14. Doutes & vérités

Par Voltage

Qu’est-ce que tu insinues au juste ? me demanda Tobias, anxieux.

- Ensuite la prochaine c’est « Qu’est-ce que j’ai à faire dans cette histoire ? » continuais-je, imperturbable. Tobias me regardait, abasourdi. Et puis si je pouvais enfin avoir la réponse de « Qu’est-ce que c’est que cette montre ? » ça ne serait pas trop mal non-plus…

Il me dévisageait sans intervenir, tantôt hésitant, tantôt surpris. Je ne comptais pas me laisser faire et il l’avait vite compris. Je ne sais pas s’ils m’avaient mal calculée, s’ils croyaient que j’étais une fille malléable et insouciante qui obéit comme obéit un chien à son maître, ou s’ils connaissaient toute la force de mon caractère, qui est proche d’une flamme ardente qui ne se consumera jamais, brûlant quoi qu’il arrive, créant une lumière pleine d’espoir dans l’obscurité pleine d’oppression et de chaos. Cette flamme brûle en moi, pleine d’ardeur, et me donne envie de me battre, de survivre dans ce milieu hostile, de m’affirmer plus qu’un ou une autre. Je me souviens qu’une fois mon professeur de français m’avait dit : « Lorsque tu arriveras à contrôler la flamme invincible qui t’habite, alors tu seras en mesure d’accomplir de grandes choses. » Je l’avais pris à la légère au début, jusqu’à ce qu’il écrive cette phrase au tableau qui ne veux dire qu’une seule chose : Que d’une manière ou d’une autre, il est impliqué dans cette affaire. Reste à savoir dans quel camp il est.

- Eh, lança Tobias, m’interrompant dans mes pensées, si personne ne te répond c’est parce qu’on n’est pas les mieux placés pour le faire. (Je le dévisageai, incrédule) Quand on arrivera -enfin, je crois qu’on est presque arrivés- dans l’observatoire de Paris, il y a un scientifique qui sera apte à répondre à tout ce que tu lui demanderas.

Je ne lui faisais pas tellement confiance, il le vit. Tobias sourit et dit :

- Je me doute bien que tu ne me crois pas. On t’a pas mal menti…

- Ça, c’est le moins qu’on puisse dire, répondis-je amèrement. Tu sais ce que ça m’a fait quand j’ai appris que mon frère travaillait dans les services secrets ?! Quand j’ai appris que chaque jour il risquait sa vie et que j’avais des chances de le voir mourir, de me retrouver sans personne ?! Zack était la seule personne en qui j’avais un peu confiance et maintenant, je me sens trahie, perdue. Je ne suis même plus sûre de savoir qui je suis !

- Tu lis trop de livres, ricana-t-il.

- Au moins ça m’a appris les relations humaines, répondis-je sèchement, avant de descendre du toit et de me retrouver dans le compartiment où mon frère était toujours rivé sur son téléphone.

Au bout d’une minute, Tobias descendit à son tour. Il avait l’air vexé par ma dernière remarque mais ne m’en voulais pas. Néanmoins, il n’osa pas croiser mon regard jusqu’à la fin du trajet. Exactement comme moi avec Zack. Sauf que lui était vraiment en colère contre moi. Je me demande comment aurait réagi Brenna, elle qui doit être si loin maintenant…

 

Une voix féminine tonna en français dans les haut-parleurs (très très bien cachés) du train :

- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, notre train arrive en gare, de, Paris gare d’Austerlitz. Veuillez vérifier que vous n’avez oublié aucun de vos bagages ou objets personnels. La SNCF espère que vous avez passé un bon voyage.

Je tournai la tête à plusieurs reprises pour essayer de discerner les hauts parleurs -pendant tout le reste du trajet, j’avais passé mon temps à les chercher, mais ils étaient introuvables-. Tobias affichait une mine dépitée, alors, lui adressant la parole pour la première fois depuis une heure, je lui demandai :

- Ça va ?

Je n’étais plus fâchée contre lui, mais j’évitais toujours de croiser le regard de mon frère.

- Oui très bien, me répondit-il avec un grand sourire, c’est juste que je ne parle pas très bien français et j’ai rien capté à ce qu’a dit la voix -en plus, elle n’a passé le message qu’en français, ils sont gonflés-

- Oh t’inquiète, c’est juste le message habituel pour prévenir que le train entre en gare.

- Ah. Tant mieux.

La vitesse du train ralentit vivement, ce qui nous fîmes réagir. Après un choc sourd, le train ne bougea plus. Au début, j’avais peur qu’il se soit passé quelque chose, ou que the lord of night nous fasse une nouvelle apparition (j’ai la flemme de répéter à chaque fois « la personne qui contrôle la nuit éternelle et les climats insolites du monde » alors je n’ai rien trouvé de mieux que ‘the lord of night’ comme pseudonyme pour l’instant…protestations non acceptées.) Mais finalement, je vis par la fenêtre que nous étions arrivés sur la bonne voie avec notre train qui semblait entier. Zack rangea son téléphone, se leva et prit son sac à dos, avant de quitter le compartiment rapidement, sans nous demander notre reste. Ebahi, Tobias lança :

- Eh ben, je crois qu’il a vite envie d’en finir avec cette mission…

Je hochai la tête et ajoutai d’un ton navré :

-Je pense surtout qu’il est encore en colère contre moi.

- T’inquiète, ça va vite lui passer, tenta-t-il pour me rassurer.

Je me levai à mon tour, empoignant brusquement l’ance de mon sac à dos. Tobias se trompait. Mon frère est rancunier. Je quittai le compartiment, à l’affut du moindre détail qui m’aurait échappée, Tobias sur mes talons. En observant l’écran, je vis des câbles coupés au cutter. Sur la banquette, il y avait une sorte de micro -merci à mon cher guide qui m’a appris à distinguer les micros les mieux cachés-. Je ne me sentais pas du tout rassurée. Tobias ne semblait avoir rien remarqué. Quant à Zack, il ne fallait pas chercher à savoir ce qu’il pensait. Il le dissimulait trop bien. Je fermai la porte en verre, tendit les bras pour attraper ma valise, dévala les escaliers, et sortit du train. Je ne fis part de ce que j’avais vu à personne. J’étais plus méfiante que jamais. Envers tout le monde. C’est dans ces moments là que je regrette de me prendre la tête avec mon frère. Bien qu’il n’expose pas trop ses sentiments, je sais que je peux toujours compter sur lui, je sais qu’ici, il est le seul à qui je fais réellement confiance. Je fus la dernière à sortir du train.

Le quai était désert. Pas un voyageur, un bruit, rien. L’ambiance était étrange. La gare n’était pas éclairée, alors nous dûmes sortir nos lampes-torches pour nous repérer et avancer. De mon côté, ma lumière éclairait tellement peu que j’avais peur de tomber dans un trou. En balayant le faisceau de ma lampe dans l’intérieur du bâtiment, je vis une gare bien différente que celles de mes manuels de géographie…C’était une ruine, qui semblait désaffectée depuis mille ans, même si les trains fonctionnaient encore. Le sol était jonché de terre et de poussière, le plafond en titane semblait déchiré, les différentes colonnes soutenant la voute étaient brisées, quelques survivantes téméraires permettaient le soutien du toit. La billetterie était abandonnée (même je commence à me méfier de ce mot maintenant…) et les petites boutiques disposées pour subvenir aux besoins des voyageurs étaient barricadées de planches en bois. J’avançai de quelques pas, prudente.

J’ai dit que nous étions seuls dans le train ? Si c’est le cas, je me trompais. Un grand flash m’aveugla un moment. Je braquai ma lampe vers la porte du train, et vis un homme d’âge moyen, aux allures de touristes, avec un vieil appareil photo dans les mains. Il dévala les marches du train, puis lança un nouveau flash qui m’étourdis. Il tourna plusieurs fois sur lui-même, puis me remarqua.

- Que fais-tu là, chère enfant ? me demanda-t-il d’une voix enfantine.

Je le toisai d’un air perplexe de la tête aux pieds, puis lui dit :

- Je vous retourne la question, vu votre allure.

Il ne répondit pas. Erwan sortit de l’avant du train, lequel ferma ses portes et repartit dans l’autre sens. Il avait un grand sac en bandoulière marron. À la vue de l’homme, il fit quelque chose qui me surprit. Il accéléra le pas vers la sortie de la gare, en faisant mine que cet homme n’existait pas. Ce qui n’avait surprise, c’est sa marche abrupte et la mine qu’il affichait. J’entendis au loin mon frère qui me cria « Dépêche-toi Helena ! ». L’homme-touriste me fixait toujours. Je perçus une lueur étrange dans ses yeux. Ses pupilles ne reflétaient pas l’éclat de ma lampe braquée sur lui, mais autre chose. Cela reflétait la forme de ses pupilles. Elles n’étaient pas rondes. C’étaient des losanges. Pétrifiée de peur, je restai longtemps à fixer cet homme étrange, je tournai vivement les talons et me hâtai de rejoindre mon frère, Tobias et Erwan. Je frissonnai encore à la vue des yeux de cette homme, ou plutôt de cette chose. Je regrettai que Tobias n’ait pas répondu à ma question sur la présence des créatures lunaires à Paris. Derrière moi, j’entendis l’homme pousser un cri aigu et rauque horrifiant. J’étais terrorisée. Je courus en direction de la sortie. Je n’osai pas regarder derrière moi. Ce n’est qu’à la vue d’Erwan et de mon frère que je m’apaisai. Mais j’eus ce cri en tête durant toute la journée. Il ne voulait pas sortir de ma tête.

Après êtres sortis de la gare, alors que je me concentrai sur le bruit que faisait ma valise en roulant, Tobias me rattrapa.

- T’as l’air tendue, me dit-il.

- Sans blague, lui répondis-je sèchement.

Je voyais bien qu’il voulait être gentil avec moi, mais dans des moments pareils, il devrait se rendre compte que la meilleure chose à faire est de me laisser tranquille. Je ne suis quand même pas la sœur de Zack pour rien.

Tous les trottoirs étaient défoncés. On aurait dit qu’une tornade était passée par là et avait tout ravagé. Mais en vérité, c’était l’absence de rénovation pendant 400 ans qui avait causé ça. La végétation avait là aussi un peu repris de place. J’avais de plus en plus de mal à croire qu’il y avait une ville habitée ici, et encore plus un observatoire… Plus on avançait dans le cœur de la ville, plus les immeubles se faisaient nombreux, et nous pûmes percevoir quelques fenêtres éclairées, bien qu’elles étaient peu nombreuses. Nous marchâmes longtemps, je ne me souciais pas du temps qui passait. J’étais trop préoccupée par cette créature horrible. L’éclat terrifiant de ses yeux…son cri glaçant…j’aurais mieux fait de détaler comme Erwan ! Maintenant je ne peux m’empêcher de fermer les yeux sans revoir son regard hypnotique. D’ailleurs, m’avait-il fait quelque chose ? De nombreuses craintes se bousculaient dans ma tête. Zack l’avait remarqué, mais il fit comme si de rien était. Nous arrivâmes devant la pyramide du Louvre. Contrairement au reste de la ville, sa propreté et sa modernité contrastait avec les immeubles dégradés et des ruines qui étaient autour. Nous pénétrâmes dedans, et…je dois dire que mes pieds se souviennent encore du choc. Sous cette pyramide étaient creusées des dizaines de galeries menant dans des bunkers situés au-dessous des immeubles en ruine. Je me sentais mal. J’avais la tête qui tournais. Je vacillai vers la gauche mais me rattrapa. Je regardai mes mains. Elles étaient moites. Je me sentais vraiment mal. C’est seulement à ce moment que mon frère commença à s’en soucier, mais il ne daigna pas intervenir. J’avançai à contrecœur, un pied devant l’autre, de plus en plus lentement…

Point de vue malaise, j’étais en haut de l’échelle.

Point de vue ego, j’étais en train de passer pour une mauviette.

Point de vue bizarre, le leftmoon qu’on avait laissé chez nous apparut, un stylo dans la bouche.

D’accord… (non mais je devenais habituée maintenant)

Bon, le point positif, c’est que ma migraine s’arrêta immédiatement. Personne ne semblait étonné par la présence du leftmoon ici. Il me tendit le stylo, que j’extirpai de sa bouche avec dégout, car il était bien gluant…Je l’essuyai et le rangeai dans ma poche, avant de d’exclamer devant le groupe la phrase la plus logique, mais la plus étrange venant d’une fille qui était il y a quelques secondes au bord du malaise :

- Bon, on y va ? Parce que si ça ne vous dérange pas, j’aimerais continuer moi…

Le leftmoon passa sur ma gauche, puis passa à la droite de Tobias, devant Zack -ce qui le fit manquer de trébucher, et qui lui valut un coup de pied dans le derrière de la part de Zack, agacé- et enfin derrière Erwan. Il s’arrêta subitement, flaira quelque chose, puis disparut en volute de fumée.

- Je suis la seule qui ne comprend rien à ce qui se passe ici ? demandai-je

- Oui, répondirent tous en cœur.

- Génial…dis-je d’un ton nonchalant.

Je m’élançai devant, convaincue que l’observatoire se trouvait derrière la grande porte métallique blindée. Et pour une fois (mais alors vraiment pour une fois dans ma vie) mon intuition se révéla juste. Lorsque les autres arrivèrent à mon niveau, Erwan sortit de son sac un badge, et la porte s’ouvrit.

- Bon, je vous laisse ici, déclara-t-il. Je repasse vous chercher la semaine prochaine. Bon séjour, ajouta-t-il sur un ton sarcastique.

J’espérais qu’il disait ça juste pour le fun et que nous n’allions pas passer un horrible séjour ici. Moi tout ce que j’espérais, c’était avoir des réponses à mes questions, et repartir à Londres tranquillement. Erwan s’éloigna, nous laissant seuls face à une porte ouverte. Au fur et à mesure qu’Erwan s’éloignait, je m’interrogeais sur le réseau du père de Tobias. Jusqu’où s’étendait-il ? Quel était son but à lui ? J’étais très confuse là-dessus. J’avais accepté de les aider. Mais pour une seule chose. En vérité, j’avais accepté ça pour que tout soit terminé. Pour mettre un terme à toutes ces activités. Je ne voulais pas perdre mon frère. C’était la seule personne qui compte à mes yeux. Et j’ai appris depuis peu que chaque jour le taux de probabilité qu’il meure au cours de ses missions devient de plus en plus important. J’avais extrêmement peur. Si seulement on arrivait rapidement à retrouver the Lord of night et qu’on arrivait à le mettre hors état de nuire…

Bien sûr, ce n’était pas aussi simple. « Et je n’étais pas la première à le penser. » me murmurai-je intérieurement lorsque je pensai à Tobias, à Brenna et à leur père. Depuis combien de temps cherchent-ils cette personne ? Depuis combien d’années, de dizaines d’années, sans résultat ?

Tobias m’avait dit à plusieurs reprises que j’avais quelque chose de spécial.

Je doute à croire que je suis l’élément manquant…Même si je sais faire des choses que personne n’oserait imaginer…

 

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