19 C'est du solide, snake.

   Adélaïde referma le zip de la combinaison jusqu’à sa gorge. Elle tendit le bras, admirant la souplesse et la douceur du tissu ; une certaine habitude de ce genre de combinaison lui permettait d’en apprécier son excellence ; l’UESH mettait les moyens à l’époque. Le tissu était chaud et d’une souplesse inégalée, comme une seconde peau. Elle s’admira dans le miroir de la chambre ; il est vrai qu’elle était jolie, elle se l’accordait. Encore plus avec cette tenue. L’écran de son portable s’alluma, attirant son regard sur la commode. Du bout des doigts, elle le déverrouilla, dévoilant un message accompagnée d’une photographie. Son sourire s’effaça, mais un doux tapotement sur le bois de la porte l’obligea à reprendre sa façade et lui fit tourner la tête.

   — Entre, dit-elle d’une voix douce.

   Rose passa sa tête à travers la porte, le cou recouvert de la même combinaison qu’elle.

   — Tu es bientôt prête ? demanda la guerrière. Edmond va bientôt partir avec le premier convoi, et nous nous devons entrer dans notre boite.

   Adélaïde hocha rapidement la tête, retrouvant son sourire.

   — J’arrive.

   La porte se referma en un mince claquement, et Adélaïde reposa son portable, l’air grave.

   Elle attrapa son sac et sortit dans la pièce principale, où elle vit Rose trouver les mots pour rassurer Edmond à côté de la supercinq, repeinte en bleu pour l’occasion. Il était si chétif.

   Mignon. Mais chétif.

   Rose posa sa main sur l’épaule d’Edmond, qui esquissa un sourire rassuré. Elle savait toujours trouver les mots. Que lui avait-elle dit ? Le crime le plus horrible qu’il avait dû commettre devait être d’avoir traversé le passage piéton au rouge. Il faisait tellement frêle. Mais si Rose l’avait pris sous son aile, c’était qu’il y avait une bonne raison.

   Elle m’a pris sous son aile.

   Cela fit frissonner Adélaïde. Edmond monta dans la voiture et s’y installa. Rose lui tendit une cagoule qu’il déposa sous le siège passager, alors que sa mentor regarda l’heure à son poigné ; elle tapota le toit de la voiture en signe de départ. Adélaïde regarda sa propre montre : 21h32.

  A la minute près.

  La voiture sortit lentement du hangar, feux éteints, et s’éloigna dans l’ombre. Rose referma la porte derrière, regarda de nouveau sa montre, et se dirigea vers l’arrière de son C15, repeint pour l’occasion de la même manière que la supercinq, avec une peinture effaçable au solvant. Elle se baissa, s’affairant entre les portes ouvertes, quand Adélaïde la rejoint.

   — C’est dans cela que l’on tient ? demanda-t-elle curieuse en regardant la grande boite en bois disposée dans le coffre.

   — Oui, répondit Rose d’un ton guilleret ; ce n’est pas un hôtel cinq étoiles, mais on s’en contentera.

   Adélaïde observa l’intérieur de la boite ; à peine 1m50 sur 1m50. Elles seraient l’une contre l’autre.

   C’est une vengeance ou… ?

 

   Adélaïde sursauta quand la grosse voix de Pierre résonna derrière elle.

   — Vous êtes prêtes les filles ?

   Il était affublé d’une salopette de travail et d’un bonnet rouge.

   Elles se regardèrent et hochèrent la tête en même temps.

   — Alors grimpez, que je vous recouvre.

   Les deux femmes s’exécutèrent et se serrèrent dans la boite, contorsionnées l’une contre l’autre ; Pierre referma le couvercle et  apposa dessus une caisse à outil et un escabeau. Il ferma les portes de l’utilitaire et ils sortirent à leur tour du hangar, laissant Laurent seul avec le chevalier dans le grand bâtiment.

   Le chemin jusqu’au musée n’était pas long, mais la boîte était assez petite pour rendre le voyage bien peu confortable. Laurent passa dans les oreillettes de la musique pour agrémenter les prémices du cambriolage et détendre un peu les membres de l’équipe. Cela fit rire Rose qui enfin souriait de bon cœur avec Adélaïde, leurs yeux se croisant de complicités aux rappels de bons souvenirs. Après un quart d’heure, la voiture ralentit enfin, et les filles entendirent Pierre en sortir, puis ouvrir les portes arrière. Il plaça son escabeau sous le réverbère cassé, puis sa caisse à outils. Enfin, il ôta le couvercle de la boite, libérant les jeunes femmes. Elles attendirent qu’il se replace, la masse de son corps couvrant leur fuite à travers la haie des yeux du voisinage et des caméras encore fonctionnelles. Silencieusement, elles se retrouvèrent dans la cour du musée. Elles entendirent Pierre s’affairer sur le réverbère éteint, remplaçant les parties cassées comme un professionnel. Les jeunes femmes se dirigèrent accroupies jusqu’à la première grille d’aération, dans l’allée de livraison. Agenouillées dans l’herbe froide et humide de décembre, Rose sortit une sorte de petit tournevis universel électrique d’une poche à outils accrochée à ses hanches.

   — Emmerich, nous y sommes, précisa-t-elle dans l’oreillette à Laurent.

   — Bien, répondit Laurent. Surtout évitez le moindre bruit dans les conduites de ventilation. Quand je vous indiquerez le chemin, vous tapotez une fois si vous comprenez, deux fois sinon. Distancez-vous d’au moins 1m50 pour éviter le surpoids.

   Rose finit de dévisser, retira la grille et la posa à plat dans l’herbe à côté.

   — On va rentrer. D’abord Liquid, ensuite moi. A partir de maintenant, nous passons en silence radio.

   — C’est noté.

   Les deux jeunes femmes enfilèrent des cagoules de la même matière que leurs combinaisons. Rose hocha la tête, Adélaïde lui répondit de la même manière, et entra avec souplesse dans le conduit à peine plus large que ses hanches. La guerrière attendit de ne plus voir ses pieds pour rentrer à son tour dans le conduit. Le métal glacé lui mordit les paumes malgré la combinaison, et son mètre soixante-quatre était à l’étroit dans les coudes en angle droit. Elle n’eut pas besoin de ralentir, Adélaïde glissant avec une aise incroyable à travers les aérations, comme un serpent dans un tuyau. A l’oreillette, Laurent donna ses premières instructions :

   — Après la grille, vous allez arriver à un carrefour. Vos chemins se séparent ici. Liquid, tu iras à droite. Il y aura deux grilles à la suite, la salle de sécurité se situe sous la deuxième. Compris ?

   Adélaïde tapota une fois et avança silencieusement dans l’aération, puis partit à droite.

   — Solid, continua Laurent, toi tu vas tout droit. Après le carrefour tu vas voir une première grille. Tu y es ?

   Rose s’avança jusqu’au point désigné, puis tapota une fois.

   — Bien. Attention à cette partie, c’est le conduit le plus long ; il est donc moins solide et plus bruyant. Il va y avoir un passage à droite et un autre à gauche. Tu continues toujours tout droit, et tu vas passer sur deux autres grilles. L’épée se trouve sous la deuxième.

   Rose avança à tâtons et en quelques minutes, se retrouva sur la deuxième grille, observant dessous à travers les barres. Un des gardes se trouvait à son niveau, avançant de sa démarche pataude, le rayon de sa lampe torche zigzagant entre les œuvres. Une fois qu’il fut assez éloigné, la guerrière ôta la grille, et descendit en douceur, suspendue d’abord dans le vide à la force de ses bras, puis se lâchant en s‘amortissant accroupie. Elle disposait d’environ cinq minutes avant que le deuxième garde ne rapplique ; elle sortit de sa bourse une minuscule perceuse, et se dirigea vers l’armoire qui contenait l’épée.

   — Emmerich, j’y suis. Liquid, j’attends que tu désactives.

   — C’est fait, lui répondit Adélaïde. Tu disposes d’une minute.

   Une vingtaine de secondes suffirent pour que le foret dispose de la serrure.  La vitrine ouverte, elle s’empara de l’épée resplendissante et de son fourreau. Puis, à l’aide des lanières de cuir, Rose l’harnacha efficacement dans son dos, avant de refermer l’armoire pour ne pas que l’alarme ne se déclenche. Il y eut un bref laps de temps en suspension, chaque autre membre de l’équipe attendant impatiemment qu’elle parle en retenant son souffle.

   — Je l’ai.

   Il y eut un gros ouf de soulagement commun dans l’oreillette. Le plus dur était fait.

   L’alarme ne se déclencha pas, et Rose rangea avec précaution ses outils. Au dessus d’elle, la grille enlevée laissait un trou béant dans l’aération. Il allait falloir un certain élan pour remonter dedans. 2min30, les gardes étaient le plus éloigné possible.

   — Je vais remonter dans le conduit.

   — Bien répondit Laurent. On se retrouve dehors. Je me mets hors ligne.

   — Liquid, tu peux remonter.

   Elle n’obtint pas de réponse.

   — Liquid ? Tu me reçois ? Tu peux remonter.

   Toujours pas de réponse.

   — Liquid ?

   L’alarme retentit, accompagnée de lumières rouges clignotantes.

   — Non d’un cerbère des enfers ! Je m’en doutais ! rumina Rose. PLAN B ! cria-t-elle dans l’oreillette.

   Le premier garde rappliqua de sa course lourde dans sa direction, et Rose n’eut aucun mal à utiliser le  surpoids de l’homme pour le faire trébucher et tomber lourdement dans des reproductions d’armures, dans un fracas métallique de tous les diables. N’attendant pas que le second garde ne rapplique, elle courra vers l’entrée principale, aussi vite que ses jambes pouvaient l’emmener.

 

   22h17. Edmond, dans la supercinq, attendait impatiemment le signal, qui ne devait plus tarder, d’après Rose, elles allaient finir vers 22h20. Pierre venait de finir de réparer le réverbère et était déjà repartit. Sophie et Lucie étaient passées près de lui, mains dans la main, comme un couple se promenant la nuit au clair de lune. 22h19. Il enclencha le contact et démarra la voiture, s’apprêtant à partir dès que les filles l’auront rejoins ; sur la banquette arrières, leurs tenues civiles les attendaient. L’alarme retentissant soudainement au loin piqua son échine, et une sueur glacée coula le long de sa colonne ; son regard se dirigea vers le bâtiment, s’attendant à tout moment à la catastrophe.

   — PLAN B ! Je répète ! PLAN B ! s’écria Rose.

   Bordel qu’est ce qu’il se passe ?

   — RAIDEN ! cria Rose à son adresse. Ramène-toi devant l’entrée principale et mets-toi à la place passager !

   — Qu-quoi ? balbutia-t-il.

   — FAIS CE QUE JE TE DIS ! hurla Rose.

   Contrôlant ses émotions tant bien que mal, Edmond avança la voiture jusqu’à l’entrée et obéissant militairement à la jeune femme, se mit sur le siège passager, les muscles tremblants et la gorge sèche. D’ici, l’alarme produisait un vacarme assourdissant ; Rose poussa avec force et fracas la porte, sortant en courant la cagoule à la main, les cheveux flottant au dessus de l’épée attachée en travers de son dos. Elle s’arrêta en glissant près de la porte conducteur, l’ouvrant à la volée ; elle jeta l’épée sur la banquette arrière et s’installa au volant.

   — Accroche ta ceinture !

   Ils partirent dans un crissement de pneus. Les talents de Rose en matière de conduite étaient incroyables : elle maniait la citadine avec fougue et vivacité, l’entrainant dans ses limites, cheminant à une vitesse dont Edmond pensait que la supercinq n’en serait capable. La voiture serpentait dans les rues, le moteur hurlant dans la zone rouge. Au loin, les premières sirènes de police se firent entendre.

   — Il est possible que quelqu’un ait repéré la voiture, indiqua Rose calmement tout en maîtrisant son bolide. Il va falloir enlever la peinture.

   — Où… où est Adélaïde ? demanda Edmond qui se cramponnait à son siège et essayait de comprendre ce qui se passait.

   — Elle nous a dupés, répondit Rose dont on sentait l’énervement dans la concentration. Je m’en doutais.

   Elle ajouta, après un virage prit à la corde, toujours dans un calme olympien :

   — Mais ce n’est pas grave, on a ce qu’on voulait.

   Des lumières bleues apparurent derrière eux. Edmond tourna la tête, les yeux exorbités, et sa peau prit la blancheur de la craie.

   — Je… je crois qu’on a la police aux trousses !

   Rose posa calmement ses yeux sur le rétroviseur intérieur, observant les lumières bleues clignotantes à une centaine de mètres d’eux.

   — J’en fais mon affaire.

   La supercinq bondit dans les virages, l’arrière chassant dans des dérapages contrôlés, les pneus frôlant les trottoirs. Rose n’avait qu’une chose en tête : s’éloigner le plus vite possible du musée, se cacher et attendre. Bientôt, ils se retrouvèrent proches du Mémorial, où Rose commença à ralentir la cadence. Le moteur soulagé pulsait son air brûlant dans l’habitacle, rendant l’air irrespirable. La voiture roulait à présent à une allure normale, vitres ouvertes, de la buée se vaporisant sur le capot dans une trainée fumante.

   — On doit être assez loin, précisa Rose à Edmond, en regardant de nouveau dans le rétroviseur pour s’apercevoir que les lumières bleues avaient disparu.   

   Elle toucha son oreillette, cherchant à contacter Laurent.

   — Emmerich. Emmerich tu me reçois ? Changement de plan mais tout va bien. Nous avons le paquet. Je brouille les pistes. On se rejoint au QG, 23h. Je me mets offline.

   Elle jeta son oreillette dans le vide poche alors que la voiture s’arrêtait à un feu rouge. Dans l’obscurité de la nuit, les rues étaient désertes, éclairées par les réverbères à la lumière jaune suintant la rosée du soir. Le moteur ronronnait dans le silence, Rose et Edmond ne pipant pas un mot. La guerrière avait toujours sa combinaison ajustée, pas réellement discrète. Des phares s’approchèrent sur la route opposée, et Edmond eut une boule au ventre ; une voiture de police, gyrophares éteints. La voiture passa à côté d’eux, sans s’arrêter ; Rose ne prit même pas la peine d’y jeter un regard, la main calée sur le haut du volant, l’autre sur le pommeau de vitesse. La patrouille s’éloigna. Feu vert. Rose tourna à gauche pour s’engouffrer dans une rue assombrie par l’absence d’éclairage, le regard maintenu sur le rétroviseur. Les lumières bleues s’allumèrent, la voiture de police faisant un rapide demi-tour et se mettant à leur poursuite. Rose écrasa la pédale d’accélérateur, repoussant les limites du modeste véhicule. D’autres patrouilles rejoignirent la première, et la supercinq fila, le moteur s’égosillant dans la nuit ; Rose tourna à gauche, puis à droite, zigzagant à travers les rues et les barres d’immeubles, passant à travers les plates bandes, dérapant parfois dans l’herbe des espaces verts. La police devait se demander dans quel manège ils s’étaient embarqués ; déjà, plusieurs voitures abandonnèrent la poursuite ; une finit même dans un fossé, alors que la dernière semblait vouloir s’accrocher coûte que coûte. Edmond, pendu désespérément à la poignée de maintient, ne disait rien, brinquebalé dans tout les sens. Rose poussa de nouveau à fond la voiture dans un rond point, puis tourna à gauche, pour s’enfoncer à toute vitesse dans une des grandes rues bordées d’HLM, gagnant déjà du terrain sur la dernière voiture de police. Quand elle ne la vit plus dans son rétroviseur, Rose éteignit les phares, prit la première rue à droite pour se retrouver dans l’avenue principale où ils se trouvaient précédemment, et poussa la voiture à fond ; 100 km/h, 120, 160, dans la nuit noire. Bifurquant de nouveau dans une avenue à toute vitesse, puis une deuxième pour brouiller les pistes, les sirènes de polices s’assourdirent au loin. Elle les avait partiellement semés. Reprenant peu à peu ses esprits, le cœur cognant violemment contre sa poitrine, Edmond reconnut l’endroit où ils étaient, et eut soudainement une idée lumineuse :

   — Là ! s’exclama-t-il. Il y a un centre de nettoyage voiture !

   Rose observa la grande zone commerciale de côte de nacre, réfléchit quelques secondes, avant de pénétrer en trombe dans le parking :

      — Ça peut marcher.

   Elle ralentit à l’approche du centre de lavage. La police ne donnait pas signe de vie. Rose se plaça devant les rouleaux, s’arrêta, et se tourna vers Edmond, toujours avec ce calme manifeste.

   — Edmond, ordonna-t-elle, tu sors et tu enlèves les enjoliveurs. Tu les mets dans le coffre sous la moquette. Je m’occupe de changer les plaques.

   Ils ouvrirent les portes en même temps, chacun s’afférant à sa tache. Rose avait tout prévu, et en 2 minutes, la voiture disposa de nouvelles plaques et de nouveaux enjoliveurs. Ensuite, Rose lança la machine, et les rouleaux vinrent frotter la voiture. La peinture spéciale se dilua, quittant la carrosserie, et le bleu terne laissa place à la couleur rouge d’origine, ainsi qu’à l’aile blanche. L’eau colorée de bleu s’évacua dans les égouts, et en quelques instants, il n’y en eut plus aucune trace. Le véhicule était métamorphosé, méconnaissable. Ils entrèrent de nouveau dedans, et Rose alla se garer plus loin, près de l’hypermarché, pour que la voiture refroidisse et qu’ils se remettent de leurs émotions. Dans le silence, le battement de leurs cœurs résonnait ; l’habitacle était recouvert d’une odeur rance de transpiration ; les visages de Rose et d’Edmond étaient rouges, et la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur déposait une épaisse buée sur les vitres.

   — Oh bordel l’angoisse ! s’exclama Edmond, soulagé, la main sur sa poitrine sentant les pulsations de son cœur.

   — Le pied tu veux dire ! répondit Rose, qui passa sa main dans ses cheveux poisseux pour les aérer. On l’a fait !

   Sans aucune gêne, elle ouvrit sa combinaison, commença à la descendre en l’enroulant, faisant rougir de plus belle Edmond qui fixa ses yeux sur la buée de la vitre. Rose tira la combinaison vers le bas, la retirant entièrement, se retrouvant sur le siège en culotte et en soutient gorge, ainsi qu’avec ses étranges chaussettes noires qui remontaient jusqu’aux genoux. Edmond s’était approché si près de la fenêtre qu’il aurait pu fusionner avec.

   — Arrête de faire l’enfant, et donne-moi mon jogging s’il te plait, s’amusa Rose.

   Toujours rouge, Edmond s’exécuta et se pencha en arrière pour récupérer le jogging plié qu’il tendit à Rose sans la regarder. Sa timidité le faisait rire. Elle échangea le jogging avec sa combinaison.

   — Cache l’épée avec. Ça serait bête qu’on se fasse repérer.

   Il s’exécuta encore, évitant par tous les moyens de poser son regard sur Rose.

   — Et enlèves ton pull toi aussi, ne reste pas en noir, c’est suspect.

    Rose se courba comme elle le put pour attraper un débardeur blanc alors qu’Edmond se déshabillait à son tour. Enfin, quand Rose renfila son haut, il s’autorisa à regarder dans sa direction. Horrifié, il aperçut derrière elle une nouvelle voiture de police qui se garait à dix mètres d’eux.

   — Oh bordel ! s’exclama-t-il en pointant du doigt la vitre. Ils sont là !

   Rose se retourna et aperçut à son tour la voiture de police, et deux policiers qui en sortaient, lampe torche dans la main, s’approchant. Que faire ? Elle eut en flash le visage d’Adélaïde, sans comprendre vraiment pourquoi, mais cela lui créa l’illumination.

   — Edmond, j’ai une idée ; ça ne va pas te plaire mais ne t’inquiète pas, et s’il te plait, laisse toi faire.

   Il se bloqua dans une stupéfaction, qui s’empira lorsque Rose enleva de nouveau haut.

   — Mais que ??

   — S’il te plait, laisse toi faire !

   Elle jeta négligemment son débardeur à l’arrière, sauta pratiquement sur le siège d’Edmond dont elle prit la main qu’elle cala sur son sein gauche. Quand le policier fut à la fenêtre, elle l’embrassa fougueusement, courbant ses hanches à leur maximum dans une position peu commode. Le premier policier frappa au carreau, et Rose quitta les lèvres d’Edmond, reposant ses fesses avec volupté sur le siège conducteur. Elle repositionna ses cheveux avec irrévérence, avant d’ouvrir la fenêtre lentement en tournant la manivelle.

   — Il y a un problème monsieur l’agent ? demanda-t-elle de la voix la plus nasillarde qu’Edmond ai put entendre dans sa vie, Rose imitant même le machouillage d’un chewing-gum.

   — Bonsoir madame, pouvez vous remettre un t-shirt s’il vous plait ? demanda le policier d’un ton sec.

   — Bien sûr monsieur l’agent, répondit Rose, toujours avec cet air léger.

   Elle se pencha vers la banquette arrière en s’étirant au maximum pour rattraper du bout des doigts son haut, mais en commençant à le tirer, elle découvrit par accident une partie du fourreau qui se retrouva à l’air libre et à la vue de la maréchaussée.

   Putain de merde.

   Son regard croisa celui d’Edmond qui avait remarqué aussi. Se trouvant dans une position plus confortable pour attraper correctement le débardeur, il lui dit, dans un sang-froid qui l’étonna lui-même :

   — Attend mon cœur, je te l’attrape.

   Edmond se pencha à son tour et avec moins de difficulté, réussi à tirer le débardeur vers le haut, permettant de laisser l’épée partiellement cachée par le tas d’autres vêtement. Rose l’enfila promptement et tourna de nouveau la tête vers le policier, qui visiblement n’avait rien vu.

   — On a fait quelque chose de mal monsieur l’agent ?

   Sa voix avait toujours ce ton nasillard insupportable, et elle était désormais accompagnée de gestes que l’on pouvait qualifier de légers. Le policier scruta le tableau de bord à l’aide de sa lampe torche avant de la ranger et de répondre.

   — Que faisiez-vous sur ce parking à cette heure-ci ?

   Rose replaça ses cheveux en arrière avec le bout des doigts, prenant une position qui la cambrait inconfortablement.

   — Bah vous voyez m’sieur l’agent, en fait avec mon copain on rentrait chez nous, et puis on était pressé parce que vous voyez enfin… On est jeunes quoi et puis mon copain a vu que le parking était vide… (Rose posa une main sur la cuisse d’Edmond qui se contenu de rougir). Et comme on avait très envie et puis vous savez un parking c’est… enfin c’est excitant quoi.

   Le policier rejeta un coup d’œil au visage de Rose, un peu rougi et transpirant, et à celui d’Edmond qui l’était tout autant. Il fit une mine blasé, poussant un soupir de dépit.

   — Madame, je dois vous rappelez qu’il est interdit de faire ce genre de choses dans des lieux publiques.

   — Mais il n’y avait personne !

   — Même s’il n’y a personne.

   — Mais il faisait nuit !

   — Même si il fait nuit.

   Rose fit une moue outrée. L’autre policier faisait le tour de la voiture. A leurs visages, Rose comprenait que son plan fonctionnait : les deux agents ne semblaient absolument pas les soupçonner.

   — Est-ce que vous avez bu ?

   — Non m’sieur l’agent.

   Le policier la scruta, résolu à la croire. Mais il ressortit sa lampe torche et commença à inspecter plus en profondeur l’intérieur de la voiture, à la recherche de substances illicites. Le coffre, le sol, et il se rapprochait dangereusement de la banquette.

   « Aux agents sur le terrain. La supercinq que nous recherchons est bleue, je répète, elle est bleue. »

   Le policier retira le faisceau de la lampe de la voiture pour répondre à la radio. Le cœur de Rose battait dans sa poitrine.

   — Où a-t-elle était aperçue la dernière fois ?

   — Au mémorial, répondit la radio.

   Les deux policiers se regardèrent, faisant « non » ensemble avec leurs têtes. Puis la radio reprit, avec la voix d’un autre agent :

   — Supercinq bleue aperçue proche de l’université ! A vive allure !

   Les deux policiers se regardèrent, avant que le premier ne dise à Rose :

   — Madame, rentrez chez vous, je ne veux plus vous voir ici.

   — Bien m’sieur l’agent.

   Les deux policiers repartirent vivement à leurs voitures avant de sortir en trombe du parking. Alors, Rose et Edmond s’affalèrent sur leurs sièges. Ils respiraient profondément, revenant peu à peu de leur ascenseur émotionnel.

   — Plus jamais ça, soupira-t-il.

   — Désolé de t’avoir empoigné comme ça, lui répondit Rose.

   — Tu… tu nous as sauvés. Mais… préviens-moi la prochaine fois.

   — On évitera tant que c’est possible. Tu embrasses très mal !

   Edmond devint rouge comme une tomate.

   — Mais je… !

   — Je te taquine gros nigaud ! répondit-elle en lui tapant sur l’épaule.

   Rose remit sa ceinture et redémarra la voiture.

   — Filons avant qu’on ne se fasse de nouveau arrêter.

   Edmond acquiesçât et remit lui aussi sa ceinture. La voiture démarra à un rythme bien plus doux et la guerrière sortit du parking avec prudence.

   Les quelques kilomètres qui les séparaient du hangar se passèrent sans la moindre encombre, à un rythme serein, bien qu’Edmond frissonnait dès qu’une sirène chantait au loin. Rose passa derrière le hangar et rentra la voiture. Dans le bâtiment, Pierre s’affairait à enlever la fausse peinture du C15 avec de l’acétone ; Lucie et Sophie décrochaient toutes les photos et les plans du tableau alors que Laurent et le Chevalier détruisaient ce qu’elles ramenaient en brûlant tous les documents. Lucie courut vers Edmond et lui sauta dans les bras. Rose sortit lentement de la voiture, s’empara de l’épée et referma la porte pour apercevoir Pierre qui venait de son pas lent dans sa direction.

   — Où est Adélaïde ?

   Rose baissa la tête, la hochant horizontalement.

   — Partie. Elle nous a fait faux bond.

   — Mmmh grommela Pierre. Je le savais.

   — Ce n’est pas grave, répondit Rose en lui montrant l’épée. On a obtenu ce qu’on voulait.

   Elle se dirigea alors vers le chevalier, l’épée à plat dans ses paumes ouvertes ; ce dernier se redressa à son approche, une légère excitation se devinant sous l’armure.

   — Votre épée mon cher.

   Le chevalier resta silencieux, et sa main arriva lentement vers le fourreau, presque tremblante. Il s’en empara, sortit la lame de son étui, et l’observa sous la lumière. Toujours sans un mot, le chevalier pesa son équilibre, moulinant avec l’épée, prenant différentes positions de combat, comme pour se les rappeler. On eut l’impression qu’il avait retrouvé un membre perdu ; il ne faisait de nouveau plus qu’un. Il rigola de joie.

   — Oui, c’est bien elle !

   Il se retourna vers Rose qui s’était relevée, et se fut à son tour de se pencher bien bas.

   — Ma lady, je ne sais point comment vous remerciez.

   — M’assurer que vous tiendrez votre serment, répondit Rose avec sérieux.

   Le chevalier se releva lentement, et hocha la tête. Rose lança un regard circulaire dans le hangar. Ils restaient encore beaucoup trop de preuves de leurs méfaits ; la peinture du C15 n’était qu’à moitié enlevée, beaucoup de photos étaient encore soit accrochées au tableau, soit éparpillées un peu partout dans le hangar ; des documents très compromettants, comme les schémas du musée et de ses aérations, les horaires des gardiens, leurs informations privées gisaient là où là. Il fallait aussi détruire les enjoliveurs, les fausses plaques, ainsi que le disque dur où étaient stockées toutes les informations sur le musée. Le cerveau de Rose bouillonnait. Les réjouissances arriveront plus tard ; elle assigna une tâche à chacun, et ils s’appliquèrent à la destruction du matériel compromettant jusqu’à une heure du matin. Dans le hangar, on entendait seulement le bruit de la broyeuse à papier, le crépitement du braséro et le froissement de l’éponge à récurer : le bâtiment se remplit peu à peu d’une odeur nauséabonde, imprégnant les cheveux et les tissus. Quand enfin tout fut fini, ils s’avachirent sur le clic-clac et les sièges autour.

   — Bon dieu, quelle soirée ! s’exclama Edmond.

   — Je ne te le fais pas dire, répondit Sophie, qui s’affala sur le fauteuil, la main dans les cheveux qui avaient légèrement perdu de leur superbe, ce qui lui fit faire une grimace.

    — On mériterait bien une petite récompense, dit-elle en les relâchant.

   Elle eut pour réponse le « plop » caractéristique de l’ouverture d’une bouteille de champagne ; Rose venait de revenir avec. Elle disposa des verres sur la table, et les remplit.

   — Pierre je ne t’en propose pas ?

   L’homme bougon fit non de la tête. Tous les autres en prirent un, même le chevalier (bien qu’il ne puisse pas le boire), qui s’amusa de l’étrange boisson pétillante.

   — A notre victoire ! s’écria Rose en élevant son verre.

   Tout le monde hocha la tête et porta son verre aux lèvres. Rose s’assit ensuite sur l’accoudoir à côté d’Edmond, murmurant à son oreille de son ton maternel habituel :

   — Tu as été exemplaire ce soir. Je suis fière de toi.

   Edmond se sentit rougir, repensant un bref instant à la vision de Rose dénudée et à l’accolade qui avait suivit. Cette soirée allait restée gravée dans sa mémoire. L’adrénaline qui coulait dans ses veines, mêlée à la fatigue, perturbait ses pensées. Joyeux d’avoir accomplit quelque chose de dingue. Excité par le côté interdit. Il se surprit à vouloir embrasser fougueusement Lucie, là, tout de suite, toucher sa peau, sentir son corps. Puis brusquement, sa conscience le rattrapait, et la pensée du méfait lui donnait la nausée. Un cambriolage ! C’était un aller simple pour la prison. Une tenaille invisible serra son cœur, sa poitrine se rétracta, la glotte haute dans sa gorge rendit sa respiration difficile. L’abattement le terrassait, accouplé de picotements, comme lorsqu’il utilisait son pouvoir. Aspiré dans une spirale sombre, attiré vers le fond. Il en fut extrait de justesse par l’application de la main douce de Lucie sur sa cuisse, malaxant gentiment pour lui faire reprendre conscience ; ses yeux émeraude le regardaient avec  intensité, comprenant ce qui lui arrivait ; un sourire aimant lui fit comprendre que tout allait bien, et la chaleur reprit possession de son être.  Sa main prit alors celle de Lucie. Heureusement qu’elle était là.

   — Hey ! s’exclama soudainement Sophie. Et cette épée ! On a le droit de la voir nous aussi !

   Le chevalier la regarda, amusé ; il détacha la lanière de cuir de sa taille, et posa l’épée et son fourreau sur la petite table basse. Sophie approcha ses mains avec prudence, les gardant à une distance de cinq centimètres. Elle regarda le chevalier dans ce qu’elle pensait être ses yeux ; une sensation vraiment bizarre.

   — Je peux ? demanda-t-elle d’une petite voix.

   Tous les autres s’étaient tournés vers le chevalier, tous aussi avide. Le chevalier hocha la tête, et avec délectation, Sophie s’empara de l’épée.

   Ce qui surprenait au premier abord était la légèreté de l’arme. L’épée ne devait peser à peine plus de deux kilos malgré sa longueur. En l’extirpant de son fourreau, son métal parfait se révélait à la lueur des néons blancs, d’un argent pur aux reflets qui se doraient où devenaient arc-en-ciel suivant l’angle. Le pommeau était d’une douceur incroyable, lisse et tiède dans la main ; le joyau en son extrémité luisait d’une chaleur douce. Sophie se leva avec, la secoua pour en observer sa résistance : malgré sa longueur, le métal restait inamovible, ne pliant pas. Sa légèreté l’entraina à tester des moulinets, et surprise par sa fluidité, elle enchaina dans les airs des coups dont le dernier passa si proche de Pierre qu’elle faillit l’éborgner. Le chevalier évita la catastrophe en se levant et en accompagnant son geste. Sophie prit conscience de ce qu’elle avait fait et rougit.

   — Ma Lady, lui dit le chevalier qui semblait hilare, ce n’est pas un jouet. Vous auriez pu découper notre camarade en deux.

   — Euh… désolé Pierre.

   Sophie remit maladroitement une mèche de cheveux cramoisie derrière son oreille.  La sensation d’équilibre parfait parcourait encore son avant bras. Inexplicablement, elle avait trouvé que l’arme avec une âme.

   — Elle est si affutée que cela ?

   Le chevalier hocha la tête et s’apprêta à ranger l’arme.

   — Attendez ! s’exclama Sophie. On peut quand même avoir une démonstration ?

   Lucie et Edmond approuvèrent, Rose aussi, ainsi que Laurent. Le chevalier regarda Rose, avant de lui demander :

   — Que voulez vous que je tranche ?

   Rose esquissa un sourire malicieux. Dans le garage, elle avait un tas de bric-à-brac sur le point d’être jeté. Elle chercha quelque chose de solide, d’épais pour pouvoir prouver la puissance de l’arme. Son dévolu se jeta sur une ancienne plaque de blindage cabossée et criblé d’éclats de balles, mais d’une largeur et d’un poids conséquent. Avec l’aide de Pierre, elle posa la plaque sur deux tréteaux. Le chevalier se plaça devant. Il reprit d’abord sensation avec son arme, sous l’œil médusé de l’équipe ; ses mouvements étaient d’une fluidité époustouflante. Quelques passes d’échauffement puis il arrêta sa danse,  se tenant devant la plaque, l’épée levée dans un mutisme attentif. D’un geste pur, il abaissa l’arme, ne rompant même pas le silence ambiant. Une fine entaille orange se dessina sur la plaque pendant une seconde, avant que celle-ci ne tombe sur le sol dans un bruit de tonnerre, coupée nette en deux, stupéfiant l’assemblée. Rose se surprit à sourire.

   Il m’en faut une.

   Elle se tourna vers le chevalier, une irrépressible envie de s’entrainer avec lui.

   — Effectivement, déclara-t-elle au chevalier. Elle vaut le coup.

   Elle vaut le coup, se répéta Rose.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Miss Harmonie
Posté le 21/02/2021
Hello,
Ce n'est qu'une idée, hein.

Mais dans ta phrase : " sous l’œil médusé de l’équipe "

Ça ne serait pas mieux de remplacer par " Sous les yeux médusés de l'équipe "
Étant donné qu'ils sont plusieurs, ce n'est que mon avis.

À la prochaine !
Laurence Acerbe
Posté le 21/02/2021
Coucou !
Oui effectivement, je vais peut-être changé effectivement ;).
Merci pour ton commentaire !
A la prochaine ! :D
Vous lisez