Chapitre 4 : La fête du Vent
Explosion
Petyr le savait depuis des années, Subor Kegal était têtu comme une mule. Pas autant que lui. Peur et fierté se mêlaient dans sa tête, pourtant ses mains ne tremblaient pas quand il posa le bout de la mèche à terre. Après tout, son travail consistait essentiellement en la protection du quartier et de ses administrateurs : il ne faisait là rien de plus que son devoir. Autour de lui, inconscients du danger qui les guettait, les rapaces dormaient encore.
Sans torche, il ne voyait rien du tout. Ses yeux ne captaient déjà plus la lueur de celle du Commandant des éclaireurs. Il patienta, autant pour donner à ses compagnons l'occasion de s’éloigner le plus possible que pour essayer d’habituer ses pupilles à l’obscurité. Il lui sembla attendre une éternité, mais il avait du mal à évaluer le temps qui s'écoulait, d’autant plus que son cœur battait plus vite que d’habitude et faussait son appréciation. Il voulait en finir au plus tôt et la perspective de ce qui allait bientôt se produire devait jouer sur sa perception du temps.
Pour être plus leste au moment de repartir, il abandonna au sol tout ce qu’il pouvait. Les bagages vides, ses pièces d’armure, le tissu qui enveloppait ses bottes et même son masque qui le gênerait pour respirer. La toile protégeait ses poumons de la toxicité de la forêt, mais il savait pouvoir s’en passer s’il se dépêchait sur le chemin du retour. Il inspira profondément malgré l’air vicié, savourant le calme qui régnait avant la tempête. Enfin, il frappa ses deux pierres de silex au-dessus d’un petit monticule de poudre fulminante recouvrant l’extrémité de la mèche. Il se mit à courir aussitôt qu’il vit l’étincelle enflammer le combustible. Il se fia sans réfléchir à la flèche que le Commandant des éclaireurs avait dessinée à son intention. Tout droit. Le plus vite possible. Il atteignit rapidement la première torche. Il devait changer de direction. Droite, gauche ? Petyr tourna la tête des deux côtés, incapable de se souvenir du chemin qu’ils avaient emprunté à l’aller. Enfin, il crut apercevoir une lueur vers la droite et s’y précipita.
Soudain, un bruit sourd derrière lui le fit sursauter et il manqua de trébucher. L’explosion dans son dos provoqua un déplacement d’air chaud et il se sentit projeté vers l’avant. Des lambeaux de mastodonte sanguinolents atterrirent près de lui. Quelque chose de gluant se colla dans ses cheveux. La carcasse avait éclaté en morceaux. Pendant quelques instants, assourdi, il n’entendit plus rien. Puis les hurlements des rapaces, apparemment bien réveillés, atteignirent ses oreilles. Les cris, beaucoup trop aigus pour ses tympans qui se remettaient difficilement du choc de l’explosion, l’hébétaient, mais il ne s’arrêta pas. Une odeur de viande grillée commença à emplir l’air, tandis qu’il arrivait au niveau de la deuxième torche qu’ils avaient déposée.
Autour de lui, les bêtes de la forêt fusaient dans tous les sens à vive allure, rampant, volant, s’accrochant parfois aux arbres. Aucune ne lui prêta attention. Peut-être étaient-elles trop occupées à fuir le brasier ou peut-être n’avaient-elles simplement pas besoin de se fatiguer à lui courir après alors que le sol était tapissé de morceaux de viande.
Enfin, il était arrivé près de la dernière torche quand une ombre se posa devant lui. Une douleur cuisante envahit son épaule gauche et le haut de son torse, il reçut un coup violent sur la tête, puis une épée entra dans son champ de vision. Le Commandant des éclaireurs venait de décapiter le rapace qui était en train de lui lacérer le corps de ses griffes. Sa vue se brouilla, teintée de rouge, et ses jambes fléchirent. Subor arriva à ce moment-là pour l’empêcher de s’écrouler. Les deux hommes le soutinrent sur la cinquantaine de pas qui les séparait de la lisière de la forêt. Leurs compagnons les attendaient dans la plaine, l’air soucieux, les chevaux détachés et prêts à s’enfuir. Ils avaient été rejoints par une patrouille d’éclaireurs, certainement missionnée pour les raccompagner en ville, ainsi qu’une coursière. Dès qu’elle les aperçut sortir vivants de l'ombre des arbres, la messagère partit à toute vitesse en direction de la Cité. Ilohaz aida Petyr à s’installer en selle et les cinq hommes ne tardèrent pas à quitter les lieux à leur tour, escortés par les éclaireurs.
Assis derrière Subor sur une jument grise, Petyr examina sa blessure à l’épaule qui saignait abondamment. Les chairs à vif, ouvertes, laissaient entrevoir des nerfs sectionnés. Il ne sentait plus son bras gauche. Un des soldats siffla pour réclamer son attention et lui lança de quoi effectuer un garrot, qu’il noua avec peine avant de s’écraser contre le dos de son administrateur, à bout de souffle. Il était sorti en vie de cet enfer. Pour le moment, rien d’autre n’avait d’importance.
Il réalisa qu’il s’était assoupi lorsque les chevaux firent halte quelques milliers plus loin, devant les portes de la ville. La lune perçait le ciel de ses rayons blancs. Une épaisse fumée et des cris furieux s’élevaient au-dessus des arbres.