17 Janvier

« Maman, il y a quelqu’un dans ma chambre. »

Assis confortablement dans le canapé avec Ellie, Arthur soupira et regarda sa montre. Il était 22 heures 52. Il se leva et rejoignit Sophie, qui se tenait sur le seuil de la porte, seule, les mains serrées et le visage inquiet. Une de ses mains agrippait la jambe d’Alice qui trainait misérablement sur le sol. Arthur se dit qu’Alice avait un visage assez pathétique, et cela lui fit penser à Ellie. Il faillit en rire.

Sophie le fixait de ses yeux bleus, et Arthur put deviner qu’elle était au bord des larmes. Il la câlina même si Sophie n’aimait pas ça, se plaignant que sa barbe lui piquait. Mais pas ce soir.

« Sophie, murmura calmement Arthur, tu ne vas pas recommencer s’il te plaît. Il n’y a personne ce soir, comme tous les autres soirs. Tu en sécurité ici.

— Je peux dormir ici ?

— Non. Tu me l’as promis. Sophie, tu es une grande fille, et une grande fille ne passe pas toutes les nuits avec ses parents dès que…

— Je veux maman. Je veux que maman m’accompagne jusqu’à ma chambre. »

Sans rien dire, Arthur arrêta de câliner sa fille qui regardait fixement le canapé, à l’endroit où était assise sa mère. Ellie n’avait pas bougé, n’avait même pas tourné la tête depuis que Sophie était arrivée. Elle demeurait plongée dans la lecture de son livre, comme si rien d’autre n’existait. Arthur se demanda à quand ce soir remontait la dernière fois qu’il avait vu Ellie tourner une page.

« Maman ? implora Sophie.

— Écoute ton père, répondit Ellie sans tourner la tête.

— S’il te plaît ! Alice te le demande aussi !

— Écoute ton père, continua-t-elle d’une même voix. »

Sophie s’arrêta, tremblante. Arthur ne savait pas si c’était de colère ou de tristesse. Avec elle, il ne savait jamais. Sans attendre un autre échange, Arthur prit la main de Sophie et sortit du salon. Il glissa des courts « Allez, viens Sophie », d’une voix qu’il essayait de rendre chaleureuse. Il sentit que Sophie le suivait avec une légère réticence. Il entendit Alice traîner sur le sol comme un chiffon. Et même s’il ne le voyait pas, il savait qu’Ellie demeurait assise sur le canapé, l’esprit ailleurs, le regard tourné vers son putain de livre.

***

La chambre de Sophie ne ressemblait en rien à la chambre d’une petite fille de 7 ans. Les couleurs étaient rares, aucun jouet, aucun vêtement n’étaient en vue. Les murs étaient immaculés, striés de planches de bouleau qui donnaient l’impression dans le noir d’être des barreaux. Il y avait une grande armoire, un bureau, un miroir, un grand lit accompagné d’une table de chevêt. Un mur était troué par une fenêtre rectangulaire à guillotine. Au milieu du plafond trônait une ampoule éclairant la pièce d’une lueur jaunâtre. À part quelques feuilles de dessin qui traînaient sur le bureau, la chambre pouvait être autant celle d’une jeune fille que celle d’un vieillard. 

Arthur conduisit Sophie jusque dans son lit. Sophie se laissa faire, scrutant autour d’elle d’un air affolé. Elle se refugia à califourchon au milieu de son lit, tenant Alice à côté d’elle. Dorénavant, Arthur connaissait bien la procédure. Il ouvrit méticuleusement les armoires, fouilla dans les affaires de haut en bas, regarda sous le lit, vérifia que la fenêtre était fermée. La première fois, tout ce manège lui faisait sourire. Plus maintenant.

Une fois qu’Arthur eut fini sa pénible opération, Sophie se résolut à se coucher et à se glisser dans ses couvertures. Arthur éteignit la lumière et la rejoignit, se tenant debout à côté du lit. Sophie le regardait sans rien dire, et Arthur ne savait pas s’il devait prendre cela comme un remerciement. Avec elle, il ne savait jamais. Arthur se pencha et murmura :

« Tout va bien maintenant ? Est-ce qu’Alice veut que je reste ici un petit peu plus ? »

Sophie ne répondit pas, et son regard se fixa sur le mur en face, là où était fixé le miroir. Arthur le contempla à son tour : dans la pénombre on y voyait le reflet de Sophie et Alice couchées dans le lit, ainsi qu’Arthur qui se tenait courbé à côté. Dans le miroir, Arthur n’était qu’une silhouette noire tordue, son visage qu’un flou sans émotion. Grâce au tissu blanc abimé qui la constituait, Alice ressemblait à une tâche blanchâtre inhumaine.

Sophie demera silencieuse, alors Arthur demeura là. La première fois, cela lui faisait sourire.

***

Il était 23 heures 47 quand Arthur revint dans le salon. Comme il s’y attendait, Ellie n’avait pas bougé, pétrifiée sur le canapé, lisant son livre. Arthur ne dit rien et s’assit à côté d’elle, à sa place habituelle. En jetant un coup d’œil, il vérifia si Ellie demeurait toujours sur la même page. Se demandant quoi faire, Arthur regarda autour de lui : le salon était maintenant entièrement aménagé. Deux canapés, un fauteuil, une table basse, des tapis, plusieurs bibliothèques remplies de livres qu’ils n’avaient pas lu depuis bien longtemps, et sa femme Ellie. 

Toute sa vie se résumait à ça. Cette pensée frappa Arthur et le laissa livide. Depuis bientôt deux semaines qu’ils avaient emménagés, leurs journées consistaient à se lêver tôt, prendre le petit déjeuner, déballer toutes leurs affaires, réveiller Sophie de force, prendre le déjeuner, pousser Sophie à explorer la maison, discuter sur la disposition du mobilier, dîner, coucher Sophie, et finir enfoncés dans le canapé. 

Et la nuit, Sophie se plaignait qu’il y avait quelqu’un dans sa chambre. Cela commençait aussi à devenir leur routine.

Arthur remarqua qu’il ne parlait avec Ellie que dans l’après midi. Au moment où il fallait débattre sur la disposition du mobilier. Pour une raison qu’il ignorait, chaque meuble était un vrai calvaire : Ellie avait toujours une idée radicalement différente de la sienne. Parfois, Arthur se demandait si elle faisait exprès.

« Elle est couchée ? » finit par lui demander Ellie.

Il était 23 heures 54. Arthur n’avait pas bougé un muscle depuis qu’il s’était assis. Ellie non plus. Arthur chercha ses mots, puis articula méticuleusement :

« Ellie, à quand remonte la dernière fois qu’on s’est parlé ?

— Je ne sais pas, répondit Ellie après un moment. Il y a quelques heures ?

— De quoi avions-nous parlé ?

— De la lampe. Il fallait choisir de quel côté de la télévision la mettre.

— Ce n’est pas parler, ça. Je veux dire une discussion, toi et moi. »

Enfin, Ellie quitta des yeux la page de son livre, et regarda Arthur. Celui-ci fixait droit devant lui la télevision éteinte et, placée avec soin à sa gauche, la lampe. Sans la voir, Arthur devinait l’indécision d’Ellie. 

« Arthur, qu’est ce que tu veux dire ? s’enquit-elle après un autre silence.

—Rien, répliqua-t-il lentement. Je me posais juste une question... Depuis qu’on est ici, on ne s’est jamais parlé. Dans la voiture en venant ici non plus. Cela remonte à plus loin.

— Bien sûr qu’on parle ! Qu’est ce qu’on fait, là ?

— Rien. Depuis qu’on est ici, nous n’avons rien accompli. Ellie, tu m’avais promis un nouveau départ. »

Soudainement, Arthur se tourna vers Ellie. Leurs regards se croisèrent, et il vit à quoi elle ressemblait en cet instant. Ses cheveux bruns attachés en chignon, des lunettes carrés, les même tâches de rousseur qui ne l’ont pas quittée depuis qu’ils se sont rencontrés, des lèvres pincées, les mêmes yeux bleus que ceux de Sophie. Arthur se demandait depuis combien de temps il ne l’avait vraiment regardée. 

Ellie ne répondait pas, ne bougeait pas. Ses grands yeux trahissaient son incompréhension, la méfiance de ceux qui sont confrontés à un évenement brisant leur routine. Ça devait être notre nouveau départ. Oh, Ellie, rien n’a changé. Sans comprendre, sans prévenir, Arthur prit la main de sa femme.

Celle-ci se figea, fixant la main d’Arthur comme un animal inconnu, puis fixant Arthur. Ses yeux ne semblaient ni implorant ni amoureux, juste tristes. Ellie ne dit rien, car il n’y avait rien à dire, et n’écarta pas la main de son mari.

Un hurlement d’effroi retentit dans toute la maison, brisant à jamais le silence qui enveloppait Arthur et Ellie. Il était 23h59.

Le cri venait de la chambre de Sophie. 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Ptite Faucheuse
Posté le 14/04/2020
Bon, j'avoue je suis toujours mitigée. Le coup de minuit, je l'ai vu venir avec ses gros sabots et ça m'a pas surprise du coup :/
Et les parents, ils s'inquiètent pas plus que ça que leur gamine est comme ça ? On dirait qu'ils s'en foutent totalement ... Limite que ça les ennuie. Après c'est peut être tes personnages qui veulent ça, mais ils sont un peu détaché de leur rôle de parent j'ai l'impression.

Pour la timeline, heureusement que je fais attention aux titres de chapitres, sinon j'aurais été complètement perdue x)

J'ai envie de voir ce qu'il va se passer quand même. C'est le genre d'histoires qui me font kiffer x) Après je me dis, je regarde beaucoup de films d'horreur, je m'intéresse au surnaturel et forcément, ça me fait moins peur que certaines personnes. J'ai peut être trop vu/lu dans ce thème, ça doit jouer ^^

Bon confinement, j'espère que tu posteras bientôt la suite ;)
Alice_Lath
Posté le 14/04/2020
À minuit bien sûr niark niark niark, je me demande ce qui s'est passé cette fois. En vrai, jfais la maline haha, mais j'imagine parfaitement la sensation de Sophie et à sa place, j'aurais pété une durite depuis looongtemps, purée, elle a du courage la gamine. Peut-être qu'être avec Alice pour la défendre lui fait du bien sinon? Et Ellie qui est si différente de la partie précédente, je suis curieuse du coup de savoir ce qui a bien pu se passer héhé
NM Lysias
Posté le 12/04/2020
Salut,

L'histoire se poursuit. On apprend que le couple bat de l'aile. J'imagine qu'Ellie est peut-être malade psychologiquement. Rester là, à fixer un page sans la tourner, c'est étrange.
Sophie a dû rencontré l'esprit qui hante le lieu.
J'aime bien de flash back.
Vous lisez