On se regarde, il me retient par les coudes.
J’ai cinq, six ans. Le tourniquet au bord du lac me donne la nausée mais rien n’y fait, j’y reviens et y reviens encore. A chaque fois : je l’observe puis m’approche, je l’empoigne, je pousse, ça s’accélère, je grimpe dessus. Les arbres entrent dans le lac et le lac dans les arbres, toutes les silhouettes se distendent. Je regarde le ciel qui tourne, tourne, tourne aussi bien que si j’avais posé une punaise en plein milieu. Et enfin, la nausée. Le tourniquet ralentit, mon père l’arrête, je tente de descendre mais manque de trébucher. Mon père me rattrape. On se regarde, il me tient par les coudes.
Et on recommence.
On se regarde, il me retient par les coudes.
J’ai trente-cinq, trente-six ans. La nausée n’est pas passée. Elle s’est diluée dans le temps. Il n’y a plus de tourniquet, plus de parc, mais des machines invisibles qui me chahutent, me violentent. Parfois me font remonter le temps. A chaque fois : l’image de la salle de bains en pleine nuit, l’image de mon père qui enlève son pyjama, l’image de moi à genoux sur le sol, et le tournis, le tournis. Le carrelage remplace le papier peint de mon bureau, l’eau ruisselle contre les murs, n’importe quels murs. Et enfin, la nausée. Les machines ralentissent, ma parole l’arrête, je tente de sortir du commissariat mais manque de trébucher. Mon père me rattrape. On se regarde, il me tient par les coudes.
La nausée s’estompe, le père aussi.
J’arrive à sortir de son manège.