12- Révélations (édit du 27.12)

Notes de l’auteur : Bonne lecture

Inspirer, expirer. Inspirer, expirer. Je vais mourir d'ennui.

Azénor était une élève studieuse et appliquée. Elle maîtrisait toutes les matières et avait une affection particulère pour la méditation, une vocation pour ainsi dire. Mais Nour, qu'elle avait prit sous son aile, lui donnait du fil à retordre. Elle lui avait expliqué que la méditation servait à prendre conscience de tout ce qui nous entoure, que faire le vide permettrait à l'esprit d'ouvrir ses portes, et que la respiration était primordial. Tous les matins depuis une semaine, elle l'observait, et désespérait. L'ensemble des élèves de l'école prenaient place, en tailleur, sur la grande terrasse qui avait la particularité de ne pas avoir de balustrade. Ainsi, le regard se perdait volontiers dans l'horizon. Au centre trônait un saule majestueux dont les branches se balançaient voluptueusement. Nour se pliait à l'exercice de bonne grâce, mais c'était une épreuve de force. Elle ne pouvait s'empêcher d'ouvrir les yeux et d'observer ses nouveaux camarades, la mer, le ciel, les oiseaux. Souvent, elle s'attendait à voir un dragon piquer de nouveau sur elle. Et quand elle parvenait à maîtriser son corps, c'est son esprit qui vagabondait, elle ressassait sa colère envers le conseiller Hiver. Elle commençait à se dire qu'elle finirait ses jours sur Doradéa. Elle pensait aussi à ces premiers jours, en Terra elle n'aimait pas particulièrement l'école, elle s'y ennuyait la plupart du temps, et trouvait que ses professeurs n'étaient pas réceptifs à la curiosité dont elle faisait montre. Elle avait trop souvent l'impression de les embêter, et ce sentiment s'était accentué au collège. Mais au Sanctuaire, l'enseignement était différent, par exemple le dernier quart d'heure de cours était consacré aux questions. Chacun pouvait en poser autant qu'il le voulait, et le professeur, ou les élèves eux-mêmes y répondaient. Les moqueries allaient bon train, mais personne ne semblaient s'en offusquer.

Il y avait le cours du professeur Logano, un vieillard avec seulement trois cheveux sur la tête, et qui semblait faire la classe pour lui seul. Il ne faisait jamais l'appel, et ne remarqua même pas la petite nouvelle. Il enseignait l'algèbre, mélange de mathématique et de mécanique quantique. Cette branche de la physique théorique qui décrit les phénomènes fondamentaux à l'œuvre dans les systèmes physiques, plus particulièrement à l'échelle atomique et subatomique. Cela expliquait notamment comment comment les anciens s'étaient rendus sur Doradéa.

Le cours d'étude des plantes médicinales, préparations de potions et autres décoctions, lui plaisait beaucoup. Des centaines de bouquets de fleurs séchées pendaient du plafond de la salle de classe. Toutes les couleurs possibles se côtoyaient en un arc-en-ciel odorant. Car ça sentait fort, la lavande surtout, et la fleur d'orange amère. Quelques dizaines de feuilles et de pétales jonchaient le sol. Liquides visqueux, insectes fluorescents, poudres et bulbes cohabitaient sur le bureau du professeur au milieu des ouvrages de potions, des stylos et quantités de feuilles manuscrites éparpillées dans un joyeux capharnaüm. Les premières années apprenaient à préparer des décoctions pour calmer la fièvre, des tisanes pour atténuer la douleur, et des cataplasmes cicatrisants. A la fin de l'année, la mahonia, la méttite, la molène et la morelle noire ne devaient plus avoir de secrets pour eux.

Même si elle prenait plaisir à suivre ces cours, un la frustrait particulièrement, celui de télékinésie. Avec la méditation, c'était la matière la plus difficile à laquelle elle devait faire face. Son cerveau de terrienne, à qui on avait toujours dit que faire voler des objets en se servant de son esprit était impossible, refusait de lui obéïr. Cela paraissait pourtant si simple. A chaque instant de répit, que ce soit le matin au petit déjeuner, ou le soir en se brossant les dents, elle tentait de faire léviter le moindre petit objet. Essuyant échec sur échec, elle recommençait avec une plume. Pourquoi n'y arrivait-elle pas ? Pourtant elle se concentrait, faisait de sa main une extension de son esprit, enfin c'est l'impression qu'elle avait, alors pourquoi cette plume, si légère, persistait à rester immobile ? Ces tentatives infructueuses lui laissaient un goût amer.
 

Le soleil brillait au-dessus de la terrasse. Installée à leur table habituelle, près du saule, Nour engloutit son déjeuner en moins de temps qu'il n'en faut pour dire sandwich, et se replongea à corps perdu dans des ouvrages sur la théorie : « rendre conscience de son don », "manuel de métapsychique hypothétique », ou « De l'immobilité au mouvement ». Les minutes passaient comme des heures. À ses côtés, Oren cherchait toujours une illustration du médaillon dans les ouvrages d'art. Il était consciencieux et méthodique, mais n'avançait pas non plus. D'étudiants studieux au début de l'après-midi, ils étaient maintenant avachis sur les livres étalés sur la table.

– J'admire ta persévérance, terrayenne. Vraiment, lâcha Anya en posant ses mains sur la table.

Nour ne l'avait pas vue arriver. L'elfe avait l'air de s'ennuyer, n'avait-elle pas un autre bouc émissaire à tourmenter ?

– "De l'immobilité au mouvement", reprit-elle en se saisissant de l'ouvrage. Je le connaissais déjà par coeur quand j'avais huit ans. Loin de moi l'idée de te décourager, mais tu n'y arriveras jamais.

Son regard vert pétilla de malice. Nour n'aima pas ça.

– Heureusement, certaines personnes sont là pour l'aider, intervint Oren. Je pensais les elfes pédagogues, j'ai dû me tromper.
– C'est la stricte vérité. Mais je sais reconnaître un cas désespéré, répliqua Anya.

Alors qu'elle s'apprêtait à tourner les talons, les jumeaux s'assirent à la table avec grand bruit.

– Et vous, comment se fait-il que vous soyez autorisés à venir en cours ? les interpella l'elfe. Tous les conseillers et leur familles sont confinés n'est ce pas ? Ca sent le népotisme à plein nez.

Sans attendre de réponse, elle tourna les talons, un sourire triomphant sur le visage.

Elle avait une terriblement envie de mettre une bonne raclée à cette peste. Mais elle savait aussi qu'elle devait faire profil bas. Combien de temps tiendrait-elle ?

– Elle me donne aussi l'envie de la taper, fit Azénor.

– Tu, tu lis pas dans mes pensées quand même ?

– Pas exactement, seulement une forte empathie. Aussi je suis une bonne observatrice, vu ton regard c'était pas difficile à deviner. Tu sais Nour, à trop focaliser sur un exercice tu vas t'exaspérer et te perdre, lui fit remarquer Azénor en voyant les livres éparpillés sur la table. Si l'accentus t'envahit, tu n'arriveras à rien.

– Le quoi ?

– L'accentus. C'est l'angoisse qui te serre la gorge et les poumons, t'empêche de respirer correctement. Quand ton cerveau n'est plus assez oxygéné, tu te déconnectes des éléments. Tu dois avant tout maîtrise l'art de la méditation, tant que tu n'y parviendra pas, tu n'arriveras pas à télékinéser.

– Le plus simple serait que je rentre chez moi. Là-bas au moins je me sens moins nulle, enfin, un peu.

– Ca m'étonne que le Conseil n'ait toujours pas trouver de solution, s'étonna Elijah en s'asseyant à son tour.

– Le Conseil n'en trouve pas parce qu'il ne cherche pas, le conseiller Hiver veut me garder prisonnière, il dit qu'ici c'est chez moi maintenant, leur avoua alors Nour.

– Grand-père est parfois têtu, le défendit Elijah.

– Parfois, s'exclama Oren, c'est une blague.

– En tout cas, si on trouve une solution je pars avec toi, fit Elijah d'un ton décidé. J'ai toujours rêver d'aller en Terra. On nous en a dit tellement de mal, ça doit être fabuleux.

– Je crois pas qu'on puisse avoir un esprit plus tordu que le tien, fit Oren à voix haute sans s'en rendre compte.

– Hé, parle moi correct microbe, t'oublie que je suis en troisième année, s'offusqua faussement Elijah.

– Ta situation est compliquée Nour, compatis Azénor. Tu devrais prendre cette histoire comme un simple voyage.

– Oui Nour, à ton avis combien de terrayens peuvent en dire autant ? renchérit Oren. Et si les adultes ne veulent rien faire, nous t'aiderons à retourner chez toi, n'est-ce pas les gars ?

– Oui, t'inquiète pas. Avec nous, pas d'embrouilles chez les grenouilles, lâcha Elijah. Azénor et moi, on adore les aventures.

– Merci, c'est vraiment gentil, répondit timidement Nour, émue malgré elle.

– Je te trouve bien studieux ptite tête, qu'est ce que tu cherches ? demanda Eliajh en voyant les livres devant lui.

Oren blêmit. Il jeta un œil à Nour, devait-il tout révéler aux jumeaux ? Nour remarqua le désarroi sur son visage. Elle prit une grande inspiration et lui fit léger un signe tête.

– Nous allons vous montrer quelque chose, commença Oren. Mais vous devez promettre sur la barbe de Myrddin de garder le secret.

– Tout ça à l'air très sérieux, commenta Elijah.

– Oui, c'est très sérieux, répondit Oren, la mine sévère.

Les jumeaux se regardèrent, intrigués. Puis, ils soulevèrent légèrement leurs épaules, résignés à se soumettre.

– Qui par la parole s'engage, met sa barbe en gage, entonnèrent-ils en même temps.

– Juré, craché ? demanda Oren, en crachant dans sa main.

– Juré, craché, répondit Azénor, en crachant dans la sienne, avant de serrer la main d'Oren.

L'opération se répéta avec Elijah, sous l'oeil écoeuré de Nour. Son visage grimaçant ne laissait aucun doute sur le dégoût que la scène lui inspira. Oren sortit le dessin qu'il avait réalisé du médaillon, il ne voulait pas attirer davantage l'attention sur la terrayenne. Azénor observa attentivement les motifs, avant de le tendre à son frère. Tout ce temps, ils restèrent silencieux.

– Je comprends pas ce que je regarde, dit enfin Elijah, en levant un sourcil. Pourquoi tant de mystère ? Qu'est-ce que c'est ?

– Très joli dessin, intervint Timéo. Enfin, je parle des sujets, parce que l'exécution laisse quelque peu à désirer.

– Tu sors d'où toi ? C'est pas bien d'espionner, tonna Elijah en fronçant les sourcils.

– Je n'espionne nullement. Je passais simplement par là pour rejoindre le hall. J'ai déjà vu ces motifs, fit-il en désignant le morceau de papier. Chez moi, dans un registre très ancien, au palais royal. J'aime visiter les salles d'archives, normalement elle sont interdites aux enfants. C'est trop bête je ne me souviens de rien de plus, mon cerveau doit être trop rempli. Une chose est certaine, ces motifs ne sont pas fandarii.

Puis, sans aucune autre explication, et sous le regard incrédule de ses quatre camarades, Timéo s'en alla, les laissant là, perplexe.

– Comment supportes-tu ce petit prétentieux ? demanda Elijah à l'attention d'Oren.

– Il ne le fait pas vraiment exprès, répondit Oren en haussant les épaules. Il est différent, et j'aime bien ça.

– C'est bien joli tout ça, mais vous allez finir par nous répondre, s'agaça Elijah.

– À vrai dire, on ne sait pas ce que c'est, répondit Nour. Mais, ce serait peut-être plus simple si je vous le montre.

Elle vérifia autour d'eux que personne ne leur prêtait attention. Une fois rassurée, elle leur montra le médaillon et leur raconta l'histoire. A la fin, les jumeaux restèrent silencieux. Clairement, ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils avaient sous les yeux.

– La bonne nouvelle, c'est que ce dessin est en Fandari, répondit Elijah. Timéo a pu louper quelque chose, le nom de la personne qui a réalisé cette gravure. C'est une piste, non ?

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Baladine
Posté le 06/02/2023
Bonjour Sifriane,

Petit chapitre agréable. On prend plaisir à arpenter les couloirs de l'école et à visiter les cours. Les personnages sont toujours aussi sympathique et bien marqués. Tu prends ton temps pour les descriptions et ça nous emporte dans un univers magique et coloré. Toujours un plaisir de te lire.

A bientôt
sifriane
Posté le 09/02/2023
Salut Claire,
Oui j'essaie de prendre mon temps, mais les descriptions me donnent toujours beaucoup de mal :(

J'espère que de ton côté tu peu te reposer un peu.
A bientôt :)
Vincent Meriel
Posté le 23/12/2022
Bonjour
Comme je comprends Nour, c'est difficile la méditation quand on veut regarder le monde autour de soi.

Les descriptions des cours sont intéressantes. Celle sur la mécanique quantique peut-être un peu trop formelle, cela pourrait être amusant de la considérer comme une citation de livre. Je ne suis pas sûr par contre de comprendre en quoi cela explique le voyage sur Doradéa.

C'est intéressant de voir l'enquête sur le médaillon avancer, même si c'est un peu par hasard, ainsi que le petit groupe se former. Cette partie du texte (principalement en dialogue) fonctionne assez bien.

Le passage d'Anya aussi, elle donne bien l'impression d'être juste à la recherche de gens dont elle peut se moquer (ce qui est curieux), mais la partie sur le confinement est aussi intrigante. Cela tombe sans trop plus d'info, mais cela questionne.


J'ai par contre quelques incompréhensions dans les enchaînements d'idée et de narration, qui pourraient surement être plus fluides.

- "Il y avait aussi le cours" => D'une part c'est compliqué de comprendre à quoi se réfère-le "aussi". D'autre part, les autres cours sont coupés en paragraphe, c'est un peu étonnant que celui-ci ne le soit pas.

- "Pourtant, un cours..." => Je suppose que le "pourtant" fait allusion au fait qu'elle se plaise ici, mais c'est bien trop espacé dans le texte pour que ce soit clair. Vu que le paragraphe est très petit, tu peux mettre un passage plus long, je pense.

- "A chaque instant de répit, " => cette transition m'a complètement perdue. D'une part parce que je ne comprends pas pourquoi manger un sandwich amène cette narration sur la télékinésie. D'autre part, parce que je ne comprends pas quand on quitte la narration passée pour revenir à la directe. On a Nour qui mange un sandwich, ensuite un "flashback", puis on la retrouve assise à une table à étudier des livres. L'enchainement n'est pas clair du tout pour moi.


Relectures/coquilles

- « rendre conscience de son don » => "prendre conscience de son don »

- " le dégoût que la scène lui inspira" => " le dégoût que la scène lui inspirait"


Bon courage pour la suite ! Hâte de les voir entrer dans la bibliothèque interdite ^^

Et bien sûr, joyeuses fêtes !
sifriane
Posté le 26/12/2022
Bonjour,
Je note toutes tes remarques et je vais aller relire attentivement les derniers chapitres que tu as lu et corriger tout ça.
Merci encore pour ton aide précieuse.
Bonne fêtes et à bientôt :)
MichaelLambert
Posté le 10/12/2022
Ah! On sent qu'un groupe se forme et qu'ils ont le début d'une piste ! Chouette !
Quand Timéo voit le dessin et donne ses précieuses indications, tu l'appelles Tam ! Et je me suis demandé pourquoi il ne restait pas avec eux.

Puis j'aime bien l'idée qu'il faut d'abord savoir méditer avant de développer d'autres dons plus poussés !
sifriane
Posté le 11/12/2022
Son nom est Timéo Tam, mais je vais corriger. C'est vrai qu'avec plusieurs personnages on peut s'y perdre.
Dans le premier jet, en plus de la méditation je parlais aussi de chamanisme et de réincarnation (c'est pour ça que ton histoire m'a fait de l'oeil) mais ça faisait trop, ça partait dans tous les sens, c'est pourquoi là j'essaie de me concentrer sur la méditation.
Merci pour tes commentaires motivants
A bientôt :)
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