L'hôtel de luxe Lindermark, qui avait été inauguré dans ma ville il n'y a pas si longtemps, était suffisamment proche du port de plaisance pour posséder ses propres quais. Après tout, quel était l'intérêt d'être riche, si l'on ne pouvait pas stationner son yacht à moins de vingt mètres de son hôtel, avec casino et restaurants intégrés ? Entre autres choses.
Cependant, même une enfant d'une famille de classe moyenne telle que moi y trouvait son compte, puisque ces installations comportaient également les salles d'arcades, laser-game et autres jeux que j'affectionnais tant, et qui restaient globalement bon marché, malgré leur présence dans un complexe aussi luxueux.
Je n'étais jamais rentrée dans le hall d'accueil de l'hôtel à proprement parler, mais je ne fus pas surprise un seul instant par l'éblouissante classe qu'il dégageait. Du vrai marbre au sol, d'authentiques dorures ornant le mobilier, des couleurs harmonieuses, des fontaines élégantes, de la végétation d'intérieur parfaitement entretenue, des employés en tenues chics, absolument toutes les cases du luxe étaient cochées.
Étrangement, personne ne sembla s'étonner de l'arrivée d'une adolescente inconnue, au regard méfiant et à la crinière hirsute. Mais j'étais à peu près certaine que les employés reconnaissaient simplement l'uniforme du lycée réformé par leur grande patronne. Je ne faisais donc pas vraiment tâche le décors.
Je m'approchais d'un pas assuré en direction de la dame qui se tenait derrière le large bureau d'accueil. Je pus deviner, à la direction que prenait son regard, qu'elle reconnaissait effectivement mon uniforme.
— Bonjour mademoiselle, que puis-je faire pour vous ? demanda-t-elle avec un sourire éclatant.
— Je viens rendre visite à... Madame Vinyle.
L'hôtesse sembla réfléchir un instant, semblant chercher le lien entre une élève du lycée Châteauvert et le fait de connaître le pseudonyme utilisé par la célèbre DJ actuellement en pension ici.
— Oh, vous devez être Lili, déclara-t-elle alors en décrochant le téléphone de la ligne interne de l'hôtel. Madame Vinyle nous a dit que vous pouviez lui rendre visite quand vous le désiriez, je la préviens immédiatement.
— Merci, répondis-je simplement.
J'entendis la tonalité de l'appel à travers le combiné, puis au bout d'un moment relativement long, j'entendis une voix, sans vraiment comprendre ce qu'elle disait. Il s'agissait d'une voix rauque et peu articulée. La dame de l'accueil ne perdit cependant pas son entrain naturel et déclara :
— Oui, madame Vinyle, Lili est là, elle souhaite vous rendre visite... (je n'entendis pas la réponse d'Améthyste, juste vaguement sa voix) Heu, non madame, vous avez bien appelé le service de chambre cette nuit, mais nous n'avons rien compris de ce que vous disiez... (L'hôtesse sembla se retenir de soupirer) Oui, il s'agit de Lili, vous nous aviez dit qu'elle pouvait venir vous rendre visite... Oui, madame Vinyle, des croissants, nous vous envoyons cela immédiatement.
La demoiselle raccrocha, réprimant un soupir de soulagement.
— Elle est disponible ? demandais-je alors.
— Oh, oui, elle vous attend avec impatience, je vais également vous faire accompagner vers sa chambre par un groom, qui lui apportera les croissants qu'elle a demandé.
Je patientais une petite minute à peine, le temps que l'hôtesse d'accueil appelle un groom et qu'il arrive avec la commande d'Améthyste, sur un petit chariot argenté à roulettes.
Et quelle ne fut pas ma surprise de constater que le groom en question semblait être encore moins âgé que moi. Sur son uniforme, un badge doré indiquait son nom : "Jonathan Walsh". Je fis légèrement claquer ma langue, songeuse, j'avais déjà entendu ce nom quelque part.
— Si vous voulez bien me suivre, m'invita le jeune groom avec un grand sourire.
Je souhaitais une bonne journée à l'hôtesse d'accueil et la remerciais, avant d'emboîter le pas de mon guide. Je continuais de fouiller dans ma mémoire tandis que nous entrâmes dans l'ascenseur, en route pour le quatrième étage. Ce Jonathan Walsh était de taille moyenne, les cheveux courts, châtains foncés, plaqués en arrière. Ses yeux était d'un marron si clair qu'ils tiraient sur l'orange. Son visage n'était pas désagréable à regarder.
— Dis-moi, tu ne serais pas un peu jeune pour travailler dans un hôtel de luxe ? demandais-je.
— J'ai quinze ans, je suis actuellement en stage, madame Papazian, je viens du collège français bilingue de Londres, répondit-il sans aucun accent anglais.
— Je préfère qu'on se tutoie si ça te dérange pas, expliquais-je. Tu maîtrises vraiment bien le français, tes parents viennent d'ici ?
— Non, mais ma mère parle beaucoup de langues, dont le français. Elle est chercheuse en biologie, répondit-il avec le sourire.
Soudainement, un détail fit tilt dans mon cerveau. Je me souvenais où j'avais déjà entendu ce nom.
— Tu dois être le fils de Lili Walsh, la cheffe du projet... heu... hésitais-je, ne sachant pas si je devais le dire.
— Oui, le projet Reine Blanche ! déclara Jonathan. J'ai entendu dire que tu avais pour mission de retrouver un artefact, j'espère que ça ne te posera pas trop de problèmes.
Il était attentionné, et très poli, même en n'hésitant pas à me tutoyer à ma demande. S'il était le fils de la cheffe d'un projet chargé de créer un dieu, il devait sans doute avoir reçu une éducation exemplaire.
— Au fait, j'imagine que je suis sensée prononcer ton prénom à l'anglaise ? demandais-je tandis que nous arrivions à notre étage.
— Oui, en prononçant bien le "th" et le "n", répondit-il avec entrain, tandis qu'il franchissait les portes de l'ascenseur. Mais tu peux le prononcer à la française, je ne me fâcherai pas, précisa-t-il.
Je le suivis jusqu'à une porte devant laquelle il s'arrêta, avant d'y cogner à trois reprises et d'approcher son visage, déclarant à haute voix :
— Tatie ! Je te laisse tes croissants ! Lili est venue te voir aussi !
Il se redressa ensuite et m'adressa un sourire. Croyant bien faire, et ayant probablement vu trop de films, je sortis le billet de cinq euros que j'avais échangé à mon professeur.
— Oh, non, non, réagit Jonathan en rougissant légèrement. Je ne peux pas accepter. Ne t'en fais pas, cet hôtel est rempli de gens qui adorent me donner des pourboires !
— Ah, je vois, répondis-je, rangeant rapidement le billet dans ma poche, pour ne pas laisser durer le malaise. J'imagine que, si tu parles plusieurs langues, ils doivent être ravis. En plus t'es jeune pour un groom, j'imagine que ça les impressionne.
— Haha, oui, en quelque sorte, déclara le groom en passant une main dans ses cheveux. Hé bien, ça m'a fait très plaisir de te voir, et je... (Il baissa les yeux vers un bipeur attaché à sa ceinture) Oh, je dois te laisser ! J'espère qu'on se reverra, Lili !
Il s'éloigna en me faisant signe de la main. Je devais bien admettre que ce garçon m'était très sympathique. Et plutôt mignon. Je secouais la tête avec un petit rire. Ça n'était vraiment pas mon genre de penser à ce genre de choses. Je tendis alors la main vers le petit chariot qu'il avait laissé devant la porte et ouvrait cette dernière. Puisqu'elle n'était pas verrouillée, j'imaginais tout naturellement qu'Améthyste était prête à me recevoir. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise en voyant le terrible spectacle qui s'offrait à moi et qui me fit détourner le regard en me couvrant les yeux.
— Mais c'est pas possible ! Tu devrais être morte de honte ! m'écriais-je, rouge de gène.
Visiblement, je réveillais en sursaut les deux jeunes hommes nus qui tenaient lieu de couverture à une Améthyste tout aussi peu vêtue. Je les entendis jurer, tandis que le cliquetis de leurs ceintures me rassura sur le fait qu'ils se dépêchaient de se rhabiller. Je retirais alors ma main de devant mes yeux lorsqu'ils se précipitèrent vers la porte de la chambre, juste derrière moi.
— Hey ! Comment tu peux oser faire monter quelqu'un dans ta chambre dans de... de telles conditions ?! lançais-je en m'approchant de la DJ.
J'attrapais un des coussins du large sofa sur lequel elle était avachie et le lui lançais pour qu'elle cache au moins une partie de son corps.
— Hein...? Mais... Heu, je croyais que c'était Lili ? marmonna Améthyste, qui semblait se remettre d'une soirée de beuverie.
— Je pense que la réceptionniste aurait dit "votre femme", plutôt que "Lili", si ça avait été Emily qui venait te voir ! réprimandais-je. Et je ne pense pas qu'elle aurait apprécié non-plus !
— Oohh... merde, j'suis désolée... j'suis trop nulle... gémit la DJ en passant une main sur ses yeux d'une couleur bien singulière. Je crois que j'ai trop bu.
— Bon, je t'ai apporté tes croissants, je reviendrais plus tard, grognais-je en tournant les talons.
— Non, attend ! supplia-t-elle. Donne-moi juste dix minutes, OK ?
Je soupirais profondément en passant une main sur mon visage.
— OK, dix minutes, pas une de plus ! concédais-je.
Je la vis alors trotter vers la salle de bain en laissant le coussin du canapé derrière elle. Et en la regardant se précipiter de la sorte, je me fis l'étrange réflexion qu'elle avait les fesses les plus blanches que j'ai jamais vues. Je secouais la tête en soupirant. Mes nerfs étaient mis à rude épreuve aujourd'hui. Puis je baissais la tête en ayant l'impression de voir quelque chose bouger à mes pieds. Et pour cause, un visage qui ne m'était pas inconnu dépassait de sous le sofa.
— Madame... Lefèvre ? articulais-je, malgré mon effarement.
— Holala... soupira la professeure d'art plastique. J'ai raté la rentrée n'est-ce pas ?
Lorsqu'elle leva les yeux dans ma direction, reconnaissant mon uniforme, puis mon visage, elle blêmit légèrement et porta une main à sa bouche avant de retourner se cacher sous le sofa.
— J'y crois pas... grognais-je en me retournant. Sortez de là-dessous et habillez-vous !
— Oh, oui, pardon, pardon... fit-elle tandis que je l'entendais s'affairer. Oh, heu, Liliane, je...
— Lili, corrigeais-je.
— Oui, pardon, Lili, je ne retrouve plus mes vêtements...
Je tiquais de la paupière. À ce stade, je ne savais même pas si j'étais sensée m'énerver d'avantage ou simplement rire nerveusement. Je me contentais de prendre une profonde respiration avant de me précipiter vers le premier tiroir venu, sortant des vêtements au hasard. Puis je les tendis à madame Lefèvre sans me retourner.
— Mais, ce sont ceux d'Améthyste... dit-elle d'une voix emplie d'admiration.
— Elle me doit bien ça, et puis j'imagine que vous serez ravie d'avoir une raison de la revoir, habillez-vous maintenant ! insistais-je.
Je restais le dos tourné jusqu'à ce qu'elle ait fini.
— Au fait, Lili... je suis contente que tu sois revenue au lycée, déclara la professeure comme si de rien n'était. Tu n'es pas restée très longtemps en seconde, mais tu étais une de mes élèves les plus créatives et intelligentes.
— Vous devriez aller au lycée, répondis-je un peu froidement. C'est un jour important pour les élèves et l'organisation de leurs activités extrascolaires. Je ne vous imaginais pas aussi... frivole.
— Je... je suis désolée... mais je suis une grande fan d'Améthyste, et je m'en serais voulu de rater l'occasion de...
— Lili ! Y a plus de shampoing ! s'écria la voix de la DJ depuis la salle de bain. Il m'en faut un très spécifique pour mes cheveux !
Je me tournais vers madame Lefèvre et fronçais légèrement les sourcils.
— Je suis fan de beaucoup d'artistes, mais pas à ce point. Mais je vous juge pas, retournez vite au lycée et je ferais comme si j'avais rien vu.
La professeure hocha la tête avec un sourire et me remercia avant de s'en aller. Avoir la sensation d'être la seule adulte responsable, du haut de mes dix-sept ans, était un sentiment vraiment troublant. Et cela m'aurait presque amusé si la situation n'avait pas été aussi gênante.
Je me retrouvais donc à fouiller les placards de l'immense salle de bain à la recherche du shampoing très spécifique dont Améthyste disait avoir besoin, avant de le lui donner en lui tournant le dos ; la cabine de douche étant parfaitement transparente.
— Je te retiens, Améthyste ! grognais-je, profitant du lavabo tout proche pour me passer un peu d'eau fraîche sur le visage. Tu as quel âge bon sang ?
— Je suis vraiment désolée Lili... Je sais, j'ai trente-quatre ans, mais justement ! J'suis en pleine force de l'âge !
— Trente-quatre ans ? Et c'est quoi l'espérance de vie quand on est albinos ? fis-je remarquer, sous le coup de la colère.
L'eau de la douche se coupa, et un silence s'installa brièvement. Je me mordis la lèvre.
— Pardon, je... je me suis emportée, admis-je. Je suis désolée.
— Non... c'est cool Lili, répondit Améthyste en sortant de la douche. Mon albinisme syndromique me laisse en effet une très mauvaise vue et un déficit immunitaire, en plus de l'hypopigmentation. (Je l'entendis attraper une serviette et commencer à se sécher) Mon public s'en doute, surtout après que j'ai posée dans certains magazine... Mais toi qu'es même pas une de mes fans, tu m'as balancé ça avec un certain aplomb.
— Oui, ça va, j'ai dit que j'étais désolée... soupirais-je. Mais je t'ai vu à poil, bien malgré moi, j'ai aussi vu tes yeux, et le fait que tu teignes tes cheveux et tes sourcils me laisse penser qu'ils sont parfaitement blancs. Ça avait peu de chance d'être un simple albinisme oculaire.
Je sentis Améthyste bouger derrière moi, puis je sentis sa main sur mon épaule, ce qui me fit sursauter. Je me retournais vivement et m'éloignais d'un pas.
— Oh, pardon... j'avais oublié que t'aimais pas trop qu'on te touche, fit-elle avec un sourire sincèrement désolé. Mais t'es vachement intelligente et cultivée. Pourtant, Lili m'a dit que tu détestais l'école.
J'affichais un petit sourire en coin. Elle avait fait l'effort de s'habiller d'une robe de chambre, et la voir décoiffée et sans ses lunettes de soleil lui donnait un aspect et une aura à des années-lumière de l'image qu'elle renvoyait habituellement.
— C'est parce que je suis cultivée et intelligente que je déteste l'école, répondis-je simplement. Du moins, l'école imaginée par Condorcet, précisais-je, me souvenant de la leçon de monsieur Nazaryan.
Améthyste prit place devant le miroir pour se coiffer, puis enfila la paire de lunettes de soleil qui traînait près de sa brosse à dents.
— Ouais, Lili m'a expliqué la différence, dit-elle en rajustant le col de sa robe de chambre. Et franchement, j'aime bien le système Freinet, c'est à se demander pourquoi il a pas été retenu en premier lieu.
— Parce qu'il génère trop d'égalité j'imagine, et qu'il responsabilise les élèves plutôt que de les considérer comme du bétail. Alors que, de ce que j'en ai compris, le système Condorcet préfère créer une élite, tout en éliminant les élèves les plus faibles, qui sont souvent ceux issues des milieux modestes. J'imagine la torture : être un professeur bien intentionné, qu'on force à utiliser des outils qui génèrent de l'inégalité...
Il y eu un bref silence.
— Je l'ferais pas, vu que t'aimes pas ça, mais... en temps normal je t'aurais fait un gros câlin, parce que tu as l'air d'en avoir besoin, déclara Améthyste avant de sortir de la salle de bain.
Je la suivis avec un petit sourire amusé. Elle proposa alors que l'on s'assoit sur le sofa, mais compris rapidement sa mauvaise idée en me voyant grimacer. Nous nous installâmes donc sur une petite table près de la baie vitrée, dont elle ouvrit légèrement les stores pivotants avec une télécommande. Pour ma part, je n'avais pas très faim, mais la DJ semblait être très friande de ces croissants au beurre. Je devais admettre qu'ils sentaient particulièrement bon.
— Si ça peut te rassurer... commença-t-elle après son troisième croissant. Lili m'a augmentée aux nanites moi aussi. J'ai récupéré une vision parfaite et ce sont les nanomachines en question qui pallient les manques de mon système immunitaire.
— Je vois, tu es donc techniquement une Lili, toi aussi, fis-je remarquer avec un sourire amusé.
— Hm ? Comment-ça ?
— Hé bien oui, tu t'appelles Amélie Lindermark, depuis ton mariage, tu as donc deux fois la syllabe "li" dans ton nom complet. En plus tu as été augmentée technologiquement, comme moi, expliquais-je.
Elle sourit largement, avala sa bouchée de croissant et laissa échapper un rire amusé.
— Haha, ouais t'as raison ! J'ai même un pouvoir. Mais il ne suit pas vraiment la thématique émotionnelle des vôtres.
— C'est-à-dire ? demandais-je.
— Hé bien... commença-t-elle en se servant un grand verre d'eau. Lili, enfin je veux dire, ma femme est capable de visualiser et supprimer des émotions, toi tu es capable d'en transmettre. Moi, je peux juste me rendre invisible.
— Attends, tu veux dire que tes petits tours de magie pendant tes concerts...
— Ouaip', sans effet spéciaux ! déclara-t-elle avant de boire à grandes gorgées.
— Mais comment c'est possible ? demandais-je, très curieuse.
— Oh, c'est simple, commença-t-elle en s'étirant. Avant je faisais autrement, mais ça c'est une autre histoire... En fait, maintenant, mes nanites recouvrent mon corps, et en communiquant entre elles, chacune affiche ce qui se trouve derrière elle en temps réel.
À ces mots, elle leva sa main droite, cette dernière disparaissant tout doucement, du bout de ses doigts jusqu'à son poignet. Je m'en trouvais complètement bluffée, il n'y avait aucun moyen de déceler le subterfuge. L'image projetée par les nanites était parfaitement fidèle et synchrone avec le décor derrière Améthyste.
— Hé bien... soufflais-je. J'espère que cette technologie ne tombera pas entre de mauvaises mains ! Si un quelconque groupe armé parvient à faire ça, ça serait catastrophique.
— Oh, ne t'inquiète pas, déclara la DJ en se saisissant d'un nouveau croissant. Je ne connais que trois personnes capables de produire cette technologie ! Ma femme, le Dr. Walsh, et... une autre. (Elle toussota comme pour éviter le sujet) Bref, tu n'as pas à t'en faire.
— En parlant de Lili Walsh, tu as de la chance que ce ne soit pas Jonathan qui soit rentré dans ta chambre ! fis-je remarquer.
— Oh, non, t'inquiète pas, il a l'habitude de laisser le chariot devant la porte, me rassura-t-elle. Mais du coup, j'imagine que vous avez fait connaissance. (Elle se pencha vers moi en posant ses coudes sur la table) Tu trouves pas qu'il est mignon ?
Je grognais en détournant le regard.
— Si, il est mignon. Et gentil avec ça. Et sûrement intelligent, avouais-je. Mais ce genre de relation ne m'intéresse pas.
— Oh ? s'étonna Améthyste en posant son verre vide. T'es ace, ou quelque chose comme ça ?
— Non, je ne pense pas être asexuelle... soupirais-je en passant une main dans mes cheveux. Mais j'ai toujours été en décalage par rapport aux autres, et j'ai commencé à développer mes angoisses scolaires au collège, pour au final péter un câble pendant ma première année de lycée. Mon quotidien pendant plusieurs années, ça a été l'angoisse, puis la colère envers les responsables de cette angoisse... Ça ne laisse pas beaucoup de place aux pensées romantiques.
— Oh, dur... Mais, ça va mieux maintenant, non ? demanda-t-elle, sincèrement inquiète.
— Oui, ça va mieux depuis quelques temps, répondis-je.
— Oh... bonne nouvelle... ! minauda la DJ en m'observant avec un large sourire.
— En tous cas je suis sûre d'être hétéro, précisais-je avec un sourire en coin.
— Haha, j'me sens vexée, je ne pense pas qu'à ça ! plaisanta-t-elle. Mais si t'avais dix ans de plus et moi dix ans de moins... !
— Je serais plus vieille que toi, calculais-je. Plus sérieusement, j'aurais voulu que tu m'aides à contacter Emily, je dois lui poser quelques questions sur les deux reines... Et sur la nature de l'artefact qui se trouve dans mon lycée.
Un léger silence s'installa, pendant lequel Améthyste sembla réfléchir.
— Ah, t'es finalement au courant pour les reines... je peux pas trop t'aider dans ce domaine, marmonna-t-elle finalement. Mais tu sais quoi ? Je vais te filer le numéro du Dr. Walsh, après tout, elle travaille sur le projet depuis le tout début ! Et Emily est très occupée.
— Oh, merci, c'est une bonne idée. Mais tu es sûre que ça ne la dérangera pas ? demandais-je.
— Mais non, répondit la DJ en allant chercher son smartphone sur le sofa. Après tout, tu as à faire à la Reine Noire, ce serait la moindre des choses !
Je sortis mon propre smartphone et confirmais la demande de transfert, ce qui ajouta un numéro de téléphone et un contact Discord à mon répertoire.
— Merci, vers quelle heure je devrais essayer de l'appeler ? demandais-je.
— Bah, je sais pas trop... Elle travaille tout le temps et dort très peu, malgré son âge. Mais bon, elle fera sûrement un effort, en tant que ta future belle-maman ! conclut-elle en baissant ses lunettes pour m'adresser un clin d'œil.
Malheureusement je n'avais rien à portée de main que je puisse lui envoyer à la figure, alors je me contentais d'un rire moqueur avant de rouler des yeux.
— Je te remercie Améthyste, dis-je en me dirigeant vers la porte. À la prochaine !
— Ciao, bella! déclara-t-elle avec entrain, m'arrachant un léger sourire.
Je me dirigeais donc vers l'ascenseur et sélectionnais le rez-de-chaussée, avant de me diriger vers la sortie. Il serait bientôt midi, et je commençais à avoir faim. J'aurais peut-être dû accepter un croissant. Mais avec l'argent que j'avais déjà sur moi et celui que m'avait donné mon père ce matin, je pouvais largement me permettre d'aller manger quelque chose de sympa. Et tandis que je me faisais cette réflexion, je croisais de nouveau Jonathan Walsh, non pas dans sa tenue de groom, mais en tenue plus décontractée. Il était penché sur le comptoir de l'accueil à remplir des papiers, que la réceptionniste lui pris, afin de les tamponner. Sûrement de la paperasse en rapport avec son stage. Je m'approchais alors de lui.
— Jonathan ? Tu as fini ta journée ?
Il sursauta légèrement et se retourna, puis m'adressa un sourire.
— Oh, Lili ! Oui, je travaille le matin. L'après-midi à partir de quinze heures, je vais en étude de français et d'histoire de France, m'expliqua-t-il. C'est tout près de ton lycée d'ailleurs.
— Très bien, ça veut dire que tu as du temps libre, concluais-je. Suis-moi, je t'invite à déjeuner, après on pourra profiter de la salle d'arcade. Je parie que tu n'as jamais pris le temps d'y aller.
— Hein ? Hé bien, oui, pourquoi pas, mais... bredouilla-t-il.
— Allons Jonathan, déclara la dame de l'accueil. Une charmante demoiselle t'invite, tu ne peux pas refuser.
— Oh, bon... D'accord, céda-t-il. On va où alors ?
— Tu verras bien, répondis-je en me dirigeant vers la sortie.