C’est sous la chaleur de Marrakech que j’ai terminé la Terre des Hommes de Mr Saint-Exupéry. Et c’est sous ses lignes que je pense avoir compris une de mes facettes. De tous temps je me suis pensé amoureux des connaissances, charmé par l’apprentissage, la culture, l’inconnu. Mais qu’est-ce que cet amour représente réellement ? Je pense que je n’aime pas apprendre. C’est étonnant, je sais, mais apprendre me murmure que je dois utiliser ces connaissances. Et je déteste alourdir ces trésors d’une utilité factice. Non, j’aime recueillir ces fruits.
En un sens, je suis porteur du péché d’Ève.
Dans son livre, Mr Saint-Exupéry soutient la thèse que tout est défendable, et que par conséquent, la notion de tort ou de vérité n’est pas au centre des convictions. C’est avec cela que je vibre aujourd’hui, avec l’humilité de cette conclusion. L’histoire d’Ève m’a toujours intriguée, toujours murmurée que la mienne n’était pas si éloignée. Car je n’ai jamais quitté le jardin. C’est cela qui m’anime, je veux en recueillir les fruits, me balader dans ses allées sans en juger la disposition, je ne serai pas son jardinier, juste une graine balloter par le vent. Peut-être vais-je voir la beauté ou l’horreur, et ces couleurs constitueront ma vérité, puisqu’au fond, je n’ai ni raison ni tort.
C’est en 1939 que ce livre fut écrit, dans une période qui ressemble drôlement à mon présent, à une période d’intolérance, de peur, de fantasme et de perte. Ce que je hais dans ce présent, ce ne sont pas ces vérités, c’est leur poids sur nos vies, c’est leur voracité. Car ces idées dévorent le cœur des hommes en refusant toute place au doute, elles murmurent des vocations en faisant vibrer nos âmes.
Elles nous disent que nous devons protéger, car c’est se battre ou mourir. Il n’est plus question de tomber amoureux du jardin, il faut défendre notre fantasme de ce dernier face à une ombre projetée, rendue palpable par l’imagination. Ce n’est pas par faiblesse de l’esprit que nous plongeons, armes en mains, au-devant de la scène, c’est par recherche de sens. C’est pour ne pas nous sentir inutile, c’est pour fuir l’évidence que la vie n’est faite que pour être vécue. Et cela nous tord, nous broie, nous ne pouvons avoir aucun intérêt, pensons-nous, cela est trop simple !
Alors nous nous battons. Nous nous battons car on ne peut pas se battre sans justification, notre combat a forcément un sens. Nous nous battons pour survivre, pour nous élever, pour protéger ce qui nous anime.
Et nous oublions que se battre n’est pas un acte au singulier, nous oublions que pour nous élever, nous rabaissons, nous oublions qu’afin de protéger, nous créons nos attaques.
Je sais en écrivant ces lignes, que ces dernières sont fausses, qu’elles n’abritent aucune vérité. Mais pour moi aujourd’hui elles sont ma plus simple évidence. Elle reflète mon mal-être, elles comblent ma recherche de sens, elles me hurlent que le sens ne se trouvent pas, car jamais dissimulé. Et je les aime ces lignes, elles sont ma vérité et mon tort, du simple fait qu’elles ne se targuent d’aucun des deux, elles sont, tout simplement.
Merci à toi, de caresser ma peau de tes doigts familiers.