Tomas balbultiait, face à cet être intemporel qui l'observait de ses quatres paires d'yeux aux iris jaunes.
« Ce n'est pas... Il faut que... Je ne...
— Eheheh »
Encore ce ricanement, qui commençait sérieusement à lui courir sur les ailes ! Son regard tomba sur Balinda, le teint grisâtre et la respiration haletante. L'ange se sentait démuni en cet instant. Quelle idée stupide d'être venu courir ici, sans aide, sans allié, sans même Fil qui par sa prestence naturelle aurait certainement pu l'aider ! Un sentiment de malaise écorcha sa peau, avant de l'étrangler tandis que son sixième sens angélique se manifesta soudainement.
Julien !
L'ange fit demi-tour et se mit à voler à toute vitesse en désirant quitter cet endroit. L'arcade de pierre se matérialisa pile au moment où sa pensée le traversa, et il quitta la Chambre aux Milles et Uns Destins avec des échos de ricanement dans son dos. Toute la situation lui échappait et s'envenimait de minutes en minutes. Son protégé courait un grave danger, ses capacités d'ange gardien le lui criait intérieurement. Cette certitude le dévorait. De retour dans la Cité Angélique, il prit un bref moment pour faire le point pour reprendre un peu plus de contrôle. En rejoignant son alcôve personnelle, il déposa avec toute la douceur du monde son amie sur un nuage fraîchement convoqué puis se dirigea vers sa bassine de vision. Il s'agissait d'un objet lui permettant de voir tout ce qu'il se passait sur terre, en temps réel. En quelques mouvements maîtrisés de mains, Tomas dirigea son pouvoir sur son être humain préféré et, le cœur affolé, tâcha de comprendre sa détresse. Une force obscure, sombre, l'empêchait de contempler toute la scène. Un voile noir lui dissimulait l'identité de ce qui était en train d'attaquer Julien, toutefois il le voyait étendu au sol, des plaies de brûlures sur le torse.
« Non ! » Son hurlement fit trembler les parois nuageuses de son alcôve. L'image se troubla, sa magie instable par sa réaction. Peu importe que d'autres anges puissent percevoir sa colère et s'en inquiétait. Car nul ange ne devait se laisser dépasser par ses émotions, surtout pour un être humain à protéger. Ce n'était pas digne de leur mission. Cela voudrait dire que l'être céleste n'était pas capable de se gérer lui même, donc était tout aussi incapable d'aider autrui. Il poussa un second cri de frustration, sentant des sanglots monter dans sa gorge.
Son alcôve faisait partie d'un ensemble, où plusieurs autres espaces identiques étaient également habités par d'autres anges gardiens. Chaque être ailé possédait son propre petit espace, une pièce en forme d'ovale contenant une bassine de vision en son centre, une réserve d'eau bénite d'un côté, de quoi se reposer de l'autre et le reste de la décoration ou du mobilier dépendait de chaque personne. Pour Tomas, il avait fait naître de sa magie plusieurs nuages pour créer comme un hamac; mais aussi quelques étagères contenant des livres qui l'aidaient dans sa quête d'amour interdit. Se sentant soudainement oppressé, il se dirigea vers son hamac et se laissa tomber en même temps que ses premières larmes coulaient. Il plongea son visage dans ses mains, l'aile tristement flétrie. Sa peine prenait le pas sur tout le reste, l'empêchant de retrouver de l'ordre dans ses pensées.
Après avoir tant déployé d'énergie pour revenir ici, dans la Cité Angélique, d'autant plus en transportant une être humaine durant son voyage céleste, il lui était impossible de repartir. Avec une aile en moins, ses capacités se retrouvaient amoindries; pour son plus grand malheur. Plusieurs perles salées dévalèrent ses traits chagrinés, pour mourir sur ses lèvres. Dans un geste doux, il les effleura, le souvenir du baiser désormais gravé dans sa chair. C'était inconcevable de rester là à ne rien faire !
Se morfondre tandis que son soupirant souffrait pour aucune raison ? Jamais ! L'œil brillant d'une détermination passionnée, Tomas voleta jusqu'à son étagère et feuilleta un livre à toute vitesse. Sa main s'arrêta sur une double page, tandis que la solution s'offrait à lui; une idée qui pouvait venir résoudre tous ses problèmes. Personne ne pouvait mieux l'aider que cet être dont le portrait brossé ne tarissait pas d'éloge sur ses capacités magiques et son sens de la justice. Aucun être n'était plus juste que celui—ci. L'ange lança rapidement un envoûtement pour empêcher qui que ce soit de pénétrer dans son alcôve, ainsi il aura la paix durant son invocation, et tâcha de préparer rapidement son rituel.
Après quelques prières, une plante brûlée et un symbole tracé avec du sable blanc, un puissant souffle chaud, étouffant, aux relents carbonisés, lui fouetta le visage.
« Qui OSE me déranger ? »
Tomas, bien qu'il soit un ange plutôt grand de taille, se sentit tout à coup tout petit. Satan, dans une flamme noire, apparut. Un être céleste, à la chevelure carmin en tresses plaqués sur son crâne qui réhaussait le noir de ses deux cornes pointues. Des ailes d'un rouge sombre, comme le sang. Une peau obscure, rappelant une nuit sans étoiles. Des yeux de serpent, un nez en fente et une langue fourchue. L'ange gardien tressaillit, impressionné voire apeuré. Toutefois, il puisa dans la force de son amour pour s'incliner dans un élan de respect et oser lui répondre, le nez pointé vers le sol.
« Je m'appelle Tomas votre Majesté Infernale. J'en fais appel à votre humble sens de la justice, j'ai besoin de vous pour arrêter les agissements de plusieurs autres célestes qui n'en font qu'à leur tête et menacent l'équilibre en place. Malchance et Hasard s'octroient du libre arbitre, au-delà de leur mission. Ils ont commencé par s'en prendre à un être humain innocent, dont le plan d'existence n'est pas censé être traversé par autant de déconvenues. Puis, ils ont décidé de rompre la vie d'une alliée; une sorcière qui se fond parmi les humains et nous aide à davantage guider les âmes dans leur apprentissage. Ils prétendent que c'est Dieu elle-même qui a souhaité sa mort précoce; ce dont je doute. Je les suspecte également d'avoir fait du mal à un ange, à mon ami Fil, et ce sans aucune raison manifeste. »
Tomas avait tout déballé avec ardeur, de ses accusations les plus fermes jusqu'à sa dernière hypothèse un peu plus hasardeuse. Fil étant son meilleur ami, son guide le plus cher à ses yeux, et l'être le plus puissant qu'il connaisse : seuls des êtres célestes comme Malchance et Hasard auraient pu avoir assez de pouvoir pour lui faire face. Bien sûr, il n'avait aucune preuve pour ces allégations mais son instinct lui soufflait qu'il était dans la bonne direction. Au vue de la façon dont les deux êtres intemporels s'entêtaient à rendre la vie impossible à son protégé, puis maintenant à s'en prendre à l'une de ses alliées proches... Émettre la supposition que la disparition improbable de Fil leur était dû lui paraissait on ne peut plus crédible.
Dans l'attente d'une réponse, d'une réaction, l'ange ne bougeait pas. Il sentit un courant d'air chaud l'effleurer quand Satan se déplaça, sans savoir où il se dirigeait. Il entendit alors sa voix, grave, caverneuse, se répercuter dans toute son alcôve avec quelques mots lourds d'implication.
« Cela mérite toute mon attention. »