vision du monde. 

— Quand un excentrique et une déconcertante grandissent ensemble, voilà ce que ça donne, sourit Ahia.

Les deux amis se topèrent les mains, puis Kalan fila trouver Orielle avant l’heure du repas. Elle était en effet dans la salle du dessus, en pleine lecture. Kalan s’approcha doucement de la Coloris qui releva la tête à son arrivée.

— Kalan, chuchota-t-elle pour ne pas déranger les autres lecteurs. Tu as besoin de quelque chose ?

— J’aurais voulu te demander service, admit-il.

— En quoi puis-je t’être utile ? s’étonna-t-elle.

— J’ai lancé un défi insensé à Wakami de le combattre à la loyale, moi avec ma Force, lui avec son Hypnose. Mais je n’ai aucune idée de comment y résister.

— Et tu veux que je t’enseigne ? demanda-t-elle avec un grand sourire.

— Exact. Si tu en as le temps bien sûr.

— Je serais ravie de t’apprendre !

— Je ne pensais pas que tu serais si enthousiaste, observa Kalan.

— Isfan et Wakami donnent des cours à Epoline, sans moi ! J’étais déçue de ne pas être de la partie, mais je vais pouvoir compenser avec toi. De plus, tu as frappé à la bonne porte, c’est en protection que je suis le plus douée.

— C’est ce qu’il m’a semblé, même si je ne suis pas sûr de comprendre vos spécialisations.

— En combat, la plupart des Coloris savent protéger, mais focalisent surtout leur Énergie en attaque. Pour ma part, j’ai consacré du temps à travailler les barrières mentales qui gardent nos esprits, chez moi ou chez les autres. Tu ne trouveras personne de meilleur dans le domaine.

— Pas même Wakami ? s’étonna Kalan.

— Disons que nous nous valons. Et comme mon pouvoir est bien plus petit que le sien, c’est uniquement parce que je compense avec mon savoir et mes entrainements. Il ne t’a rien dit ? Il ne sait pas que tu me demandes services ?

— Si, il le sait, mais il ne m’a rien dit.

— Il doit fulminer de savoir que c’est moi qui t’enseignerai cet art, sourit-elle. Viens, allons dans un endroit où nous pourrons discuter.

Il la suivit jusqu’au petit bureau vide où Wakami avait guéri sa migraine.

— Bien ! reprit-elle à voix haute. Pour commencer, il me semble que tu suis les cours de Holl ?

— La méditation ? Oui c’est juste.

— Très bien, c’est un bon début. Cela te permettra de canaliser ton attention sur ton esprit. L’art de la protection n’est pas compliqué en soit, mais demande une grande concentration et une sensibilité aux attaques mentales de l’autre.

— Je ne suis pas sûr de comprendre, avoua Kalan.

— Pour protéger ton esprit, tu dois dresser une muraille autour de lui. Elle doit être parfaite et sans faille. Cela demande beaucoup de concentration, car tu risques d’oublier de protéger une partie de ton mental. Une pensée, une émotion, une distraction quelconque peuvent en modifier les contours. Imaginons que tu dresses une barrière mentale autour de ton esprit maintenant. Elle peut être parfaite dans l’immédiat. Mais à la prochaine pensée, la forme de ton mental change, ce qui risque d’ouvrir une brèche dans ta protection.

— Mais c’est impossible ! Ça veut dire qu’on ne peut pas penser en plein combat !

— C’est possible, je t’assure ! Cela te sera grandement facilité par les exercices de Holl. Si tu vis dans le présent, ton esprit est bien plus stable et tu pourras réagir à la moindre distraction avec plus de rapidité.

— Ce qui veut dire que je dois penser dans ces cas-là à adapter ma barrière. Ce n’est pas un peu compliqué ?

— Pour un novice, c’est même très compliqué. Ton pari est insensé ! Mais si tu as l’habitude de créer des barrières diverses, cela devient presque un réflexe, à condition que tu prêtes attention à ton monde intérieur.

— Je vois. Donc si je résume, pour protéger correctement son esprit, il est préférable un : de vivre dans le présent afin de rendre son esprit stable, deux : d’être attentif à la moindre perturbation mentale, trois : d’être assez entrainé pour mettre instantanément des barrières en place quand on perçoit une brèche.

— Exact ! Maintenant il reste à t’expliquer l’adaptation aux attaques hypnotiques. Je crois que tu as malheureusement déjà été agressé de cette manière à plusieurs reprises ?

— C’est exact.

— Te rappelles-tu la sensation que cela t’a procuré ?

— Oui, à peu près.

— Était-ce exactement la même à chaque fois ?

— Non, il me semble que c’était différent.

— C’est parce qu’un Coloris peut t’attaquer de différente manière. Il faut adapter ta protection selon son attaque. Tu dois imaginer la muraille qui te défendra le mieux.

— Il ne suffit pas de bâtir un gros mur épais qui résiste à toutes les attaques ?

— C’est ce que font la plupart d’entre nous, mais cela demande plus de ressources.

— Pourquoi le faire alors ?

— Parce que ça reste plus simple à mettre en place si tu ne perds pas ton temps comme moi à affiner tes protections, ironisa-t-elle. Mais face à un Wakami, des gros murs épais finissent par lâcher ou alors il y trouve une faille. Pour t’en faire une image, en voyant que tu as bâti un mur de pierre, il pourrait soit chercher à s’infiltrer en sinuant entre les pierres comme une goutte d’eau, soit il pourrait démonter ton mur avec un bélier.

— Mais comment faire alors ?

— Si au moment de son attaque tu changes ta protection en une matière plane et souple, son bélier ne fera que rebondir et sa goutte d’eau glisser. À l’inverse si tu places une protection souple à la base, il tentera de la percer d’un coup de couteau. Coup de couteau qui se retrouverait inefficace contre de la pierre.

— Je ne suis pas sorti de l’auberge, moi !

— Tu n’y arriveras pas si facilement en un mois, mais ça vaut la peine. Par contre je dois te prévenir : même si les ordres sont donnés depuis l’extérieur de ton esprit, ils ont un impact sur ton mental. L’Hypnose ne pourra pas te contrôler, mais tes mouvements seront plus difficiles.

Kalan fit la moue, trouvant le don des Coloris bien trop avantageux. Cependant, il ne pensait pas qu’il était possible de leur résister avant de tenter ce pari, il ne devait pas se laisser abattre.

— Tous les Sombres ont des protections ici ? demanda-t-il.

— La plupart oui, mais question combat, nous sommes encore très orientés par nos dons. Les Sombres passent plus de temps sur le terrain d’entrainement et n’ont que de barrières grossières. Tout comme je sais me battre, mais de manière limitée. Nous apprenons également à appliquer quelques soins de premiers secours, mais nous n’égalons pas les Cornides. C’est pourquoi nous partons toujours en groupe.

— Pourtant Wakami m’a largement vaincu en combat au corps à corps.

— De ce côté, je ne m’inquiète pas, tu le rattraperas largement en un mois. Tu auras récupéré toute ton Énergie d’ici là et tu sauras t’en servir. En revanche, je doute que tu parviennes à déjouer toutes ses attaques mentales, mais il risque d’être surpris.

— Merci d’accepter de m’aider. Entre Nekoline et toi, je suis tombé sur les meilleures personnes pour m’entraîner ! Cela devrait compenser mon manque de talent et de compétence.

— Ne sois pas si dur avec toi même ! Nous pourrions nous retrouver ici tous les matins après ta méditation ? Cela nous laisserait une heure pour nous entrainer, je pense que tu auras largement ta dose avec ça.

— Avec plaisir ! Oui, je sens que je vais en baver ces prochains temps. Je n’ai fait que croiser Nekoline hier qui m’a demandé de repousser notre premier rendez-vous à aujourd’hui, elle n’avait pas encore ce qu’elle voulait m’offrir. J’appréhende mon après-midi.

— Tu peux ! s’esclaffa Orielle. Je l’ai croisée ce matin et elle avait trouvé son bonheur : elle bondissait de joie à l’idée de commencer. Je crois qu’elle n’a jamais eu d’élève. En fait, à part protéger la Princesse, elle n’a jamais eu d’activités personnelles.

— Je n’y avais jamais pensé. Et elle commence par le plus grand novice de Linone, c’est courageux !

— C’est sûrement ce qui a dû l’attirer. Elle doit avoir sa propre conception de l’entrainement et elle aimerait l’appliquer du début à la fin.

— J’espère qu’elle ne me réserve pas un traitement façon Esli, confia Kalan, déconfit.

— Non, j’en doute ! Cette Gardienne est tombée sur une Princesse révoltée par les coutumes de son royaume et je pense que cela l’a fait réfléchir à la manière dont elle aurait aimé être élevée et entrainée. Elle a également pu se libérer du poids de sa loyauté envers la royauté en discutant avec Epoline et Omèle.

— Tu sais beaucoup de choses à son sujet !

— C’est parce que j’étais avec Ehiro le jour où Nekoline lui en a parlé. Elle est encore plus gracieuse depuis, tu ne trouves pas ?

— J’avais noté un changement, mais je ne savais pas d’où il venait. Ça veut dire qu’elle n’est plus Gardienne ?

— Oh si, elle refuse de laisser la Princesse sans protection, mais elle fait confiance à l’Alliance. En revanche, Epoline n’ira nulle part sans elle. Ce qui a changé surtout, c’est qu’elle a affirmé son choix dans ce rôle. Ces deux-là sont plus qu’une Gardienne et une Princesse, elles ont développé une relation qui les lie comme des sœurs.

— Je vois, je suis content pour Nekoline. Et pour moi qui vais pouvoir bénéficier de son savoir ! J’ai quand même un peu peur de ce qui m’attend.

— Je comprends. Entre elle et moi, tes journées vont être bien fatigantes. Allons manger, il est l’heure ! 

Kalan la suivit en soupirant, ne doutant pas de ses paroles. Il mangea avec Orielle, à la même table qu’Isfan qui lui raconta sa matinée avec Popi. En fin de matinée, le petit chien était parti en direction des écuries. Kalan sourit : tout le monde semblait encore considérer qu’il s’agissait de son chien, mais il commençait à en douter, tant ils menaient des vies différentes tous les deux. Ils se retrouvaient le soir pour dormir ensemble, comme un vieux couple qui travaillerait d’arrachepied dans des domaines différents.

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