12 ~ Poker menteur

Cette taverne se trouvait être bien plus que vaste qu’imaginée, une fois éclairée. De vieilles torches à huile ornaient les murs arrondis et fissurés qui supportaient le poids des temps anciens. Leurs mèches à l’odeur citronnée s’enflammaient, troublées par des effluves d’eaux usées. Elles tombaient par intermittence sous forme d’un crachin de mauvais augure. Cette antichambre de la solitude n’avait rien de plaisant, rien d’attirant. Les Étoiles déchues qui s’y réfugiaient ne semblaient pas s’être habituées à cet endroit si lugubre.

Un bruit sourd complétait l’ambiance. Accompagné de légers tremblements, il portait avec lui la présence de voies souterraines empruntées par le métropolitain. Les restes du repaire médiéval subsistaient ainsi dans un espace très clos et oublié par le temps.

Quelques ombres collées à l’étage décidèrent de descendre pour s’intéresser de plus près à ce que souhaitait Ayako. Sa promesse teintée de ténèbres prit une douce saveur très alléchante. Faire d’Illya une contractante illégale était un pari osé. Une Astromancienne, quelle que soit sa constellation, ne pouvait prétendre échapper au sort qui pendrait sur elle telle une épée de Damoclès. Au-delà d’une déchéance induite, un tel acte se résumait à un suicide. Son amie savait-elle qu’elle devait sacrifier sa propre espérance de vie pour offrir une telle promotion à une simple Étincelle ?

- Ayako !

Illya paniquait. Leur proposer cet échange sans la consulter au préalable ébranlait quelque peu la confiance placée en Ayako. Et que dire de ces silhouettes sinistres qui les dévisageaient avec envie ? Étaient-elles armées ? Allaient-elles négocier d’autres termes encore plus terrifiants ?

La fleuriste en herbe se retrouva encerclée. Elle entraperçut le trait sale et grotesque d’êtres humains reclus tels des lépreux. Chassés du monde Astral et condamnés à vivre dans son monde, ils affichaient tous des expressions alternant entre la rancœur et une immense tristesse. Il ne s’agissait pas de simples vagabonds trahis par la vie, seulement des êtres trompés par ceux les ayant considérés comme des outils bons à jeter. Illya ressentit un grand mal-être en leur présence. Ces regards désespérés, ces corps tremblants ou ces quelques sanglots ne la rassuraient pas. Au contraire.

Ayako venait de leur vendre de l’espoir. Tout ce qu’ils désiraient ardemment cristallisait à travers les mots de l’Astromancienne. Devenue gardienne de leur convoitise, les quelques personnes descendues ne prirent pas ces paroles à la légère. À la lueur des torches d’antan se distinguèrent des êtres humains normaux en apparence : deux petits enfants, une poignée de jeunes adultes et quelques vieillards. Les Étoiles comme les humains subissaient les affres du temps mais contrairement à eux, leur apparence était trompeuse.

Chaque Étoile, bannie ou non, revêtait une forme humaine à leur arrivée dans le monde des Étincelles. Ces attraits humains dépendaient de leur personnalité ou de leur volonté selon les cas. Tout comme les Astromanciens, il leur était possible de tromper leur monde en se fondant dans la masse sous une fausse identité.

Un des deux enfants pouvait ainsi être âgé d’une centaine d’années tandis qu’un des vieillards pouvait entretenir une illusion sur sa dizaine d’années.  Ainsi, Ayako restait sur ses gardes, se méfiant au-delà des apparences : ces personnes pouvaient mentir et manipuler des personnes selon leur bon vouloir.

Que la fête commence, non ? Tu auras l’embarras du choix ici, sers-toi !

Ayako avait opté pour la provocation pour les attirer. Il ne lui fallait plus qu’assumer son audace. Elle prit place dans une discussion houleuse autour d’une table à laquelle elle fut invitée. Chacun avait des cartes à abattre et affichait une confiance à toute épreuve.

- Je te sers quoi, Princesse ? demanda un jeune homme en apparence taciturne.

Il portait trois chopes à l’aide de ses mains crasseuses. Ses vêtements, ou plutôt ses lambeaux, pouvaient se qualifier de deuxième voire de troisième main. Dépareillés aux motifs délavés, ils lui donnaient un look d’éternel fan de métal qui ne passait pas inaperçu. Les siens s’étant mis en retrait, Ayako avait compris alors qu’elle faisait directement face au maître des lieux.

- La même chose que toi ! glissa-t-elle en plus de son sourire.

Il se tourna d’un pas lugubre vers Illya. Il leva ses chopes suspectes devant elle. Elle le regarda du haut de ses cheveux longs et gras et refusa poliment. Le sourire qu’il lui adressa en retour, au milieu de sa barbe de plusieurs jours, se voulait terne, à la limite de l’antipathie. Puis, il lui balança du pied un vieux tabouret pour qu’elle puisse se joindre à eux. Illya avait bien sûr sa place dorée à la table des négociations.

- Ce n’est pas tous les jours que deux donzelles débarquent ici. Cerise sur le gâteau, une chère Astromancienne daigne nous rendre visite pour négocier au prix le plus fort. Intéressant.

La pénombre des lieux n’aidait pas à bien discerner la couleur du liquide qu’il versa dans les deux chopes. Par contre, l’aspect pâteux du breuvage marqua bien les esprits. Illya comme les autres habitués des lieux ne se risquèrent pas à le goûter, quel que soit l’enjeu.

Jette-moi ça ! Tu n’as pas de temps à perdre !

Il n’attendit pas qu’Ayako ne le mette à l’épreuve. Il avala sa mixture atroce d’une traite. Le barman du jour, loin du charisme d’un Luke, retourna sa chope sur la table. Un habitué des shots ?

- On est bien d’accord, c’est toi qui invite ? souffla Ayako.

Il leva sa tête devant le verre d’Ayako. D’abord, elle devait boire. Ensuite, elle pourrait parler. Cette invitation tacite épousait parfaitement la tension qui montait autour de la table.

Illya détourna les yeux quand elle vit Ayako boire sans hésitation son verre. La jeune rebelle n’exprima ni dégoût ni plaisir au contact de cette « chose ». Elle retourna à son tour son verre et le fit glisser jusqu’au verre de son hôte. Le claquement des deux verres lui permit de prendre légitimement la parole.

- Je me sifflerai bien une de ces bouteilles avec toi en tête à tête mais… Je pense que nous avons des convives à satisfaire.

Du sang ! Bois leur sang si tu as si soif !

Ayako dévisagea une à une toutes les personnes réunies autour de la table. Les défiant chacune à leur tour, elle ne marqua aucune émotion dans ses yeux émeraudes. Qu’elle soit privée de sa magie stellaire était une chose, mais rien ne pouvait éteindre sa détermination qui venait de prendre feu. Elle brûlait d’envie d’en découdre avec le premier qui oserait la prendre de haut.

- Pourquoi veux-tu rentrer chez toi si précipitamment ? Les Célestes se feront un plaisir de te cueillir sur place, Princesse.

Elle croisa ses bras sur la table croulante, grinçant avec l’accueil de cette masse imprévue. Elle fixa le métalleux sans ciller. Tout cela n’était pas ses oignons. Ayako attendait de lui qu’il rentre dans son jeu s’il osait prétendre négocier avec elle.

- Cerotis, lâcha-t-il. T’as besoin que je te raconte mes déboires en détails ?

Beta Monocerotis était l’Étoile la plus brillante de la constellation de la Licorne. Une étoile multiple pour être plus précis : ses frères et ses sœurs devaient se tenir non loin de lui. Leur contractant fut jugé il y a quelques temps pour le meurtre de Yelas, un Céleste. Il fut de notoriété publique de savoir qu’il s’agissait là d’un cas d’école très classique : leur maître avait été influencé par l’emprise néfaste de ses propres Étoiles. Cela aiguisa l’intérêt de la jeune fille porté sur cette discussion. La négociation pouvait débuter.

Tu ne vas tout de même te rabaisser au rang de cette ordure ?

Ayako exigea un autre verre. Elle lui demanda de s’en servir un autre dans la foulée. Cet alcool, de très mauvais goût, avait la qualité d’être fort. Négocier avec un enfoiré de première ? Elle tiendrait le coup.

- On ne va pas s’amuser à se lancer dans une compétition du crime le plus grave, Cero. Que penses-tu de mon offre ?

Cerotis reprit les deux chopes et les remplit à ras bord. Il aurait aimé proposer de quoi grignoter en plus. Ayako l’amusait.

- Tu sembles prête à tout, Princesse. Mais ce n’est pas cette Étincelle qui m’intéresse. Offrir à mes compagnons de cellule un pacte illégal n’embellirait en rien leur destin déjà pourri. Tu gâcherais ta vie en vain. Et ne parlons pas de celle de ton amie qui ne semble n’avoir rien demandé.

Ayako toucha l’épaule d’Illya avant d’enchainer son deuxième verre. Bluffait-elle depuis le début ? Était-elle seulement sérieuse sur ses intentions ? Illya ne reconnaissait pas la demoiselle qui s’enivrait à ses côtés, sans se soucier d’un breuvage potentiellement empoisonné ou autrement toxique.

- Déjà deux verres et tu ne me demandes toujours pas ce que tu veux, la pucelle ?

Grosse provocation. Sur la table de poker, Ayako poussait déjà son adversaire à placer son all-in. De la stupeur surgit aux alentours. La tension palpable s’installait entre les deux joueurs.

- Un troisième pour célébrer ta vraie offrande ?

Joueuse ? Je vais commencer à énormément t’apprécier, ma petite Ayako !

Il claqua des doigts après avoir vidé son verre. Sa bouteille n’allait pas survivre à la suite de leurs affaires. Il valait mieux être prudent. On lui apporta donc une sorte de vieille gourde métallisée. Toute cabossée, elle tenait en biais comme la tour de Pise sur la table. Ayako retira par précaution ses bras de la table. Cette nouvelle « liqueur » ne l’effrayait guère.

Pendant que Cerotis dégoupilla l’étrange contenant, Ayako posa d’une main délicate son précieux talisman. Le véritable argument qui attisait son envie. Les chaines du pendentif glissaient entre ses doigts pour montrer qu’elle ne l’échangerait qu’au prix fort.

- Un joli présent, n’est-ce pas ? Qu’as-tu TOI à me proposer en plus de m’ouvrir le passage ?  lança-t-elle.

- Une vengeance commune qui conviendra très bien à la princesse que tu es. Tout le monde connait ton histoire ici : tu veux prendre ta revanche sur Shintaro.

As-tu vraiment besoin de t’acoquiner avec cette chose ? Laisse-le tomber, ta vengeance, je te l’offre sans condition !

D’une certaine façon, Ayako avait subtilement inversé la tendance. En position de force, elle siffla son troisième verre. L’alcool aidant, elle se permettait d’être de plus en plus crue.

- Si tu me dis où se cache ma cible, je te laisserai t’en prendre à l’un des miens avec cette arme, déclara-t-elle en serrant sa poigne sur le talisman.

- Oh crois-moi, il me sera facile de le trouver. Je traînais souvent avec ses Étoiles.

- Et jusqu’où t’irais pour moi ? J’ferais de toi mon esclave, ma chose.

- Jusqu’à l’Éclipse, jusqu’à la fin des temps.

Ne tenant pas aussi bien l’alcool que prévu, l’Étoile déchue renversa une partie de la gourde sur la table. Son troisième verre ne lui réussissait pas. Acceptant les termes de cette négociation, Cerotis jeta son verre qui se brisa sur l’un des murs putrides et humides.

- Que nous soyons bien d’accord. J’hésiterais pas à provoquer ton extinction au moindre doute. En attendant, fais tes preuves !

Ayako retourna son verre sur la table qu’elle quitta. Elle frôla Illya pour ramasser la vieille gourde déformée. Il en restait encore. Marquée par la maladresse de l’alcool, elle prit son amie pour sa béquille de fortune et laissa tomber son visage sur son épaule :

- Ne regarde pas.

- Mais je ne comprends pas ! De quoi avez-vous parlé ? Quel est votre marché ?

- Le plus solide de tous les temps. Du sang pour du sang !

C’est ça que JE veux ! Offre-moi mon déluge de sang !

Elle abandonna son amie pour s’asseoir seule sur une table loin de la petite assemblée qui entourait Cerotis. Elle prit finalement goût à cette horrible boisson distillée. Après de nouvelles gorgées qui brûlaient ses entrailles, elle beugla :

- Allez mon petit Cero, fais-moi vibrer !

Ayako se perdit dans une crise de fou rire. L’ivresse ne parlait pas vraiment, seule sa folie surgie de nulle part s’exprimait. Qu’importe ces regards de jugement portés sur elle. Tant pis si elle avait vexé ces Étoiles en leur renvoyant en pleine figure leur image de simples outils. Elle se ferait une joie de s’en servir pour arriver à ses fins ! Elle lâchait prise sans en avoir réellement conscience.

De plus en plus encline à rire sans raison, elle s’improvisa un petit air de percussion en frappant de ses paumes sa nouvelle table. Totalement méconnaissable. Lorsque son amie tenta de la calmer, elle lui répéta, avec plus de difficultés, de ne pas regarder. Que le spectacle s’annoncerait violent et hautement jouissif pour elle. Seulement pour elle.

Je prends la relève.

- Ceeeerrrroooooo !

Nouvelle crise de rire. Ayako jeta la vieille gourde derrière elle. Elle ordonna qu’on lui serve une nouvelle bouteille. Et attention à celui qui oserait la partager avec elle ! Entre deux éclats de rire, elle atteignit l’apothéose de son nouveau délire. Elle se leva de sa table et ôta son haut qu’elle jeta sur Illya. Son doigt accusateur fut dirigé vers Cerotis qui continuait de parlementer de son côté.

- J’préfère des volontaires ! Carrément plus corvéables à merci !

Cerotis lui demanda quelques instants de plus, lui promettant que la princesse ne serait pas déçue. Il s’isola avec son groupe, lui parlant à voix basse. Ayako n’avait que faire de ses futurs arrangements, elle ne cherchait pas des amis ici. Plutôt un complice, le plus sordide qui soit. Ainsi, elle ne serait ni surprise ni dupe de ses potentiels agissements.

C’est pour cela qu’elle ne fut pas horrifiée par la suite des évènements. Elle descendit de son perchoir pour encourager son nouvel allié à plonger dans l’horreur. Qu’il aille jusqu’au bout ! Qu’il continue d’exciter sa soif de sang qui bouillonnait en elle !

- Ayako, tu commences vraiment à me faire peur ? Qu’est-ce que tu as bu ?

- Ayako ? T’es tellement pas prête !

Illya ne la reconnaissait plus. Où était passée cette fille qui pleurait sur son lit d’hôpital ? Celle qui avait perdu toute combativité ? Et que se tramait-il de l’autre côté ? Ne rien savoir, une fois de plus, la fit enrager :

- Rentrons Ayako ! C’était une mauvaise idée ! Oublions cet endroit, nous trouverons une autre solution !

- Tu vois pas qu’on prépare le retour là ? T’en fais pas, ça arrive !

- Je t’en supplie. Quoi que vous ayez décidé, renonce !

Ayako leva la tête vers le plafond. Quelque chose au fond d’elle la poussait à rassurer Illya malgré les apparences. Pour cela, il lui fallait se reprendre. Pour quelques secondes de lucidité. Hélas, cette volonté ne lui était plus accessible.

- On m’a demandé un jour ce que je choisirais entre sauver ma sœur ou ton monde. Je ne savais pas quoi répondre.

Elle laissa ses rires de côté le temps de prendre sa voix la plus froide. La plus glaciale qui pouvait animer ces lèvres imbibées par l’obscur élixir.

- C’est pourtant simple. Je détruirais ton monde pour Kayla. Toi y compris.

La fin d’un monde. Illya ne pouvait concevoir cette réponse si crue, si horrible. Non, cette fille-là n’était pas Ayako. Jamais elle n’aurait osé prononcer des paroles aussi sordides…

Elle resta bouche bée et laissa Ayako se détacher d’elle. Cette dernière sentit que Cerotis avait fini ses discussions. Elle brisa alors contre un mur la bouteille fraichement réclamée. Ayako y mit toutes ses forces en la maintenant par le goulot. Puis, elle lança le tesson formé en direction de Cerotis.

L’Étoile déchue l’attrapa au vol. Il s’avança avec l’un des siens. Lorsqu’il lui annonça que des décisions avaient été prises, Ayako demanda une dernière fois à Illya de ne pas regarder. Tant pis pour elle si elle ne l’écoutait pas. À vrai, dire, elle se fichait de plus en plus de sa sensibilité.

- Il t’en faudrait combien ? demanda Cerotis.

- Essayons déjà avec un premier, répondit froidement Ayako.

Cerotis regarda la personne qui se retourna vers lui avec tendresse. Il lui demanda de fermer ses yeux. Il serait très rapide et respectueux quant à sa volonté de partir le plus rapidement possible.

À l’aide du tesson, il dessina un arc de cercle écarlate à la base de son cou. D’un coup vif, il venait de lui trancher la gorge sans une once d’émotion.

Avant même que sa victime ne tombe au sol, il la projeta en direction d’Ayako. Le cadavre frais la percuta et des flots de sang l’entachèrent de la tête aux pieds. Elle ne fut pas horrifiée, bien au contraire. Cela l’excita d’autant plus et l’amusa. Quel plaisir sans nom de ressentir ce liquide chaud sur elle ! Et que dire de ce sang ferreux à souhait ?

Dans un nouveau fou rire, elle plaça sa paume contre le torse de la victime. Une lueur noire entoura ses doigts pendant qu’elle extrayait quelque chose de son corps. Un cristal se matérialisa devant elle. Ce cristal avait la forme d’une étoile à multiples branches. De l’encre noire empêchait de les dénombrer avec précision.

- Ma toute première Supernova, dit-elle en se réjouissant. Que tu es magnifique mon enfant !

Elle s’en empara pendant que le corps sans vie de son sacrifié disparut instantanément. Ses vieux habits tombèrent au sol en un tas de tissus grossier. Ayako jongla ensuite avec ce cœur étoilé, de plus en plus excitée par sa trouvaille.

La démone qui s’ignorait jaugea la valeur de cette essence, de cette existence volée. Hélas, elle ne lui convenait pas. Ayako apprécia le geste de cette Étoile, mais cela était encore insuffisant. Encore, elle ressentait le besoin d’en avoir une autre.

Illya avait assisté à cette scène, au même titre que tous les autres, mais fut la seule à réagir avec horreur. Autour d’elle, tout le monde resta impassible. Il ne fut pas nécessaire de tester les alcools du coin pour la fleuriste au cœur fané, Illya fut la première à vomir tout ce qu’elle pouvait.

Après un regard dans sa direction, Ayako éclata une énième fois de rire. Que son amie se débrouille seule, elle avait plus important à gérer. Pardon, plus important à savourer !

- Une seconde âme devrait me satisfaire.

Cerotis s’inclina légèrement en guise d’acceptation. Il accueillit un nouveau volontaire qui ne se fit pas prier. Une attitude inconcevable pour Illya qui n’était pas prête effectivement. Comment des personnes pouvaient renoncer à la vie d’une telle facilité ? Ses tentatives de réponses furent immergées dans le nouveau vomi qui sortit de son corps.

- Cela tombe bien. Seuls ces deux-là entreront dans notre accord.

Pour la deuxième fois, Cerotis entreprit son rituel funèbre. Les mêmes paroles prononcées à demi-mot et la demande de fermer les yeux. Cette fois-ci, des remerciements s’ajoutèrent. Il brandit à nouveau son tesson et prit la nouvelle vie qu’on venait de lui offrir.

Ayako récupéra une nouvelle fois son offrande. Elle ne fit pas dans la dentelle. Son extraction s’effectua dans la précipitation. Un nouveau cœur cristallisé contre la disparition pure et simple du cadavre.

Les deux cristaux volèrent entre les mains de l’acrobate de la mort. Elle prit son pied en se laissant envahir par ses cris de joie. Magnifiques, magnifiques ! L’extase !

- Bonsoir mes Supernovæ ! J’ai si hâte de vous connaitre. Je m’en réjouis d’avance !

Elle cessa de jongler avec. Ayako déposa un baiser sur chacun d’eux. Puis, elle les brisa l’un contre l’autre. À leur place se tenait désormais un amas d’énergie noire. Il se posa sur les deux mains d’Ayako, de plus en plus excitée. L’extase prit un nouveau degré d’intensité.

- Satisfaite ?

Ayako ne répondit pas. Elle ne broncha pas quand une partie de cette énergie ténébreuse pénétra dans son corps au niveau de ses avant-bras. Son excitation endormait la douleur provoquée par cette assimilation. Elle forma ensuite une lame à partir du reste d’amas déposé sur ses mains. Cette arme étincela et refléta le sang qui avait giclé sur elle.

La furie s’avançait en tenant fermement une épée qui n’inspirait qu’une horreur sans nom. De cette matérialisation surgissaient des cris stridents et autres gémissements à mesure qu’elle évoluait dans ses mains.

Après l’avoir observée sous tous les angles, elle prit une position d’attaque. Sans crier gare, elle s’élança de toute ses forces dans une attaque unique. Elle ne visait personne, ne fendant que l’air devant elle. Sa lame sinistre hurla pendant qu’elle traçait une fissure. La réalité fut ainsi entaillée, laissant entrapparaitre le même voile qu’un portail.

Le voilà, son passage vers le monde Astral.

Ayako se félicita d’avoir arraché cette porte dérobée vers ce monde qui lui était désormais interdit. Très satisfaite de ce pacte de sang qui venait de lui offrir deux Supernovæ, elle jeta son arme derrière elle qui s’évapora instantanément. Cela se traduisit pour elle par un crachat de sang. Son corps ne s’était pas encore habitué à cette nouvelle force obscure, mais sa propriétaire n’avait plus son mot à dire.

L’Astromancienne regarda ensuite Cerotis s’avancer vers la fissure inter-dimensionnelle. Point la peine de féliciter pour cela. Ayako avait scellé sa part de leur marché. Cette dernière n’avait plus qu’à lui donner ce qui lui revenait de droit. Il lui tendit la main pour l’inviter à traverser avec lui. Puis, il esquissa un sourire quand elle s’approcha de lui d’une marche déterminée.

Sous les yeux ébahis d’Illya, elle lui confia sans sourciller son précieux talisman. Placé entre leurs deux mains, Ayako avait accepté de céder son bien le plus précieux. Elle serra avec la main de Cerotis et le dépassa pour faire face à ce sinistre voile noir.

Il flottait, très fin, à l’intérieur d’un passage très étroit depuis lequel des rafales de vents émergeaient. Comme un appel d’air ouvert entre deux entrées. Les deux mondes convergeaient en cette craqure improbable.

Illya voulut protester. Ayako n’aurait jamais été capable de se séparer du talisman de K’mie. Elle devait le chérir au même titre que sa propre vie ! Quand elle tira dans son dos son tee-shirt ensanglanté, elle ne fut pas au bout de ses surprises.

Des yeux plongés dans les ténèbres se tournèrent vers Illya. Des yeux qui pleuraient des larmes de sang. Ayako ne dit pas un mot lorsqu’elle fit face à l’Étincelle. Son regard était lourd de sens. Il tombait vers le sol comme si elle cherchait à s’excuser. Elle resta ainsi, scrutant cette vase qui embourbait ses baskets. Sans savoir trouver ses mots.

- Ayako, est-ce toujours toi ?

L’Astromancienne éclata de rire, encore, avant de venir caresser délicatement la joue d’Illya.

- Tu sais bien que non.

Gemini parlait sous les traits d’Ayako, sans se cacher. Cette négociation, ce marché sanglant et cette offrande n’étaient qu’un petit jeu pour elle. Ayant répondu au désir caché de sa contractante illégale, elle ne rendait que service. Pourquoi se priver de n’en faire qu’à sa tête ? À cause d’une morale mal placée ? Des bonnes mœurs qui font culpabiliser ? Des règles établies pour maintenir l’équilibre d’une société ?

Elle releva sa tête vers Illya.

- Et si je jouais désormais avec toi ? C’est Kayla que j’ai choisie, pas sa pâle doublure.

- Je t’interdis d’insulter Ayako ! Il est bien trop facile pour toi de prendre tes grands airs quand elle t’a laissée faire ! MA Ayako peut devenir bien plus forte que sa sœur !

- En attendant, petite Étincelle, tu es sur ma route. Alors jouons à un nouveau jeu : misons la vie d’Ayako. Je t’ai dit que je te tuerais pour Kayla. Et toi, qui tuerais-tu pour elle ?

Illya fut hors d’elle. Quel plaisir pouvait-elle prendre avec ce jeu macabre ?

- Je les sauverai toutes les deux !

Mais comment ? Illya se laissa rattraper par son désespoir. Venait-elle de perdre son amie pour toujours ?

Gemini sourit avant de lui déposer un baiser sur sa joue caressée. Elle s’avança ensuite vers le passage, dévisageant Cerotis. Lui aussi était un joueur de la partie dont elle se refusait d’édicter le vrai but ou ses règles.

Elle lui chuchota, discrètement à l’oreille :

- Son cauchemar, pas ton rêve.

Elle s’esclaffa de rire avant de traverser. Qu’on la suive ou, non peu importe. Gemini se sentait d’humeur bien généreuse en épargnant tout ce petit monde. La petite Ayako avait eu besoin de son aide pour retourner chez elle ? Très bien, elle ne contractait là qu’une simple dette auprès d’elle. Ce qu’elle n’hésiterait pas à lui rappeler quand elle lui rendrait son corps.

Gemini avait passé une excellente soirée. Tous ces petits pions qui se tournaient autour sous fond de vengeance l’amusaient allègrement. Il lui avait toujours apparu jouissif de tout détruire autour d’elle pour tout reprendre. Et recommencer.

Cerotis ferma sa main sur le talisman avant de la suivre. Il ne proposa pas à Illya de l’accompagner. Elle l’avait déjà devancé en courant de toutes ses forces à la poursuite d’Ayako.