Les rendez-vous avec les responsables des salles de concert, producteur ou directeur de studio m’exaspéraient. Si cela ne tenait qu’à moi, je leur aurais balancé une signature au bout de leur paperasse et point final. Du moment que nous avions un lieu où jouer, le reste, je m’en fichai. Heureusement, Michael gérait cette partie comme un chef. De la gestion des clauses en passant par le côté technique des équipements, il ne laissait rien passer et ne rechignait pas à la tâche. Par contre, il ne transigeait pas sur notre présence lors de l’accord final. Selon lui, l’image du groupe passait aussi par cet aspect commercial.
Assis sur le canapé en cuir de la salle de réunion, je prenais mon mal en patience, amusé de voir que je n’étais pas le seul à trouver ces moments rébarbatifs.
— J’ai l’impression de me trouver dans un cabinet de psy, râla Seth.
Je ne lui donnais pas tort. Entre les cadres aux illustrations plus que psychédéliques, la peinture d’un ocre chaud et les plantes vertes, il ne manquait plus que les bougies.
— Alors Mr Hawkins, dites-moi ce qui vous amène ici, singea Link en mimant une prise de notes.
J’étouffai un rire tandis que Mike levait les yeux au ciel. La porte s’ouvrit sur un gars en costume, ce qui calma les deux loustics. Les habituels échanges de politesse effectués, l’homme sortit d’un porte-document les papiers qui nous intéressait. Le calvaire commença. Je priai pour que l’affaire soit vite expédiée.
*
Mes poings se serrèrent. Les cons, sérieux. Les coups d'œil vers l'horloge se succédaient. Les minutes filaient sans que je trouve une occasion de m’échapper. Mon pied battait la mesure. Un coup de coude de la part de mon frangin me fit grogner. Même lui s'y mettait. Je n’étais vraiment pas d'humeur. Pas question que je lui pose un lapin au premier rendez-vous. Ils prenaient tout leur temps les boulets. C'était juste un paraphe, putain. La liasse passa à Seth. Encore Mike avant que le tas arrive à moi. J’ébouriffai pour la centième fois mes cheveux.
— Vieux, tu t’sens pas bien ? On dirait que t’es branché sur du mille volts.
La vanne de Seth attira l’attention du groupe entier sur ma personne. Incapable d’encaisser plus longtemps, je bondis sur mes pieds et profitant de la stupeur générale, attrapai les feuillets et y apposai ma signature sans me soucier de froisser la paperasse. Mike me saisit le poignet au moment où je faisais mine de sortir.
— Trev ?
— Je serais là pour la répét, sans faute.
Il fouilla dans mes prunelles à la recherche d’un indice. Apparemment, ce qu’il y lut le convainquit de me lâcher. Une fois passé les double-battant, je traversai le couloir et dévalai les escaliers. Une fois sur le parking, j’enfourchai ma moto après avoir mis mon casque. Je n’étais pas inconscient non plus.
A peine quelques kilomètres me séparaient du lieu de rendez-vous. Un endroit loin d’être anodin pour moi. Il représentait l’un des rares, si ce n’était le seul, où je me sentais chez moi en quelque sorte. Un port d’attaches dans l’errance de ma vie d’artiste. Le gérant me connaissait depuis mon adolescence. Figure paternelle pour un jeune en perte de repères, je lui devais d’être celui que j’étais aujourd’hui. Là-bas, je me sentais en sécurité aussi. Je pouvais me dépouiller pour un temps du fardeau de la célébrité. Je pouvais me retrouver.
*
Mon sang ne fit qu’un tour en apercevant Zoey à travers la porte vitrée. Je m’élançai vers le pub, bousculai les quelques clients sur mon passage et arrivai devant les deux lourds qui la cernaient. La peur sur son visage me noua les tripes. Mes poings se serrèrent le long de mes hanches, prêts à s’abattre sur eux. Lorsqu’elle me vit, son regard s’éclaira d’une lueur de soulagement. Mon Dieu, mon estomac encaissa l’effet particulier d’être perçu ainsi. Non comme une star, non comme un gars sexy, juste comme un homme en qui on avait confiance. C’était euphorisant. Mais ça n’allait pas me faire dériver de mon objectif : leur faire regretter de s’en être pris à elle.
Les gros durs se tournèrent vers moi, haussant un sourcil. Ils venaient de percuter qu’ils n’avaient plus le champ libre. Bien. Ils n’étaient pas si crétins que ça finalement.
— On ne vous a jamais appris à ne pas insister ?
— On faisait rien de mal. On discute avec la demoiselle.
Mes muscles se crispèrent sous leurs faux airs angéliques. Prenez-moi pour un con, c’est ça. Ce n’était pas la première fois que je réglerais leur compte à des types dans leur genre.
Un contact léger s’imprima sur mon torse. Je baissais les yeux vers la propriétaire de cette main. Zoey.
— Trevor…
A sa mine hésitante, je compris que mes intentions étaient visibles, tout autant que ma rage. Face à son expression, je perdis une partie de ma colère. Mes doigts se posèrent sur les siens et je la rapprochai de moi. Je plongeai dans ses prunelles vertes. Elle me tenait en son pouvoir, en avait-elle seulement conscience ? Je pris une brève inspiration avant de les fusiller du regard. Heureusement, ils ne cherchèrent pas les problèmes. Mon bras autour de ses épaules, je l’entraînai un peu plus loin avant de me tourner vers elle.
— Tu vas bien ? Désolé, je n’aurai peut-être pas dû choisir ce pub. D’habitude c’est tranquille. Le patron me connaît depuis mes quatorze ans et…
— ça va. Je n’ai pas l’habitude de sortir et je ne sais jamais comment réagir à des sollicitations… Enfin. Tu es là, donc ça va.
Le sourire qu’elle m’offrit acheva de me calmer.
— Alors je t’emmène dans mon repère.
J’aimais la sentir contre moi. Elle ne se laissait pas aller. Elle ne s’écartait pas non plus. Elle se tenait juste dans l’entre-deux, sur la défensive mais avec la porte ouverte vers un rapprochement.