16- Démuni

 Julien haussa les épaules, à moitié frustré de ne pas réussir à en savoir plus et à moitié dépité. Après tout, si même un être surnaturel l'abandonnait... Cette idée s'ancra en lui avec un sentiment de malaise profond. Il prit plusieurs inspirations pour s'apaiser, se recentrer et acheva de se rassurer en se rappelant de la fonction première des lunettes sur son nez.

Jusqu'au moment où un grondement lointain se fit entendre. L'angoisse en lui vibrait autant que le sol sous ses pieds. Un mauvais pressentiment le tétanisa sur place. Son cœur s'affola, sa respiration s'accéléra et son regard fureta chaque recoin de la pièce avec frénésie sans savoir où s'arrêter. Le tremblement de terre secouait tout son appartement, fit cliqueter la vaisselle et fit tomber son horloge qui cessa ses tic tac régulier. Dans un élan instinctif, il s'accroupit en entourant ses genoux avec ses bras et tacha de prier. Qui ? Quoi ?

Tomas !

Julien espérait que son ange gardien entendrait son appel. Après tout, il lui servait de protecteur non ? Un bruit de froufrou caressa ses oreilles, en même temps que l'ébranlement s'arrêta. Sans avoir eu le temps de relever la tête, on lui administra comme une décharge électrique dans le corps qui lui arracha un cri de surprise. Le jeune homme s'affala mollement au sol, une odeur acre de cochon brûlé. Il posa mécaniquement ses mains sur son torse, là où la douleur était plus intense. Son t-shirt sous ses doigts avait comme brûlé à un endroit, il pouvait sentir la peau trop sensible de son torse à nu.

Quelques pas près de lui. Il n'osait ouvrir les yeux, perdu dans la souffrance et la confusion. Mais aussi dans une peur, cette peur mordante.

Un être avec deux ailes blanches qui battaient en des mouvements parfaitement synchronisés, qui l'observait de toute sa hauteur alors qu'il flottait au dessus du sol. Une expression méprisante sur le visage, composé d'un regard hautain et d'un haussement de sourcil l'air supérieur.

« — Que tu es pathétique, petite chose si fragile ! »

L'inconnu triturait sa longue barbe blanche d'un geste machinal, la voix grincante d'arrogance.


*

Tomas venait de croisière un énième ange, lui posant sa sempiternelle question " Où est Fil ? " sans qu'aucune réponse ne puisse lui être rapportée. Fait plus étonnant encore, aucune des personnes croisées semblaient le connaître. Alors certes la Cité Angélique est gargantuesque dans ses proportions, dans sa superficie et sa population. Mais, Fil étant l'un des anges les plus âgés de la Cité cela paraissait incongru qu'il ne puisse recevoir d'informations satisfaisantes. Un profond malaise l'écrasait. Tenant Balinda contre son cœur, le protecteur ne savait que faire. Il pouvait oublier le Comité des Cieux, tout comme l'aide de Dieu car celle ci ne répondait jamais à leur appel -sans doute trop absorbé par des questionnements cosmiques bien plus essentielles. Fil représentait sa bouée de sauvetage, son guide, son repère en tant que meilleur ami fidèle. Alors sans lui, il se laissait débordé par son anxiété et piétinait sans savoir quoi faire ni où aller. Et pendant que son indécision le fit tourner en rond, l'âme de Balinda était en danger. Cette pression ajoutait davantage de poids à son angoisse, pesant davantage sur son incapacité à trouver une solution convenable. De plus, son esprit était largement chamboulé par le souvenir du baiser de Julien.

Quelques secondes à peine, beaucoup trop court à son goût, juste assez pour que l'empreinte de ses lèvres sur les siennes lui laisse un goût d'euphorie. Dans ses bras, le corps de Balinda ne lui inspirait rien de bon. Sa respiration se faisait de plus en plus lente, et il sentait que son âme s'étiolait petit à petit. Comme si quelqu'un, ou quelque chose, soufflait doucement sur son existence à l'image d'une bougie que l'on souhaite éteindre. Une idée lumineuse le traversa soudainement : la Chambre aux Milles et Uns Destins ! D'un bond rageur, l'ange décola pour rejoindre ce quartier général où Machance et Hasard tâchaient d'aider, ou non, les âmes dans leur apprentissage en jouant avec leur existence. Sans même s'arrêter, il franchit l'arcade pour quitter la Cité Angélique et se retrouva dans cette dimension située entre deux dimensions. On se trouvait dans un espace hors du temps ici, quasiment rien n'avait de pouvoir : ni lui, ni Dieu, ni Satan; uniquement les deux entités aux corps d'arachnées et aux yeux humanoïdes. En les apercevant, Tomas sentit une bouffée de colère gonfler en lui tel un orage sur le point d'éclater. Sans lâcher son amie, il chercha frénétiquement Malchance et Hasard. Ce lieu avait quelque chose à la fois de vertiginieux, par ses proportions infinis au sens littéral, et à la fois de sacré, par toutes ces belles boules d'énergies en suspension partout qui représentaient chaque vie humaine actuellement sur Terre. L'endroit semblait ne pas avoir de murs à proprement parler, juste l'arcade dans son dos faisait office de point de repère; tout le reste n'était qu'une vaste étendue où le blanc régnait en maître. Du sable blanc dans lequel on s'enfonçait en marchant, un ciel pâle sans aucun astre ce qui était déroutant, et aucun sentier ni chemin pour le guider.

« Ehehehe »

Ce ricanement lui hérissa les plumes. Tomas se dirigea vers ce son, tâchant de canaliser sa colère sans perdre foi pour son amie toujours inconsciente. Il espérait ne pas arriver trop tard. L'arcade en pierres s'envola quand il s'en éloigna, un soupçon d'inquiétude le saisit. Il s'en détourna pour se concentrer sur sa mission du jour. En apercevant les deux entités en forme d'araignée géante, les multiples paires d'yeux se détournèrent d'une boule d'énergie de plus en plus terne pour l'observer avec beaucoup de curiosité. L'agacement durcit les traits du visage angélique de Tomas qui les alpagua avec sévérité :

« Hé ! Vous allez tout de suite laisser Balinda en paix ! Rien ne justifie que vous soyez en train de la ramener dans l'au-delà ! Son plan d'existence n'est pas arrivé à son terme, j'ai vérifié !

 — Ehehehe » Fut la seule réponse que Malchance et Hasard lui apportèrent, faisant claquer leur mandibule d'excitation.

Tomas sentait que ses pouvoirs étaient brimés, et il ne pouvait rien faire contre ces deux êtres intemporels. Il frappa du pied dans un geste ferme, les plumes hérissées.

« Écoutez moi, si vous ne la laisser pas tranquille je ferai remonter ça au Comité des Cieux et on verra qui ricanera le dernier ! »

Malchance, ou serait-ce Hasard ? Tomas n'arrivait pas à les différencier à vrai dire; quitta son congénère, qui continuait à défaire un à un l'amas de fils d'énergie que composait la belle sphère d'existence de Balinda, pour s'approcher de lui. Ses huit pattes s'enfonçaient gracieusement dans le sol, lui permettant de conserver tout son équilbire et d'avancer vite. L'entité s'arrêta juste devant l'ange, claqua ses mandibules avec plus de férocité et darda ses nombreux yeux sur lui sans ciller. Une voix sifflante et suraïgue surgit alors dans son esprit.

« C'est un ordre de Dieu elle même. Que crois-tu faire, petit ange maudit ? »

Tomas déglutit : qui était-il pour affronter la plus haute autorité céleste ?

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