13. Un ennemi pour la Venteuse

Une semaine passe.

Deux semaines.

Trois semaines.

May’ké est étonné. La Fillette dans le Vent ne vient plus.

Où est-elle passée ?

Après des mois entiers, il doit se rendre à l’évidence : elle a disparu.

Mais moi, comme je suis le narrateur, je sais qu’elle est toujours là.

C’est juste qu’elle ose pas se montrer.

Parce qu’Abeln est toujours collé au Perce-Magie et qu'elle a peur que celui-ci la trahisse en lui parlant.

Alors elle l’a décidé, elle viendra plus, tant qu’il y aura ce gamin.

Mais Abeln, il part pas. Il reste.

La fillette enrage, elle peut pas revenir.

Ha ha ha, désolé, petite !

La Fillette dans le Vent ne reviendra pas ! Victoire !

Et pendant que la gamine désespère, Abeln change.

Il change tellement !

Tout d’abord, il se met à parler comme May’ké.

Il roule les «r», il rajoute les petites lettres inutiles et il imite les intonations du Perce-Magie. C’est une vraie petite éponge à mots.

Ensuite, il renonce à sa magie.

May’ké lui a rendu la petite boîte où il avait stocké les petites molécules, mais le jeune homme les a plus voulues.

Il a décidé de porter le petit cylindre à son cou, comme un bijou. Il montre à tous cette magie reniée.

Il est un humain, maintenant. Et il vit comme un humain.

Tous les jours, May’ké lui apprend à vivre dans les ruines.

A trouver de l’eau, des passages, à entretenir le moindre objet, la moindre surface.

A être invisible. A faire partie de l’obscurité d’Arkeide.

Abeln vit comme le Perce-Magie, maintenant. Il se cache et observe les Anges qui passent.

Mais tout ça, c'est pas le plus important. Le plus important est là.

Il est là, il est là.

Il a oublié les grades.

Il se moque du respect qu’il doit à Terels.

Il en a plus que pour le Perce-Magie. Et pour lui-même.

Bref, il en a que pour ceux qui se mettent en travers du chemin des Anges.

L’apprenti Abeln est devenu Abeln le rebelle -ou Abeln le traître, selon les lèvres qui le prononcent-.

Maintenant, sa simple vue a le don d’arracher une grimace à tous les Résistanges.

Le jeune homme en est très fier !

Mais il est encore plus fier après la transformation finale.

Elle a lieu lorsqu’un jour, au fond d’un petit restaurant, Abeln remarque une photo de famille. Il a l’air vraiment intéressé.

En fait, c’est la soixante-septième qu’il voit, mais il s’arrête à celle-ci, ne me demandez pas pourquoi.

Il est bien plus grand que les humains, alors, pour l'observer, il se plie en deux de manière très comique. Et il s’exclame :

- La photographie avait l’air importante, ici... Il y a des photos de famille dans toutes les maisons !

- Hmm, répond distraitement May’ké qui aimerait bien retrouver sa petite pièce de métal B45-2 qui est tombée derrière le comptoir -il y a tellement de désordre qu’on peut la considérer comme perdue-.

- Ce qui est dingue, c’est qu’ils avaient tous la même coiffure et les mêmes vêtements... s’amuse le jeune homme en détaillant les petits êtres en noir et blanc.

May’ké renonce à sa petite pièce.

Snif. Il la retrouvera plus jamais.

Il se glisse sous le comptoir et explique de sa voix plate -c'est Mestre May’ké, hé hé hé-.

- Ici, c’était hyper bien vu d’être habillé et coiffé comme ça. C’était un peu pour se différencier des Anges. A Arkeide, on les aimait pas, les Anges.

- Les habitants des autres quartiers leur ressemblent ?

- Non, mais ils se laissent pousser les cheveux et ils portent tous des robes. Chez nous, les cheveux allaient jamais plus loin que les épaules et on avait que des gros pantalons.

- Attends, toi aussi, t’avais ce look !? Comme sur les photos !?

- Evidemment, t’as cru quoi ? J’étais un gamin, j’allais pas me rebeller et proclamer la gloire des Anges !

May’ké sent le regard d’Abeln qui le décortique. Il le sent, comme si la vue était dotée de mains, invisibles, mais perceptibles.

Le jeune homme a raison de le dévisager.

Il est difficile de croire que le Perce-Magie faisait partie de ces jeunes gens élégants, dont on peut croiser le regard de papier sur toutes les étagères.

Maintenant, ses cheveux désordonnés atteignent ses coudes et ses habits déchirés ont perdu toute élégance -mais bon, dans tous les cas, superposer quatre couches de vêtements n’est que rarement esthétique...-.

- Arrête de me regarder comme ça, bougonne le Perce-Magie -qui en réalité passe son temps à dévisager tout le monde à travers ses cheveux-.

- Je... Oui, désolé, reprend Abeln en reportant son regard sur la photo. C’est vrai que ça ressemble pas du tout au style des Anges. C’est drôle de protester en changeant de vêtements...

Le jeune homme lève les yeux vers May’ké et lâche avec un grand sourire.

- T’as des ciseaux ? Et des pantalons, aussi ?

Evidemment qu’il en a. C’est May’ké. Il a tout.

Et voilà.

Les grandes mèches noires s’effondrent, inertes, sur le sol.

La grande robe bleue d’apprenti est abandonnée.

Abeln est un vrai humain, maintenant.

Un petit jeune homme d’Arkeide.

Comme sur les photos.

 

 

Terels ne pouvait s’empêcher d’avoir la nausée à chaque fois qu’il voyait le jeune homme. Un accent aussi hideux ! Sortant de la bouche d’un Ange ! Et des cheveux courts ! Quelle horreur ! Une telle métamorphose allait contrecarrer ses plans. Abeln était censé rester avec lui, pas avec le Perce-Magie...

En plus de cela, le petit bricoleur commençait à se montrer plus farouche qu’il ne l’était déjà. Il refusait de parler. Le vieux magicien était profondément vexé. Il avait consacré des mois entiers pour tenter de le mettre en confiance. Pour mettre en place une communication entre les humains et les Anges. Et lui, il préférait se lier d’amitié avec un gamin insolent et immature. Ce duo rebelle ne lui disait rien qui vaille. Il pouvait s’avérer dangereux pour la résistance. Terels n’avait plus qu’une solution. Se tourner vers sa véritable alliée. Celle qui l’avait toujours soutenu et qu’il avait dernièrement négligée.

- S-i-l-e-P-e-r-c-e-M-a-g-ie-r-e-s-te-a-v-e-c-A-b-e-l-n-i-l-n-e-n-ous-ai-d-e-r-a-p-l-us…

Dée le dévisagea en silence. Sa lumière était devenue vraiment aveuglante et le vieux magicien peinait à garder les yeux ouverts en lui parlant.

- T-e-r-e-l-s-p-ou-r-q-uoi-a-cc-o-r-d-es-tu-t-ant-d-im-p-o-r-t-an-c-e-à-c-e-t-ho-mm-e-m-i-s-é-r-a-b-le ?

- T-u-n-e-s-ais-p-as-d-e-qu-oi-i-l-est-c-a-p-a-b-le-il-est-n-o-t-r-e-s-eu-le-ch-an-ce-p-ou-r-b-a-tt-r-e-l-a-T-ou-r.

- J-ai-t-r-ou-v-é-u-ne-p-e-r-s-o-nne-q-ui-n-ous-s-e-r-a-p-l-u-s-u-t-i-le.

- Et-qu-i-est-ce ?

La fée le dévisagea de nouveau. Elle fit un de ces beaux sourires dont seules les fées sont capables. Un sourire sans bouche. Un sourire encore plus éblouissant que sa lumière.

- A-r-k-a-ë-l-S-ans-M-ains.

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