13) Girls Talk

Je portais mon mug de thé à mes lèvres avec un petit soupir de contentement. Peu de choses étaient plus agréables, après une dure journée, que de s’asseoir en tailleur sur la couette bien propre de son lit, en robe de chambre, avec une délicieuse boisson chaude entre les mains. Personnellement, j’appréciais particulièrement un bon thé jaune avec un nuage de lait et un demi-sucre.

— Alors là, j’ai du mal à y croire, commenta Hélène en continuant de touiller son chocolat chaud. Je te traite pas de menteuse, mais… je dois bien avouer qu’il faudrait beaucoup d’imagination pour inventer un truc pareil.

— Hell, c’est ta nuisette qui ne laisse pas de place à l’imagination, répondis-je avec un petit rire.

— Hey ! C’est pas très gentil ça, remarqua-t-elle, non sans sourire. Tu veux que j’enfile un peignoir ?

— Non, c’était juste pour plaisanter, appuyais-je avec un petit rire. Nous sommes entre filles, et je n’ai pas oublié de fermer la porte à clef.

— Ah, je pensais que t’étais une pudique naturelle, déclara Hélène en haussant les sourcils. Mais en fait, c’est juste les mecs qui te dérangent, conclut-elle en s’asseyant à l’autre bout de mon lit avant de siroter sa boisson. Mais quand même, pour en revenir au sujet, c’est complètement fou, ton truc.

Je grimaçais légèrement en tentant de deviner mon propre reflet à la surface de mon thé au lait. Je devais bien admettre que je n’aurais moi-même pas cru cette histoire, si on me l’avait raconté. Cependant, j’en gardais des souvenirs et des traces bien tangibles.

— Je vois ce que tu veux dire, répondis-je finalement en attrapant un oreiller afin de le placer sur mes genoux. Mais regarde, j’ai bel et bien été soignée de mes blessures en très peu de temps, et je me suis réveillée à l’infirmerie. Et puis il y a mon don aussi… avançais-je en tournant la tête vers mon interlocutrice.

Hélène afficha une grimace intriguée avant de prendre une gorgée de son chocolat. Puis elle me tendit la main en haussant brièvement un sourcil, ce que je n’eus aucun problème à interpréter tandis que je lui faisais passer un oreiller qu’elle plaça également sur ses genoux. Puis elle prit une longue inspiration d’un air songeur, semblant chercher la réponse sur le plafond quelques secondes.

— Oui, mais, commença-t-elle. Et je dis ça uniquement pour écarter toutes les options, si tes blessures elles-mêmes faisaient partie de ton rêve ? Après tout, tu ne m’as toujours pas dit comment tu les avais reçues.

— J’ai promis à Misandre de ne rien dire.

— Ouais, j’ai saisi, mais ça aide pas. Surtout que son Emprise ne laisse pas le genre de blessures que tu as décrites.

— Eh bien, dis-toi simplement que j’ai eu affaire à quelqu’un qui était capable de me les infliger. Et j’ai déjà l’impression d’en avoir trop dit, soupirais-je. De toute façon, tu as bien vu mon pauvre ensemble beige ? Il est complètement taché de sang, comme mes chaussures !

La colosse marqua une pause et plissa les yeux en prenant une autre gorgée dans son mug, faisant légèrement claquer sa langue en continuant à réfléchir.

— Oui, et il faut bien avouer que vu la position des tâches, ce sang est bien le tien, avoua-t-elle avant d’afficher un large sourire. Haha, mais je suis surprise qu’il ne soit pas bleu ! C’est peut-être une preuve que c’est pas le tien ! ajouta-t-elle avec humour, ses spasmes de rire faisant bouger tout le lit.

— Ha, ha, grimaçais-je avec un rire jaune. Mon ancien milieu social va être la source d’encore beaucoup de plaisanteries dans le futur, je le crains, ajoutais-je, pince-sans-rire.

— Ah, ça ! déclara Hélène en pouffant à nouveau de rire. Il va falloir que tu apprennes à en rire toi-même, c’est la meilleure solution. Et puis les autres ne ressentiront pas le besoin de te le rappeler s’ils voient que tu es cool avec ça, précisa-t-elle en vidant son mug.

— L’autodérision a beau être une qualité typiquement britannique, ce n’est pas une des miennes… Et puis on s’éloigne du sujet, non ?

— Roh, on a tout notre temps, déclara mon interlocutrice en posant sa tasse sur ma table de nuit, avant de placer son oreiller derrière elle pour s’adosser au mur. Allez, essaie au moins une fois ! Profite, on est juste entre nous ! m’encouragea-t-elle avec un sourire laissant entendre que ça l’amuserait bien.

Je soupirais en roulant des yeux, puis je finis ma tasse de thé avant de la poser à mon tour sur la table de nuit. Je me levais alors et hésitais un bref instant. Je ne savais même pas ce que j’étais censée faire exactement. J’improvisais donc de mon mieux, me faisant la plus impérieuse possible en pointant le doigt vers ma camarade :

— Je ne puis tolérer de me faire invectiver de la sorte par une plébéienne inférieure telle que toi ! J’exige un millier d’excuses ! déclarais-je le plus pompeusement du monde en laissant mon accent hors de contrôle.

Il y eut au moins trois interminables secondes de silence, pendant lesquelles Hélène me regardait sans qu’aucune expression ne soit lisible sur son visage. Et au moment où je m’y attendais le moins, au moment où ma gêne ne pouvait pas être plus grande, elle laissa simplement échapper :

— C’était super raciste.

— Hein ? Qu-quoi, mais j- ! bafouillai-je en rougissant soudainement.

— Hahaha ! s’esclaffa soudainement la colosse. Je plaisante voyons ! Je plaisante ! C’était un bel essai, j’ai pas pu résister ! T’avais juste l’air tellement gênée, je devais absolument te taquiner ! Pff, hahaha !

Mon désarroi semblait vraiment l’avoir plongée dans un profond fou rire à peine contrôlé. Et je devais bien admettre que la voir ainsi me faisait légèrement sourire à mon tour. Elle était vraiment pleine d’enthousiasme. Mais d’un autre côté, elle était également sérieuse et responsable, lorsqu’il le fallait vraiment. Elle faisait effectivement une bonne responsable de dortoir.

— Par contre… soupirais-je en retombant assise sur mon lit. Je ne pense pas que l’humour arrangera quoi que ce soit avec Améthyste.

— Ah oui, y a cette histoire aussi, fredonna la colosse en croisant les mains sur son ventre tandis qu’elle étendait ses jambes. Tu sais, je pense qu’elle s’en voulait un peu de t’avoir mise en colère, mais que t’as merdé en critiquant son art.

Je soupirais encore une fois en portant une main à mon visage.

— Oui, je sais… ne m’en parle pas. Mais j’étais en colère, et j’aurais pas dû, mais… grognais-je de frustration en frappant du poing dans le coussin sur mes genoux. Je ne suis qu’une idiote !

— Ça a l’air de compter pour toi, de te réconcilier avec elle, souligna Hélène.

— Oui, parce que je l’apprécie, confessais-je aisément. J’en ferais autant pour toi, assurais-je en tournant mon regard vers mon interlocutrice.

— Haha, c’est gentil, fit-elle avec un sourire. Mais tu sais, Améthyste est une très forte personnalité, comme toi, donc je pense que ça finira toujours par clasher entre vous deux, déclara-t-elle avec une étrange bonne humeur. En plus, vous êtes plutôt opposées dans vos styles, hahaha !

— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, répondis-je, un brin boudeuse. Tu dis qu’on est condamnées à se disputer si aucune de nous deux ne se décide à faire le dos rond.

— Oui, mais, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, précisa Hélène avec le plus grand des sérieux.

Elle attrapa alors son coussin derrière elle et vint s’asseoir en tailleur en face de moi, avant de le poser sur ses genoux pour s’y accouder. Puis elle reprit son argumentation sous mon œil sceptique :

— C’est sans doute parce que tu dois être fille unique, ou parce que t’as fréquenté que des gens bien éduqués jusqu’ici, mais… fit-elle avant de s’éclaircir la gorge. J’ai deux petites sœurs, deux grands frères et un petit ! Et je peux t’assurer qu’on ne fait que se provoquer et se vanner dès qu’on en a l’occasion.

Je haussais un sourcil avec un début de sourire amusé.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire que se disputer est un moyen de communiquer comme un autre. Et s’il est bien utilisé, c’est un biais qui peut être aussi sain que n’importe lequel ! affirma-t-elle avec un grand sourire.

Je marquais une pause, mon visage étant encore indécis à savoir quel genre d’expression afficher.

Puis je détournais brièvement mon regard de celui d’Hélène avant de me mordre la lèvre.

— Bon sang, je suis surprise de ne pas t’avoir croisée au cours de Krasny, concluais-je.

— J’y suis restée deux ans d’affilés, expliqua-t-elle en roulant des yeux. Mais pour ma troisième année, j’ai préféré m’occuper du club d’arts martiaux, laissé à l’abandon.

— Oh, je vois, d’ailleurs, tu n’avais pas un cours de jujitsu à donner ce soir ?

— Ouais, de dix-sept heures à dix-huit heures trente, précisa-t-elle. Je venais à peine de finir de me changer quand je t’ai aperçue te faire emmerder par ces deux débiles, grimaça-t-elle en tirant la langue.

— Haha, merci encore… fis-je simplement.

— C’est plutôt elles qui devraient me remercier. Je ne sais pas si c’est à cause de ton Emprise, mais il y avait quelque chose dans tes yeux qui me disait que tu allais les déchirer en lambeaux.

— Je vois qu’on reste dans le champ lexical félin, soupirais-je exagérément en laissant tomber ma tête dans l’oreiller sur mes genoux.

— Hahaha ! J’ai même pas fait exprès ! confessa Hélène en se claquant la cuisse.

— Et puis n’appelle pas ça une Emprise, ça me dérange…

— Ah oui, on en revient à la discussion principale ! ricana la colosse. Cette « extraterrestre » t’aurait donc donné un pouvoir « légitime », contrairement aux nôtres, qui selon elle, sont usurpés.

— Je sais, dit comme ça, ça ne paraît pas très crédible. En ce qui me concerne, je sais qu’il m’a été donné de plein gré. La preuve, je n’ai pas eu à attendre toute une année…

— Tu marques un point, marmonna Hélène en rajustant sa position sur mon lit. Je dirais que ça, en plus de tes vêtements ensanglantés, c’est peut-être la preuve de ce que tu dis.

— Tu penses que je mens ? Ou que j’ai perdu l’esprit ? Et puis tu oublies le tatouage, et j’ai une photo !

— Non, répondit immédiatement mon interlocutrice en secouant lentement la tête. Mais je sais qu’il peut se passer des choses très étranges sur ce campus, entre les ondes présentes, les diverses Emprises qui agissent sur le cerveau et qui peuvent se croiser… ce genre de choses. Je sais que tu es de bonne foi, mais tu as pu te laisser tromper. Cependant, en deux ans, c’est la première fois que j’entends un tel récit. Appuyé par des preuves tangibles, en plus… souffla-t-elle. Ce tatouage a l’air récent en plus… par contre, cette photo pourrait très bien être une blague. Avec les seins à l’air en plus, souligna-t-elle en ricanant.

— Mouais… soupirais-je en attrapant mon mug vide pour en contempler le fond. N’empêche que je sais ce que j’ai vu. Que tu me croies ou non ne change rien. J’ai été chargée d’une mission terriblement importante, et je me demande si je suis vraiment à la hauteur…

— Heh, va savoir ! déclara la colosse. Peut-être que la dame du lac te remettra Excalibur et que tu deviendras reine de Bretagne ! plaisanta-t-elle. Hahahaha !

— Pff… soupirais-je non sans un large sourire. L’épée dans le rocher et Excalibur sont deux choses différentes. Et puis si on prend la théorie du mythe du héros, mon Excalibur, c’est ce pouvoir.

— Hé ben t’es cultivée. Du coup, tu appellerais ça comment, si c’est pas une Emprise ?

— Je ne sais pas, qu’est-ce que tu proposes ?

— Humm… fit la colosse en se tenant le menton. Ce que tu as dit tout à l’heure, Cool Cat, ça sonnait bien ! C’est le titre d’une musique de Queen, il me semble… entre autres.

— Eh bien, pouffais-je de rire. J’avoue que j’aime bien Queen, et puis ce nom convient très bien, déclarais-je avec enthousiasme.

— Et c’est le nom d’un morceau d’électro swing d’anthologie, aussi ! ajouta Hélène.

— De… l’électro swing ? répétais-je, incrédule. Ça existe vraiment ?

— Quoi ? s’étonna la colosse d’ébène. Mais on faisait des chorégraphies sur cette musique avec mes frères et sœurs quand j’étais au lycée ! C’est super connu ! T’as grandi dans une grotte ?

— C’est ça, moque-toi ! Mais j’aurais préféré danser sur des musiques modernes, moi aussi, plutôt que de pousser mes cours d’équitation jusqu’au galop sept...

— Vous avez le même système de classification de compétence de cavalerie, en Angleterre ? demanda mon interlocutrice, curieuse.

— Pas vraiment, mais mon professeur était un horrible français à moustache qui m’envoyait passer mes examens d’équitation en France, grimaçais-je. Après, j’ai arrêté en prétendant que ça entravait mon apprentissage de la musique.

— Tiens, ça me fait penser… fredonna Hélène en tapotant son menton du bout de ses doigts. Est-ce que Cool Cat fonctionnerait sur des animaux ?

— Ah, je vois que le nom est déjà décidé, fis-je remarquer avec un sourire amusé. Mais c’est une question intéressante, il faudra que j’essaie.

— Et pour ce qui est d’Améthyste, bifurqua instantanément Hélène. Tu devrais lui envoyer un texto demain, après les cours. Je suis sûre que tu peux débloquer la situation.

— Oui, j’espère, merci du conseil, répondis-je un peu laconiquement.

— Et prévois de faire des courses aussi, si tu veux te faire à manger le soir. Et puis la cafeteria, ça va un moment, mais ça devient vite redondant, grimaça-t-elle. Ah oui, et les machines à laver se trouvent tout au bout du couloir. Il faut que tu achètes ta propre lessive, conclut-elle avant de se lever de mon lit.

— Merci Hélène, t’es super, affirmais-je avec un grand sourire en levant la tête vers elle. Mais tu t’en vas déjà ?

— Ouais, j’ai toujours pas mangé et je crève la dalle ! Je vais me faire du pain frotté à l’ail, puis je vais le passer au four avec de la sauce tomate au basilic, de la mozza et des petits lardons ! déclara-t-elle en faisant claquer ses lèvres et en joignant son pouce et son index. Tu en veux ? proposa-t-elle ensuite.

— Sans lardons pour moi ! Mais ça a l’air délicieux ! complimentais-je d’avance en me levant de mon lit avec un sourire enthousiaste.

— Cool ! Tu vas m’aider à cuisiner alors, les garçons se débrouilleront de leur côté pour manger ! déclara-t-elle en se dirigeant vers la porte d’un pas volontaire.

— Heu, Hélène, la stoppais-je en posant ma main sur son épaule. Tu ne veux pas enfiler quelque chose d’abord ?

Elle baissa les yeux sur sa nuisette, constatant à son tour que le moindre mouvement trop ample révélerait bien trop de choses. Puis elle afficha une moue vaguement pensive avant de faire un léger geste du doigt, comme si une idée était en train de lui venir en tête. Au bout d’un moment, elle claqua des doigts.

— Je vais passer par ma chambre et enfiler un peignoir ! conclut-elle finalement.

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