Par Greg, avec un type surexcité, le 13 décembre 201*.
« La pire des trahisons vient de soi-même.
Personne d’autre ne peut autant nous faillir. »
J’ignore ce qu’il vient de se passer. Je n’ai jamais vu aussi clair et été aussi troublé en même temps. Quand Jason a pris ma main et que j’ai fait un effort conscient pour ne pas la retirer, quelque chose s’est cassé en moi, et ma conscience s’est ruée vers l’extérieur. Un peu comme un barrage céderait sous la pression et déverserait d’un coup toute l’eau. Sauf que le raz-de-marée a cueilli Jason en pleine face. L’instant a été fugace et je peine à faire confiance à ma mémoire, mais je suis certain de m’être vu à travers ses yeux ! Et ça m’a carrément fait flipper. Plus jamais je ne lui donne la main…
Il est tombé dans les pommes, sa tête a heurté la table, mais il n’a même pas eu l’air de le remarquer. Son excitation est telle qu’elle semble littéralement irradier de lui en ondes rougeâtres…
– T’es sûr que ça va ?
L’énergie qui l’entoure m’inquiète. Je ne sais pas ce que j’ai fait, mais je suis convaincu que c’est ma faute…
– Non, rien ne va ! Tu n’es pas en train d’expliquer ! C’était quoi, ça ? Je t’ai juste touché, et puis… Woush ! Des couleurs, des sons et des odeurs partout ! C’est ça que tu ressens constamment ?
Je secoue lentement la tête. Il est beaucoup trop enthousiaste pour un type qui vient de se prendre un instant K.O. magique. Est-ce que je devrais l’emmener à l’hôpital ? Il a peut-être subi un traumatisme crânien ou un choc psychologique…
– Non, enfin, oui… Est-ce que… ça va, vraiment ? Tu t’es cogné la tête…
– N’essaie pas d’éviter les questions, sérieux, après ça tu me dois des réponses.
– C’est que… Tu saignes en fait.
L’odeur ferreuse du sang qui s’échappe de son nez m’avait déjà frappée avant même d’en voir la couleur. J’espère que je ne lui ai pas brisé le nez en plus… Voilà ce qui arrive quand je me laisse aller. J’aurais mieux fait de rester seul dans mon coin, je ne peux rien lui apporter que de la douleur…
– Quoi ? Ça ? demande-t-il en s’essuyant d’un revers de main. Je ne le sens même pas, t’en fais pas. Je saigne facilement du nez, et puis il est déjà écrasé de toute façon.
Il me tire la langue dans une tentative de me faire rire, mais il finit par se lécher la lèvre supérieure, rapidement inondée de nouveau.
– On devrait quand même aller à l’hôpital, ou au moins appeler ta mère.
– Mais non, puisque je te dis que ça va ! Je vais prendre quelques mouchoirs et ça va s’arrêter tout seul. Prépare tes réponses entre temps, ça a intérêt à être du bon !
Sur ces mots, il s’échappe vers la cuisine. Pas de titubement, pas d’hésitation, juste de la détermination, voire une certaine excitation. Peut-être qu’il n’a rien, finalement.
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Je n’ai moi-même rien compris à ce qui vient de se passer. Mais si je le déçois maintenant, si je ne lui dis pas tout, c’est sûr que ce sera fini. Peut-être que ce serait mieux, d’ailleurs, mais je n’ai pas envie de le perdre. Ça fait du bien d’avoir un ami.
– Alors, demande-t-il en revenant, son nez caché sous une montagne de mouchoirs, tu t’es décidé ?
– Je ne sais pas trop par où commencer… Enfin, pas qu’il y ait vraiment grand-chose à dire…
Je trébuche un peu sur les mots, plus nerveux que je n’aurais cru. Quand il vient s’asseoir à côté de moi, je recule instinctivement. Évitons de réitérer l’expérience : même si lui ne semble pas avoir été traumatisé, moi bien.
Il s’approche encore, et j’ai déjà une demi-fesse à côté de la chaise.
– Tu ne me fais pas peur, dit-il en me tendant la main. Je suis sûr que tu peux contrôler ça, quoi que ce soit.
– Je ne contrôle rien du tout, je ne sais même pas ce que c’est, recule.
Il secoue la tête, déterminé.
– Non. Je n’ai pas peur de toi.
Quand il met sa main sur mon épaule, je m’attends à un nouveau débordement, un choc, quelque chose, mais rien d’aussi violent ne se produit. Au lieu de ça, je suis submergé d’un cocktail d’émotions. Une sorte de mélange de confiance, d’amour et d’excitation. Et clairement, c’est un peu fort pour une simple accolade. Ça ne vient pas de moi.
– Merci.
Je lui souris. D’une manière ou d’une autre, il a réussi à me rassurer. Le fait qu’il n’ait pas été mis K.O. en me touchant doit aider…
Sous sa couche de mouchoirs, lui aussi sourit. Je le vois parce que les coins de sa bouche s’étirent, mais en vrai, c’est assez pitoyable. Et pourtant, ce sourire à moitié caché fait briller ses yeux, quelque chose dans ces derniers me fait détourner le regard. Je ne le mérite pas.
– Bon, t’es bien mignon à être gêné, mais j’attends toujours mes explications, moi.
– Juste. Bon, par où commencer ?
Je n’ai pas besoin de feindre l’hésitation pour repousser le moment. Je suis juste complètement perdu.
Jusqu’à ce qu’un autre sourire me rassure.
– Et si tu essayais le début ?
Quelque chose dans ses sombres yeux bruns a balayé toute ma réserve, toute ma gêne, et je me suis mis à raconter. Comment depuis que je suis tout petit, je me sens observé dans mes rêves. Qu’il y a des périodes où c’est pire, et d’autres où cette impression disparaît presque complètement. Comment pour le moment c’est de pire en pire.
– Qu’est-ce que tu entends par là, m’interrompt-il.
– Le rêve change, peu à peu. Au lieu de juste m’observer, il y a quelque chose qui rôde. Je me sens pourchassé. Quelque chose avec des yeux de prédateur, jaunes.
– C’est peut-être un traumatisme dû à une mauvaise rencontre avec un animal ? hasarde-t-il.
Je hausse les épaules.
– Je n’en ai pas souvenir, mais c’est possible. Pourtant, je m’entends bien avec les animaux. Particulièrement bien, en fait.
– Attends… Tu veux dire que tu es zoophile ? demande-t-il en ouvrant de grands yeux choqués.
– Bon, je continue ou bien tu veux continuer à te foutre de ma gueule ?
– Pardon, continue. Avoue que la vanne était tentante…
Je lève les yeux au plafond, il n’est pas croyable, ce type.
– Bref, je ne pense pas déjà m’être fait agresser par un chien, alors ce n’est sûrement pas ça.
Jason hoche la tête, l’air pensif.
– J’imagine qu’on ne dispose pas d’assez d’éléments pour lever ce mystère alors. Et pour tes sens ? Tes parents sont au courant ?
– Dans une certaine mesure, oui. Si ça ne m’a pas paru spécialement bizarre, c’est sûrement parce que maman a les sens très aiguisés également.
– À quel point ?
– Elle entendait notre conversation au téléphone alors que j’étais dans le couloir et avais fermé la porte.
– T’étais en haut-parleur ? demande-t-il en haussant les épaules.
– Non. J’avais couvert le téléphone d’une main et parlais bas.
– Ah…
– T’as pas l’air convaincu… Si je te disais qu’un jour, je l’ai surprise à lire dans le noir ? C’était en hiver, et elle était complètement happée par l’intrigue. Elle n’a pas remarqué que le soleil s’était couché et continué à lire. Quand je suis arrivé dans la pièce, j’ai allumé, et je l’ai vue sursauter. J’ai fait comme si je n’avais rien remarqué, mais je sais bien qu’elle ne s’était pas endormie en lisant. Elle possède une vision nocturne aussi acérée que la mienne, sinon meilleure.
– Attends… Tu vois dans le noir ? À quel point ?
– T’es drôle, toi, avec tes « à quel point »… Comment veux-tu que je t’explique ça ?
– Bonne question. J’imagine qu’on pourra faire des tests. Mais plus important, c’est quoi ce truc, quand tu touches les gens ? Tu dois savoir quelque chose, puisque tu évites le contact en général. Est-ce que ça t’est déjà arrivé avant ? Qu’est-ce que tu…
Je l’interromps avant qu’il puisse continuer de me bombarder de questions. Pourquoi ne peut-il pas juste rester calme ? Il va finir par me filer un mal de crâne…
– Une question à la fois, sinon on ne va pas s’en sortir. Oui, j’évite le contact. Non, c’est la première fois que je mets quelqu’un K.O. en le touchant, et ce serait bien que ce soit aussi la dernière.
– Mais non ! Imagine, on t’agresse, et boum ! Meilleure défense possible !
Il ne prend même plus la peine d’utiliser des mots, super. Et moi, je me retrouve à sourire devant son enthousiasme. Encore un peu et je me laisserais submerger par son excitation.
– Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je ne pense pas que ce soit une réaction « normale ». En général, je… « vois » ce que pense la personne ou ressens ses émotions.
– Mais c’est génial ! C’est comme de la télépathie, ou de l’empathie. Ce sont carrément des pouvoirs de superhéros !
– Eh bien désolé de te décevoir, mais je n’ai rien d’un superhéros. Je suis juste le mec assailli de scènes qu’il n’a pas envie de voir, ou contaminé par des émotions qui ne lui appartiennent pas. Parce que oui, je ne sais pas toujours faire la différence. J’ai des mégas sautes d’humeur parfois. Je n’influence pas les gens comme je veux, et quand je capte une image, c’est super bref et rarement… heu intéressant.
Je sens le rouge envahir mes joues. Sérieux, pourquoi fallait-il que je pense à ça ? En plus d’être un mec super bizarre, je vais passer pour un pervers…
– Je crois que je vois ce que tu veux dire, fait-il en m’adressant un clin d’œil complice. Avec toute la tension sexuelle refoulée à l’école, ça ne m’étonne pas. Et… comment tu distingues fantasmes et souvenirs en fait ?
– Crois-moi, c’est assez évident en général !
– Ne crois pas t’en tirer comme ça, je veux des détails ! s’exclame-t-il, un grand sourire aux lèvres.
– T’es sûr de vouloir parler de ça ici ?
Si j’ai bien compris, sa mère ne devrait pas tarder à rentrer. Je n’ai pas envie de donner une mauvaise première impression.
– T’as raison, on sera plus à l’aise dans ma chambre.
Il se lève et va vers la porte. J’imagine qu’on débarrassera plus tard, avant de mettre la table. La main encore sur la poignée de la porte, il suspend son mouvement et se retourne vers moi, soudain l’air gêné.
– Ahum… Euh… Juste niveau odeurs… Euh…
Il a l’air de chercher ses mots pour me dire quelque chose de vraiment embarrassant… Et puis les deux neurones dans ma tête finissent par se connecter, et j’éclate de rire. Quand je reprends mon souffle, je vois qu’il hésite entre rejoindre mon rire ou se laisser enfoncer dans le carrelage de honte.
– T’en fais pas, pas de jugement de ma part. Je te laisse une petite longueur d’avance ?
Il hoche la tête et s’enfuit par l’escalier. Je le suis du regard et souris. Si j’avais su qu’il serait plus gêné que moi, j’aurais probablement accepté son invitation plus facilement.
Je trouve ça intéressant que ça soit Greg qui soit flippé et Jason qui soit ultra excité et qui s'en cogne totalement d'avoir été blessé. Et surtout, sa confiance envers Greg, il est pas seulement excité de découvrir des supers pouvoirs, il fait aussi ce qu'il faut pour le rassurer et le mettre en confiance, même s'il est lui même assez inconscient en vrai je trouve xD Clairement, j'aurai pas sauté sur Greg à sa place. Mais c'est ce qui le rend attachant <3
Voir Greg qui s'ouvre petit à petit, c'est vraiment très satisfaisant je trouve. Pareil, en apprendre plus, que visiblement c'est pareil pour sa maman (en pire encore ?), c'est cool et ça fait poser des questions ^^ Pareil, pour les flashs qui viennent des autres, le pourquoi il s'isole, c'est vraiment sympa de mettre clairement les choses en mots, même si j'avoue que je meurs d'envie d'en savoir plus, même si, a priori, Greg en sait pas masse plus T.T
En Jason toujours aussi choupinou j'adore !
Eh oui, il ne manque plus grand chose pour tout comprendre, n'est-ce pas ?
Je suis vraiment le pire, à prendre une pause d'un mois après un chapitre ainsi...
Merci encore pour tous tes commentaires ! :D
Je n'ai pas tout compris le sous-entendu pour les odeurs... C'est plus clair le chapitre d'après ou est-ce que je suis vraiment un peu neuneu ? :p
Clairement, il se passe un truc entre les deux. Vu que Greg n'approche personne, je me demande s'il aurait la même réaction avec tout le monde ou si c'est juste avec Jason qu'il y a cette espèce de connexion.
En tout cas, je comprends mieux Greg. Je pensais qu'il était juste assailli par les sens "normaux" (odeur, bruit..), pas qu'ils se prenaient les émotions de tout le monde en pleine figure ! Cela doit donner des envies de virer anachorète...
Dis donc, t'es au taquet, ce soir !
J'ai peut-être un peu abusé sur les sous-entendus. C'est normal que ce ne soit pas totalement clair, histoire qu'on puisse l'interpréter de différentes manières. Enfin, certains éléments seront repris du point de vue de Jason au prochain chapitre, alors ça devrait aller !
Est-ce que j'aurais dû un peu plus pousser sur le côté émotions dans les chapitres précédents ? J'ai fait exprès de ne pas le marquer noir sur blanc, mais j'ai laissé quelques indices... Ceci dit, Greg ne l'assumait pas entièrement.
Il tire la conclusion après ce qui vient de se passer, même si quelque part, il le savait déjà. Et c'est là que je me dis que j'abuse peut-être un peu sur son assurance quand il parle de ces souvenirs/pensées perçues et cette contamination d'émotions. (Pourquoi est-ce que je ne pouvais pas faire un perso plus simple ? x) )
On comprend un peu mieux son isolement, n'est-ce pas ?
Merci pour ton commentaire ! N'hésite pas à être un peu plus dure pour les éléments qui te paraîtraient bancals.
Pour les émotions, il faudrait que je relise le début avec cette nouvelle information. Je n'ai pas vu les indices que tu as semé (j'ai eu juste l'impression que Greg était gêné par le bruit et les odeurs) et qu'il était de mauvais poil par nature. Ce qui me semble plus curieux, c'est qu'il devrait rechercher la présence de personnes de bonne humeur pour être lui même un peu joyeux. Là, on dirait qu'il ne prend que le négatif (ou alors j'interprète mal) et qu'il fuit tout le monde, bonnes ou mauvaises ondes.