Par Gregory, pensif, le 14 décembre 201*.
« Ce n’est que lorsque tous t’auront oublié
Que réellement tu cesseras d’exister »
Si j’étais resté une minute de plus, je sais bien que je ne serais pas parti. Et peut-être que je n’aurais pas dû. Mais maintenant que je suis en chemin, j’aurais l’air débile si je revenais en arrière avant d’avoir fait quoi que ce soit. J’espère vraiment que ce que je fais est inutile, mais je ne peux m’en convaincre, et ce dont je suis sûr, c’est qu’en aucun cas je ne veux me rendormir sans que le problème soit réglé.
J’ai du mal à mettre des mots sur les sentiments et sensations, et cet affreux mal de crâne n’aide certainement pas à démêler les choses. Tout est flou et une partie de moi veut croire que je me fais des films. Une autre a peur de se perdre, de succomber à la bête et de disparaître.
Pff ridicule.
Je secoue la tête et appuie plus fort sur les pédales. Plus vite je serai rentré et aurai confronté mes parents, plus vite je serai fixé et pourrai revoir Jason. Je lui ai promis que je ne m’enfuirais pas et j’ai déjà l’impression de trahir ma parole.
Ne t’en fais pas, je reviens le plus vite possible.
Un câlin magique et je serai reparti, non ? C’est bizarre, mais maintenant que j’essaie de m’en rappeler, je ne me souviens que des moments où j’allais trouver mes parents, pas de ce qu’ils faisaient pour me rassurer. Ils me souriaient de façon peinée en essayant d’être le plus engageants possible, me faisaient monter dans le grand lit et… rien. Plus j’essaie de rattraper les souvenirs, plus ils s’éloignent et plus ma migraine empire. Tant pis, je saurai bien assez vite.
Vraiment ? Suis-je sûr de vouloir leur faire confiance ? Pourquoi est-ce que je ne me souviens pas ?
Je secoue encore la tête, comme si cela me permettrait de me débarrasser de mes maux de tête et de mes doutes. Encore quelques centaines de mètres et je serai rentré. J’essaie de me motiver, mais je n’arrive pas à me défaire de cette boule d’angoisse grandissante qui pèse sur mon estomac.
Quelque chose cloche, je prends une mauvaise décision, là…
Je rate presque le virage pour ma rue, une pédale racle le sol et j’effleure la haie de la propriété qui fait le coin. Ça ne me ressemble pas, mais après, difficile de rouler correctement quand sa tête se prend pour l’enclume d’un forgeron imaginaire.
Il est trop tard pour revenir en arrière, là. Cette fois, j’aurai mes réponses.
Quand j’arrive, je remarque que la voiture n’est pas là. Mon cœur s’allège un tout petit peu, mais j’essaie d’ignorer ce sentiment du mieux que je peux. Il n’y a aucune raison de me réjouir de l’absence de mes parents. Au contraire, cela ne fait que repousser l’inévitable.
La porte n’est cependant pas fermée à clef, et très vite, je sens l’odeur âcre du café. Noir, comme mon père aime bien le boire. Voilà qui est surprenant. J’aurais plutôt parié sur l’absence de mon père que celle de ma mère.
– Greg ?
Sa voix résonne dans le vestibule, peu après que j’aie fermé la porte derrière moi. Pas une once de surprise ne transparaît dans sa voix, juste un peu de mécontentement. C’est toujours un plaisir de retrouver mon père.
Il me fixe en silence alors que j’entre dans le salon où il est installé avec le journal et sa tasse. Son regard perçant et sévère m’ôte les mots, et je me contente de rester là, sur le pas de la porte. J’aurais dû réfléchir à ce que je lui dirais, ce n’est jamais facile de lui parler. C’est toujours lui qui a raison, peu importe les arguments qu’on a préparés. Alors, venir vers lui avec cette histoire de cauchemar en espérant qu’il ne saura pas que leur ai menti à ce sujet…
– N’étais-tu pas censé passer le week-end chez… ton ami ? Que s’est-il passé ?
Je le vois qui essaie de retrouver le nom de Jason et finit par laisser tomber. Il n’est pas bon avec les prénoms, qu’il ait essayé n’est déjà pas mal en soi. Il est étrangement engageant, à vrai dire. Il doit avoir senti mon trouble et s’être adapté. Ses sourcils se sont froncés et creusent des rides dans son visage. Il est rare de le voir si expressif. En général il est l’incarnation du parfait homme d’affaires : classe, efficace et professionnel. Même dans sa vie privée. Mais aujourd’hui, ses yeux verts ne me lâchent pas et sont pleins de… non, pas de compassion, mais de… préoccupation. Oui, voilà, c’est ça.
– C’est difficile à expliquer, dis-je à cet étranger dans la cinquantaine aux cheveux poivrés qu’est mon père.
Il me fait signe d’approcher, puis tapote le divan à côté de lui.
Quand ai-je cru que c’était une bonne idée ? Je ne me confie jamais à lui…
– Tu sais que tu peux me faire confiance, n’est-ce pas ? demande-t-il alors que je m’assieds à côté de lui avec appréhension.
Sa question n’en est pas une, et je ne m’en sens pas rassuré. S’il faut en penser quelque chose, j’y vois plutôt un reproche. J’acquiesce cependant, en silence.
– Bien, alors raconte-moi pourquoi tu es déjà de retour. Tu ne t’amusais pas ?
Il a levé un sourcil dans une mimique d’étonnement. Je sais qu’il n’en ressent aucun. Dans sa bouche, l’amusement sonne comme une insulte, et je passe pour un gamin immature.
– Ce n’est pas ça, juste que… Cette nuit, j’ai rêvé. Le même cauchemar…
Je devrais trouver mieux à dire, défendre mon amitié pour Jason, dire que ce n’est pas juste « de l’amusement » avec ses sales sous-entendus, mais devant lui, je me sens impuissant et maladroit.
– « Juste » ? Son sourcil se hausse plus encore alors qu’il répète ce mot. « Juste » un rêve ? C’est pour ça que tu reviens, que tu bouscules l’horaire établi ? Tu sais combien je déteste les surprises. Ce n’était pas juste un rêve, explique-toi et n’omets pas de détails.
Son visage reste tout calme, mais je sens bien sa colère flamber. Son autorité m’écrase, et je m’exécute, lui racontant mon cauchemar avec un maximum de détails.
Quand j’ai fini mon récit, ses yeux sont froncés et je sens nettement sa contrariété. Moi-même, j’essaie de me faire le plus petit possible, de m’écarter de lui comme je peux, sans bouger.
– Je vois, commente-t-il simplement, avant de me fixer à nouveau avec son regard inquisiteur.
Je ne sais pas trop où me mettre, quoi dire. Ce qui est certain, c’est que si je comptais me faire rassurer comme quand j’étais plus petit, c’est raté. Dire que j’ai laissé Jason en plan pour ça. Je suis sur le point de rassembler assez de courage pour me lever et essayer de m’en aller quand il change d’attitude.
– Tu aurais dû m’en parler plus tôt. Tu aurais pu t’épargner bien des souffrances, mon fils. Mais il n’est pas encore trop tard, je vais tout arranger. Viens-là, dit-il en enserrant ma tête dans ses mains pour l’appuyer contre son front, Papa va t’aider.
Quelque chose en moi crie, se débat, veut fuir, mais mon corps reste immobile alors que mes peurs et appréhensions sont éteintes une à une. Une vive lueur verte est la dernière chose que je vois avant de sombrer dans l’inconscience.
Ah ouais, quand-même... Je n'avais jamais trouvé son père très folichon - ce qui s'est bien confirmé avec le début du chapitre - mais là, il est si froid et si détaché. Il traite vraiment Greg comme un problème à solutionner et non comme un fils à protéger.
J'espère qu'il n'oubliera pas toute la soirée d'hier...
Han ce suspens de dingue, j'adore 😍
Merci encore ! ❤️
et puis il y a des choses qui semblent évidentes a tout le monde que je ne vais pas voir .
Je trouve que l'attitude de son "père" est trop étrange. Comme s'il lui effaçait la mémoire. il y a cette distance, cette froideur qui me fait tiquer 😁