13 — Le Théâtre

Par Rouky

Quel Artiste Meurt en Moi

 

Le Théâtre Ombrelune, au cœur d’Ossenoir, n’attirait plus les foules depuis longtemps. Jadis haut lieu de la culture, il était désormais rongé par l'humidité et les souvenirs. Ses rideaux étaient poussiéreux, ses fauteuils grincants, et les coulisses emplies d'un air moisi et stagnant. Mais Irène Delarte, comédienne passionnée et solitaire, y montait chaque semaine sa pièce. Seule sur scène, elle récitait des monologues tragiques, des drames anciens, jouant pour un public quasi absent.

Sauf pour un spectateur.

Un seul homme. Toujours le même. Jeune, charmant, les cheveux blonds brillants sous les lueurs fanées du lustre. Il portait un long manteau noir, et un étrange foulard en soie noué autour du cou, étouffant, même en été. Ses yeux clairs étaient vifs, brillants. Il applaudissait toujours avec ferveur, les mains gantées, puis disparaissait dès que le rideau tombait, comme emporté par le vent.

Irène avait tenté de lui parler plusieurs fois, mais il s'éclipsait toujours. Elle crut d'abord à la timidité, puis à un jeu. Il n'achetait pas de billet, ne parlait à personne, ne quittait jamais son fauteuil du fond.

Un soir, alors qu'elle préparait sa loge, elle remarqua une corde pendue à un cintre. Un long nœud coulant, balancé mollement dans les airs, comme une invitation silencieuse.

— Quelqu'un... fait une blague macabre ?

Elle la fit retirer, sans y penser davantage. Une angoisse sourde s'installa en elle.

Mais le lendemain, elle était de retour. Suspendue au-dessus du piano. Le soir suivant, au-dessus des coulisses. Chaque nuit, elle changeait de place.

Irène interrogea le régisseur. Personne ne venait plus ici, mis à part elle. On ne prêtait guère attention au vieux théâtre, à ses histoires.

La seule personne à qui elle pensait était l'homme au foulard. Alors, lors de la prochaine représentation, juste avant de jouer, elle s’avanca sur le bord de la scène, s'adressant directement à lui.

— Est-ce que c'est vous qui installez cette corde ?

Un long silence.

Puis il se leva lentement, les mains croisées.

— Non, clama-t-il. Ce n’est pas moi. C’est elle. La corde. Elle me poursuit depuis toujours. Elle m'a choisi. Puis elle vous a trouvée.

Irène recula d’un pas. Elle voulut descendre de scène, s’enfuir.

Mais d’un clin d’œil, l’homme blond était soudain devant elle. L’air devint chaud, étouffant. Le silence était pesant, résonnant comme dans une crypte.

L'homme enleva lentement son foulard.

Son cou était brisé, tordu dans un angle atroce. La peau bleuie, striée par l'étau d'une corde invisible. Ses yeux, auparavant brillants, étaient maintenant d'un noir absolu. Plus aucun blanc. Un abîme sans fond.

— Mon nom est Silas Noxley, dit-il avec un sourire. J'ai joué ici, il y a très longtemps. Je m'y suis pendu. Sur cette même scène. Un soir sans public... La corde m'a réconfortée, elle m'a gardé. Et maintenant, elle vous veut, vous.

Du plafond, dans un grincement sec, la corde descendit lentement, sinuant comme un serpent. Le nœud se forma sous ses yeux, parfait.

Irène voulut courir, mais ses jambes refusaient d'obéir. Son souffle s'accéléra. Elle tomba à genoux, suffoquant sous une panique écrasante.

— Ne crains rien. Je serai là, dans l'autre-monde. Pour t'écouter jouer. Tu ne seras plus seule.

Elle hurla. Elle le supplia. Elle lui proposa même de jouer pour lui, chaque soir, s'il la laissait vivre.

Mais Silas, d'un geste doux mais inflexible, passa la corde autour de son cou. Elle sentit le chanvre rugueux s'enrouler contre sa peau. Elle suffoqua.

La corde se tendit.

Elle s'éleva, lentement, ses pieds quittant le sol. Ses mains s’agitaient, cherchant à s’agripper au vide. Ses larmes coulaient en silence.

Silas observait, le visage illuminé par un plaisir tranquille. Une musique ancienne se mit à résonner, sans source visible, comme un gramophone égaré.

Et Silas, toujours souriant, claqua des mains.

La corde se relâcha brusquement, puis se raidit d’un coup.

La nuque d’Irène céda dans un craquement sinistre. Un silence total s'abattit sur le théâtre.

Le rideau tomba.

Depuis, certains soirs, on raconte que le Théâtre Ombrelune s’illumine, bien que personne n’y joue. Des passants affirment entendre une femme gémir sur scène, comme si elle était encore suspendue. Et, plus glaçant encore, les rires étouffés d’un homme, tout près du rideau rouge.

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Talharr
Posté le 07/07/2025
Hello,
La scène est très dur et réussie. On comprend la mécanique de tes histoires mais chaque histoire apporte son lot de peurs.

Petite suggestion : "Mais une angoisse sourde s'installa en elle.

Mais le lendemain, elle était de retour." Peut-être enlever un des "Mais" qui fait trop de redondance, en deux lignes.
Rouky
Posté le 07/07/2025
Salut ! ^^
Merci pour le conseil, je n'avais même pas fait attention ! Merci :-)
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