Quelques jours avaient suffi pour appréhender pleinement le processus. Désormais, c’était aussi simple que de changer de vêtement. Plus de douleurs, la métamorphose s’opérait comme une évidence. Un coin calme, à l’écart et je rejoignais la bande pour parcourir les environs. Enfin, je pouvais donner libre cours à mes envies de grands espaces, sentir le vent souffler dans ma fourrure.
Pour autant, mes cauchemars ne me quittaient pas. Parfois, en plein milieu de la nuit, je me réveillais, perdue, le cœur battant, le souffle court. J’étais alors seule pour affronter mes démons. J’ouvrais alors toutes les lumières, mettais la bouilloire en route et m’emmitouflais dans un plaid sur le canapé, me préparant à une nuit d’insomnie. Heureusement que les livres m’offraient une échappatoire.
Je ne parlais à personne de ces épisodes, désormais parties intégrantes de ma vie. La journée, je faisais tout pour les oublier, enchaînant les balades en pleine nature, m’intéressant aux diverses activités des membres du Complexe. Antonh m’avait ramené plusieurs albums contenant ses reportages, de magnifiques photographies de paysages à couper le souffle. Il avait vraiment un don, choisissant à chaque fois un angle peu commun où la lumière soulignait chaque élément avec une intensité particulière. Justement quelques-unes de ses photos se trouvaient dans mon studio, exposées sur le mur face au canapé. Elles avaient le don de m’apaiser tout en m’émouvant. Bientôt il devrait partir pour son travail et j’appréhendais déjà son départ. Tout comme avec Doc, le courant passait très bien, nous discutions de tout et de rien et très vite je le considérais comme le grand frère que je n’avais jamais eu.
Il était tard. D’ordinaire j’aurai déjà été en route pour mon appartement. Sauf que ce soir, encore plus que d’habitude, je n’avais pas envie de me retrouver seule, même si j’adorais le cocon que je m’y étais créé. Je sentais les cauchemars prêts à planter leurs griffes dans les pans de mes rêves. Je déviai donc vers la cuisine. À cette heure les lieux seraient certainement déserts et me fourniraient un coin où cogiter un peu tout en buvant un thé, le compagnon de mes nuits d’insomnies.
Mes doigts s’enroulèrent autour de la céramique, s’imprégnant de sa chaleur. Les souvenirs remontaient, presque un mois que mes parents… J’inspirai brusquement pour tenter d’enrayer les larmes prêtes à s’échapper. Je me pris la tête entre les mains, l’émotion me submergeant. Comment ma vie avait-elle pu se désagréger ainsi ? Un bruit de pas me fit tressaillir. J’essayai de reprendre contenance. Une silhouette passa la tête par la porte entrouverte. Sheren. Je soupirai, n’étant pas en état de supporter ses taquineries ce soir. Étrangement, il ne fit aucun commentaire en avisant mes joues sillonnées de larmes. Les traîtresses avaient forcé le barrage de mes paupières. Il entra et se prépara un café, le tout dans un silence inhabituel de sa part. Puis il s’installa en face de moi. Il but une gorgée avant de se caler contre le dossier, levant le regard vers moi.
— Declan doit avoir une espèce de don.
Je haussai un sourcil. Pas d’entrée en matière, aucune allusion à mon état pathétique.
— Lequel ? demandai-je machinalement.
— Celui d’attirer les amochés de la vie, répondit Sheren avant de boire une nouvelle gorgée.
Je réfléchis à ce qu’impliquaient ses paroles, me questionnant sur la vie des autres membres, sur celle d’Arenht…
— Si tu ne veux pas parler, je peux meubler. J’ai une petite anecdote perso si ça t’intéresse.
Je n’étais pas certaine de vouloir l’entendre, mais il prit mon silence pour un assentiment.
— Je suis comme toi, un orphelin. Mes parents ont été assassinés, lâcha-t-il. Comme de vulgaires animaux sauvages.
J’en restai muette de stupeur, ne m’attendant certainement pas à ce type de révélations. Que dire après une telle annonce ? Il larguait cette bombe comme on parle de la pluie et du beau temps. Quoiqu’en y regardant de plus près, si l’on se plongeait dans ses prunelles sombres, une lueur hantée y dansait, vacillante.
— Tu vois, conclut-il, t’as pas le monopole des moments merdiques dans ta vie. D’autres en ont bavé et en baveront encore. Faut juste passer au-dessus. La vie est trop courte pour laisser les saloperies qui nous tombent sur la gueule tout foutre en l’air. Enfin, c’est mon opinion.
Cela avait le mérite d’être clair. Il fallait vraiment que je cesse de m’apitoyer sur mon sort, d’être centrée sur ma petite personne. Mes doigts frottèrent les dernières traînées humides sur mes joues.
— Désolée, soufflai-je, encore abasourdie par ses révélations.
— Pas besoin, balaya-t-il d’un haussement d’épaules. C’est du passé, on ne peut plus rien y faire. Ça forge le caractère.
La fenêtre s’était refermée, la vision d’un Sheren plus sensible de nouveau dissimulée sous une épaisse carapace d’humour et de désinvolture.
— Allez souris maintenant. C’est pas marrant de t’embêter si tu ne réagis pas.
Sur ces mots il se redressa et d’un geste nonchalant de la main prit congé.
Un électrochoc. Ce mot résumait avec exactitude l’impact de cette discussion avec Sheren. Il n’avait pas pris de gant, comme à son habitude, fonçant dans le tas, sans égard pour mes sentiments. Cette approche, à l’opposé de celle que le reste de l’équipe employait, eut l’effet souhaité : celle de me faire réagir, de me sortir de mon état de victime, de dissiper le brouillard de peur dans lequel j’errais encore sans vraiment m’en rendre compte.
— Au fait Sheren, l’apostrophai-je soudainement. Il y a bien un truc qui m’embête. Concernant le surnom, précisai-je.
— Ouais ?
— Et bien, je préférerais que tu t’abstiennes de l’utiliser.
Il haussa un sourcil, un demi-sourire jouant au coin de sa bouche.
— Je ne l’aime pas, ajoutai-je pour être sûr qu’il comprenne.
Le regard moqueur qu’il me lança m’ôta tout espoir.
— Je vais voir ce que je peux faire. Lynee.
Je serrai les dents tout en levant les yeux au ciel. C’était couru d’avance. Au moins j’avais demandé.
La conversation avec Sheren ne quitta pas mon esprit les jours suivants. Se morfondre ne me permettrait pas d’avancer. Je devais me trouver un but et celui-ci n’était pas difficile à trouver. Il se trouvait même juste sous mes yeux. À les observer s’entraîner, suivre les pistes, croiser les informations, sortir sur le terrain, en un mot : agir. Sans me connaître, ils avaient veillé sur moi, assurer ma protection et désormais je faisais partie du groupe, un membre du clan. Cette prise de conscience avait engendré une remise en question. Je ne pouvais continuer à dépendre d’eux ainsi sans apporter de contribution. Je voulais me rendre utile. Nous visions le même but : mettre fin aux agissements du Groupe L, notre ennemi commun.
En croisant Declan dans le couloir principal ce matin-là, je saisis l’occasion. D’un ton mal assuré, étreignant nerveusement mes mains, je lui fis part de mon envie de participer sur le terrain. Il m’écouta sans m’interrompre ni se moquer. L’une de mes appréhensions était qu’il ne me prenne pas au sérieux. Il se contenta de hocher la tête avant de poser une main sur mon épaule.
— J’attendais que tu sois prête. Dès demain je t’intègre aux entraînements.
Dans son regard brillait une lueur de fierté.
— Arenht te formera, ajouta-t-il après quelques secondes de silence. À moins que tu préfères quelqu’un d’autre.
Je déglutis rapidement pour faire passer mon trouble et lui assurai qu’il n’y avait pas de problème. Le fait que je sois attirée par mon futur instructeur n’en était pas un, si ? Je pouvais le gérer.
— Une petite mise au point sur le Groupe L me semble être requise alors. Mieux tu connaîtras ton ennemi, plus tu seras préparée à le combattre. Je ne t’assommerais pas avec des tonnes d’informations à retenir, de toute façon, nous ne disposons pas de beaucoup. Nous sommes encore en train de recueillir des éléments pour déterminer leur réseau. Viens, allons dans le bureau de Yorsha. Il sera plus à même de te faire une synthèse.
Le jeune homme aux cheveux bleutés se trouvait à son poste, les yeux comme d’habitude rivés à son écran aux dimensions impressionnantes. Un casque sur ses oreilles laissait filtrer le son d’une musique énergique, pour autant, il nous entendit arriver. Merci à l’ouïe des loups-garous.
— Patron, lança-t-il en continuant à pianoter avec frénésie sur son clavier. Il écarta tout de même les écouteurs, les rejetant à son cou.
— Yorsha.
La petite pause alerta le génie informatique sur l’importance de cette visite. Un dernier clic, l’écran s’obscurcit. Il se tourna alors vers nous. Un signe de tête pour me saluer sans paraître surpris de ma présence.
— Il est temps de former notre nouveau membre ? s’enquit-il en remontant ses lunettes sur le front.
Ses prunelles d’un vert intense me jaugeaient.
— En effet. La demande vient de m’en être faite officiellement.
— Alors c’est parti pour le petit cours de rattrapage, miss. Il se pencha sur le côté et attira une autre chaise vers lui.
Un regard vers Declan qui m’enjoignit de m’installer avant de quitter la pièce. Je me tassai sur la chaise, un peu intimidée de me trouver en plein dans le sacro-saint repère de Yorsha.
— J’avais un peu anticipé. J’ai fait un petit dossier pour te présenter nos ennemis.
— Ça semblait si évident ? demandai-je en osant lever les yeux vers lui.
— Je suis assez doué pour juger les gens et toi… Je sentais que tu étais une battante.
Je lâchai un rire ironique. Cette nuit-là près du fleuve me revenait en mémoire. Pas vraiment le comportement d’une fille forte.
— Tu n’en as peut-être pas conscience, dit-il en affichant le fameux dossier sur l’écran. Tu le découvriras en temps voulu, conclut-il à mi-voix.
Une heure et demie plus tard, je cernais mieux ce fameux Groupe L, obscur groupe ayant pour principal but de nous pourrir la vie. Une sorte de chasse à la sorcière version loups-garous mêlée à des expériences dont nous ignorions la teneur. Nul ne savait comment ils connaissaient notre existence, car notre espèce protégeait cette information au péril de leur vie. Mais comme Yorsha le disait si bien, nul secret ne résistait au temps et aux inévitables bavardages et rumeurs. Il y en avait toujours pour creuser jusqu’à percer à jour le fameux secret. Donc un groupe de personnes assez influentes pour avoir des ramifications dans plusieurs domaines, assez riches pour disposer de bâtiments dans plusieurs villes de l’Ontario, voir du Canada. On parlait de disparitions, d’enlèvements et d’expériences médicales. Arrivée à ce passage j’avais failli me sentir mal. Je me souvenais avec une atroce précision de la seringue emplie d’un liquide bleuté, de la sensation de l’aiguille forçant la chair de mon bras. Yorsha avait rapidement changé de sujet, conscient de mon trouble. Il avait répondu à chacune de mes questions, clarifiant autant que possible les choses. De notre côté, c’était recherche d’informations, autant sur le terrain que dans les méandres d’internet. Quand une piste ressortait plus distinctement, Declan mettait en place des missions. Les agents commençaient par le repérage puis l’intervention si la situation l’exigeait, comme pour moi.
— Merci pour la mise à jour Yorsha. J’ai maintenant une meilleure… perspective.
— Bienvenue dans l’équipe, me répondit-il en me lançant un clin d’œil.
Je le saluai avant de quitter son bureau. J’avais hâte d’annoncer la nouvelle à Doc. Declan m’avait annoncé que mon entraînement commencerait dès le lendemain. J’oscillais entre l’euphorie et la nervosité, revivant ma rentrée à l’université.
J'ai été un peu moins emballée par ce chapitre, pour deux raisons principales, je te détaille tout :)
1) Quand tu as mentionné un dossier qu'elle avait lu pendant 1h30, j'espérais en savoir plus que ce qu'on savait déjà sur le groupe de scientifique. On se doutait qu'ils avaient des moyens, on savait déjà pour les expériences scientifiques, on devinait sans mal le côté chasse aux sorcières. Donc je ne sais aucunement ce que Aylyn a appris dans ce dossier, ça me frustre un peu... Je trouve que ça aurait été sympa d'avoir au moins un début d'éléments qui n'auraient pas été déjà su, parce que du coup ce dossier n'a presque pas lieu d'être. Tu aurais pu simplement prendre le parti de dire qu'ils n'en savaient pas plus que ce qu'elle avait déjà constaté. Frustrant aussi, mais peut-être un peu plus logique.
2) J'ai eu un peu de mal à accrocher à l'échange entre Aylyn et Sheren. Je te livre mes impressions en citant le texte :
○ "Tu vois, conclut-il, t’as pas le monopole des moments merdiques dans ta vie." -> c'est un peu dur, elle s'est pas vraiment apitoyée, elle était juste dans son coin tranquille, il est arrivé et la trouve comme ça, elle n'est pas exactement aller se moucher sur sa chemise.
○ "Un électrochoc. Ce mot résumait avec exactitude l’impact de cette discussion avec Sheren." -> j'ai trouvé la conversation courte, et sa réaction derrière encore plus éclair. Je crois que ça aurait mérité d'être plus approfondi.
○ "d’un geste nonchalant de la main prit congé." puis juste après elle lui parle. Prendre congé signifie qu'il part. Comme on a un paragraphe entretemps, c'est synonyme de temps qui passe et qu'il est parti, et pourtant elle l'apostrophe tout naturellement juste après. Je pense que tu peux enlever cette idée de prendre congés, ou simplement dire qu'il se lève et fait quelques pas en direction de la porte...
○ Concernant le surnom... Ça m'a pris au dépourvu. L'a-t-il appelée comme ça avant ? C'est peut-être de ma faute, j'ai peut-être oublié et c'était dans un chapitre précédent, mais je n'avais pas du tout en tête qu'il utilisait un surnom pour elle. Du coup comme il ne l'a pas utilisé dans cette même conversation, j'ai vraiment eu l'impression de louper un épisode. Je crois que ça serait mieux qu'il l'utilise avant qu'elle lui demande de ne pas l'utiliser...
Autre :
○ "Un casque sur ses oreilles laissait filtrer le son (...) écarta tout de même les écouteurs, les rejetant à son cou." -> un casque et des écouteurs ne sont pas le même dispositif.
○ "car notre espèce protégeait cette information au péril de leur vie" -> de sa vie (notre espèce)
○ "j’aurai déjà été en route" -> j'aurais
Voilà après je suis certaine que tu peux facilement améliorer tout ça, ça porte vraiment sur des détails :)