Comme promis, Doc vint me chercher le lendemain matin. Tant que la transformation n’avait pas eu lieu, le trajet s’effectuerait en voiture. Mon ami m’assura que cela ne le dérangeait pas. Je profitais du temps à combler en lui demandant des précisions sur le sujet.
— Concentre-toi sur ta respiration et reste à l’écoute de ton corps. Elle va te guider.
— Qui ?
Je n’avais pu masquer la frayeur dans ma voix. Heureusement il ne se moqua pas.
— Ton double animal. Vois-la comme une amie, une entité à part entière, mais qui fait aussi partie de toi. Sois à son écoute et tout se passera bien.
— C’était elle alors, murmurais-je comme pour moi-même en repensant au moment où j’avais tiré sur le Décoloré.
— Elle t’a déjà parlé, n’est-ce pas ?
Je hochai la tête, m’efforçant de sortir de ce souvenir.
— C’est douloureux ?
Je n’avais pas pu m’empêcher de poser la question, autant pour changer de sujet que par réelle envie de savoir. Je savais qu’il serait honnête. Je scrutai les traits de son visage, anticipant sa réponse.
— Légèrement, surtout la première fois. Je dirais que c’est surtout déstabilisant de sentir son corps se modifier, mais le processus est rapide.
Je me détendis un peu.
— La première fois, c’est aléatoire. On ne peut définir le moment exact où la transition a lieu. Après, on se transforme quand on veut.
Je fronçai les sourcils à la mention aléatoire. Pas question de vivre la transition devant eux, en direct. Je me mordillai les lèvres.
— Ne t’inquiète pas, tu as le temps de t’isoler, ce n’est pas un processus fulgurant non plus, précisa Doc en réponse à mes pensées. Ta louve t’avertira quand le moment sera proche pour elle de sortir.
— Justement…, commençai-je.
Il me lança un bref regard, attendant la suite.
Je triturai le bord effiloché de mes manches.
— J’ai d’abord cru que c’était un rêve. Vu ce que tu viens de m’apprendre, je devrai reconsidérer les choses. C’était juste avant de me réveiller au Complexe. J’étais dans le corps d’une louve et… cette nuit aussi. Au réveil, j’ai senti comme des tiraillements un peu partout. Je pensais à des courbatures mais…
— La transformation est imminente je pense. Bon, dès qu’on sera arrivés, on passera en salle de réunion pour discuter un peu de tout ça.
Je hochai la tête, pas le moins du monde rassurée. L’imminence de la métamorphose me paralysait. Je me murai dans le silence le reste de la route.
Après un rapide briefing sur la transformation en animal, je n’en menais pas large, plantée en plein milieu d’une clairière, dans l’attente de ce qui allait se passer. J’étais dans l’incertitude la plus totale. « On apprend sur le tas ». La phrase de Sheren me fit grimacer. Débrouille-toi avec ça. Doc avait eu la gentillesse de décrire les phases par lesquelles j’allais passer, mais tout cela restait abstrait et vague.
— C’est comme pour un accouchement, avait surenchéri Sheren. Le côté technique on maîtrise, mais rien ne nous prépare à ce qu’on va encaisser, aux changements de son propre corps.
Si je n’avais pas été aussi terrifiée, peut-être que j’aurai trouvé amusante cette analogie dans la bouche de Sheren. À l’inverse, je m’étais recroquevillée davantage sur ma chaise, nullement pressée de faire l’expérience de ma transformation. Arenht avait fusillé son ami du regard avant que Doc m’emmène dehors. Je fus déçue que ce ne soit pas Arenht qui m’accompagne, mais en même temps, je préférais qu’il ne soit pas témoin de ma transformation. Trop de risques que je me ridiculise.
Je m’accroupis dans l’herbe. Doc m’avait indiqué ce coin isolé avant de repartir à l’intérieur, m’assurant qu’aucun des gars ne viendrait me déranger. Personne aux alentours pour me voir dans cette position pour le moins ridicule, comme si j’étais sur le point de me soulager… Je me recouvris le visage de mes paumes. Peut-être aurais-je dû accepter de les voir se transformer pour savoir à quoi m’attendre. Le processus allait-il se déclencher rapidement ou étais-je bonne pour attraper une crampe ? J’allai me relever quand je la sentis.
Une vibration. Elle remontait le long de ma colonne vertébrale, s’y enroulait, longue ondulation. Le moment était venu. Le phénomène s’intensifia, telle une vague de chaleur. Elle se déployait, s’infiltrait dans le moindre de mes os, incendiait mon sang. Je me retrouvai à quatre pattes, les muscles tendus, le souffle court, attentive à ce qui se déroulait à l’intérieur de moi.
« Ne lutte pas. Laisse-moi faire. Détends-toi. »
Elle me parlait. Ma louve, mon double animal. Se détendre. Facile à dire alors que mon corps se transformait littéralement. La pression se faisait de plus en plus forte. La douleur arriva. Je fermai les yeux, mes doigts agrippèrent les touffes d’herbes à ma portée. Des flashs rouges éclatèrent devant mes paupières closes. Je tentai de réguler ma respiration. La perte de contrôle amena un début de panique. La sensation d’étouffer s’intensifia.
« Lâche prise ! »
La voix éclata dans mon crâne, impérieuse. Mon corps y obéit avant que je puisse réfléchir. Je lui laissais alors le contrôle. Je perdis pied…
Une odeur familière m’accueillit à mon réveil. J’inspirais profondément, avant même d’ouvrir les yeux. Je cherchai la provenance, troublée par l’acuité de mon odorat. Je décelai la note boisée puis, plus discrète une odeur plus chaude, épicée. Mes paupières se relevèrent brusquement. Arenht. Impossible de me tromper. Cette odeur n’appartenait qu’à lui.
Je me levai, déstabilisée un instant par la souplesse de mes mouvements. Quelque chose clochait sans que j'arrive à mettre le doigt dessus. L’esprit un peu nébuleux, comme si je sortais d’un profond sommeil, je baissai les yeux vers le sol. J’aperçus des pattes posées sur l’herbe douce, le pelage d’une blancheur soyeuse. La transformation… C’était… Déstabilisant, et encore le mot était faible pour décrire cette sensation plus qu’étrange de ne pas être dans son corps. J’agitai mes pattes, je fis jouer ma langue sur mes crocs, surprise par leur tranchant.
Un bruit me fit dresser l’oreille. Quelqu’un approchait. Ce ne fut d’abord qu’une ombre, à demi-dissimulée par le feuillage, puis un museau émergea, des pattes avancèrent avec précaution dans ma direction. Je me focalisai sur cette apparition, figée. Un pelage d’un noir velouté, des prunelles d’un ambre intense, braquées sur moi. Lui. Une évidence.
« Tu vas bien ? »
Cette fois, ce n’était pas ma louve, aucun doute. Entendre sa voix grave à l’intérieur de ma tête me troubla, une forme d’intimité à laquelle je ne m’attendais pas. Au moins il ne me verrait pas rougir. C’était le moyen de communication des loups-garous, rien de plus. Il allait falloir l’employer à mon tour, sauf que… rien de tout cela n’avait été livré avec le mode d’emploi.
— Oui. Je crois…
Finalement, ce n’était pas si sorcier. Il suffisait de « parler » comme d’habitude, sauf qu’aucun son ne sortait à l’extérieur. Sa présence me surprenait. Nous ne nous étions pas parlés depuis cette scène dans les vestiaires, à peine nous croisions nous. Et le voilà qui apparaissait au moment où je me sentais la plus vulnérable, émergeant à peine de ma métamorphose. Mais nous étions seuls, isolés du reste de la bande et peut-être attendait-il cette occasion pour enfin mettre les choses à plat.
— Si tu veux être seule…, commença-t-il.
— Non, reste, m’exclamai-je aussitôt, dans un cri du cœur. Je… Tu ne me déranges pas, ajoutais-je gênée.
Il s’approcha un peu plus, ses prunelles d’ambre braquées sur moi, hypnotiques.
— Belle couleur, constata-t-il. L’ombre et la lumière. On forme la paire, plaisanta-t-il.
Je me liquéfiai sur place. Se rendait-il compte de l’effet qu’il avait sur moi ? J’espérai que non, intérieurement morte de honte. Je ne savais plus que penser. Il se comportait comme si ces derniers jours ils ne les avaient pas passés à m’esquiver. Pour autant, je saisis la perche qu’il me tendait.
Ma louve affleura à mon esprit. Cette cohabitation me déstabilisait encore un peu, mais une connexion incroyable nous liait. C’était comme enfin rencontrer la partie qui me manquait adolescente, une amie intime me connaissant par cœur. Toutes ces années, présente sans que j’en aie conscience. Face au loup couleur de nuit, elle ne cachait pas son attraction, admirant sa silhouette aux muscles finement dessinés. Sous sa forme animale, il dégageait autant de charisme qu’en tant qu’humain.
Trouve un sujet de conversation, m’intimai-je alors que le silence nous enveloppait.
— Je voulais te dire…, me devança-t-il. Je m’excuse pour mon comportement.
— Ce n’est rien, l’assurai-je, troublée par l’émotion transparaissant dans sa voix.
— Non. Je me suis comporté comme un abruti, lâcha-t-il. Tu venais de débarquer dans un endroit inconnu et je t’ai… abandonné.
Le dernier mot fut comme un murmure. La culpabilité résonnait à travers chaque mot, me broyant le cœur. Même si c’était la vérité, je détestais le voir dans cet état.
— Pourquoi te sens-tu à ce point coupable ?
La question avait franchi mes lèvres sans que je puisse la retenir. Je voulais comprendre pour l’aider à effacer cette douleur qui le rongeait. Il secoua la tête, le museau baissé.
— Je vais bien, insistai-je. Sans toi je ne serais pas là. Je ne vous aurai pas autour de moi.
Il releva sa belle tête noire. Sa gueule esquissa ce que je pris pour un sourire.
— Bientôt c’est toi qui vas me rassurer, s’amusa-t-il. Accepte mes excuses. J’avais juste besoin de…digérer certaines choses.
J’acquiesçai, avant de m’agiter un peu. Mes pattes me démangeaient, parcourues de légers frissons. Arenht le remarqua aussitôt.
— Ah, je pense que ta louve veut profiter. C’est la première fois qu’elle va pouvoir se dégourdir les pattes.
Sur ces mots, il bondit, s’élançant vers les grandes étendues boisées. Je restai sur place, hésitante, mais ma louve me poussa à le rejoindre. J’avais tellement peur de me ridiculiser, la peur irrationnelle de ne pas m’en sortir à quatre pattes. Autant d’inquiétudes inutiles au final. Dès que mon corps se mit en mouvement, tout s’enchaîna avec une facilité naturelle. C’était comme si j’avais été une louve toute ma vie, dans un sens, une part de moi oui.
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, c'était très intéressant d'avoir la vision d'Aylyn pendant sa première transformation. Ça donne un peu une idée de rituel, et j'apprécie que ça ne se fasse pas "juste naturellement" qu'elle ait ces appréhensions et qu'elle découvre que ça fait partie d'elle. C'était très appréciable comme point de vue !
Je te fais quelques remarques sur la forme :
"Nous ne nous étions pas parlés depuis cette scène dans les vestiaires, à peine nous croisions nous." -> il ne manque pas un petit mot de liaison? "... et depuis cette scène"?
"comme si ces derniers jours ils ne les avaient pas passés" -> "comme si ces derniers jours, ils ne les avaient pas passés" ou bien "comme s'il n'avait pas passé ces derniers jours à m'esquiver".
"— Je voulais te dire…, me devança-t-il. Je m’excuse pour mon comportement." -> il manque l'italique sur la deuxième partie de la phrase.
Et ici pareil : "— Ah, je pense que ta louve veut profiter. C’est la première fois qu’elle va pouvoir se dégourdir les pattes."
"Je ne vous aurai pas autour de moi." -> ici aussi, il me semble qu'il manque quelque chose.
J'enchaîne avec le chapitre suivant !
Merci pour tes commentaires, je prends note. Contente que le chapitre t'ait plu.
Ce chapitre est trop bien ! J'ai l'impression d'être dans l'histoire. Aylyn est trop forte ! J'adore quand elle se transforme en louve, et je suis contente que Arenth se soit excusé, ils se rapprochent de plus en plus.
Bonne continuation, j'ai trop hâte !