15. Il était une fois Elkind

Il était une fois des arbres.

Et du soleil.

Il était une fois des arbres et du soleil.

 

Alyz n’avait jamais marché aussi longtemps et elle dut bien admettre que sa vocation de voleuse était loin de lui conférer une endurance convenable. Elle était plus douée pour fuir les marchands mécontents que pour supporter un effort constant. Après une journée, elle n’en pouvait déjà plus ! La jeune fille était en pleine incompréhension. Comment les enfants, qui avaient eu la même vie qu’elle, pouvaient-ils marcher aussi longtemps sans jamais se plaindre !? Ils progressaient gaiement, en chantant et en riant. Incompréhensible. Il était une fois l’enthousiasme enfantin. Enfantin mais incompréhensible. Heureusement qu’ils s’arrêteraient bientôt pour monter le campement...

Le prince aussi semblait inépuisable. Il n’était pas comme les princes des histoires, il n’était pas à cheval en tête de cortège. Il était à pied avec ses soldats et bavardait de tout et de rien, sans jamais se fatiguer. Il était une fois un grand héros qui débattait sur les meilleurs pains de la ville.

L’armée progressait en une interminable colonne qui serpentait sur les petits sentiers. Tout les soldats étaient à pieds. Il y avait des chevaux, mais les seuls à y avoir droit étaient les chars qui dodelinaient sur la terre battue. Les gros monstres aux roues de bois s’arrêtèrent. Tout le monde s’arrêta. Une gigantesque montagne se dressait devant eux.

 

Il était une fois une armée d'enfants.

Il était une fois la grande montagne de l’Heldegie.

Il était une fois une dure montée qui s'annonçait.

 

Alyz refusa la cape offerte à tous les enfants par le prince. Elle préférait garder son vieux manteau qu’un gentil marchand lui avait un jour offert. En souvenir du splendide combat qu’elle avait gagné ce jour-là. Il était trop grand pour elle, mais au moins, il lui irait toujours, même si elle grandissait. Et en plus, il avait des poches gigantesques, caractéristique non négligeable pour un manteau. Il était une fois une petite voleuse. Alyz entra dans sa tente et retravailla ses tactiques. Est-ce que l'on pouvait appliquer sur Domélyl les mêmes stratégies que sur un plateau de jeu ? C'était peu probable, mais bon, le principal était d'imaginer la pensée des adversaires et de rester imprévisible... Comme devant un plateau de jeu. En tant que stratège, Alyz était l’unique personne à posséder sa propre tente. Même le prince n’en avait pas. Il préférait dormir avec ses soldats.

 

Il était une fois le soir qui approchait.

Il était une fois la silhouette d’une jeune stratège qui allait admirer le coucher du soleil.

Il était une fois la silhouette d’un prince qui allait la rejoindre.

 

- Bonsoir, Alyzana.

La petite stratège se tourna vers le prince au visage rayonnant. Ses vêtements amples jouaient dans le vent et ses grandes manches vides s’en retrouvaient agitées dans tous les sens. Cela rappelait un peu un épouvantail. Il avait noué ses cheveux dans une longue tresse qu’il n’arrivait pas à faire tenir en place. C’était très drôle à voir. Il faut dire que le vent était très rare, à Elnayr, personne n'y était habitué...

- Durant ce premier bout de montée, les grands chariots peinaient à progresser au milieu des branches, expliqua-t-il, je me demandais si tu ne connaissais pas un meilleur chemin. Un qui ne passerait pas par la forêt...

- Justement, sire, je voulais vous en parler. Avant de partir, j'ai déniché une ancienne carte dessinée par un certain... Maylinke... Un voyageur venu de Domélyl. Au lieu de passer par la partie plate comme nous le faisons, il passe par la crête. Il n’y a pas d’arbres, là-bas.

Le prince s’approcha pour lire la carte. La tresse percuta la nuque d’Alyz. Il dévisagea la jeune fille de ses grands yeux sombres.

- Et tu penses que nous pourrions y passer ? Les chariots aussi ?

- En tout cas, il avait une carriole, le sentier ne devrait donc pas être trop étroit. Et dans tous les cas, s’il s’avère que nous ne pouvons passer par là, nous pourrons toujours prendre ce chemin qui descend.

- Parfait, cela me paraît être une bonne idée. Merci, Alyzana.

Le prince s’apprêtait à s’incliner pour partir, mais Alyz l’arrêta.

- Mon prince, j’aurais une question à vous poser.

Le prince Arkaël lui sourit. Des petites mèches blondes percutèrent ses joues tatouées.

- Je t’écoute.

- Pourquoi n’y a t-il que des tonneaux d'encre dans les chars ? Avez-vous l’intention de faire dessiner les enfants ?

Pendant vingt millisecondes, le sourire s’effaça du beau visage princier. Mais il revint bien vite. Comme toujours avec Arkaël Sans-Mains.

- C’est exact. J’aimerais combattre les Anges avec la magie, répondit-il.

- Ces enfants ne savent pas utiliser leurs pouvoirs de Scribe. Personne ne leur a appris à le faire.

- Les dessins magiques suivent toujours les mêmes schémas. S’ils les essaient tous, ils trouveront quel est leur pouvoir. Je pense qu’après quelques séances intensives, ils auront tous cerné leur magie.

- Je ne pense pas que cela soit une bonne idée de forcer la magie à venir, alors qu’ils ne la maîtrisent pas. Il faut que cela leur vienne intuitivement. Sinon, cela pourrait être dangereux...

- Toi, tu as déjà trouvé ton pouvoir, n’est-ce pas ?

Alyz hésita à répondre. Elle n’aimait pas parler de magie. Mais l’homme devant elle était son prince. Elle était obligée de répondre.

- Oui, j’ai déjà trouvé ma magie. Et c'est venu tout seul, sans que je ne fasse aucun effort. Je ne pense donc pas que cela soit utile de les faire dessiner comme ça, de manière aussi intensive...

Le prince plongea ses grands yeux sombres dans les siens. Il souriait toujours et ses longues bandes noires tatouées s’en retrouvaient déformées.

- Ces enfants ne savent pas écrire, Alyz, ils n’auront jamais l’idée de s’emparer d’une plume. Il est donc nécéssaire de les familiariser avec le dessin pour faciliter l’arrivée de leur magie, dit-il d'une voix douce.

Alyz ne répondit pas. Elle ne voulait pas l’admettre, mais il n’avait pas complètement tort. Il n’y avait pas d’autre moyen pour faire apparaître cette magie cachée à l'intérieur de chaque enfant.

Arkaël Sans-Mains s’inclina et repartit d’une démarche très enthousiaste, suivi de près par ses manches virevoltantes. Alyz contempla le beau prince venu de nulle part. Son caractère la dépassait. Il semblait être toujours de bonne humeur. Pourtant, il avait dû souffrir énormément, les infirmes étaient très mal traités, à Elnayr !

Alyz retourna à sa tente. Où une personne l’attendait. Une petite fille lisait les tactiques que la jeune stratège venait de mettre au point.

- Pas mal, mais en changeant le coup du milieu, tu serais vraiment imbattable, s'exclama la fillette.

- Je ne t’ai pas autorisée à entrer.

- Oh, où alors, tu pourrais garder un soldat de ce côté-là...

- Je ne t’ai pas autorisée à entrer.

L'enfant se tourna vers Alyz. De longs cheveux noirs cachaient ses yeux et Alyz ne vit que le grand sourire qui illuminait son petit visage rond.

- T'as menti au prince. T'es pas la plus intelligente du monde. La preuve : je peux te battre au jeu du stratège.

Il était une fois un combat. Elles jouèrent. La fillette jouait bien. Très bien, même. Si bien qu’elle gagna. Il était une fois Alyz qui perdait contre une gamine de six ans. La stratège était éberluée.

- T'inquiète, je le dirai à personne, s’exclama la fillette, je voulais juste que tu saches que t’es pas la plus rusée dans ce monde.

Alyz ne répondit pas.

- Je me suis pas présenté, continua la petite victorieuse, moi, c’est Elkind !

Il était une fois Elkind.

 

Il était une fois une petite fille. Une petite fille vraiment étrange. Elle était imbattable à n’importe quel jeu, alors qu’elle ne savait pas compter. Elle ne savait pas lire. Elle ne savait pas écrire. En fait, Elkind ne savait rien faire, à part gagner.

 

Il était une fois une jeune stratège qui en était très étonnée. Elle se donna pour mission de lui apprendre tout ce qu’elle ne savait pas. Chose bien compliquée, car Elkind ne retenait rien du tout. Elle était incapable d'apprendre quoi que ce soit. Cette fillette non plus n’était pas la plus intelligente du monde.

 

Il était une fois des soirées interminables dédiées au calcul.

Il était une fois de longues leçons d’écritures.

Il était une fois un lien qui grandissait.

 

- Là tu peux m'avoir au cinquième coup, si tu crées un couloir.

- Ah oui, comme ça ! comprit Alyz.

- Exactement ! Avec autant de techniques, même moi, je pourrai plus te battre !

- Elkind ?

- Hmm ?

- Tu veux pas dégager ton visage ? Tu dois rien voir, avec tous ces cheveux...

- J’aime pas trop mes yeux...

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Ch’ais pas, je les aime pas...

- Tu me les montreras, une fois ? Je suis sûre qu’ils sont très jolis.

La fillette sourit. Elle acquiesça. Il était une fois l’amitié.

 

Il était une fois une armée d’enfants. Un armée qui progressa encore pendant vingt jours et vingt nuits avant d’apercevoir la Tour au loin. Une armée qui avait dû escalader les montagnes de l’Heldegie et à qui une halte s’était imposée après cet effort.

 

Il était une fois une jeune fille nommée Alyzana. Elle était dévouée au prince Arkaël et elle l’aimait. Pas comme un amant, non, mais plutôt comme un grand frère. Elle acceptait de travailler toute la journée, pendant que le prince restait auprès de ses combattants. Elle ne l'aurait trahi pour rien au monde. Enfin, elle pensait ne jamais pouvoir le trahir.

 

Il était une fois une petite fille nommée Elkind. Elle n’était pas Scribe et elle savait que l’on le découvrirait en ce vingtième jour de voyage. Elle fut démasquée lorsque débutèrent les séances de dessin. La fillette fut condamnée à mort.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nightbringer
Posté le 03/11/2024
Coucou !^^

Juste un petit mot pour te dire que ton histoire est toujours aussi innnncroyable ! C'est vraiment très fluide, tout s'enchaîne, c'est vraiment beau ! J'avoue que j'ai souvent de la peine avec le rythme des récits, j'ai peur d'aller trop vite, et en même temps d'aller trop lentement, enfin je suis un peu rythmo-anxieuse si je puis dire haha^^' Mais là c'est vraiment juste parfait !

AU FIL DE LA LECTURE

“Il était une fois une petite fille. Une petite fille vraiment étrange. Elle était imbattable à n’importe quel jeu, alors qu’elle ne savait pas compter. Elle ne savait pas lire. Elle ne savait pas écrire. En fait, Elkind ne savait rien faire, à part gagner.”
>> Hihi c'est très bien trouvé comme description, profond, mais avec une teinte d'humour...

Et vraiment, j'adore tes personnages ! Ils sont tous très différents, et ils ont tous un petit côté énigmatique, c'est vraiment très stylé... Alyz reste encore le personnage le plus normal haha, j'ai hâte de voir tous ces éléments s'emboîter en tout cas !


“La fillette sourit. Elle acquiesça. Il était une fois l’amitié.”
>> c'est trop beauuuu hihi pardon je me laisse un peu emporter, mais j'aime trop ces phrases, et j'aime baucoup Elkind !

“Elle ne l'aurait trahi pour rien au monde. Enfin, elle pensait ne jamais pouvoir le trahir.”
>> Ahhh c'est de la torture une fin comme ça ! Pfff nan je rigole, c'est parfait pour garder le lecteur dans ton histoire héhé...

La fillette fut condamnée à mort.
>> QUOI !?! Non non non, t'as pas le droit !

Je file lire la suite^^ Je ne peux pas m'arrêter là.
-Henemiole-
Posté le 05/11/2024
Hello !
Oh merci, je suis vraiment trop touché !^^
Je suis rassuré pour le rythme, moi aussi, je me dis tout le temps que c’est trop rapide, mais trop lent, mais en fait trop rapide…😂
Et aussi, je suis très heureux que l’on voie la diversité de mes personnages, j’ai parfois peur qu’ils se ressemblent trop, surtout dans leur manière de penser…😅
A bientôt !^^
Vous lisez