17 Juillet 1914
Non loin de la maison, il y a un champs de lupins immense où je retrouve souvent Marius. Nous y sommes tous les deux allongés, j’ai la tête contre lui tandis qu’il bouquine. Les hautes fleurs nous font comme un ciel de pointilliste rose et violet parfois percé d’énormes trous bleus. Marius s’amuse à me corriger sur les couleurs, selon lui il s’agit plutôt d’un mélange de teintes indigo et cuisse de nymphe émue, quels jolis noms.
J’écoute les grosses abeilles noires butiner tranquillement, la mer au loin, son cœur qui bat.
J’aime ce champs et les souvenirs qui y sont attachés, surtout celui d’il y a à peu près 11 mois maintenant :
Je lisais près de Marius un livre qu’il m’avait offert quelques jours auparavant, Les Chansons de Bilitis écrit par Pierre Loÿs . C’était un recueil magnifique de poèmes plus ou moins érotiques que l’auteur avait longtemps fait passer comme la traduction de poésies antiques afin qu’il soit publié. J’avais commencé cet ouvrage avec l’innocence d’une jeune nonnette et le refermais désormais avec l’air de la sorcière qui sait. Marius s’agitait à côté sans que je ne puisse vraiment voir ce qu’il fabriquait. Je me redressai interrogative, il m’imita en me tendant la petite bague qu’il venait de finir de tisser avec une fleur et sa tige. Ravie de cette surprise végétale je me précipitai de la prendre afin de l’essayer. Il l’éloigna de moi vivement et me regarda très sérieusement. J’eus un mauvais pressentiment.
« Raphaëlle, veux-tu m’épouser ? »
Sous le choc je ne puis répondre tout de suite.
Je sais que de nombreuses filles auraient été bien plus qu’heureuses de recevoir une telle demande surtout venant de Marius… Personnellement j’eus avant tout envie de m’enfuir du champs en courant, faire demi-tour le prendre dans mes bras puis repartir toute seule encore une fois, très très loin, sans être sûre de revenir un jour. Cette idée tourna en boucle dans mon esprit.
Il me connaissait par cœur, qu’est ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Evidemment, je pensais que Marius était l’amour de ma vie, mais de là à l’épouser, et à 17 ans en plus… Quelle andouille parfois !
« -Hmmm, pas tout de suite Marius quand même... dis-je finalement un peu désarçonnée.
Il oscilla du chef comme si cela allait de soi sans un mot, l’air assez neutre puis se mit à éclater de rire :
-Hahaha Raph’ tu aurais vu ta tête !! C’était une blague enfin, c’était pas une vraie bague, ça ne pouvait pas être une vraie demande ! Aaah lala non mais toi alors… ! »
Oh le menteur. J’assistai typiquement à la réaction de Marius qui essaie de retomber sur ses pattes à l’aide de sa mauvaise foi légendaire. Au fond, si sa question était aussi sérieuse que je le pensais, je savais qu’il comprenait ma réaction, enfin j’espère. Je lui pris la main et enfila tout de même la bague.
« -On va dire que ce sont nos Fiançailles d’Eté. Laisse-moi un an ou deux pour réfléchir avant de te donner une vraie réponse.
Un peu surpris, il me regarda silencieux en inclinant la tête sur le côté comme pour vérifier que je ne me moquai pas de lui. Il prit doucement mon menton entre ses doigts et sourit.
-Je te laisse tout le temps que tu veux Raph’, même 100 ans, mais alors là j’aurai peur d’être un peu trop vieux pour que tu veuilles encore de moi comme mari… »
Je ris alors en le serrant tout contre moi. J’aimais Marius de tout mon cœur, le reste à dix-sept ans n’a aucune importance.
Ce fut la première fois que nous fîmes l’amour.
Depuis ces onze mois nous avons beaucoup passé de temps dans ce champs. Marius m’y dessina souvent, plus ou moins nue d’ailleurs. Il aime beaucoup ces esquisses je crois et les garde précieusement. Pour ma part j’ai fait sécher la bague délicate dans mon herbier. A chacun ses souvenirs me direz-vous.
Cela va donc bientôt faire un an depuis ces Fiançailles d’Eté et je me sens bien stupide avec mes promesses. Je n’ai toujours aucune idée de ma réponse. Après tout, peut être que je me trompe mais le oui sonne comme une chaîne à mes oreilles et j’imagine déjà le non briser aussi bien le cœur de Marius que le mien.
C’est simple, demandez-moi de choisir entre la mer agitée et le grand champs de lupins, je répondrai sans hésiter que j’aimerais pouvoir aller de l’un à l’autre toute ma vie sans jamais y rester indéfiniment, avec peut-être une petite mais alors vraiment minuscule préférence pour l’océan…
Ce côté encore mi-gamin mi-homme rend juste Marius adorable. J'aime beaucoup l'idée finale, comme quoi, quelque soit son amour pour lui elle préférera tjs rester libre, c'est très fidèle au personnage que tu as créé (et son côté plutôt moderne pour son époque d'ailleurs).
Je m'en vais vers la suite hehe
Je suis très heureuse que tu aies aimé ce chapitre, que tu aies perçu ainsi Marius (je voulais qu'il soit un peu maladroit mais en même temps assez confiant dans son amour pour justifier son emportement par rapport au mariage puis le fait qu'il se tempère lui-même haha (mais c'est vrai qu'en même tps à cette époque on se mariait tôt...!)) et ton avis par rapport au "choix" de Raphaëlle (c'est ce qui m'a semblé le plus logique à moi aussi!)!
A bientôt et merci de ton passage ;))