Il était minuit. Le cri strident de Sophie retentissait toujours, semblant même empirer.
Sortant de leur torpeur, Ellie et Arthur se regardèrent, livides. Ils bondirent hors du canapé et quittèrent le salon à vive allure. Ils courrurent rejoindre sa chambre, traversant le long couloir assombri, le plancher grinçant bruyamment à chacun de leurs pas affolés. Arthur entendit une voix paniquée crier le nom de Sophie. Il ne savait pas si elle provenait de lui ou d’Ellie.
Ils atteignirent la porte fermée de la chambre de Sophie. De l’autre côté, Arthur l’entendait toujours hurler d’effroi, la voix brisée, semblant à la fois appeler à l’aide et repousser quelque chose.
Ce n’était pas tout : de l’autre côté de la porte retentissaient des bruits violents de coups, les sons caractéristiques de quelque chose de lourd qui tombait par terre, qui renversait et brisait les meubles, ainsi qu’un léger son de sifflement aigu.
Plus rapide que lui, Ellie chercha prestement à ouvrir la porte : celle-ci demeura immobile. Ellie s’acharna sur la poignée, la tournant dans tous les sens comme une forcenée. Arthur respirait de plus en plus fort, regardant hagard la porte fermée et sa femme affolée qui commencait à donner des coups d’épaules sur la porte.
La voix de Sophie se brisait de plus en plus, mais ne s’atténuait pas. C’était inhumain : Arthur n’avait jamais entendu un tel son de toute son existence. Cela le remit d’aplomb, et il commenca à donner lui aussi des coups de coudes violents à la porte. Au bout de quelque fois, celle-ci commenca à s’ouvrir difficilement, comme si quelque chose obstruait son passage.
Puis Arthur entendit un claquement sourd, et Sophie arrêta d’hurler. Ce fut si inattendu que lui et sa femme se figèrent un court instant, une fraction de seconde, laissant une idée horrible émerger dans leur esprit.
Puis Ellie prit un court élan et cogna une nouvelle fois la porte qui s’ouvrit sur le champ. Arthur et elle pénétrèrent sans attendre dans la chambre de leur fille, en allumant la lumière.
L’endroit était méconnaissable. Quelques planches étaient fissurées voire même arrachées ; le mur de gauche était criblée de trous ; il ne restait que de la lampe une ampoule qui pendait et clignotait misérablement, le bureau, déplacé contre la porte, était lui aussi entièrement ravagé, réduit à l’état de débris misérables ; l’air dans la pièce était obstrué de poussière.
Le seul endroit qui paraissait intact était le lit. Arthur vit, cachée sous les couvertures, au centre du matelas, une petite masse immobile. Alors qu’il sentit tout son corps devenir plus lourd, alors que son esprit se vida, Arthur parvint à articuler un imperceptible « Sophie ? »
Ellie rejoignit le lit et enleva les couvertures d’un geste sec : Sophie était recroquevillée, les mains sur les oreilles, les genous sur la poitrine, face contre le matelas. Ellie la prit dans ses bras, murmurant doucement des « C’est fini » et « Nous sommes là ».
Sophie tourna lentement la tête vers sa mère, puis vers son père. Arthur sentit un poids immense quitter ses épaules. Elle est vivante.
Cependant, Arthur demeurait toujours instinctivement tendu, les membres crispés. Il sut de suite pourquoi : le regard que lui lançait sa fille. Sophie avait ses grands yeux bleus ouverts, rougies par les pleurs, assombris par ses cernes, le fixant comme si elle ne le reconnaissait pas, comme si tout autour d’elle était irréel.
« Que s’est-il passé ? » répéta Ellie, toujours respirant bruyamment, les larmes aux yeux.
Sophie ne répondit qu’en tournant lentement la tête en direction du placard fermé, qui se trouvait à l’autre côté de la chambre.
Ellie et Arthur suivirent son regard.
Les battants du placards étaient perclus de fissures, une des poignées était bizarrement tordue, remontée dans un angle impossible. Arthur remarqua quelque chose sur le sol : plusieurs morceaux de laines, déchirés et rougis, qui étaient éparpillés en une ligne qui reliait le lit et le placard.
Sans rien dire, Arthur se rapprocha du placard. Il voulait marcher avec assurance, mais tout lui semblait plus lent, comme étalé dans le temps : le grincement des planches sous ses pas, la respiration bruyante d’Ellie, le clignotement de l’ampoule.
Il parvint à faire un pas, puis un autre, puis encore un autre, et après un moment anormalement long, il s’arrêta à un mètre du placard.
Il l’ouvrit d’un mouvement sec. La lumière clignotante éclaira l’intérieur du placard.
Rien n’avait changé. Les habits de Sophie pendaient à leur endroits habituels, irréprochables. Il ne fallut qu’un coup d’œil pour comprendre que rien ne se dissimulait derrière eux : le placard était trop exigu.
Malgré tout, Arthur entendit derrière lui le hoquet de surprise d’Ellie. Quelque chose n’allait pas. Arthur baissa les yeux, en direction des multiples boites à chaussures et autres objets que Sophie avait posé par terre, en-dessous des vêtements, parce qu’elle ne voulait pas ranger. Et Arthur comprit.
Une masse déchirée et ravagée de laine et de tissu, tordue d’une certaine manière comme un long chiffon, avec certains membres plus solides qui s’y rattachaient, et à l’un des bouts une forme ronde et décharnée. Arthur comprit que les membres ressemblaient à des bras et des jambes, et reconnut la couleur de certains tissus, ainsi que la forme globale d’une poupée.
Alice.
Arthur se retourna en direction de sa fille. Il s’attendait à la voir à nouveau grelottante, figée d’effroi, réclamant où était son amie Alice, ou alors se mettant à hurler à nouveau. Arthur préferai tout cela à son regard froid et détaché, le fixant comme si tout lui était inconnu.
Et ce fut pire. Sophie le fixa, puis dévisagea Ellie. Arthur ouvrit la bouche, cherchant à exprimer calmement la multitude des questions qui lui torturaient l’esprit. Mais Sophie pencha légèrement la tête sur le côté, fronça les sourcils, et prononca d’une petite voix :
« Mais… pourquoi vous êtes là ? Que s’est-il passé ? »
J'ai juste été perturbée car je croyais que les dates se suivaient, au final pas du tout XD Du coup hum, comment Arthur et Alice vont-ils changer la vie de Sophie et Ellie ... mystère mystère.
En tout cas je continue à lire, déjà pour ta plume et parce que j'aime bien les possessions. (Oui je suis bizarre, mais j'suis une faucheuse après tout!)
A bientôt! :D
Ah non les dates ne se suivent pas du tout ! La Maison de Poupée est écrite dans un ordre complètement déchronologique.
Content que ça te plaise encore, à bientôt !