15- Trevor

Par Aylyn

Je grognai sous le choc. Non qu’elle pèse très lourd mais la frayeur conjuguée à la réception m’avait vidé de mes forces. Elle glissa aussitôt sur le côté et se pencha vers moi. Je tentai de sourire pour la rassurer. Son visage était si limpide. Peur, surprise, perte de repères, trouble. Je me perdis dans ses prunelles si proches.

— ça va ? Je suis tellement désolée, je… Vous avez mal quelque part ?

Je posai ma main sur son poignet pour la rassurer. Elle semblait au bord de la panique. La voir s’inquiéter pour moi me fit pourtant étrangement de bien.

— Non, rien de cassé.

Je m’assis pour m’assurer de la véracité de mes paroles et m’enquis à mon tour de son état.

— Grâce à vous, ça va. Merci.

Elle se mordilla la lèvre par réflexe, embarrassée par mon attention. J’avais du mal à ne pas la regarder alors qu’elle m’apparaissait ainsi, à la lumière du jour, sans capuche pour la dissimuler. Ses joues rougies me donnaient envie de les effleurer. Pour couper court à son malaise, je me levai et tendis la main pour la relever. L’arrivée de la gérante, affolée, rompit le contact enchanteur de sa peau contre la mienne. Elle rassura sa patronne et entreprit de ramasser les livres éparpillés sur le sol. Je m’efforçais de repousser les images cauchemardesques de ce qui aurait pu se passer. Je réajustai mes vêtements et confortai la responsable sur mon absence de blessures. Du coin de l’œil, je notai que Zoey veillait à ne pas croiser mon regard.

 

Je réussis à lui voler quelques instants quand la gérante s’occupa d’un autre client.

— Je ne pensais pas que l’on se croiserait ainsi.

La rougeur sur ses joues continuait de m’obséder. Je me forçais à en détacher les yeux et tentais le tout pour le tout. J’avais perdu l’habitude de communiquer avec une fille ou bien celle-ci me semblait si différente des autres que je fréquentais à l’époque pour me faire perdre de mon aisance.

— Est-ce que je peux t’inviter à boire un verre après ton travail ?

Je repassai au tutoiement automatiquement. Je vis ses pupilles s’agrandir et ses doigts malaxer les manches de son pull. Elle hésita avant d’articuler un « oui ».

— Tu finis à quelle heure ?

— Dans une heure environ, répondit-elle après un coup d’œil à l’horloge sur le mur.

— Ok. Il y a un café dans la rue en face, je t’y attendrai.

Un autre sourire puis je la laissai reprendre ses esprits. Je payai le livre que j’étais venu chercher et rassurai une dernière fois la responsable sur mon état physique.

*

 

Installé dans l’établissement en face, j’ouvris l’application de notes de mon téléphone. Je pianotai par à-coups. Des bribes de phrases, des évocations que cette fille venait de m’inspirer. Juste des impressions brutes. On n’en était pas encore à une chanson. Je ne criais pas victoire. Je prenais ce que mon cerveau pondait sans me poser de question. Je ne voulais pas effrayer ma muse avec trop d’enthousiasme.

« La première fois comme un mirage

La revoir, rêve inespéré

Tel un ange, du ciel elle m’est tombée

Une chute silencieuse sans l’impact redouté

Contre moi son corps s’est déposé

Va-t-elle me sauver ? »

 

Je rayai la dernière phrase. Je ne cherchais aucune rédemption. Moi et ma cohorte de démons avions pris nos marques, ils faisaient partie de moi.

Je me perdis dans les mots. Entre temps, je passai à mon carnet qui ne me quittait jamais, plus à l’aise pour y déverser mon inspiration. De la mine nerveuse de mon crayon, j’harponnai ces esquisses imparfaites à la volée, les scellai sur le papier. Tout à ma création frénétique, son arrivée me prit par surprise. Je refermai le carnet et l’invitai à s’asseoir. Etrangement, cela ne me dérangea pas qu’elle m’ait vu écrire. Je notai qu’elle avait enfilé un gilet dont la capuche cachée ses cheveux. L’envie de la repousser en arrière me démangea mais je me gardai d’un tel geste. Elle était là, devant moi, cela seul comptait. Une serveuse vint prendre notre commande et je soufflai intérieurement de soulagement quand elle ne s’attarda pas plus que nécessaire.   

Zoey osa me demander si j’écrivais des paroles, juste avant son arrivée. Je me surpris à évoquer ma période laborieuse de création depuis quelque temps. Pendant plus d’une heure, notre conversation tourna autour de l’inspiration, de la musique. Je sentais à quel point la même passion la traversait, ce même amour des mots qui me guidait depuis l’enfance. Quand un message arriva sur son portable, elle sembla surprise du temps passé. Un peu gênée, elle m’apprit que sa colocataire l’attendait. Ne voulant pas la perdre de vue de nouveau, je lui proposai d’échanger nos numéros si elle le voulait. Son expression se troubla. Mon cœur battit la chamade. Avais-je été trop rapide, ma demande trop pressante ? Elle se mordilla la lèvre inférieure avant d’accepter. J’expirai doucement et enregistrai son contact, l’esprit enfiévré.

— Tu es la première à qui je fais cette demande, précisai-je.

— Tu n’as pas peur d’être harcelé ?

Je souris, heureux de la sentir assez à l’aise pour plaisanter.

— Tu m’as assuré ne pas être une fan hystérique l’autre soir.

— C’est vrai… Bon, je dois y aller. On se donne des nouvelles alors.

Elle agita son téléphone devant elle et j’opinai. Je la suivis du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse de ma vue.  

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