14 - Tempérance

Par Joxan

Silence totale. Iddris vient de finir son discours, ce qui rend mon sang encore plus bouillant. Combien d’autres m’ont trahi ? Depuis tout ce temps je collaborais avec ces gens.

Plus jamais.

Si seulement aucune cage ne me retenait, j’irais tout d’abord régler le compte de ce foutu politicien. Ensuite ce mercenaire bon marché. Et Sa’d, également toujours en possession de mon téléphone, et responsable de ma mise sous verrou ici.

Mon regard tient l’écran dans lequel Iddris répond aux questions des gens. L’origine de ses informations obtenues après enquête. Mon enquête. Ce qui risque de se passer. Etcétéra…

Tout ça ne devient qu’un bruit de fond. Actuellement en train de faire les cents pas comme un lion dans une cage, je m’imagine déjà comment je vais les réduire en bouillie de chaire et de sang. Rien ne restera d’eux.

 

Le temps passe lentement, et vite à la fois. Le direct finit par se couper. La nuit tombe, et je ne veux absolument pas dormir.

À certains moments, un autre prisonnier me hurle de cesser de marcher, selon lui ça le rend nerveux. Rien à carrer. Il se contentera d’un regard noir.

Comment sortir d’ici ? À quand la prochaine venue d’un garde ? Ces cages ne permettent pas de garder quelqu’un plus de deux nuits.

« Arrête de bouger ! »

Lui. Encore le râleur.

« Appelle les gardes si tu veux te plaindre ! » lui lancé-je avec un large sourire.

Je suis sûre qu’il va gueuler encore plus. Et ça ne loupe pas. Plus je marche, plus je tape sur les barreaux, plus il s’énerve. Alors je continue.

Au bout d’une dizaine de minutes, une femme daigne finalement venir nous ordonner du silence.

Enfin quelqu’un.

« S’il vous plaît ! » l’interpellé-je la main tendue vers elle. « Je suis Tempérance Ydriol. Je possède des informations contenant Pavel et Jacob. »

Doucement, elle se rapproche.

« Tu veux négocier ce que tu sais contre une libération ? 

— Oui.

— Attend ici. Sans bouger, Et en silence. Sinon je ne reviens pas. »

Mes doigts miment une fermeture qui clôt ma bouche. Je suis prête à prendre sur moi quelques instants supplémentaires.

La voilà qui disparaît à l’étage.

Assise en tailleur à même le marbre du sol, je ferme les yeux. Un peu de méditation pour prendre mon mal en patience.

Cinq minutes. Le silence revient.

Dix minutes. Le silence règne.

Vingt minutes. Le silence se brise.

La porte en plomb du corridor grince dans son ouverture. Elle est revenue.

« Tempérance Ydriol. Veuillez me suivre. »

La porte libère le passage vers ma liberté. Sans demander mon reste, je m’exécute et la suis sans jeter le moindre regard aux autres prisonniers. Ceux-ci hurlent leur désarroi de rester enfermés.

Nous montons au premier étage, au deuxième, puis dans un couloir. Nous arrivons devant une salle d’interrogatoire où ma geôlière m’invite à prendre place, avant de fermer derrière.

« Je suis Makayla. Je travaille avec Sérafino et Sa’d. Je suis déjà au courant de ce qui s’est passé, et de comment vous avez fini ici. Et honnêtement, je m’en fous complètement. Là n’est pas la question de votre privilège d’avoir été libérée plus tôt que prévu. Est-ce que vous connaissez la société Tseipru ? 

— Vous vous foutez de ma gueule ? Vous… »

Ma phrase ne se conclu pas. Elle se relève vers l’entrée.

« Je vais vous faire raccompagner en bas. C’est une perte de temps. 

— Oui je connais cette société ! Et son monopole sur les cellules numériques. Bref. Oui, j’ai eu accès à de nombreuses informations. »

Le claquement métallique nous isole à nouveau dans la pièce.

« Nous le savons, nous avons fouillé votre téléphone. Et votre passé. » annonce-t-elle calmement en s’installant face à moi. « L’attentat qui a ôté la vie de vos parents a été organisé par Tseipru, et donc par Yefim Dœrthy. Pour qui vous travaillez indirectement. Nous avons compris que vous que vous voulez absolument les voir morts. Nous pouvons vous offrir cette opportunité.

— Nous ? C’est qui ce nous ?

— Sérafino, Sa’d, Iddris, et moi-même. Nous sommes des anciens détenus de Tseipru. Et nous cherchons à libérer tous les autres encore enfermés. À mettre un terme à ces agissements. Il n’y a aucune justice à torturer l’esprit de quelqu’un qui ne voulait juste ne plus crever de faim. 

— J’aimerai en savoir plus. Ces prisons ont été fabriquées justement pour cesser les crimes de guerres et le cannibalisme durant la grande famine. »

Un sourire, puis un fou-rire. Makayla n’a visiblement pas la même vision que moi. Alors qu’elle s’installait confortablement, dans le silence glaciale de la pièce elle commençait une histoire :

 

Durant la grande famine, les crimes devenus monnaies courante obligèrent les différents états à agir. Devant faire face à la baisse de nourriture, et à la hausse de la criminalité, la société Tseipru se présenta comme la solution à tous les problèmes. Les cellules numériques.

Un principe simple : stocker et sauvegarder la conscience d’une personne, puis détruire le corps. Au début considérée comme contraire aux droits Humains, cette pratique d’abord rejeté sut montrer après une décennie une utilité non négligeable. Exploitée autant comme un outil de punition que comme message de dissuasion, de nombreuses villes acceptèrent le recours des services de Tseipru.

Pendant de longues années, chaque petits délits prétextait un séjour dans une cellule jusqu’à nouvel ordre. En attendant un rétablissement de la situation. Qui une fois atteint, engageait le géant numérique à la libération de tous les prisonniers. Et lorsqu’au bout de presque un demi siècle de dur labeur de scientifiques, les terres retrouvèrent leurs capacités à produire de la nourriture, Yefim déclara qu’un accord lui donnait les pleins pouvoirs sur les âmes qu’il possédait. Un joli tour de passe-passe. Et même si ses droits devinrent moindre avec le temps, cela ne l’empêcha pas de conserver, et d’exploiter les désormais Prisoves.

Alors que le monde revenait doucement à la normale, les Prisoves se voyaient devenir de simples exploitants à louer sur demande. Tout en restant propriétés de l’entreprise, ils gagnaient un corps contre cinquante ans de service. Et en cas de refus, une mort pur et simple. L’arrêt soudaine de l’existence des bases de données. Pourquoi se priver d’espace de stockage ?

Évidemment, avec le temps, certains ont manifesté leur volonté de liberté. Refusée à chaque fois. Ainsi des évasions commencèrent à proliférer, avec ça, la formation d’une communauté pour la défense des Prisoves.

Durant une opération de routine Sérafino retrouva un corps et sa liberté. Il s’engagea alors dans cette quête de libération. Après quelques réussites, son équipe et lui repérèrent une cellule ici, à Niras. Mérédith. Engagés dans la section des Gacurions, le groupe montèrent une opération pour la récupérer.

Au bout de quelques mois, les voilà partis à bord d’un fourgon vers le bâtiment central. Le sauvetage se passa bien, pas l’exfiltration. L’alerte donnée vers le quartier général de Tseipru, une intervention menée par Pavel fut envoyée pour les arrêter.

Durant ce qui devint plus tard l’heure sombre, toute l’équipe de Sérafino trouva la mort, la vraie. Alors qu’il tentait encore de sauver la cellule, Pavel le mis à terre, et laissa sa joue fondre sur le bitume brulant avant de repartir.

Dans ce chaos, il réussit malgré tout à se faire passer pour un membre des secouristes, grâce à la tenue qu’il portait. Personne ne su qu’il se trouvait déjà sur place.

Désormais seul, isolé de tout le monde, de sa communauté, il décida de rester en ville. Tenter de refaire sa vie.

Les années passèrent, sa nouvelle situation pris le dessus sur l’ancienne. Petit à petit, il oublia d’où il venait, ses convictions, ses rêves. Jusqu’à l’année dernière. Melvin arriva. Tout juste fraîchement évadé. Avec un lot d’informations obtenues auprès de compères : le gouverneur du moment, Hésékiel Märkinen possédait des parts avec Tseipru, et devait garder Mérédith.

Alors ils montèrent une nouvelle opération. Pour la première fois depuis des années, le sourire redora le visage de Sérafino.

Il profita de son nouveau statut de chef des Gacurions pour atteindre la tête pensante de la ville. Ce qu’il parvint en seulement quelques jours.

L’interrogatoire se donna malheureusement rien. Hésékiel finit d’une balle dans la tête, tirée à bout portant par Zééva, qui travaillait de nuit à ce moment là.

Elle dont les parents étaient morts dans une des cellules, pour avoir refusé de se plier à l’esclavage de Tseipru.

Le meurtre fut déguisé, le duo nouvellement formé se couvrait mutuellement, et Jacob pris la succession. Les deux gardèrent un œil sur lui, en espionnant tous ses faits et gestes.

Une personne sceptique restait sur cette conclusion, Iddris affirmait qu’il y avait plus. Alors après quelques discussions, des mensonges, et des menaces. Ces braves gens remarquèrent qu’ils menaient le même combat. Un nouveau complice rentra dans le jeu, contre seulement une chose : le poste de gouverneur. Requête acceptée.

Arrive maintenant la semaine dernière. Quand ils apprirent que : Pavel mena l’attentat, et qu’en plus il possédait Mérédith. Il n’en fallu pas plus pour Sérafino d’attendre le bon moment.

La nuit dernière, lorsqu’il pris d’assaut à lui tout seul le stand de tir, il arriva à bout de Pavel après un combat acharné. Il ouvrit le coffre fort dans lequel Mérédith dormait depuis tant d’années, et la plaça dans la machine pour la fabrication de son corps. Ne restait plus qu’à attendre que Zééva arrive avec les identifiants de Pavel pour lancer le programme. Ce qui ne loupa pas.

Seul bémol, Pavel ne devait pas revenir.

 

« Tu connais la suite. » conclu-t-elle. « Nous comptions envoyer vite les agents nettoyeurs pour effacer les traces. Zééva se chargeait de te mettre à disposition les preuves contre Pavel. Et nous devions simplement repartir. Sauf que…

— Pavel. »

Silence. Je ne vois pas quoi dire de plus.

« Nous savons pourquoi Sérafino n’a pas pu le tuer. Toutes les personnes ayant été dans une cellule se sont vues attribuer un programme qui les empêche de tuer quiconque possède ••••. Et toi, tu n’es pas soumise à ce handicap.

— Et tu veux que je les tue ?

— Je veux la justice. Qu’importe comment.

Compris.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez