1740

« Attendez un peu, intervient la Gamine, vous avez connu Barbe-Noire ? À quoi il ressemblait ?

— Edward ? Je ne peux pas vraiment dire que je l’ai fréquenté. On se croisait de temps à autre, quand nos escales à Nassau correspondaient. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il était jeune quand je l’ai aperçu pour la première fois. Et crois-moi, il était bien loin de l’image que les légendes lui donnent aujourd’hui ! D’où ça vient, d’ailleurs, cette histoire de barbe bourrée de mèches à canon ? C’est absurde ! Teach était un pirate, pas un saltimbanque !

— Et cette bataille qui a eu lieu à Nassau, peu de temps avant votre arrivée ? Est-ce qu’on vous l’a raconté ?

— La prise de Nassau n’a rien d’héroïque, bien au contraire. Il s’agissait à l’époque d’un port délaissé, abandonné par son dernier gouverneur britannique. Seuls quelques colons s’y trouvaient et, dès le premier coup de canon, ils ont fui. Tu peux être sûre que la grande Histoire ne parlera même pas de cette “bataille”. Elle dira que les anciens corsaires, délaissés par la flotte britannique et l’armée espagnole, s’y sont installés et ont créé une nouvelle communauté qui leur permettait de piller les navires marchands sans dépendre d’une couronne. Mais ne t’en fais pas, tu auras souvent l’occasion d’entendre les récits de nos combats. Bien, as-tu d’autres questions ?

— Des centaines !

— Eh bien, pose-les-moi vite. On n'a que peu de temps.

— Le capitaine Forbes a accepté de faire de vous l'un des leurs. Mais comment ça s'est passé ? Je veux dire, comment devient-on un vrai pirate ?

— Oh ! Ça, je ne crois pas qu'il y est vraiment de chemin précis à suivre. Il y a les bases, bien sûr : savoir naviguer et combattre. Mais selon les aptitudes de chacun, l'entraînement peut-être bien différent. Pour ma part, voici comment ça s'est passé : d'abord, Isiah m'a appris les rudiments de la navigation. Après le départ du loup de mer, il manquait un gabier à bord, alors on m'a formé pour prendre son poste. On m'a donc enseigné les nœuds nécessaires pour attacher correctement les bouts et les écoutes. Ensuite, j'ai appris à me déplacer efficacement sur le gréement, mais surtout à comprendre comment on pouvait se déplacer d'un mât à l'autre. J'ai développé de nombreuses compétences physiques, ce qui m'a permis de prendre un peu de muscle. On m'a aussi appris à nager, bien entendu. Tout ça est essentiel pour être un bon marin. Le capitaine Forbes, quant à lui, a continué à m'entraîner au tir pendant longtemps. Honnêtement, c'est ce que je préférais. C'est ce qui me demandait le moins d'efforts dans mon apprentissage, puisque j'étais naturellement douée. Il ne m'a fallu que quelques semaines pour savoir viser et tirer parfaitement sur des cibles fixes plus ou moins éloignées. Quand je suis passée aux cibles mobiles, cela m'a pris plus de temps, surtout quand Ferguson me faisait tirer de très loin. Mais avant de viser et d'abattre, encore fallait-il savoir charger le mousquet et, ça, je peux te le dire, ça m'a demandé beaucoup de temps. C'était un processus assez laborieux, et le problème, c'était qu'il fallait que je sache le faire vite. Enfin, mon éducation de forban s'est terminée entre les mains de La Guigne, qui m'a initié à l'art de l'épée. Les premiers jours, il ne m'a pas donné d'arme. « Sans un bon jeu de jambes, un sabre ne te servira à rien, » ne cessait-il de me répéter. C'était compliqué, très compliqué... Mais grâce à ça, j'ai développé une agilité dont je ne me croyais pas capable. Ensuite, le second du Nerriah a continué de m'initier à l'escrime dans les règles de l'art. Pour lui, il fallait connaître les règles pour pouvoir mieux les enfreindre. Voilà, Gamine, en quoi a consisté ma formation de forban. Cela a pris plusieurs années. Mais tu sais, ça ne s'est pas terminé avec tout ça. Tout le temps que j'ai passé dans les Caraïbes, j'ai continué à apprendre. »

Saoirse se tait et lève les yeux vers la mer. Ses yeux semblent se noyer dans les souvenirs alors qu'elle fixe l'horizon. Au bout de quelques instants, elle se retourne vers la Gamine, qui attend patiemment qu'elle revienne à elle.

« Je peux reprendre ? Il me reste encore beaucoup à dire, et bien des aventures à raconter.

— Mais j'ai encore d'autres questions ! Vous ne m'avez pas dit pour votre secret. Est-ce que c'était difficile de cacher votre véritable identité ?

— Ça, tu ne peux même pas l'imaginer. Mais tu le sauras en m'écoutant. Je peux continuer ?

— Dites ?

— Quoi encore ?

— Ça fait deux fois que vous dénouez votre filet et que vous le refaites.

— Oui, je sais.

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