Les étoiles et le crissement des cigales remplissent l’air, le remplissent si bien qu’il n’y a de la place pour rien ni personne. Etendue dans mon transat, j’oublie que je suis un corps, que mes coudes et mes genoux s’invitent dans cette image de voix lactée trop idéale, j’oublie que je suis fatiguée, migraineuse. Et que je n’ai pas envie d’être là.
Je ne l’entends pas venir. Elle fait d’habitude du bruit, beaucoup de bruit – claquement de portes chaussons qui frappent le sol marmonnements hurlements soudains. Je ne l’entends pas mais je la vois, tout à coup, devant moi, de dos, contre la voie lactée. Elle paraît géante. Elle prend de la place. Elle a levé la tête avant d’apparaître, comme si regarder les étoiles était un appel, une contrainte. Elle est pieds nus, les jambes écartées, les mains contre les hanches. Sa silhouette apparaît dans toutes ses contradictions : fine mais imposante, squelettique mais musclée, fragile mais impressionnante. Effrayante. Intrusive.
Elle me gêne, d’abord. Elle me fait peur. Elle me dégoûte. Elle s’impose. Elle n’est pas elle. Ce matin, elle nettoyait son sexe cancéreux devant moi, sans aucun malaise, comme une animale accroupie par-dessus sa bassine. Toute la journée, elle a chuchoté des insultes à des personnes qui ne sont pas là. A table, elle passait du coq à l’âne, ne parvenait pas à finir ses phrases.
Elle ne dit rien, cette fois aucun son ne sort de son cerveau malade, et les cigales continuent de chanter. Par-dessus ma gêne, mon dégoût, ma peur, se glisse un sourire. Je remarque que sa chemise de nuit remonte sur ses hanches, qu’on voit sa culotte, une culotte bien trop grande, presque pendante, et je lui dis : maman, avec tes mains sur les hanches et puis ton slip, là, on dirait une super-héroïne. Essaie pas de t’envoler !
Elle se tourne vers moi avec ce visage surpris que je connais si bien, cette expression qui se construit lentement. Les yeux se plissent un peu, les pommettes se creusent, elle cherche, elle tente de comprendre, et puis ça y est, elle fait le lien : ses yeux en amande s’étrécissent un peu plus, comme les miens, et ses lèvres se pincent, et ses pommettes se creusent encore, elle rit. Elle rit sincèrement mais avec dans l’œil cette pointe de crainte, à croire qu’elle n’est pas sûre de rire.
C’est la meilleure image que j’ai d’elle.