Layla, son frère et son cousin continuent leur balade dans le domaine. Une fois hors de portée des regards, le cousin se relâche, comme un ballon qui se vide ou comme un manteau trop lourd qu’il n’aurait pas eu le droit d’enlever plus tôt. Il soupire longuement, les bras ballants, un sourire gêné au coin des lèvres, mais soulagé. "Ah... désolé. C’est pas toujours simple de jouer les garçons bien élevés," dit-il en riant doucement. Il se gratte l’arrière de la tête, l’air un peu idiot, un peu attendrissant. Layla répond par un sourire complice. Elle connaît ce soulagement-là, celui qu’on ressent après avoir quitté une scène. L’obligation d’être irréprochable, même entre les silences. Il reprend sa marche, plus naturel, plus libre, plus vrai.
— Et tes études, ça avance ?
— Oui, très bien. Et toi ?
— J’ai arrêté. Mon père avait besoin de quelqu’un de confiance dans son entreprise. Je travaille avec lui, maintenant.
— Il n’est pas venu ?
— Non. Il est sur une grosse affaire. Plusieurs millions en jeu, paraît-il.
Un sourire à peine esquissé se dessine sur ses lèvres. Ils marchent un peu en silence. Puis il reprend, soudain joueur, avec une lueur dans les yeux. "Tu te souviens de notre promesse ?" Layla cligne des yeux. Une promesse ? Rien ne lui revient. Elle fouille sa mémoire, mais un silence pesant s’y installe à la place. Son regard se baisse, trahi par une pointe de culpabilité. "C’est pas grave," rit-il franchement, voyant sa gêne. "C’était il y a longtemps." Leur balade débouche sur un jardin aux haies parfaitement taillées, dressées comme des murs vivants. Un labyrinthe. Au centre, disait-on, un secret. Devant eux, un portail de fer forgé, ouvragé avec soin dans un style arabesque élégant. Il se dresse comme une frontière entre deux mondes. "C’est là. On s’était promis d’atteindre le centre. On n’y est jamais arrivé. Tu t'en souviens ?" Layla se rappelle, les impasses, les détours, les rires, l’écho de leur voix d’enfants entre les murs verts… Mais pas la promesse. Son cœur s'accélère, sans qu’elle ne sache si c’est à cause du lieu, de la mémoire ou de lui. Le petit frère, surexcité, sautille déjà. Le cousin se penche vers lui, lui chuchote quelque chose. Le garçon se retourne, un peu moins vaillant. "Il dit qu’il faut que j’y entre tout seul. C’est la règle pour la première fois." Layla fronce les sourcils, intriguée. Un domestique s'approche, à peine plus âgé qu’elle, et confirme d’un ton calme et souriant. "Il a raison, jeune maître. C’est la tradition ici. Mais ne craignez rien. Si vous vous perdez, criez, et je viendrai vous chercher. Je connais chaque recoin de ce labyrinthe. J'en suis le gardien." L’enfant hésite, le regarde, puis hoche lentement la tête. Le cousin se redresse, revient vers Layla avec un air de défi, joyeux. "Et nous, alors ? Tu veux qu’on abandonne encore ? Ou tu es prête à aller jusqu’au bout ? Il paraît que le centre est à couper le souffle." Dans la tête de Layla, tout tourbillonne. Son frère seul. Elle, seule… avec lui. Son cousin. Trop de choses à la fois. Trop de battements de cœur. Elle le regarde, sans répondre. Ce n’est pas seulement un jeu. Pas juste une promesse d’enfant. C’est une frontière floue entre hier et maintenant. Une ligne qu’elle n’est pas sûre de vouloir franchir. Il voit son hésitation. Un sourire taquin adoucit ses traits. "T’as grandi, hein ? Peut-être que t’as plus envie de t’amuser ? Tu as passé l'âge," dit-il avec un sourire en coin. "Non," dit-elle, presque à voix basse. "Non… Entrons." Elle se penche vers son petit frère, lui passe une main tendre dans les cheveux. Puis elle lui fait un signe léger, rassurant, comme un fil invisible entre eux. Le petit, de nouveau excité, se lance et disparaît entre les haies. Elle inspire à plein poumons. Puis pose la main sur la grille. "Allons-y." Et tous deux s'engouffrent entre les murs verts, comme happés par une ancienne promesse ou une énigme nouvelle. Et à mesure que les grandes haies se referment derrière elle, Layla sent une autre clôture, plus intime, se refermer autour de son cœur. Comme si elle entrait aussi en elle-même, dans un labyrinthe qu’elle n’avait pas su nommer jusque-là. Un enchevêtrement de souvenirs, de battements de cœur incertains, d’émotions confuses. Une attente sans nom. À ses côtés, le cousin avance. Tranquille. Sûr de lui. Elle, elle ne sait pas ce qu’elle cherche au centre. Mais elle avance... pas à pas, dans l’examen du silence.
Pendant ce temps, loin du labyrinthe et de ses énigmes, Ahmad avance dans un autre genre de dédale, mais cerné de choix invisibles. Il termine de passer la débroussailleuse. L’odeur de l’herbe coupée lui colle aux vêtements. Un parfum humide, un peu amer. Il essuie la sueur de son front du revers de la main, puis observe ce qu’il lui reste à faire : la haie qui encercle la propriété, les plantes à arroser, la cour à nettoyer, les pavés de l’allée à rincer. Encore un jour de travail, peut-être deux. Il avance plus vite que prévu. Son regard glisse vers la voiture du propriétaire. Gênante. Mal placée. Impossible de nettoyer correctement tant qu’elle est là. Le propriétaire n’est toujours pas rentré. Ahmad s’approche, à pas calmes. La carrosserie est couverte d’une fine pellicule de poussière. Il hésite. Peut-être pourrait-il la laver, elle aussi. Un geste de plus, un effort en plus. Le vieil homme de la mosquée lui a promis un bon salaire et il a déjà tenu parole. Il a aussi dit qu’il ajouterait un bonus si le travail est soigné. Il jette un œil à l’intérieur et se fige. Ses sourcils se froncent. Il voit à côté de la boîte de vitesse, une liasse de billets, épaisse. Mille dirhams, peut-être deux. Et une montre... probablement trois fois cette somme. Ils sont laissés là, sans aucune discrétion. Un silence. Comme un trou dans le tissu du monde. Ahmad reste debout, la main suspendue à la portière, les yeux immobiles. "Ce n’est pas prudent," pense-t-il. Un peu déconcerté, un peu admiratif. Cet homme donne l'impression de ne pas craindre la pauvreté... Ahmad tire la poignée. La portière s’ouvre. Il ne comprend pas. Pourquoi laisser ça là ? Une distraction ? Une négligence ? Ou bien... Il se redresse, recule d’un pas, les bras soudain trop raides. Il sent juste, un instant, son souffle se retenir. Une idée le traverse, brève, mais réaliste. Et si c’était fait exprès ? Il n’y a rien autour, aucun bruit, pas même le chant d’un oiseau. Le silence devient lourd. Il inspire. Il chasse cette pensée. Il la refuse. "Je ne suis pas un voleur." Ahmad ressent un frisson. Mais il ne peut pas laisser ça ici. Il se souvient de la boîte dans le garage, celle qu’il a rangée plus tôt sur une étagère. Il prend la liasse, la montre et ferme doucement la portière, sans un bruit. Il traverse la cour, ouvre le garage. dépose le tout dans la boîte. Il sort, puis referme derrière lui à clé. Le geste est simple. Mais son cœur bat un peu plus vite malgré le soulagement qu'il ressent. Le soleil n’est pas encore au zénith. La matinée a été productive. Il décide de rentrer. Il aura tout le temps de finir le reste demain. Une bonne journée. Propre. Droite. Enfin… il l’espère.
Vivement la suite que toi seul connais
Quel plaisir de lire ton commentaire :)
C'est très perspicace. Tu penses aux conséquences de son geste, pas à l'acte lui-même, c'est fort !
Merci beaucoup pour ton retour.
La suite ? Ce n'est pas encore écrit, tout peut arriver ;p
Et après des commentaires comme le tien... Qui sait ?
J'espère que ça te plaira en tout cas.
À très bientôt !
C'est carrément volontaire cette gêne, un mélange de souvenirs d’enfance, d’ambiguïtés affectives, et d’un présent émotionnellement trouble ;)
Pour Ahmad, parfois nécessité fait foi... Espérons pour lui qu'il n'a pas un auteur qui souhaite lui ajouter des problèmes dans sa vie, qui est déjà difficile x)
Merci beaucoup comme toujours, merci pour toutes ces lectures attentives et tes retours plus que pertinents.
À très vite pour la suite de l'aventure.
Belle continuation à toi également !