Le petit humain blond lève la tête et dépose son index devant sa bouche, seule partie visible de son visage.
Il peut pas se taire, ce gamin ?
May’ké déteste le bruit.
Rien ne doit troubler son quartier.
Silence.
Silence, silence, silence.
Mais soudain, une interrogation brûle les lèvres du Perce-Magie. Chose inexpérimentée depuis des années.
Ça brûle, ça brûle !
- Eh, petit, j’ai une question.
- Moi, je ne peux pas vous poser mes questions, mais vous, vous pouvez ?
- T’as tout compris.
L'Ange soupire.
- Que voulez-vous savoir ?
May’ké se concentre. Il débloque sa voix, qui est plus rouillée que la tuyauterie d’Arkeide en hiver.
- Comment vous faites pour pas que vos cheveux se salissent, alors qu’ils traînent tout le temps par terre ?
Incroyable, presque vingts mots ! May’ké a battu son record de l’année ! Malheureusement, il avait tellement peur que sa voix déraille qu’il a tout débité sur le même ton.
C’est un peu comme si on accordait toutes les touches d’un piano sur la même note, par peur qu’il fasse des dissonances. Vous l’aurez deviné, le résultat n’est pas très mélodieux.
C’est la question la plus stupide que j’aie jamais entendue. C’est tellement évident ! Même à trois ans, je le savais ! Je lève la tête bien haute et commence à débiter mon cours de deuxième année.
- C’est bien simple. Notre corps est rempli de magie. Nous sommes donc également recouverts de molécules et notre peau -ou nos cheveux- n’entrent jamais vraiment en contact avec le monde extérieur. Nos petites particules absorbent la saleté et l’évacuent sans que celle-ci ne nous touche jamais.
Je découvre avec une grande fierté que l’homme s’est arrêté de bricoler pour m’écouter. Comme il est plaisant d’être à la place de Mestre Jeidel ! Je ferais un excellent professeur !
- Et les fées, elles fonctionnent aussi comme ça ? me demande mon nouvel élève.
- Les fées sont faites entièrement de molécules, elles peuvent donc les écarter pour que cela passe à travers.
- Elles se découpent elles-mêmes !? s’exclame le Perce-Magie, dont la voix déraille jusqu’à atteindre une fréquence presque féminine.
- En quelques sortes, oui.
- Les dragons aussi ?
- Oui, les dragons fonctionnent comme les fées.
Ce gamin est vraiment débile et inconscient.
Il donne toutes les infos au Perce-Magie !
C’est pas comme si c’était la meilleure personne à qui dévoiler le fonctionnement des molécules.
Et vous vous doutez bien que May’ké ne va pas s’arrêter en si bonne route vers le savoir.
- Mais du coup, on est d’accord que, sans leurs molécules, les Anges sont comme les humains ?
Le gamin a pas du tout l’air content de cette hypothèse. Etre comme un humain, c’est un peu une insulte, pour les Anges.
- Vous nous avez vu !? Nous sommes bien plus grands que vous !
- Oui bon ok, vous avez des carrures d’athlètes, mais si on vous enlève vos molécules, vous mourez ? Votre corps est incapable de survivre sans magie comme nous le faisons ?
- Evidemment que non ! Nous survivrions, nous sommes quand même plus résistants que ça !
Au plus profond de la masse de cheveux blonds, des yeux pétillent.
Cet idiot a donné à May’ké la réponse qu’il espérait.
- S’cuse, mais je dois essayer un truc. Si tu bouges, t’es mort.
May’ké se lève. Ne croyez pas qu’il arrête le bricolage, il veut tester son invention.
Il s’approche du jeune homme soudainement apeuré.
- Bouge pas.
Houlà. J’aurais peut-être pas dû lui parler. Je n’ose pas bouger. Est-ce qu’il oserait vraiment me tuer ? En même temps, c’est vrai qu’il a déjà tué mon maître... Le Perce-Magie pose un petit cylindre décoré sur le sol. On dirait qu’il a été en partie gravé dans du bois. Mais le haut est en métal. Le bricoleur cueille quelques-unes de mes molécules -c’est très désagréable, mais je le laisse faire- et les range soigneusement à l’intérieur. Je sens la machine qui s’active. Elle fait faire des mouvements à mes particules prisonnières. Alors toutes mes autres molécules s’activent. Elles reçoivent un faux message et se dirigent toutes vers la machine. Non, pas par là ! Mes petits grains de magie commencent à entrer dans cette minuscule prison. J’essaie d’envoyer un autre message, celui de revenir vers moi. Mais je suis aussitôt foudroyé par une douleur insoutenable. Deux messages en même temps, ça fait vraiment mal ! Mes membres, encore attachés aux somnambules, se font traîner mollement, mais ils sont trop lourds, alors les molécules coupent les liens pour suivre les ordres. Je suis paralysé. Ça fait trop mal ! Après une dizaine de secondes, je n’ai plus de molécules. Elles sont toutes dans le cylindre. J’ai perdu ma magie. Attendez mais réagissez, lecteurs antipathiques ! J’ai perdu ma magie !
May’ké reprend sa petite machine.
Et l'admire.
Un vague sourire se dessine sur ses lèvres gercées.
Ça faisait longtemps qu’il avait pas souri. Qu'il avait pas vraiment souri.
Le gamin a l’air sous le choc.
Il reste figé.
Mais May'ké s'en fiche. Sa théorie est vérifiée. Les Anges peuvent devenir des humains.
- Je... J’ai perdu mon pouvoir pour toujours !? sanglote l'ex petit Ange.
- Mais non, crétin. T’as qu’à rouvrir la boîte et tu les auras de nouveau, tes molécules.
Le gamin se calme d’un coup. Il a l’air un peu honteux
Et il a raison, hé hé hé, c’était drôle de le voir au bord des larmes. Il reprend la parole.
- C’est bizarre, comme vous vivez... Je veux dire... Sans molécules... Je me sens vraiment vide, sans elles...
- C’est vous qui êtes bizarres. Ça vous dérange pas d’être toujours trahis par votre magie ?
- Comment ça ?
May’ké hésite à répondre. Il a déjà beaucoup parlé.
Mais il a envie de continuer.
Une envie irrésistible.
C’est que ça faisait des mois qu’il avait pas eu une vraie conversation -et non, celles avec Eivind, ça vaut pas-.
- Vos molécules, on peut lire leur comportement pour savoir ce que vous faites et parfois même ce que vous pensez.
- Ah bon ?
- Quoi, tu savais pas ?
- Non, je ne m’en étais pas rendu compte... Mais vous, comment vous savez ?
- Je les sens. Elles me font... vibrer. Alors j’arrive à vous «lire», même si je vous vois pas.
- Je comprends pas ce que vous entendez par sentir... Comment votre corps pourrait-il réagir à la magie, vous n’êtes même pas un Ange...
Hé hé hé. Tu vas voir ce que tu vas voir, petit.
Le Perce-Magie lève la tête. Ses cheveux glissent en arrière. Pour la première fois, il ne cache pas son visage. Bleu. La moitié de son visage est bleue. Des filaments lumineux escaladent sa joue gauche. Cet homme est dévoré par la magie.
Mais ce n’est pas ce qui me frappe le plus chez lui. Parce que pour la première fois, je distingue ses traits. Et ils n’ont rien à voir avec ceux parfaits des Anges. Ses yeux sont trop grands. Son nez est trop pointu. Son menton est trop long. C’est un visage squelettique qui se présente à moi. Il est plus jeune que je ne le pensais, mais il n'a pas du tout l'air en bonne santé !
May’ké se délecte de la surprise du gamin.
Bah oui, petit, quand t’es tout confortable dans ta tour, y a plein d’humains qui essaient de survivre.
May’ké se délecte, il se délecte.
Mais contre toute attente, le gamin lui tend la main.
- Moi, c’est Abeln ! il lui dit avec un grand sourire.
Euh... May'ké avait pas prévu de s'en faire un ami.
Il a très peur de cette main.
Dilemme.
Dilemme. Dilemme. Dilemme.
Le Perce-Magie serre la main du jeune homme.
- May’ké.
Ce soir-là, Terels débarque, complètement paniqué et persuadé de retrouver Abeln assassiné.
Comment Dée a-t-elle pu avoir l’idée de le confier au Perce-Magie !?
Et puis le magicien arrive à la grande librairie.
Et il trouve le jeune homme en train de bavarder avec le Perce-Magie.
Le vieil Ange est profondément rassuré. Et en même temps, vraiment étonné.
- C’est bon, mon garçon, tu peux revenir !
- Non, répond Abeln, je reste avec le Perce-Magie.
J'adore ce chapitre ! On apprend plein de choses, et les précisions sur l'évolution de la relation entre May'ké et Abeln sont très intéressantes...
AU FIL DE LA LECTURE
“Le petit humain blond lève la tête et dépose son index devant sa bouche, seule partie visible de son visage.”
>> J'aime trop cette façon de commencer le chapitre, c'est très intriguant et ça pousse tout de suite à poursuivre la lecture ! Et puis c'est intéressant de commencer un chapitre par une action :))
“Rien ne doit troubler son quartier.
Silence.
Silence, silence, silence.”
>> Hihi, j'aime beaucoup cette façon d'écrire les réactions et réflexions de May'ké :)
“Il débloque sa voix qui est plus rouillée que la tuyauterie d’Arkeide en hiver.”
>> J'aurais mis une virgule après “voix” pour ne pas faire une phrase trop longue... Mais c'est du détail.
C’est un peu comme si on accordait toutes les touches d’un piano sur la même note, par peur qu’il fasse des dissonances. Vous l’aurez deviné, le résultat n’est pas très mélodieux.
>> Hahaha, l'image est incroyable ! Et vraiment bien pensée :))
Le passage dans lequel May'ké prélève les molécules d'Abeln est très très très intéressant, et il y a beaucoup de détails, ça permet vraiment de prendre conscience de la nature de cette magie !
J’ai perdu ma magie. Attendez mais réagissez, lecteurs antipathiques ! J’ai perdu ma magie !
>> Hahaha, c'est trop drôle^^
l'ex petit Ange
>> Hihi
“Mais non, crétin.”
>> J'adore le manque de compassion de May'ké héhé :)
“Bah oui, petit, quand t’es tout confortable dans ta tour, y a plein d’humains qui essaient de survivre.”
>> Je ne suis pas sûre de comprendre le sens de la deuxième moitié de la phrase... des humains qui essaient de le suivre ? et ça aurait un rapport avec les traits du visage, donc ?
“Euh... May'ké avait pas prévu de s'en faire un ami.
Il a très peur de cette main.
Dilemme.
Dilemme. Dilemme. Dilemme.”
>> May'ké est trop chouuu :)) Et j'adore la phrase “Il a très peur de cette main.”, surtout que c'est vraiment en contradiction avec l'idée qu'on se fait du “Perce-Magie” meurtrier !
“Non, répond Abeln, je reste avec le Perce-Magie.”
>> Ahhh mais pourquoi ça s'arrête là ???
Vivement la suite !^^ J'ai très hâte de connaître l'évolution de l'histoire^^
A bientôt, j’espère que la suite te plaira !^^