14 · L'histoire

— Maman, maman, raconte-nous une histoire !

— D'accord, d'accord. Installe-toi là, Suzie, viens près de moi. Oh, Jacob, stop, arrête de bouger ! C'est bon, vous êtes prêts ? Bien... 

» C'est l'histoire de deux petits enfants, qui, par un heureux hasard, n'est-ce pas, s'appelaient Jacob et Suzie - bien que, au contraire, le garçon soit le plus vieux. 

» Ils rentraient de l'école, un soir d'été, quand ils furent arrêtés par des travaux. Ils ne pouvaient traverser la rue et continuer jusque chez eux comme ils en avaient l'habitude, il fallait qu'ils empruntent un autre chemin. Ce qu'ils firent, évidemment, n'ayant pas le choix. Mais ce nouveau trajet, en plus de les rallonger de quelques minutes, les faisaient passer devant une boulangerie. Les quelques pièces qu'il restait à Jacob firent soudain sentir leur poids dans la poche du garçon, et, combiné aux supplications incessantes de Suzie, les deux enfants entrèrent dans la boutique... Qui n'en était pas une.

» Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, Jacob et Suzie arrivèrent non pas dans la boulangerie à laquelle ils s'attendaient, mais dans une... Rue ? Oui, c'est ainsi que l'aurait qualifié le grand frère s'il avait fallu. Mais ce n'était pas une rue telle celle qu'ils venaient de quitter, non non non. Les maisons étaient... Différentes. "Sucrées", comme s'exclama la petite fille. En effet, elles étaient faites de pain d'épice, de biscuits, de sucre d'orge, de pâte à choux, de gâteau, de cupcake et autres gourmandises. Jacob sourit : cela lui rappelait l'histoire que lui avait contée son père à peine quelques jours plus tôt, de deux enfants attirés puis prisonniers d'une sorcière. Cela, certes l'amusa, mais le rendit aussi extrêmement prudent, et il se mit à guetter l'arrivée d'une quelconque personne. 

» Sa soeur, en revanche, était bien loin de toutes ces réflexions qui n'apparaissaient qu'avec l'âge. Suzie sautillait de maison en maison, prenant à peine le temps d'en regarder les moindres détails. Jacob la suivait, inquiet, observant les environs d'un autre oeil - il ne cherchait pas à s'émerveiller de ces étrangetés, à s'imprégner du moindre souvenir de cette réalité pour le moins bizarre. Il dut presser le pas, tant la petite fille trottinait ; il n'avait pas de si longues jambes. 

» Ils parcoururent la rue ainsi, et arrivèrent rapidement au bout, à la déception de Suzie. Là les attendait une porte. Juste... une porte. Il n'y avait rien autour, et elle semblait être inutilement placée. La curiosité de la petite soeur la fit saisir la poignée et, avant que Jacob puisse émettre la moindre protestation, la moindre mise en garde, Suzie avait déjà ouvert la porte. 

» Ils furent encore plus étonnés qu'en poussant le premier battant. La boulangerie était là, au bout de toutes ces maisons ! Jacob soupira de contentement : pas de sorcière, pas d'enlèvement. Suzie entra dans la boutique, toute guillerette, et observa attentivement les dizaines de bocaux de bonbons différents qui peuplaient des étagères sur le point de s'écrouler. 

» La porte se referma derrière les deux enfants, et un clic se fit entendre. Si la plus jeune n'y porta pas la moindre attention, son grand frère se tourna vers la vendeuse, l'air intrigué. Habillée toute de noir, elle leur sourit, d'un sourire que Jacob trouva étrange, sans pouvoir le qualifier précisément. Mais un mauvais pressentiment le saisit... 

» La "boulangère" sourit encore plus, dévoilant ses dents jaunies. Elle fit retentir une voix grinçante, qui se voulait mielleuse - cela donnait un mélange tout sauf agréable. "Alors, les enfants, le voyage vous a plu ?"

— C'est fini ?

— Oui, mon coeur. C'est la fin de l'histoire.

— Mais, maman, ce n'est pas une fin ! Qu'est-ce qui leur arrive, à ces enfants ? 

— Ca, ma chérie, c'est à toi de voir. Et si tu n'as pas d'idée, je te raconterais la suite demain. Allez, au dodo !

— Maman, tu devrais écrire des histoires ! Elles sont trop cool !

— Je le fais, mon ange, et depuis bien longtemps.