Kalan commença sa journée du lendemain par une séance de course à pied, ponctuée d’exercices physiques. Popi le suivit, profitant de la balade avant d’aller passer sa matinée au sanctuaire. Kalan avait négocié avec Nekoline de courir et de se muscler de son côté, afin de finir plus tôt pour visiter son frère. Elle lui avait donc donné une liste d’exercices et d’étirement à effectuer. Le jeune Sombre suivit les instructions consciencieusement, voulant tenir la promesse faite à Nessan de devenir un protecteur pour Linone et, plus raisonnablement, pour leur sœur. Il se lava avant de rejoindre le groupe de Holl, n’oubliant pas de ceindre les poignards que Nekoline lui avait demander de porter à leur entrainement. En arrivant, Holl les accueillit avec le sourire :
— Nous avons une bonne nouvelle ! Wakami vient de m’apprendre que le groupe de théâtre arriverait en fin de journée avec les représentants de Blige. Ce soir, ce sera donc une soirée festive à Mérin ! Je vous laisserai congé demain, vous pourrez faire vos exercices chez vous.
Wakami éclata de rire.
— Vous n’avez encore participé à aucune fête ici, mais sachez que Holl rentre toujours tard, je doute qu’il soit apte à faire quoique ce soit demain matin.
— C’est exact, je me laisse un peu aller durant nos soirées. Epoline ! poursuivit le Visionniste en se tournant vers la Princesse.
— Oui, Maître Holl ?
— Il y aura de l’alcool ce soir, tu as interdiction d’y toucher.
— Mais… Je… Oui, bien sûr, balbutia-t-elle, surprise.
— Désolé Epoline, mais à ton âge, je finissais les fonds de bouteilles et Holl a été traumatisé de me retrouver ivre mort sous une table, lui confia Wakami.
Epoline retint un rire, tandis qu’Ahia et Kalan secouèrent la tête.
— C’est exact, affirma Holl. Je ne savais pas que les enfants pouvaient avaler de telles cochonneries. Bien, la question étant réglée, je vais débuter le cours.
Une fois la séance terminée, Kalan monta rejoindre Orielle. Elle avait préparé son heure consciencieusement.
— Pour commencer, déclara-t-elle, laisse-moi entrer dans ton mental afin de t’expliquer comment mettre en place une barrière toute simple.
— Très bien, répondit Kalan, un peu tendu à l’idée d’accueillir quelqu'un dans son esprit.
La Coloris se glissa comme de rien dans son monde intérieur. Il nota qu’au contraire de Wakami qui était presque brillant dans son imaginaire, Orielle était proche de la réalité.
— Bien, lui dit Orielle avec douceur. Je vois que tu as déjà un dôme bien fait qui protège tes pensées de l’extérieur. Pour tes barrières ce sera un peu le même principe, mais en plus… consistant. C’est un peu plus dur à mettre en place. Regarde.
La Coloris toucha le dôme de Kalan qui parut se solidifier. Kalan sentit un frisson lui parcourir la nuque et une sensation inconnue le gagna.
— Tu as senti ? demanda-t-elle.
— Qu’est-ce que c’était ?
— Ce que tu dois éprouver quand tu construis une barrière. Recommençons jusqu’à ce que la sensation te soit familière.
Et elle recommença de nombreuses fois. Au bout d’un certain temps, Kalan déclara :
— C’est bon, je crois l’avoir bien cernée.
— Incroyable ! Maintenant essaie de retrouver ce chemin par toi-même. Tu peux t’aider en imaginant toucher le dôme comme je l’ai fait.
Il posa sa main sur sa protection et resta ainsi un long moment. S’il savait ce qu’il devait ressentir, c’était bien plus compliqué de déclencher la sensation.
— Je n’y arrive pas, se plaignit-il.
— Il ne faut ni forcer les choses, ni attendre qu’elles viennent. Essaie de te rappeler simplement ce moment où tu as senti que tu étais protégé. Laisse juste le souvenir te gagner, sans le chercher.
La différence était subtile mais Kalan lâcha prise et laissa le souvenir récent l’envahir, sans tenter de l’agripper. Au bout d’un long moment encore, la sensation refit surface.
— Ça y est ! s’écria-t-il.
La sensation s’évanouit aussitôt.
— Incroyable ! s’exclama Orielle. Tu es doué !
— Tu trouves ? On a passé la séance pour ce minuscule résultat.
— Je ne pensais pas que tu y parviendrais aujourd’hui pour être honnête. Nos prochaines séances tourneront uniquement autour de cet exercice. Tu peux t’entrainer de ton côté si tu le désires.
— J’essaierai, mais ta présence m’a bien aidé à ne pas m’égarer dans n’importe quelle direction. Je pense que je vais attendre avant de me lancer là-dedans tout seul.
— Il faut suivre ton intuition. En parlant de t’entrainer…
Elle parut gênée. Kalan mit un instant à comprendre et éclata de rire dans son monde intérieur.
— On prend congé demain parce qu’il y a des festivités ce soir, c’est bien ça ?
— Exactement ! Je passe pour une mauvaise enseignante, mais cela fait longtemps que je n’ai pas passé la soirée avec Isfan et il a pris congé demain matin au sanctuaire, un aîné le remplace. Il ne donnera pas non plus le cours à Epoline.
— Je pense que je profiterai aussi de la soirée pour apprendre à mieux vous connaître, un congé ne me fera pas de mal, admit Kalan.
Les deux Elfes retrouvèrent le monde physique et clignèrent des paupières un instant avant de se lever. Kalan la remercia pour le cours et avant de descendre manger. Cette fois, il eut juste le temps de laver sa vaisselle avant que Nekoline ne l’appelle. Elle ne l’entraîna pas bien loin, son enseignante l’encorda dès qu’il sortit de la bâtisse.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna l’élève.
— On va commencer par l’escalade et on s’entrainera au combat là-haut, répondit-elle en désignant la paroi rocheuse dans laquelle étaient encastrés le sanctuaire et la bâtisse commune.
— Là-haut ? Tu es folle ! s’exclama Kalan.
— Pas du tout, j’ai fait un repérage ce matin et il y a une surface plane tout en haut. Allons-y !
Elle s’élança contre la paroi et tira sur sa corde pour l’obliger à lui emboiter le pas. Kalan la suivit docilement, essayant d’oublier la hauteur, la douleur aux bouts des doigts et les spectateurs de Mérin qui les observaient escalader bâtisses et rochers.
— Canalise ton Énergie dans tes doigts et tes pieds, tu en gâches une partie en contractant tes bras, conseilla la Gardienne. Oui, comme ça, c’est mieux, l’encouragea-t-elle.
Kalan n’était pas mécontent d’avoir passé son enfance à jouer dans les arbres, mais l’escalade était vraiment une autre paire de manche. Nekoline dut même le projeter d’un mètre en avant, car il s’était coincé dans un coin de paroi bien trop lisse. Elle continua de lui donner toutes sortes de conseils, sur la manière dont il saisissait ses prises, ses mouvements, sa respiration, son Énergie. Rien ne lui échappait et chacun de ses enseignements portait ses fruits. Lorsque les Sombres arrivèrent enfin sur la surface plane dont Nekoline avait parlé, Kalan entendit des applaudissements retentir loin en-dessous d’eux.
— Les Allistes apprécient notre spectacle ! déclara la Gardienne. Je leur fais des signes, mais je ne sais pas si on me voit, remarqua-t-elle en agitant la main.
Kalan jeta un œil en direction du village. Quelques personnes s’étaient arrêtées pour les regarder escalader la paroi et se dispersaient à présent.
— C’est étrange, nota Kalan.
— Quoi donc ?
— Je suis le petit-fils d’une Visionniste intrépide qui a vécu à Esli, ma meilleure amie est Essentielle, bien qu’on ne sache ce que cela veut dire, mon enseignante est une Gardienne… Gardienne de la Princesse Epoline, elle-même au centre d’un plan douteux. Moi, je ne suis qu’un simple Sombre de petite taille qui s’est retrouvé embarqué dans une histoire qui le dépasse. Je… Je ne devrais pas être là-haut à tes côtés, mais là en bas. Voire même enfermé dans ma Ceinture natale.
Un silence se posa entre eux. Kalan ne savait pas pourquoi il confiait ceci à Nekoline, elle avait beau être son enseignante pour le combat, elle restait sa cadette.
— Je crois que je comprends ce que tu veux dire, c’est une sensation légitime, répondit-elle. Pourtant… Je ne peux pas l’expliquer, mais je sens que tu as tort.
— Vraiment ?
— Oui, je suis persuadée que ça n’a pas d’importance. Je suis une Gardienne parce que des membres d’Esli ont décidé que je pourrais le devenir quand j’étais toute petite. Si ces Elfes avaient décidé que je devais rester une villageoise, je serais resté une villageoise. Je trouve injuste de forcer le destin des gens et de définir ensuite leur importance. Mais je ne peux pas t’expliquer pourquoi ça me semble une évidence. Je… Je ne devrais pas être ici, mais au palais, protégeant docilement Epoline, sans nom ni personnalité…
Cette remarque fit frissonner Kalan qui poursuivit en soupirant :
— Je crois saisir ce que tu veux dire. Je ne trouve pas les mots non plus, mais en attendant je suis là à tes côtés, bien loin du futur que je m’étais imaginé quand j’étais petit. C’est donc que mes pas m’ont guidé jusqu’à ce moment.
— C’est possible… En tout cas j’ai suivi la Princesse jusqu’ici et j’ai découvert quelque chose dont j’ignorais tout.
— Quoi donc ?
— La liberté ! Même si je dois un jour finir dans les cachots de Réonde, je me sens libre comme jamais.
— Esli vous a vraiment mené la vie dure, commenta Kalan.
Nekoline opina puis se plaça dans une posture défensive.
— Assez bavassé ! On aura tout le temps ce soir de discuter… En garde !
Kalan sortit ses poignards et la leçon de combat commença. Nekoline ne s’arrêta pas avant qu’il soit essoufflé. Les Sombres firent quelques étirements avant de redescendre. Une fois en bas, la Gardienne, lui refit exécuter toute une gamme de mouvements pour alléger la peine de ses muscles. Elle le laissa ensuite filer voir Nessan durant son heure de lucidité.
— Merci beaucoup Nekoline ! Tu prends aussi congé demain ?
— À cause de la fête ?
— Oui, exact.
— Tu aimerais avoir congé ?
— Eh bien, c’est-à-dire que…
— Je vois, si tu n’es pas en état, restes dormir. Moi je serais aux terrains d’entrainement tout l’après-midi, tu pourras toujours m’y rejoindre si le cœur t’en dis. Mais je te garantis que tu en baveras deux fois plus la prochaine fois.
— Entendu ! Merci et à tout à l’heure !