18- Comme une impression de déjà vu

Notes de l’auteur : Tw: violence physique, accident.

Julien avait passé plusieurs jours dans la confusion. Il avait l'intime conviction que quelque chose d'important lui manquait, sans réussir à savoir quoi. Au bout d'une semaine cependant, son esprit rationnel tâcha de conclure que si cet élément se dérobait comme de l'eau insaisissable, alors c'est que ça n'était pas de grande importance. À reléguer dans les tréfonds de sa mémoire donc. Ainsi décidé, le jeune étudiant put reprendre une vie à peu près normale. Plus ou moins tranquille. Chaque jour, quelque chose perturbait ses journées. 

Déjà, depuis le soir du départ de Tomas le jeune homme s'était réveillé dans son lit, fourbu. Son corps était tombé d'épuisement après que l'ange soit parti, sans doute. À son réveil ? Ses lunettes étaient cassées au milieu de ses draps, et des courbatures l’oppressaient au niveau du torse. Malgré une bonne douche bien chaude, ainsi que quelques étirements, rien ne l'avait soulagé. En voyant la paire de lunettes abîmée, Julien avait ressenti une vague d'effroi. Avant de se rassurer en se questionnant logiquement : après tout, c'est cette vieille tarée de Balinda qui lui avait offert cette monture, lui assurant soit disant protection. Et visiblement, aucun démon n'avait profité de cette nuit sans défense pour venir le titiller méchamment. Alors il haussa les épaules, jeta la paire et entreprit un ménage de printemps. Un esprit sain dans un logis sain, voilà un mantra qui lui parlait ! 

Après quelques heures, le crépuscule tombait progressivement et un sentiment de satisfaction l’emplit. Mains sur les hanches, son regard ausculta chaque recoin de son appartement pour une dernière vérification en bonne et dûe forme. Tout était parfait. Niquel. Rangé. Propre. Jusqu'à ce que toutes les lumières s'éteignent en même temps. Une coupure de courant qui dura. Rien de très grave, mais de très embêtant car son ordinateur portable était déchargé. Le week-end se terminait et il lui était impossible de relire ses cours pour une bonne reprise lundi matin.

Il ravala sa frustration et alla se coucher, dans le noir le plus complet, économisant la batterie de son téléphone. Les électriciens ne trouvaient pas la cause et bossaient sur la panne depuis plusieurs heures déjà. 

Les jours qui suivirent le plongèrent dans sa routine familière. Aller en cours, se faire à manger, réviser, jouer aux jeux vidéos, réviser, dormir; et recommencer. La seule chose qui venait rompre sa monotonie étant que la malchance s'était invitée chez lui comme une compagne de longue date. Devenue sa meilleure amie, il s'était habituée à sa présence. Julien se souvenait de sa détresse d'il y a quelque temps, par rapport à ce manque de chance qui lui pesait fortement. Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il composait avec ce paramètre désormais. Après tout, Tomas, son ange gardien, veillait sur lui si ces déconvenues s’avéraient trop dangereuses. Cet être ailé, qui était tombé dans sa vie comme une évidence. Il avait la sensation de l'avoir toujours ressenti à ses côtés. Une présence invisible, bienveillante. Fort de cette protection, réelle cette fois-ci et non pas loufoque comme cette paire de monture en toc, Julien reprit le cours de son existence presque tranquillement.

Chaque jour apportait son lot de maladresses et d'obstacles, qu'il traversait avec une certaine sérénité. Toutefois, plus le temps passait et plus son assurance s’effritait. D'abord déterminé à ne pas se laisser abattre par les coups du sort de la vie, voilà que la lassitude prenait possession de son cœur et de son âme petit à petit. Le tout couplé à de la paranoïa, sur tout et tout le monde. Saupoudré d'une mauvaise humeur qui le rendait acariâtre.

Ce matin-là, ce fut le premier moment d'une journée particulièrement éprouvante. L'un de ses camarades le frappa, lui assénant un coup de poing dans l'arcade. Comme ça, sans réelle raison exprimée. Deux de ses congénères avaient coincé Julien dans un recoin inoccupé, et il s'en était donné à cœur joie. Comme pour lui faire payer sa différence, son manque de machisme et de virilité disaient-ils. Puis le midi, sa carte universitaire refusa de passer dans la borne du self. N'ayant pas d'argent sur lui, on lui refusa l'entrée; il n'avait pas le temps de rentrer chez lui et son ventre gargouilla le reste de l'après-midi. En fin de journée, quand il fut enfin l'heure de rentrer, une étrange impression de déjà vu le saisit sans explications.

Julien marchait tranquillement sur le trottoir, concentré sur chacun de ses pas -car il en avait assez de trébucher pour collectionner les hématomes- et ne prêtait aucune attention au reste de son environnement. En empruntant le passage piéton, il n'entendit pas la voiture rouge sportive qui déboulait dans sa direction à toute allure. Le bruit du moteur menaçant, le véhicule vrombissait avec férocité. Le jeune homme perçut un cri, d'une piétonne au loin qui assistait à toute la scène avec impuissance.

Son regard quitta le bitume, chercha l'origine du hurlement strident et ses yeux s’écarquillèrent en apercevant la voiture rouge pétante qui lui fonçait dessus. Quelques mètres le séparaient de la mort. Aucune échappatoire possible. Une déglutition plus tard, il ferma les paupières et se sentit se tétaniser sur place. Le choc allait se faire dans une poignée de secondes, et son cerveau n'eut guère le temps de rembobiner l'ensemble de son existence. Le souvenir d'une simple voix, masculine et chaleureuse, résonna dans son esprit. Julien prit une inspiration, et l'obscurité lui tomba dessus lourdement.

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