15 - Jacob

Par Joxan

Longue nuit en perspective. Désormais assis dans une salle d’interrogatoire dont je n’avais jusqu’à présent seulement entendu parler, j’attends l’arrivée de qui que ce soit m’indiquerait ce que je fais ici. De quel droit Sérafino s’en prend à une personnalité politique ? Les retombées lui seront fatales. Notre plus grosse erreur, l’accepter dans la ville en connaissant son parcours. Et surtout dans l’équipe de sécurité. Les traîtres de son genre ne méritent aucun pardon, ni rédemption.

À la place d’Hésékiel, je l’aurais au mieux, décapiter sur place. Cela aurait éviter d’encombrer les serveurs informatiques d’un tel virus.

Le regard perdu sur le mur gris en face, impassible, morne, déprimant, mon esprit relate tout ce qu’on aurait dû faire. Exécuter ce blond à son arrivée ici. Forcer Pavel à renforcer son stand de tir. Exécuter Iddris, sûrement en lien avec ces Prisoves. Bouger Yefim, sa tendance au laxisme envers les criminels, et à la sévérité avec ses employés. Il connaissait les risques, pourquoi avoir permis autant de laisser aller.

L’entrée de plomb claquante brise le silence de cette tombe lorsque qu’un autre de ces agents pénètre dans la pièce. Un de plus dans ses magouilles ?

« Bonjour monsieur le gouverneur…

— Hors de question de parler ici. Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ?

— Tout à fait. Et au point on en est, autant continuer. » murmure-t-il sur un rire jaune discret. « J’avoue que c’était bien plus tôt que prévu. »

Il s’installe face à moi, un porte documents aussi épais qu’un dictionnaire dans les mains. Aucune confiance dans l’informatique s’il conserve toute ses données sur papier.

« Ça fait bizarre de vous avoir vous, gouverneur de Niras ici. Habituellement ce ne sont que les petites frappes d’en bas.

— Je peux savoir qui tu es pour parler ainsi ? »

Son corps cesse tout mouvement, je décèlerai presque de la tristesse dans ses yeux.

« Je travaille pour vous depuis votre mise en place à ce poste, vous ne vous souvenez pas de moi ? »

A-t-il une idée du nombre de visages que je vois passer ?

« Je suis Sa’d. »

Ah oui. Lui. Le type qui fait parfois un café buvable.

« Un des subordonnés responsables de Sérafino. Évidemment. » ajouté-je d’un ton plus calme. « il m’est difficile de me rappeler de tout le monde. »

Sa’d et sa susceptibilité ne me manqueront certainement pas quand il suppliera de mourir plutôt que d’endurer une torture par Æden. En attendant, si je veux espérer régler leur compte, l’illusion d’une coopération doit les aveugler.

« Pourquoi Sérafino n’est pas venu ? » demandé-je sur le ton le plus mielleux possible. « Ça ne va pas ? 

— Non, vous n’êtes pas au courant effectivement. Une personne du nom de Æden lui a mis le collier, vous savez, celui qui tue et qui renvoie vers les cellules. On sait pas où il est, il a juste disparu. Peut-être veut-il en finir avec Pavel pour de bon ?

— Pardon ?!

— Ah oui. Vous deviez ne pas savoir non plus. Il a essayé de tuer votre ami pour récupérer Mérédith et lui donner un corps, et… »

Un fou-rire éclate de ma part. Quel idiot. Tout ça pour ça.

« Ça vous fait rire monsieur ?

— Oui. Désolé… c’est impossible de la ramener. Notre manufacture ne dispose pas des ressources pour créer un corps. Il faut aller à Omesunaq pour ça. Bonne chance.

— Pourtant, dans le rapport que Zééva vous a destiné, elle signale bien la présence de Mérédith. »

Je n’y crois. Ils veulent libérer les prisonniers sans prendre une quelconque information. Des amateurs. Des criminels.

Cette fois-ci ses yeux montrent bien une certaine dissonance avec ce qu’il pense savoir. Je devrais lui éclairer les idées.

« Elle est dans sa tête. Zééva sert d’hôte à Mérédith. Si vous voulez un corps, allez à Omesunaq. »

Sans demander son reste, Sa’d se relève presque en sautant de sa chaise vers la sortie.

« Bonne chance pour Sérafino ! » lui lancé-je avant de le voir disparaître dans le couloir. « Il est déjà mort. »

Claquement de porte. Me revoilà seul. Une fois de plus à attendre. Yefim finira par appeler. La main de la justice s’abattra sur tous ces traîtres, aucun ne survivra.

 

Après quelques minutes, la porte s’ouvre à nouveau. Cette fois, Tempérance. Ses cheveux bleus reconnaissables à des kilomètres, contrastent avec le gris des murs. Dans ses bras repose une boîte, le même genre qu’elle tenait lors de notre dernier entretien en début d’après-midi.

« Jacob. Je crois bien que t’es bien moqué de moi. » chantonne-t-elle doucement et joyeusement. « Ton boss Yefim m’a appelé. Il m’a proposé une énorme somme d’argent, contre ta vie.

— J’ai…

— Silence. Jacob. Détends toi. Je ne t’ai pas encore dit ce que je lui ai répondu. »

Inutile. Son air trop enjoué, et sa voix posée, sereine, ne présage rien de bon. Elle se fout complètement de sa vie, de celle des autres. Son unique but est la vengeance.

« Et tu lui as dit quoi ?

— Qu’il est le prochain que je vais massacrer. »

La boîte s’ouvre face à elle. Sa taille permet de stocker de quoi tenir une journée entière loin de tout, pour une seule personne. Donc là, j’ose imaginer l’optimisation de l’espace.

Elle en sort un objet métallique, brillant. Une relique.

« Le tomahawk des enragés ?

— Tout à fait ! »

Elle prend son temps. Qu’elle le prenne bien. Æden arrivera.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez