15 — La Station-Service

Par Rouky

Les Voix de Minuit

 

La station-service d’Ossenoir, coincée entre deux routes forestières, était là où les camions s'arrêtaient rarement, et où les gens du coin évitaient de s’attarder. Il y régnait une odeur d'essence évaporée et de pneus brûlés, et un silence pesant chaque nuit entre 3h07 et 3h12.

Car à cette heure précise, la radio de la boutique grésillait, même débranchée, et captait une station qu’aucune fréquence connue ne reconnaissait. Une voix monocorde d’homme y lisait lentement des noms. Des noms et des dates.

Certains clients, les plus curieux, s'arrêtaient pour écouter. Parfois, ils entendaient leur propre nom, suivi d’une date inconnue. Une date souvent très proche. Et ces clients-là, on ne les revoyait jamais.

Aston, un jeune employé du service de nuit, trouva cela fascinant au début. Jusqu'à ce que, trois jours plus tard, il entende la voix à la radio :

— Aston Dupont. Trente octobre.

Il étouffa un rire nerveux. Puis le froid le gagna. Il en parla à Alfa, sa collègue, une fille vive, sarcastique, toujours les mains dans un paquet de bonbons.

— Peut-être un canular ? proposa-t-elle.

Mais dans son regard brillait une lueur inquiète. Le genre de peur qu'on ne dit pas à voix haute.

La nuit du 30 octobre, Alfa proposa de rester avec lui. Ils verrouillèrent les portes, apportèrent des boissons, et se postèrent dans la boutique, entre les rayons déserts.

Ils rirent, se racontèrent des histoires. Alfa parla de corps qu’on trouvait par-ci par-là, de gens qui disparaissaient sans raison, de crimes non résolus...

— Ossenoir est vraiment une ville détraquée, murmura Aston, le regard figé vers le comptoir où était posé la radio.

— Ce sont des légendes urbaines, dit Alfa en souriant. On survivra. Regarde, il est bientôt minuit. Tu auras survécu à cette journée !

Mais la radio s’alluma.

Sans prévenir. Sans qu’aucun doigt ne la touche.

Un grésillement, puis un ricanement sinistre.

— Aston Dupont. Trente octobre.

Puis la voix poursuivit :

— Alfa Durand. Trente octobre.

Ils se figèrent. Le sang d'Aston ne fit qu'un tour.

— Ce... ce n'était pas prévu...

— C'est une blague, murmura Alfa, les yeux humides. Dis-moi que c'est une putain de blague !

Ils coururent vers la sortie.

La porte était verrouillée.

Ils tentèrent les fenêtres. Le verre semblait... liquide, à peine tangible. Aucune ouverture ne répondait.

Un souffle glacial s'abattit sur eux.

Une main. Une gigantesque ombre de main apparut au sol. Lentement, elle glissa vers eux, étendant ses longs doigts brumeux.

Alfa sanglotait. Aston tremblait.

— Je suis désolé, Alfa... je suis désolé...

Ils s'enlacèrent. Pleurèrent.

Un hurlement fit vibrer les murs.

— ILS SONT À MOI !

Du plafond, un nœud coulant se forma dans une gerbe de poussière. Il descendit comme une vipère. Alfa hurla, se débattit, mais la corde s'enroula autour de son cou.

Aston tenta de l'arracher, mais la corde se tendit violemment, projetant Alfa vers le plafond. Elle suffoqua, gigota, ses yeux roulant vers l'arrière. Elle avait chaud, horriblement chaud.

Puis, dans un craquement sec, sa nuque se brisa.

— Noooon ! hurla Aston.

Mais une autre voix, plus grave que la première, émergea du silence :

— NOOOON !

L'ombre de la main s'étendit et saisit Aston. Une pression écrasante, inhumaine, l’enveloppa.

Il hurla. Ses os cédèrent un à un dans un bruit de branches mortes. Son crâne éclata, déversant un flot de sang et de mémoire sur le carrelage. Ses membres furent brisés comme des allumettes.

Puis tout s'arrêta.

La température remonta. La radio s'éteignit. Le nœud coulant glissa silencieusement hors d'Alfa et remonta au plafond, disparaissant sans laisser de trace.

Au matin, les clients trouvèrent la station déserte. Les caméras étaient noires. Les corps avaient disparu.

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Talharr
Posté le 08/07/2025
Hello,
A chaque fois les mécaniques de peur changent avec les éléments du décors et des métiers cités et c'est vraiment chouette.
Ossenoir continue d'avoir des disparitions.
Je continue :)
Rouky
Posté le 08/07/2025
Salut ! ^^

Oui j'essaie de faire en sorte que chaquelieu dans lequel se passe l'action ait un réel rapport avec la mécanique de meurtre/disparition ^^
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