16. Condamné.e.s

Il était une fois le prince Arkaël Sans-Mains. Il était un grand prince et nul ne lui connaissait aucun défaut. Et en tant que personne parfaite, il était fidèle lois. Elles étaient justes, elles avaient fait leurs preuves. Alors le prince les appliquait à la lettre.

 

Il était une fois Elkind. Elle avait menti à un membre de la famille royale en prétendant être Scribe, alors qu’elle n’avait absolument aucun pouvoir. Cet acte dérogeait à l’article vingt de la constitution des Scribes. Elle méritait donc la mort.

 

Il était une fois Alyz. Elle aimait autant Elkind que son prince et ne savait plus de quel côté se placer.

 

Alyz suivait le prince, les yeux baissés. Pour une fois, il n'avait pas laissé ses manches virevolter, il les avait attachées dans son dos et cela donnait une impression d'absence à quiconque l'apercevait. Ses cheveux brillaient et dansaient au rythme de ses pas. Il était étrange, pour un Scribe, d’avoir des cheveux aussi longs. Cela rappelait un peu trop les Anges, ces êtres si détestés... Maintenant que le prince avait condamné à mort une fillette de six ans, Alyz avait de la peine à l'admirer comme auparavant. Ils pénétrèrent dans une petite tente. Dans cette tente, il n’y avait qu’une chose. Une cage de bois. Une cage de bois très solide. Elkind était assise au milieu et essayait de compter les barreaux. C’était un échec total, elle en compta vingt de plus. Le prince s’assit sur une jolie chaise tressée et laissa ses longues mèches blondes traîner sur le sol. Il était si calme, et si beau avec son léger sourire. Il était une fois la personne la plus sereine de tout l’univers.

- J’aimerais que tu répondes à mes questions, petite fille, commença t-il de sa voix chaude.

Alyz ne comprenait pas comment il faisait pour rester si calme, alors qu’il venait tout juste de condamner une enfant.

- Tu n’es donc pas une Scribe. Que faisais-tu dans notre royaume ? demanda t-il.

- Je cherchais du travail et y en avait pas, répondit Elkind en lui rendant son sourire, c’est pour ça que je suis venu m’engager dans votre armée.

- Pourquoi chercher du travail à Elnayr ? C’est impossible pour les personnes sans magie. On ne peut y avoir d’honneur sans écrire. Crois-moi, j’ai vécu cela.

- C’est pour ça que je suis partie avec vous. Et vous m’auriez pas emmenée, si j’avais pas menti.

Les deux interlocuteurs parlaient sans jamais arborer la moindre expression de mécontentement. On eût dit qu’ils faisaient un concours de sérénité. Il était étonnant qu’une fillette de six ans parvienne à de telles prouesses faciales...

- Je pense surtout que tu nous caches des choses, conclut le prince. Je pense qu’il y avait une autre raison pour que tu fuies le royaume. Alyz, soulève ses cheveux.

C’était la pire chose à lui demander. La jeune fille s’apprêtait à refuser, mais Elkind souleva elle-même sa longue frange. Il était une fois une fillette qui craignait la disgrâce de son amie.

Deux billes immaculées surgirent de sous les longues mèches sombres. La fillette n’avait pas de pupilles. Elle était une Coupable. Une fautive à qui l’on avait prélevé les pupilles pour en faire de l’encre. Il était une fois l’encre des Scribes.

- Qu’as-tu fait pour que l’on t’aveugle ? demanda le prince.

- J’ai parlé à des étrangers. Des étrangers proches des Anges. Le roi m’a considérée comme traître et m’a fait aveugler.

- Tu n’aurais jamais pu survivre en tant que Coupable, partir avec nous était donc ta seule solution pour t’en tirer, conclut le prince.

- C’est exact, répondit la fillette.

Le prince Arkaël se leva et sortit de la tente, ses cheveux virevoltant dans son sillage. Alyz le suivit sans même regarder la pauvre fillette. Elle avait trop peur de se trahir. Le prince était bienveillant, mais il se devait d’être fidèle aux lois. Elkind était une Coupable et elle avait trahi la confiance d’un membre de la famille royale. Elle méritait la mort. Alyz eut envie de détester son prince pendant un vingtième de seconde.

 

Il était une fois une mort inévitable.

Il était une fois la mort inévitable d’Elkind.

Il était une fois le désespoir d’Alyz.

 

Il faisait presque nuit et Elkind attendait. Elle attendait et savait ce qui allait arriver. Alyz arriva enfin. Elle hésita, puis elle s’agenouilla à la hauteur de la fillette.

- Elkind, je suis désolée... Mais pourquoi tu ne t’es pas enfuie dès que tu le pouvais ? Ça fait longtemps qu’on est sortis du royaume, même en tant que Coupable, tu aurais eu une vie meilleure qu’à Elnayr…

- Je pouvais pas, Alyz. Parce que je vais devoir prendre la mer. Et la mer, c’est qu’à partir de maintenant qu’on y a accès.

- Mais maintenant c’est trop tard ! Le prince ne pourra pas te laisser la vie sauve, tu le sais très bien ! Tu es condamnée, Elkind !

- Je sais. Comme d’habitude. Je suis toujours condamnée, murmura Elkind en souriant. Alyz, vraiment, ne t’en fais pas pour moi...

La jeune stratège ne parvint pas à rester de marbre. Sa bouche tremblante la trahit. Si le prince la voyait… Mais le prince ne la voyait pas. Il ne la verrait pas.

- Attends-moi là.

- Ce n'est pas comme si je pouvais partir...

Mais Alyz sortit de la tente sans même entendre la réponse d’Elkind. Elle était désormais sûre de ce qu'elle devait faire. La jeune fille se dirigea vers la tente des enfants. Où se trouvait également le prince. Ils étaient tous occupés dans une séance de dessin magique.

Alyz prit une plume et traça quelques traits bien propres sur son visage. Elle entra dans la tente. Il était une fois la femme invisible. Elle se faufila parmi les petits Scribes et s’approcha du prince. Elle glissa la main à sa ceinture et y trouva la petite clef. En s’en emparant, elle sentit sous ses doigts le ventre chaud du prince. Si on l’avait vue, elle aurait probablement eu droit au même sort que celui d’Elkind. Toucher un prince était interdit. Mais personne ne pouvait la voir, ni l’entendre, ni la sentir. Elle dissimula la clef et s’enfuit. Il était une fois la meilleure voleuse du monde.

Elle retourna dans la petite tente et ouvrit la cage. Elkind ne se fit pas prier et se faufila hors des barreaux. Elle offrit un grand sourire à Alyz.

- Merci ! Tiens, je t’ai fabriqué ça, pour te remercier.

Elle lui tendit une belle plume sculptée où il était inscrit «Alyzana» en lettres gravées.

- Elkind, je ne comprends pas… Comment tu savais que…

- Tu t’es pas demandé comment je m’en sors alors que je suis aveugle ? Les aveugles, ils s’engagent pas dans une armée aussi facilement, répondit la petite fille en riant.

Elkind fixait la jeune stratège de ses yeux vides. Alyz n’osait plus rien dire. Cette fillette commençait à lui faire un peu peur.

- C’est parce que je sais tout, reprit la petite condamnée. Je suis l’Omnisciente, je vois tout et j’entends tout. Même si je suis aveugle, je sais où je marche, je sais qui sont les gens qui me parlent, et surtout, je sais comment toute cette guerre finira. Merci, Alyz. Maintenant, il faut que j’y aille.

Elle s’apprêtait à sortir de la tente, mais avant cela, elle se retourna et la petite stratège vit pour la dernière fois ses pupilles absentes.

- Alyz, quand tu seras à Domélyl... Fais attention au Perce-Magie. Je t’en supplie.

Elle partit dans la nuit.

 

Il était une fois une fillette inconsciente que l’on retrouva sur les îles de Leï. Elle était vraisemblablement venue à la nage et, pour son courage époustouflant, les habitants la nommèrent «Elkind», ce qui signifiait dans leur langue «la témérité».

 

Il était une fois une jeune fille nommée Alyz qui ne fut pas punie, bien que le prince sût parfaitement qu’elle avait libéré une condamnée. Ils devinrent encore plus proches qu’auparavant.

 

Il était une fois une armée d’enfants qui arriva à Domélyl.

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Nightbringer
Posté le 03/11/2024
Et re-bouzour :))

J'admire les idées que tu as, vraiment, si seulement je pouvais faire des révélations pareilles... C'est magnifique, et très très surprenant !

AU FIL DE LA LECTURE

“Elnayr”
>> J'adore ce nom !^^

“On eût dit qu’ils faisait un concours de sérénité.”
>> Haha, ça va très bien avec l'image que j'avais en tête :)

“Deux billes immaculées surgirent de sous les longues mèches sombres. La fillette n’avait pas de pupilles. Elle était une Coupable. Une fautive à qui l’on avait prélevé les pupilles pour en faire de l’encre. Il était une fois l’encre des Scribes.”
>> Waw. C'est... sombre. Mais génial. Mais vraiment très très glauque. J'adore.

“Je sais. Comme d’habitude. Je suis toujours condamnée, murmura Elkind en souriant. Alyz, vraiment, ne t’en fais pas pour moi...”
>> Waaa quand on comprend, cette phrase devient vraiment horriblement triste... C'est très beau en tout cas !

“Alyz, quand tu seras à Domélyl... Fais attention au Perce-Magie. Je t’en supplie.”
>> J'adore la fin de ce chapitre, elle est juste parfaite !^^ Mais un peu frustrante, enfin c'est normal, ça donne envie de savoir la suite !

“Il était une fois une fillette inconsciente que l’on retrouva sur les îles de Leï. Elle était vraisemblablement venue à la nage et, pour son courage époustouflant, les habitants la nommèrent «Elkind», ce qui signifiait dans leur langue «la témérité».”
>> Aaaah révélation !!! Waw mais c'est une tellement bonne idée, j'admire ton imagination. Vraiment. C'est incroyable.

Vivement la suite !^^
-Henemiole-
Posté le 05/11/2024
Hello !
Merci, je suis content qu’on ne voie pas venir la révélation, ça doit être la plus réussie que j’ai faite, jusqu’à maintenant…^^
Merci beaucoup, tes commentaires me font toujours super plaisir !^^
A bientôt, j’espère que la suite te plaira !
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