Elle partit avant sept heures. La touffeur confinait déjà à l’insupportable et de la sueur collait le col de sa chemise à son cou, descendait dans son dos. Elle imaginait le contact du siège en cuir entre ses omoplates, contre ses reins. Une bouffée de chaleur lui dévora les joues. Serrant les dents, Leroy s’engouffra dans l’habitacle de la Renault 12, une vieille nausée accrochée à l’estomac, et toujours cette douleur d’origine inconnue dans la chair.
Ça passerait.
Les mains posées sur le volant qui irradiait tranquillement, la jeune femme ferma les paupières et laissa aller sa tête sur le dossier.
Dans son esprit s’agençaient les traits d’Élias.
Élias qui n’avait pas de frère.
Dans ces pensées, il avait un air espiègle qu’elle n’aimait pas et ne lui avait jamais vu en vrai. Elle essaya bien de l’effacer, sans succès. Alors elle ouvrit les yeux et se concentra sur un point quelque part entre le tableau de bord et la route, qui s’étirait comme un serpent encré. Les premiers rayons lui donnaient un aspect mouillé, brillant de rien. Le rouge et l’orange criard des voyants sortirent de leur torpeur à son premier coup de clef, et le reflet pâle s’en fut.
La cassette de musique égyptienne, dans sa poche de jean, lui comprimait la hanche. Par superstition, elle ne la mit pas dans le lecteur tout de suite et préféra attendre d’avoir avalé plusieurs kilomètres. Derrière la vitre, l’horizon glissait et courait silencieusement sur les formes de la campagne, empreint de rouge nacré. À mesure que le soleil montait, faisant éclater sa chaleur, la patience de la policière se morcelait. Elle se décida à lancer la musique. Ça ferait passer le temps.
Élias s’invitait encore et toujours quand elle clignait des yeux, dans l’interstice entre l’ombre et la lumière. Pour le chasser, Leroy se focalisa sur l’établissement Ocimum. Ses recherches sur le sujet, la veille, n’avaient rien donné. Seul subsistait le prospectus qu’elle avait ramassé près de chez l’infirmier. Quelqu’un avait griffonné une adresse au bas de la feuille. Leroy avait aussi grappillé le numéro de téléphone auprès de Brisebane, mais personne n’avait jamais décroché.
Leroy se faisait l’effet de prendre de l’élan pour sauter dans le vide sans parachute. Ce serait si facile d’arrêter. Elle en avait le pouvoir. Là, une pression du pied, un coup de volant, une rétrogradation du plat de la main, avec aisance, sans même appuyer.
Pourquoi ne parlait-on jamais de l’établissement Ocimum dans la région ? Pourquoi n’avait-elle pas eu vent des fameuses rumeurs néfastes mentionnées par Brisebane ? Comment n’avait-elle jamais entendu ou lu ce nom auparavant ? Même le Laurier-noble, même de loin, tout le monde connaissait. Encore un peu et son esprit se serait égaré du côté de films à suspense ou d’horreur, où le héros niais comme pas deux se laissait prendre dans un piège tissé tout autour de lui.
Leroy poussa un soupir. Son imagination choisissait la mauvaise période pour se montrer fertile. Elle inspecta rapidement sa tignasse bouclée, sa peau café au lait que la fatigue rendait cireuse, déjà luisante de sueur. Pas super. Mais ça ferait l’affaire. Elle avait des Treets plein la boîte à gants, c’était tout ce qui comptait.
Puis elle se dit qu’ils avaient probablement fondu à cause de la chaleur, et elle formula quelques jurons.
— Je peux goûter ?
— Bordel !
Leroy crut faire une crise cardiaque. Elle donna un coup de volant involontaire, cria, rétablit la voiture in extremis. Sans encore oser tourner la tête, elle diminua la vitesse et glissa sur le bas-côté.
Là, dans le silence et le nuage de poussière qui retombait doucement, teintant d’ocre les vitres, les main crispées sur le cuir du volant, elle pivota vers le siège passager.
Élias.
— Est-ce que t’es… réel ? souffla-t-elle.
— Je l’ai été. Tu te souviens ? Je suis mort. C’est pour ça que tu es là.
Il lui décocha un sourire joyeux, très inapproprié.
— Je suis content que tu me reconnaisses enfin. Je peux ? répéta-t-il. Maman ne me laissait jamais manger de bonbons.
Leroy acquiesça. Bouche-bée, elle vit l’adolescent tendre la main vers la boite à gants et se servir dans la réserve de Treets.
— Mmmh, évalua-t-il. Pas mauvais.
— Pourquoi tu ne m’as pas dit dès le début que c’était toi ?
Le garçon ne répondit pas tout de suite, absorbé dans la contemplation de l’horizon où un soleil toujours plus ardent coulait comme de l’or.
— Parce que tu n’étais pas prête à écouter.
— Quoi ?
Il se détacha du soleil, qui l’inondait maintenant des pieds à la tête, et abîma son regard dans celui de la policière.
— Tu n’étais pas à l’écoute, Leroy. Et moi, je ne voulais pas te déstabiliser.
Elle eut un ricanement incrédule.
— Tu parles. T’aurais pu m’aider dans l’enquête au lieu de me faire piétiner…
— J’ai peur de toi, Leroy.
Elle se figea de stupeur. Lui, il avait fini ses chocolats et, comme pour l’imiter, il s’essuya les mains sur son pantalon – elle faisait toujours ça.
— J’ai peur de toi parce que tu m’as fait du mal, précisa-t-il d’une voix infime.
— Mais comment tu peux… qu’est-ce que je… s’étrangla-t-elle.
— C’est bon, je ne t’en veux plus.
Une colère virulente s’emparait d’elle, mêlée à de l’angoisse. Les choses lui échappaient vraiment à présent. Elle ne comprenait plus. Et ce gosse, dont elle essayait de résoudre le meurtre, qui l’accusait de lui avoir fait du mal, qui lui pardonnait…
— Je t’ai rien fait, espèce de petit con ! explosa-t-elle. Tu entends ? Je me casse le cul à vouloir choper ceux qui t’ont fait ça et toi, toi tu…
Si elle avait osé, elle l’aurait empoigné et secoué comme un mirabellier. Mais la colère se dissipa aussi soudainement qu’elle était apparue et elle se retrouva vidée de forces, à observer le sourire en coin qui s’esquissait sur les lèvres d’Élias.
— Je sais que tu veux m’aider, reconnut-il. Et moi, je suis là pour t’aider, toi.
— OK. Ok, alors aide-moi. Vas-y, j’attends.
— Tu veux que je t’aide ?
— Je ne veux que ça.
— Tu promets de m’écouter ? demanda-t-il, soupçonneux.
— Si ça peut te faire plaisir, concéda-t-elle.
L’adolescent sonda longtemps son visage. Une sagesse incroyable imprégnait ses traits et chacun de ses gestes, malgré son apparente et maladroite jeunesse.
Non, se morigéna Leroy. C’est un mirage. Il n’est pas vivant. Il n’existe pas.
— N’y va pas. Ne va pas à l’établissement Ocimum.
La seule chose qu’elle ne voulait pas entendre, là, maintenant. La jeune femme secoua la tête.
— Je ne peux pas faire ça.
— Tu as dit que tu m’écouterais, plaida Élias.
Elle marqua une pause, les yeux baissés sur les pédales de la voiture.
Elle avait promis.
Bon sang, ma vieille, ce gosse est un fantôme !
— Désolée, marmonna-t-elle. Il faut que j’y aille, pour l’enquête. C’est mon instinct, tu vois, et il me dit...
Quand elle se tourna à nouveau vers le siège passager, ses paroles moururent d’elles-mêmes.
Il n’y avait plus personne.
≈
Leroy frotta ses paumes tachées de chocolat fondu sur son pantalon noir. Pour oublier, pour se soigner de la douleur qu’avait laissée Élias en partant, elle avait fait sa fête aux Treets qui restaient.
Elle levait des yeux nerveux sur l’établissement Ocimum, dont les toits émergeaient d’une forêt foisonnante. Des éclats brillants comme des diamants, baladeurs comme des ombres, se révélaient par intermittences dans la touffeur verte. Des carreaux de fenêtre, sans doute. Un chemin de caillasse prenait sa source sous les roues de la Renault et continuait dans les bois. Une barrière peinte en rouge en interdisait l’accès aux véhicules. Rien que de penser à la marche qui allait suivre, Leroy suait profusément. Elle se décolla de son siège avec lourdeur et, par réflexe, agrippa le carnet qui ne la quittait jamais, logé dans sa poche de poitrine.
— C’est parti, murmura-t-elle.
Il lui sembla, dès qu’elle passa sous la couverture des arbres, entrer dans un monde à la fraîcheur extraordinaire. Le thermomètre atteignait sans doute encore des hauteurs plus qu’estivales, mais échapper à la morsure du soleil lui fit immédiatement du bien, et Leroy inspira à pleins poumons – seulement pour avaler une goulée de moucherons. Elle se plia en deux, prise d’une crise de toux, les yeux humides de s’être ainsi étranglée.
Elle reprit sa marche les mains levées en bouclier pour écarter le nuage sans cesse en mouvement.
La côte était de plus en plus raide, la fin n’arrivait jamais. Des éclats trompeurs miroitaient dans la torpeur, donnant l’illusion de la proximité, mais rien, aucun mur, aucune porte ne se dessinait. Leroy ne s’en inquiéta pas trop. Le trajet en voiture lui avait paru anormalement long aussi. C’était un jour comme ça, où tout était long, sans vraiment l’être.
Sans parler de son corps qui la mettait au supplice, des courbatures la lançaient et la même sensation abjecte, celle qui la suivait depuis son réveil et lui avait fait gerber tout son poids dans les toilettes, stagnait dans ses entrailles.
Des fois, la certitude que quelque chose de mal lui était arrivé la gelait sur place… et puis la certitude disparaissait, ne laissant que trouble et confusion.
En plus du bourdonnement incessant, le bois regorgeait de bruits parasites, les bruits de la vie. Son enfance à la campagne avait été remplie du murmure éternel des animaux et de la nature, chanson devenue inquiétante à ses oreilles, vaguement sinistre. Pourtant, il restait dans cette litanie des éléments familiers, envers et contre tout, qui tiraient sur la corde de souvenirs enfouis sous des couches calculées d’oublis.
Des flashes remontèrent jusqu’au fond de ses yeux, des images d’enfance plus riches en émotions qu’en couleurs ou en sens précis.
Un champ de blé mûr sur lequel il avait plu, qui dégageait une odeur de tropiques et de tranquillité. Le visage poupin d’un garçon, ses boucles blondes pendant sur ses oreilles décollées. Amitié, moquerie. Une longue rue de maisons aux briques rouge un peu cendré.
Puis tout ça, le blé, le visage et la rue se mélangeaient pour donner vie à un tableau d’ensemble plus récent, paradoxalement plus incertain encore.
Un couloir sobre et inexpressif. À l’intérieur de la maison rouge ? Ce flash-là sentait l’adulte à plein nez, figures parentales qui s’étaient progressivement délavées, jusqu’à presque disparaître. Oui, il y avait un homme dans ce couloir. Il la regardait.
La jeune femme revint à l’instant présent quand un haut-le-cœur lui contracta les entrailles. Elle était en nage.
La fraîcheur n’avait été que tromperie. Chaque bouffée d’air avait un goût de sueur et de moucherons, presque de pourri. Ici, plus vraiment de chemin. Il lui semblait qu’elle ne pouvait plus gérer le scintillement agressif des diamants, qui se révélaient et se cachaient tour à tour comme les acteurs d’une pièce folle. Dans le flou de ses yeux, ils irradiaient et saignaient de la lumière. Bientôt, ce fut comme si toute cette énergie lumineuse se rassemblait en un centre, une brèche ouverte devant elle sur un monde inconnu, l’exhortant à la franchir, avec une autorité froide. Perdue, Leroy s’assit dans la terre, les mains sous les cuisses et le souffle court.
Quand sa tête se calma, elle comprit que la brillance devant elle était effectivement une porte, vitrée, donnant sur un intérieur très éclairé. La première ouverture sur l’établissement Ocimum ! Elle touchait au but. Reprenant courage, la policière se mit debout.
La porte vitrée était plus loin qu’elle ne le pensait. Il lui fallut marcher quelques centaines de mètres avant de l’atteindre, se frayant un passage dans ronces et mauvaises herbes. Le pantalon et la chemise couverts d’accrocs et de déchirures, des fleurs et des chardons dans les cheveux, Leroy mit sa main en visière et colla le visage à la vitre.
Personne. De puissantes lampes éclairaient une pièce richement décorée d’une tenture et d’objets anciens. La tenture, de style médiéval, représentait un loup en forêt sous le soleil. L’image était vertigineuse et Leroy recula un peu.
Bon. Ce n’était probablement pas l’entrée principale.
Pas de plaque, pas de sonnette, rien. Après une courte hésitation, elle prit la poignée et tourna. La porte ne s’ouvrit pas. Elle demeura un instant plantée là, s’attendant à moitié à voir surgir quelqu’un. Mais rien : c’était une scène immobile.
— Bon, c’est pas tout ça, se murmura-t-elle à soi-même. Je vais pas prendre raci…
Du mouvement à la périphérie de sa vision, accompagné d’un bruit de feuilles qu’on agite. Une terreur maîtrisée se referma sur sa cage thoracique, ses poumons et son cœur palpitant. Leroy passa une main à sa ceinture, sur la crosse de son arme de fonction. Ce n’était sans doute rien. Un animal.
Ou pas.
Une petite voix dans sa tête lui soufflait que tant de méfiance n’était pas utile, mais elle répugnait à lui obéir.
Procédant lentement, elle arriva au coin du bâtiment puis fit une pause, l’arme presque dégainée et les sens à l’affût.
Le silence.
Leroy se détacha du mur et déboula dans une clairière, ouverte sur le ciel. D’instinct, elle plissa les yeux, mais le soleil s’était caché derrière un nuage. Le temps, imperceptiblement, avait tourné, et l’air était électrique.
Au début, elle ne vit personne. L’herbe semblait entretenue un minimum et, à droite, s’élevaient des constructions de bois. Au milieu, une masse étendue par terre. Un rocher ? La policière s’approcha un peu et reconnut la forme tordue de crucifix sommaires. C’est alors qu’elle comprit : la chose allongée au milieu des crucifix n’était pas un rocher. Elle venait de remuer. Leroy s’arrêta net et bloqua sa respiration. Elle aurait aimé contrôler son cœur aussi bien, mais chaque battement contre ses côtes faisait un désordre tel à l’intérieur d’elle-même qu’elle avait l’impression de se trahir.
Si la chose l’avait grillée, elle n’en montrait pas signe. Des sons animaux s’élevaient du cimetière improvisé, repris par le vent qui s’était levé et en promenait les échos dans la clairière. C’était une espèce de furetage, mêlé à des grognements. Leroy imagina un loup recroquevillé sur lui-même.
La raison eut à peine le temps de dissiper cette fantaisie grotesque que la chose tendit le cou et révéla une gueule allongée. Leroy dégaina son arme et la mit en joug. La bête avait les oreilles pointues et des yeux grands et durs, qui reflétaient le roulement des nuages. Elle sembla fixer Leroy un moment, indécise. Leroy ne bougea pas d’un pouce.
Ne pas lui montrer qu’elle avait peur.
Enfin, l’animal se détourna, fit face au ciel et poussa un hurlement étrangement faiblard.
— Bordel, ce que c’est bon ! lâcha ensuite le loup.
Interdite, Leroy vit le loup prendre forme humaine et se mettre debout, l’entendit rire à gorge déployée. Il avançait vers elle, les bras écartés – en signe de bienvenue ? Pour l’effrayer ?
— Salut, vous, dit le loup de sa voix flûtée. Qu’est-ce que vous foutez là, au juste ?
— Euh, je… bafouilla la policière.
— C’est rien, gloussa-t-il. Eh… baissez votre arme, je vais pas vous faire de mal.
Estomaquée, Leroy se vit obéir sans hésiter à l’injonction.
Une odeur canine et poisseuse lui emplissait les narines à mesure que la chose avançait. Finalement, la gueule de loup tomba à la renverse sur les épaules de la créature, révélant un visage humain, hâlé et parsemé de terre. Une femme. Toujours en riant, elle feignit de lever les mains et imita à la perfection la terreur des délinquants coincés par les forces de l’ordre. Ses paumes étaient brunes de terre, elles aussi. Une peau de loup gris s’étendait en cape derrière elle, la « capuche » retenue par un cordon noué autour de son cou.
— Bon, alors, dit-elle, l’air de rien. Vous êtes qui ?
Leroy lui lança une œillade suspicieuse. Au fond, elle était en colère de s’être laissé prendre au piège. Ce fut avec raideur qu’elle présenta sa carte de police et déclina son identité.
— Inspectrice Leroy, police criminelle. Je suis en charge d’une enquête pour meurtre.
L’inconnue ne perdit pas son air espiègle mais hocha la tête un peu plus gravement.
— Ah. Pas marrant, ça.
— Non, formula platement Leroy. Dites-moi, que faisiez-vous quand je suis arrivée ?
Elle désigna le cimetière de fortune. Un éclat malicieux s’alluma dans le regard de l’autre, autrement dur comme de la pierre, en contraste avec ses airs insouciants.
— Je déterrais des cadavres.
— Pardon ?
Pour tour réponse, l’autre éclata de rire. Interdite, Leroy la regarda secouée par une hilarité qui n’en finissait pas ; l’air tremblait des échos désagréables de ses hurlements, qui faisaient encore penser à un loup. Leroy sentait déjà son esprit s’engager dans un engrenage de pensées que tout policier s’imposait au fil du temps. La conclusion la plus logique était que son vis-à-vis était dérangé – ou porté sur l’ironie. Leroy n’était pas douée pour reconnaître l’ironie.
Enfin, la jeune femme au loup se calma. Un étrange regard brillait sous l’ombre de ses cils, et un sourire malin lui étirait la bouche. Elle tendit un doigt vers la policière et murmura :
— A very pestilent disease, my lord, they call lycanthropia.1
Leroy laissa la démente continuer son spectacle, croiser les bras sur sa poitrine, faire un tour sur elle-même et ajouter, d’une voix grave et vibrante :
— They imagine themselves transformed into wolves, steal forth to churchyards in the death of night, and dig dead bodies up!2 Hahaha !
De la gueule de loup renversée, retombée sur son dos, pendait une langue noire. Des exhalaisons de puissante odeur tranchaient l’air de la clairière, tournaient encore autour de la femme qui s’était arrêtée. Elle était essoufflée et paraissait déçue du manque de répondant de Leroy.
— In the death of night, sacré Webster. Ça vous fait pas rire, vous ? demanda-t-elle, inquisitrice.
— Pas trop.
La femme prit une expression soupçonneuse. Elle s’approcha de Leroy à petits pas, le museau retroussé.
— Mais vous… ma parole… cette odeur…
La seule odeur particulière dont Leroy avait connaissance était ce relent pourri. Dans d’autres circonstances, se faire traiter de chose puante par quelqu’un qui puait aussi fort l’aurait mise en rogne.
En réalité, l’inconnue paraissait effrayée.
— Vous avez été touchée par… l’ennemi, articula-t-elle.
Abasourdie, Leroy ne trouvait rien à répondre. Toute envie de se foutre de sa gueule mise à part, elle avait le sentiment inexpliqué que cette femme avait raison. L’ennemi l’avait atteinte au cœur. Il l’avait touchée, volée, violée, quelque part en elle il avait cassé un élément précieux. Son ventre et ses entrailles se serraient.
L’autre avait dû lire la terreur sur son visage, car elle porta une main à sa poitrine et recula vivement.
— N’approche pas, débita-t-elle.
— Je vous assure, protesta Leroy. Je ne suis pas là pour vous faire du…
— N’approche pas, démon ! hurla l’autre par-dessus sa voix.
Voilà deux fois qu’elle se faisait traiter de démon en deux jours. Leroy se figea, les yeux plantés dans ceux de la femme-louve. Une éternité passa durant laquelle elles se jaugèrent sans bouger, à la fois proies et prédatrices.
Enfin, un sourire sardonique apparut sur le visage de l’excentrique et elle poussa un énième rire. D’abord doux, chargé d’un miel empoisonné, il devint hystérique comme les autres.
— Si vous aviez vu votre tête, haleta-t-elle entre deux convulsions d’euphorie. Vous avez croisé un fantôme ou quoi ?
Leroy sentit la haine lui monter aux joues, mais ne dit rien.
— Rassurez-vous. Cet ennemi-là, susurra la louve, quand il gagne, il ne reste rien de vous. Vous, il ne vous a pas eue. Non, non, non.
Un semblant d’estime passa dans son regard. Elle secoua la tête en continuant de répéter non, non, non.
Leroy commençait à avoir sérieusement peur d’elle.
— Écoutez, dit-elle de sa voix la plus autoritaire, j’aimerais m’entretenir avec la directrice de l’établissement.
Pourquoi cette femme était-elle seule ici ? Elle était jeune. La vingtaine ? Comment se faisait-il qu’elle errait à sa guise dans les parages ? N’y avait-il donc pas de surveillance ?
— Suivez-moi, capitaine, lança l’inconnue. C’est par ici.
_______________________________________
1 - John Webster, The Duchess of Malfi.
2 - Idem.
Bref, c'est toujours aussi prenant, gonflé d'images assez incroyables (la femme louve), et je suis bien pressée de poursuivre ma lecture !
C'est vrai d'ailleurs que l'enquête sur Elias passe au second plan, et que les perceptions de Leroy (et son état mental) deviennent le sujet central. On peut clairement dire qu'elle est une "unreliable narrator" pour le coup !
Merci de ton passage ça fait très plaisir de voir que ça te plaît, à vite pour la réponse à tes autres commentaires <3
Je continue ma lecture, mais je me suis rendu compte qu'il valait mieux que je n'essaie pas de commenter chaque fois parce qu'au bout d'un moment je n'avais plus grand-chose à dire.
J'ai bien aimé le glissement vers le fantastique (ou la folie ?). Au début, Leroy ne semble pas du tout ouverte à cette idée, mais maintenant, elle arrive à accepter assez facilement qu'un fantôme vient s'entretenir avec elle, avec quelques éclairs de "ah mais non il n'existe pas" auxquels elle ne semble pas du tout croire, sans que ça l'inquiète vraiment.
J'aime bien ce petit côté un peu absurde.
En fait plutôt qu'un passage au fantastique, je me rends compte que pour moi, c'est en fait comme si Leroy glissait tranquillement dans autre dimension ; j'ai l'impression en plus qu'elle change de nature un peu. Comme si elle se faisait "polluer" par les forces maléfiques, genre.
Merci pour la lecture ! Bisous !
Fantastique ou folie, c'est toute la question et la frontière est volontairement mince ! Ca me rassure de lire ton ressenti sur ce glissement justement, qui est assez important dans le roman. Et même Leroy, qui semble cartésienne au début, se laisse entraîner. Il y a quelque chose d'absurde là-dedans, tout à fait d'ailleurs. J'aime beaucoup l'image de la "pollution" par des forces obscures !
Merci à toi d'être passée par ici et d'avoir commenté, bisous <3
Cette pauvre Leroy qui ne mange que des Treets... Eh par temps de canicule faut boire et manger des tomates ! Elle fait tout à l'envers, pas étonnant qu'elle ait tout le temps mal au ventre !
Cette scène avec la femme-louve, toute en confusion, est extraordinaire.
Plein de bisous !
Je suis curieuse de savoir si les chocolats qu'Elias a mangé ont vraiment été mangés ou si c'était juste dans la tête de Leroy.
Le passage du réel au fantastique et l'acceptation du fantastique se fait progressivement, ça paraît presque naturel à Leroy de discuter avec Elias, et du coup ça passe aussi bien pour le lecteur. Le côté flippant en plus.
Je me demande si c'est juste une blague de la louve le côté "démon" de Leroy où si c'est encore une fois lié à sa potentielle possession.
Ahaha pas bête pour les chocolats....... ;D
Je suis vraiment soulagée de lire que le passage du réel au fantastique passe bien, c'est une de mes plus grande "peurs" dans cette histoire... garder la limite brouillée et aussi faire que le passage de l'un à l'autre soit le plus naturel possible
Peut-être qu'il s'agit d'une blague de la part de la femme-louve, qui a l'air assez portée là-dessus, mais ça peut aussi venir de Leroy, tu as tout à fait raison.
Merci encore une fois de ta lecture !!
J'ai eu un peu de mal à raccrocher les wagons concernant Ocimum, mais je pense que c'est dû à la grande coupure dans ma lecture des chapitres, je ne me souvenais plus trop dans quel contexte Leroy avait fait la découverte de cet établissement, mais je suis sûre qu'en lecture naturelle sur un roman complet je n'aurai pas eu de soucis.
C'est fou comme Leroy semble s’accommoder finalement assez bien de la présence d’Élias à ses côtés, et le pire c'est que ça passe crème pour le lecteur aussi, comme si le personnage avait cessé de lutter et acceptait petit à petit de se laisser emporter par la teneur fantastique du récit en mode "et alleeeeeez, au point où on en est..." ^^"
Je me suis aussi totalement laissée avoir par la mise en scène lycanthrope, j'y ai cru autant que Leroy ! C'est très bien fait : )
Bravo encore !
Arf, la grosse coupure et mon rythme aléatoire de publis n'aide sans doute pas :/ Ocimum, c'est un établissement dont Leroy a entendu parler, spécialisé dans le traitement de la lycanthropie, et c'est pour avoir des infos sur ce trouble qu'elle s'y rend.
C'est vrai que Leroy accepte l'apparition d'Elias avec une facilité surprenante. Peut-être parce que ce n'est pas la première fois qu'elle le voit ? Comme tu le dis très justement, peut-être qu'elle accepte de basculer dans un truc qu'elle n'arrive pas à expliquer, ou qu'elle se dit, finalement pourquoi pas jouer le jeu, j'apprendrai peut-être des trucs x)
Merci beaucoup pour la scène lycanthrope, et puis comme toujours pour ta lecture !!
Par contre, je pressens qu'elle aurait dû écouter le conseil d'Elias parce que je ne sais pas où elle est arrivée, mais le premier contact est... spécial ! Cette femme fait très peur. J'espère que ce n'est pas elle la directrice !
Quant à l'état de santé de Leroy, ça n'a pas l'air de s'arranger. Et les déclarations de la femme-louve pourrait confirmer ce que je soupçonnais : Leroy est... possédée ?
Bon en tout cas, même après la coupure, je replonge à fond dans ton univers de plus en plus étrange. Je ne sais toujours pas où tu m'emmènes, j'ai de plus en plus les chocottes (l'impression d'avancer dans le brouillard n'aide pas !), mais je me laisse faire volontiers !
Détails de rien du tout :
"Les mains posées sur le volant qui irradiait tranquillement, la jeune femme ferma les paupières et laissa aller sa tête sur le dossier." : euh, mais elle conduit ? Parce que c'est un peu dangereux de faire ça, quand même !
"Des éclats brillants comme des diamants, baladeurs comme des ombres, se révélaient par intermittences dans la touffeur verte." : c'est du surpinaillage, mais tu as déjà utilisé "touffeur" au début du chapitre. Or ça fait partie des mots suffisamment inhabituels pour être remarqués (en plus, je sais pas pourquoi, je l'adore). Du coup, deux utilisations dans le même chapitre, est-ce que ce n'est pas trop ? la vapeur verte ? les ondes de chaleur verte ?
"Il lui sembla, dès qu’elle passa sous la couverture des arbres," : le couvert des arbres ?
"En plus du bourdonnement incessant, le bois regorgeait de bruits parasites, les bruits de la vie." : très bon, le parallèle entre "bruits parasites" et "bruits de la vie" !
"qui tiraient sur la corde de souvenirs enfouis sous des couches calculées d’oublis." : j'adore ♥ !
"Quand sa tête se calma, elle comprit que la brillance devant elle était effectivement une porte, vitrée, donnant sur un intérieur très éclairé." ah bon ? en plein jour ?
Hop ! C'est parti pour la suite, je suis trop curieuse !
Elle aurait peut-être bien fait d'écouter les conseils d'Elias, oui. En tout cas l'établissement Ocimum est pas ce qu'on appelle des plus accueillants.
Clairement, Leroy est pas en grande forme ! Elle est peut-être possédée tout compte fait ; Habitée d'une présence démoniaque / pagentille ?
J'espère en tout cas que la suite te plaira, malgré le brouillard et l'impression de ne pas savoir où on va ! Et bien sûr si ça devient gênant n'hésitez pas à le dire x"D
Merci beaucoup pour ta lecture Isa !! Et merci pour ton relevé fort précieux (non, Leroy ne conduit pas, elle est simplement assise au volant mais la voiture est à l'arrêt xD / et oui, l'intérieur de l'établissement est tout allumé même s'il fait jour. Ils sont bizarres dans cet endroit décidément ><)
Clairement Leroy a beaucoup de choses dans la tête, dont elle n'a pas conscience elle-même mais qui vont bien refaire surface un jour ou l'autre... il le faut ! Non tu n'es pas bizarre, au final la femme-louve laisse entendre qu'elle n'est pas totalement foutue... ou c'est une façon de l'interpréter !
Merci comme toujours de ta lecture Alice !!
Ce serait twisteux à souhait que le roi dont on parle depuis le début soit en Leroy et ait pris l'apparence d'Elias. Je reste sur cette (potentiellement brumeuse) hypothèse pour l'instant.
La deuxième partie du chapitre était angoissante. J'étais à fond pour le côté lycan et… en fait, non. C'est si vil, Jamou. Si vil… ! Cette femme et cet endroit ne m'inspirent tellement pas confiance… A côté, je crois que je visualise le Laurier-Noble comme étant le paradis sur Terre où tout le monde vit heureux, galopant sur des petits poneys arcs-en-ciel. Pour dire… Le prochain chapitre me confirmera… ou pas. Parce que je te connais. Je sais que tu joues avec les attentes du lecteur. Tu dois tellement t'amuser à lire les retours ! xD
A très vite pour la suite ! :D
Coquillettes :
les main crispées sur le cuir du volant --> mains
Pour tour réponse, l’autre éclata de rire --> toute ?
Intéressante hypothèse... je ne dirai rien ;)
Oui je suis vile, pardonne-moi :'( mais contente de t'avoir berné quand même huhuhu. Ah oui, si le Laurier-noble devient le Paradis sur terre, c'est que vraiment l'établissement Ocimum ne te revient pas ! Mais tu as bien raison de te méfier. Je joue beaucoup sur les attentes des lecteurices, oui... en tout cas j'essaie ! Et ce qui est sûr c'est que c'est génial de lire tous vos commentaires avec vos théories <3
Merci pour ta lecture et pour les coquilles Dé !!
Bon, l'état de notre pauvre Leroy ne s'arrange clairement pas ='D Dès le début du passage dans la voiture, et je me suis dit "Et là, Elias apparaît." ET BIM. N'empêche, je suis très curieuse de savoir comment Leroy a pu le blesser. En l'ignorant ? En se trompant sur sa nature ? Et pourquoi il veut l'aider ? A ne pas se laisser avoir sur le démon ? Où juste, il veut pas qu'on enquête sur sa mort ? Est-ce que c'est vraiment le fantôme d'Elias ou juste la projection des angoisses de Leroy ? Bref, beaucoup de questions encore ='D Et cet institut qui est bien mystérieux et au centre de pas mal de choses.
Tiens d'ailleurs, petite question. Il manquait des chocolats du coup ou pas ? Genre, Elias a vraiment fait baisser le stock où il a juste fait semblant ? Je me demande à quel point Leroy a vérifié =o
Et pour tout le trajet, pour les patients, les gens qui travaillent là, les livraisons, si tout doit toujours se faire à pieds, sachant que le chemin a pas l'air ouf, c'est pas très pratique =o Mais oui, encore une fois, la progression de Leroy est un véritable parcours du combattant, et toujours cette référence à la chaleur...
Sinon, quand on a vu le loup, j'ai vraiment cru au début que c'était un loup garou et qu'on avait définitivement basculé dans le surnaturel. C'est frustrant ces allers retours, mais oui mais non ='D Tu joues bien avec les nerfs des lecteurs ^^ En tout cas, je suis très perplexe face à la réaction de la femme louve. Etait-ce une blague ? Je pense pas. Mais du coup, pourquoi ne pas jste balancer toute la vérité à Leroy ? Parce qu'ils ont peur de ne pas être cru et que ça serait pire ? C'est très frustrant d'avoir l'impression que les gens en face connaissent des trucs mais que non, ils vont pas les dire x)
J'espère que la rencontre avec la directrice va pouvoir nous en apprendre plus ! Même si ça se trouve, c'est elle la directrice x) Enfin, je suis aussi curieuse de cette histoire de cimetière ! Pourquoi creuser là et pourquoi ne pas avoir les corps enterrés dans le cimetière communal mais ici ?
Bref, toujours pleins de questions, mais on avance !
Non, Leroy n'est pas au top de sa forme c'est clair xDD ça fait plusieurs fois qu'elle voit Elias, et pouf, rebelote dans la voiture. Concernant la façon dont elle lui a fait du mal, je ne dirai rien 8) mais tes hypothèses sont intéressantes ! Cela dit, comme tu le dis on peut imaginer qu' "Elias", c'est peut-être autre chose que vraiment le souvenir d'Elias : bon, là non plus je ne dirai rien :p
Si seulement Leroy avait compté les chocolats xDD je m'en veux de vous laisser dans le flou (j'ai l'impression que je vous laisse dans le flou pour pleeeeein de trucs) mais bon... on ne sait pas pour les chocolats ^^
Non clairement le chemin pour accéder à l'établissement Ocimum est pas pratique du tout. Les livreurs doivent larguer les colis en bas de la colline, dans le fossé, et signer le reçu eux-mêmes x)
Huhu je suis contente que la scène avec la femme-louve pas vraiment louve-garou ait fonctionné ^^ c'est exactement ça, des allers-retours entre réalité et potentiellement fantastique. Même si des fois c'est clairement plus surnaturel. Désolée de jouer avec vos nerfs :'(
La femme-louve aime bien rester dans le vague, ou alors elle n'a pas envie d'en dire trop sur l'établissement et sur ce qu'il s'y passe. Mais bon Leroy va bien voir, en tout cas entrapercevoir ^^ je me rends compte à quel point ça peut être frustrant de sentir qu'il y a des éléments mais que les personnages ne les divulguent pas, j'espère que ça ne franchit pas la limite de l'acceptable... sinon n'hésitez pas à le dire x"D
Pour le cimetière, c'est une bonne question ^^ j'espère que la suite donnera des réponses à ça aussi :)
Oui c'est vrai on avance un peu malgré tout ^^ merci beaucoup de ta lecture !!