12- Zoey

Par Aylyn

En revenant dans la salle, je tombai sur une ambiance encore plus survoltée que tout à l’heure. J’eus bien du mal à me faufiler jusqu’à la scène et à rejoindre mon amie. Heureusement que celle-ci avait garder nos places. A cet instant, je ne rêvais que de reposer les yeux sur lui tout en appréhendant de recroiser ses prunelles bleutées. La lumière se raréfia et deux projecteurs s’allumèrent, éclairant la scène. En rythme, les spectateurs tapèrent des mains, appel unanime à l’arrivée des musiciens. Le batteur s’installa en premier, salua la foule avant de jouer de son instrument, scandant l’attente. Dans ma poitrine, mon palpitant se calqua sur les percussions, comme si l’instrument prenait possession de mon corps. Mon regard restait rivé sur le mur du fond, à l’affût des prochaines silhouettes qui allaient en émerger. Le bassiste suivit, nous offrant un riff endiablé. Puis, le deuxième, qui unissait volontiers sa voix au chanteur. J’étais aussi en transe que le reste du public même si je contenais tout à l’intérieur. Je faisais peut-être tache à rester immobile au milieu de tous ces corps exaltés, mais je m’en moquais. Enfin, une dernière forme apparut. Elle s’avança jusqu’au micro sur pied et salua de nouveau la foule. Son regard balaya la salle. Je ne pouvais m’empêcher de le détailler, des tatouages sur ses bras nus, la ligne de sa mâchoire, le sourire en coin qu’il affichait…

Il venait de me trouver. Je sentis ses yeux s’attarder sur moi, intenses. Mes lèvres esquissèrent un sourire, tout le reste de mon corps figé sous son attention. Puis il enroula sa main autour du micro et envoya les premières paroles d’un de leur succès. Les cordes des guitares vibrèrent doucement avant de se déchaîner sous les doigts agiles des musiciens. La voix rauque et légèrement éraillée de Trevor emplit la pièce et m’emporta de nouveau. Cette fois, je ne pus fermer les paupières. Je n’arrivai pas à couper ce contact. A tel point que je ne comptais plus le nombre de fois où il me surprit. Comme désinhibée par l’ambiance et malgré ma timidité, je ne détournai pas les yeux.

 

Le concert prit fin, sous un tonnerre d’applaudissements et d’ovations. Les artistes saluèrent puis retournèrent dans la partie coulisse. Euphorique, mon amie sautillait sur place, un immense sourire aux lèvres.

— C’était génial, hein ? Alors, le premier rang ?

J’acquiesçai. Elle ne savait pas à quel point ! Si nous n’avions pas été sur le devant, jamais il ne m’aurait remarqué. Je ne pouvais m’empêcher de douter. Une fille ordinaire comme moi, attirerait-elle vraiment l’attention d’un gars comme lui ? Il avait seulement voulu être gentil, rien de plus. Je me faisais vraiment des films. Secouant la tête pour me remettre les idées en place, je suivis ma colocataire à l’extérieur, ou tout du moins essayai. Ce n’était pas une mince affaire vu le monde qui se pressait pour sortir. Je décidai d’attendre que le flux soit moins important. Elle m’attendrait devant.

Pour éviter de me faire malmener par le mouvement de foule, je me mis en retrait près du mur. Les gens bouillonnaient de l’excitation engendrée par le concert et n’étaient pas particulièrement regardant sur leurs gestes. Un peu gênée par la proximité avec tous ces inconnus exaltés, je me rencognai contre la scène, seul espace un tant soit peu délaissé. Je respirai mieux. Je n’étais pas pressée. Quand la pièce se désemplit, je quittai le recoin pour sortir à mon tour. Une main posée sur mon épaule me fit sursauter. Je me retournai, priant pour que ce ne soit pas un gars un peu trop entreprenant. Sous une capuche sombre similaire à la mienne, je plongeai dans des prunelles azur. J’en restai muette de stupeur. Oh. Mon. Dieu. Un sourire à tomber me percuta puis il saisit doucement mon poignet avant de m’entraîner en sens inverse. Je le suivis machinalement, n’ayant conscience que de l’endroit où sa peau touchait la mienne. Il nous fit franchir une issue de secours donnant sur l’arrière.

— Excuse-moi de t’avoir enlevé de cette façon mais je voulais t’aider à sortir au calme.

Je hochai la tête, empêtrée dans ma timidité.

— Alors cette deuxième partie ? s’enquit-il.

Voilà une question simple. Je pouvais le faire. Je m’éclaircis légèrement la voix avant de répondre.

— Aussi bien que la première. J’ai aimé particulièrement Dark Spirit.

Ses yeux pétillèrent alors qu’il me dévisageait. Je baissais les miens, gênée d’être ainsi le centre de l’attention. De son attention.

— Tu n’as pas fermé les yeux cette fois-ci.

Il était passé au tutoiement et je trouvai ça naturel. J’attendis, en suspens, qu’il souligne à quel point j’avais bloqué sur lui. J’envisageai même la fuite pour mettre un terme à mon malaise. Mais il n’ajouta rien. Je relevais la tête pour voir ce qu’il faisait. Il vint s’adosser au mur, juste à côté de moi. Les mains dans les poches, il joua avec les gravillons du bout de sa semelle. Pour un peu, il paraissait aussi timide que moi.

— Je ne regrette pas d’être venue en tout cas, avouai-je à demi voix. La musique m’avait manqué.

Cette réflexion m’avait échappé. Je refermai ma bouche, surprise de m’être laissait allée à ce genre de confidence. Derrière, mon passé grondait, prêt à m’engloutir de nouveau. Sa voix me sortit de mes pensées, me ramena à l’instant.

— La musique, mes textes…Ce sont mes exutoires.

Ses paroles résonnaient tellement avec mes propres états d’âme. Lui aussi se dévoilait. J’eus soudain l’envie d’en savoir plus sur lui, sur ces blessures que je devinais. Au même moment, mon portable vibra avant d’entonner les premières notes de la sonnerie pré enregistrée. En avisant le prénom qui s’affichait, je me dépêchais de répondre.

— Alix. Oui, désolée. Je suis passée par l’arrière car il y avait trop de monde en train de sortir.

Dans le même temps, je lançais une grimace d’excuse en direction du jeune homme. Il ne semblait pas gêner du tout. Je le surpris même en train de me dévisager, son sourire craquant fiché sur ses lèvres. Je perdis quelques secondes le fil de la conversation. Il parut se rendre compte de mon trouble et se détourna légèrement. Je tentai de me concentrer.

— Je te rejoins sur le parking. Désolée de t’avoir inquiété. Oui, promis.

Je raccrochai, me traitant intérieurement de sotte. J’avais complétement occulté que mon amie m’attendait à la sortie.

— Désolé, s’excusa-t-il. Je n’aurai pas dû t’embarquer comme ça.

— J’ai perdu la notion du temps, avouais-je. Je…Bon, je vais y aller.

— Rentre bien, Zoey.

J’allais me fendre d’un « Toi aussi », automatique mais me repris in extremis.

— Bonne soirée, réussis-je à murmurer avant de rejoindre mon amie.

Je flottais littéralement sur un nuage, déconnectée du reste de la réalité. Il n’y avait plus que cette image dans ma tête, le sourire ensorcelant de ce garçon et cette étrange connexion que j’avais ressenti entre nous. Une parenthèse hors du temps qui se refermait déjà alors que je m’éloignais vers le parking.

 

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