Je ne sais pas si tu le sais -
Elle se penche sur le cahier de sa fille et leurs chevelures s’entremêlent. Elles se ressemblent énormément.
Je ne sais pas si tu le sais, mais -
- Maman, je comprends pas cette phrase.
- Attends je t’explique -
mais elle n’y arrive pas. Elle aussi bute sur les mots. La phrase est pourtant simple : « Sur le dessin ci-dessous, placer les organes vitaux ». Le cerveau, le cœur, le foie, les intestins, les poumons. Respirer, manger, dormir et d’autres choses encore, plus fines, plus subtiles, difficiles à coucher sur un cahier d’écolière.
Je ne sais pas si tu le sais, mais tu es la meilleure amie que j’ai et –
Pourquoi y repenser maintenant ? Quel est le lien entre le cahier de sa fille, et ce texto aussi vieux que le monde ? Cette phrase en pixels qu’elle ne cesse de revoir, aussi clairement que si on forçait son Nokia 3310 dans son champ de vision ?
Je ne sais pas si tu le sais, mais tu es la meilleure amie que j’ai et je crois que j’ai des –
Sophie. Une amie de passage, le début du lycée, et depuis. Rien.
- Maman, je croyais que papa rentrait ce soir.
Si, il rentrera. C’est bien ça le problème : il est là. Irréprochable. Tandis que Sophie, elle, est…
Je ne sais pas si tu le sais, mais tu es la meilleure amie que j’ai et je crois que j’ai des sentiments pour toi.
Elle n’a jamais répondu à ce texto.
- Pourquoi ça se passe plus très bien avec papa ?
Comme une envie de se mordre les doigts. De se mordre la bouche, de se griffer les gencives. De s’arracher les dents, la langue, les poumons, le cœur, le foie. De se rompre les os, de se tordre et de se briser les os, et forcer tout son squelette, tout son être, dans la direction opposée. Partir, fuir, en titubant sous le poids et la douleur des liens cassés.
Comme une envie de pleurer.
En effet je pense qu'il faut une deuxième lecture pour bien saisir les tenants et aboutissants... Moi qui n'ai que très peu de patience, c'est le genre de procédé qui ne me parle d'habitude pas mais je me dis qu'avec un texte court, j'ai le droit !
Merci beaucoup